II. TABLE RONDE N° 2 : LES ASPECTS FINANCIERS DE LA DÉCENTRALISATION

A. EXPOSÉ DE M. YVES FRÉVILLE

Sénateur d'Ille-et-Vilaine

Professeur de finances publiques à l'Université de Rennes I, Expert

Vous m'attribuiez le rôle d'expert engagé. Je ne suis pas certain d'être encore un expert parce que j'ai quitté la chaire il y a déjà bien longtemps, et je ne suis plus engagé comme élu local. Je présente donc toutes les caractéristiques pour exprimer des propos désagréables. Vous m'avez demandé en outre de commenter deux rapports publiés récemment. Le premier rapport, intitulé « Solidarité et performances en matière de dépenses publiques », a été écrit par Pierre Richard. Le second rapport, écrit par Monsieur Valletoux, avait été commandé par de grandes associations de collectivités locales.

Si le système fiscal actuel ne fonctionne pas de façon satisfaisante, il est toujours réformable. Ainsi, entre 1970 et 1975, le gouvernement a réformé la fiscalité locale. Dans la situation actuelle, les relations entre l'Etat et les collectivités locales sont préoccupantes. Tout d'abord, la place de la dépense publique locale dans la dépense publique globale crée des dissensions. Le contrôle maastrichtien, qui n'a toutefois qu'un lien de parenté partiel avec le Traité de Maastricht, nous impose de réduire le besoin de financement global. Les collectivités locales s'interrogent sur leur capacité à maintenir le taux d'accroissement de dépenses qui est actuellement le leur. Ce taux dépasse largement le taux de dépenses publiques de l'Etat après correction de transferts de compétences, alors que nous supportons tous la croissance des dépenses maladie et des dépenses de retraite. Les collectivités locales risquent donc de voir leur niveau de dépense diminuer pour égaler le taux que l'Etat s'impose actuellement.

Les transferts de compétences sont financés de façon instantanée, mais le dynamisme des assiettes et le dynamisme des recettes et des dotations de l'Etat ne permettront peut-être pas de compenser à long terme le dynamisme des compétences transférées. Tout le monde oublie quels ont été les mécanismes initiaux de compensation. Ainsi, nous avons parlé beaucoup de l'Acte II et personne n'évoque plus l'Acte I. Les droits de mutations sont considérés comme une recette fondamentalement différente de leur nature originelle de recette de compensation. L'Etat intègre les droits de compensation dans le potentiel fiscal des départements et nous venons de créer la grande Dotation Globale de Fonctionnement (DGF) à 40 milliards incluant des compensations d'impôt et des DGT. Après un certain temps, nous ne savons plus quelle recette financera quelle compétence, et seule la vision globale importe.

L'analyse de plusieurs thèmes éclaire sur le sujet : les déterminants de la dépense, l'assiette des recettes et les mécanismes de la régulation. Selon Monsieur Richard, il est nécessaire de s'interroger, pour connaître au mieux la performance, non seulement sur la dépense mais aussi sur les coûts. Des pays entiers, comme la Grande-Bretagne, ont basé tout leur contrôle de la dépense sociale sur un contrôle des coûts. En Angleterre, une équipe de 1 200 personnes se consacre à l'étude des coûts des 60 collectivités locales. Dans le cas extrême de l'Australie, 100 personnes étudient le coût des collectivités locales des six Etats. Un tel raisonnement entraîne de grandes conséquences. Si nous nous lançons dans une telle démarche, il faudra considérer de nombreux coûts et être capable d'évaluer le coût de chacun, de chaque élève ou RMIste. Les individus dépassant les coûts seront montrés du doigt, et en suivant le raisonnement anglais, ces mêmes individus pourraient être pénalisés. Ainsi, Madame Thatcher, considérant que les coûts de certaines villes reflétaient une mauvaise gestion de leurs performances, en avait adapté les dotations à ce qu'elles auraient dû être, le dépassement des dépenses entraînant des sanctions. La délégation générale des collectivités locales se montre très réticente à la mise en oeuvre de solutions si extrêmes et du pilotage par les coûts. L'examen de la performance au niveau local implique un examen par rapport à un référentiel comparatif. Je ne pense pas qu'il soit opportun de suivre un tel raisonnement, mais cette problématique des dépenses suscitera vraisemblablement des débats. Pierre Richard a insisté sur la nécessité de limiter les financements croisés.

La prolifération des financements croisés, c'est-à-dire l'existence d'un co-financement par l'agence de bassin, par le département, par la région, rend difficile la lisibilité du rôle de chacun. Lors de l'inauguration d'investissements locaux dans mon département, le maire ne cherche plus à expliquer la source de tous les financements. Il inscrit sur un tableau noir les différents financements. Tout le monde le félicite bien sûr d'avoir su tirer parti du système de subvention. Cette prolifération ne facilite pas le contrôle efficace de la dépense publique. Pierre Richard recommande donc de limiter le financement à un seul agent, ce qui impliquerait d'interdire que pour une compétence donnée, deux « subventionneurs » contribuent à un niveau plus élevé. Il faudrait supprimer les financements entre l'Etat et les collectivités locales, donc remettre en cause la philosophie traditionnelle de ce que l'ancienne nomenclature appelait contrat de Plan Etat-Région.

Lorsque j'étais rapporteur du budget de l'enseignement supérieur à l'Assemblée Nationale et que Monsieur Jospin était ministre, nous avions lancé le plan « Université 2000 ». Absolument nécessaire, il envisageait de mettre en place un co-financement entre les Etats et les collectivités locales, chacun contribuant à hauteur de huit milliards de francs. La récolte des fonds auprès des collectivités locales nous a rapporté 16 milliards de francs. Cela témoigne, dans un premier temps, des ressources importantes obtenues à l'époque grâce aux droits de mutation. Cette anecdote nous montre qu'il faudrait revoir la philosophie des contrats de Plan Etat-Région. En effet, attribuer de l'argent par donation puis le reprendre ensuite pour financer un projet complique inutilement le système.

La réflexion sur les assiettes des impôts locaux appelle trois positions.

Premièrement, la création de nouvelles assiettes locales est difficilement envisageable. Dans une économie où les services dépassent les limites nationales, un enfermement dans des limites communales, voire départementales ou régionales, semble impossible. Trouver des assiettes locales ou localisées deviendra de plus en plus difficile. La seule proposition faite par Monsieur Valletoux est la re-création de la vignette automobile. Cet impôt avait l'avantage d'être localisable et correspondait relativement bien aux besoins des départements, titulaires de la compétence « voirie ». Logiquement, je n'ai trouvé aucune invention de nouveaux impôts locaux. Certains suggèrent la création d'un impôt sur la téléphonie mobile, mais enserrer les ondes dans les limites des communes est inimaginable.

Deuxièmement, si la création de nouveaux impôts locaux semble impossible, il est nécessaire de trouver un moyen de substitution. L'attribution d'un impôt d'Etat partagé pourrait être envisageable. Il paraîtrait logique d'avoir un impôt partagé sur la consommation. Cependant, la TVA, base de notre système fiscal, ne peut pas être localisée. Le droit d'accise que constitue la taxe intérieure sur les produits pétroliers a été localisé de façon médiocre et d'autres bénéficient des taxes sur le tabac. Ces deux taxes sont les deux principaux droits d'accise français. En résumé, les impôts sur la consommation ne portent aucune promesse d'avenir. Mettre en place une TVA sociale est envisageable, mais la création d'une TVA locale semble impossible.

Troisièmement, compenser les collectivités locales pour la perte ou la réduction d'autres impôts semblerait alors logique. Le revenu servirait de base à cette part d'impôt. Deux impôts de cette nature sont possibles : d'un côté des centimes additionnels à la Cotisation Sociale Généralisée pour les départements, et de l'autre côté des centimes additionnels à l'impôt sur le revenu pour les régions. En tant que professeur, j'ai toujours enseigné que la redistribution ne devait pas être une compétence locale (une moindre Décentralisation de l'aide sociale aurait d'ailleurs pu être bénéfique). La Décentralisation d'un impôt local assis sur l'Impôt sur le Revenu des Personnes Physiques confèrerait 50 % des recettes à la région parisienne et la contraindrait à mettre en place un mécanisme correcteur de péréquation lui faisant perdre son intérêt. L'éventualité d'une CSG locale se pose donc.

Est-il alors envisageable politiquement, socialement, syndicalement, de dire que quelques centimes de plus sur la CSG pourraient revenir aux collectivités locales, en émettant la réserve que ces centimes additionnels devraient être les mêmes partout. Il s'agit d'un problème politique sujet à débats. Je doute que l'organisation actuelle de la sécurité sociale et la force du syndicalisme français rendent possible un tel impôt, en contrepartie de la réduction d'autres impôts locaux qu'il conviendrait de réformer. Ce problème politique doit faire l'objet de débats au plus haut niveau. Se contenter d'un rapport annexé à la loi de finances ne suffit pas. Un débat commun doit avoir lieu en début de loi de finances sur le partage des ressources entre l'Etat, les collectivités locales et la sécurité sociale. Un arbitrage reste à faire entre la dépense sociale et la dépense locale.

Les modes de régulation proposés sont au coeur du problème. La Décentralisation est un processus bénéfique, à condition que le marché politique fonctionne correctement. L'élu est responsable du niveau des dépenses devant le contribuable. Si l'élu augmente sa dépense, cela doit avoir un impact sur le contribuable. Si le contribuable désire payer moins d'impôts, il doit accepter une diminution des dépenses. Ce principe définit le fonctionnement fondamental de l'impôt local. S'il n'est pas fonctionnel, la Décentralisation ne fonctionnera pas non plus. La totalité des recettes ne provient pas de l'impôt local, mais une fraction des recettes des collectivités locales doit nécessairement obéir à cette équation selon laquelle plus de dépenses entraînent plus d'impôts, et moins de dépenses entraînent moins d'impôts.

Un premier problème se pose dans la suppression du « coin fiscal ». L'Etat est devenu le premier contribuable de France par la technique du dégrèvement de taxes professionnelles et de taxes d'habitation. Nous n'avons ni su ni voulu réformer les impôts locaux, bien que la réforme des valeurs cadastrales ait été quasiment prête. Il restait à résoudre le problème des HLM et le problème des vignobles. Ce problème a été résolu lorsque le législateur a décidé qu'il n'y avait plus de propriété foncière non bâtie au niveau du département ou de la région, mais seulement au niveau communal. En revanche, l'évaluation des valeurs locatives pour les HLM relevait du défi. Le problème demeure si nous voulons réformer les assiettes locales actuelles. Parce que le coin fiscal n'a fait l'objet d'aucune réforme, il est devenu trop lourd, et l'Etat l'a pris en charge. De la même façon, si la taxe d'habitation dépasse 4,3 % du revenu après abattement, l'Etat la prend en charge et si la taxe professionnelle dépasse 3,5 % de la valeur ajoutée, l'Etat la prend en charge. Enfin, en cas de financement d'investissements nouveaux, l'Etat prend en charge la taxe professionnelle pendant deux ans. Ces contributions étatiques représentent 13 milliards d'euros.

Pour que fonctionne la règle du marché politique, le contribuable doit supporter l'impôt et l'élu doit savoir qui paie l'impôt. Le fonctionnement est altéré si c'est l'Etat paie et perçoit l'impôt. L'idéal serait alors la suppression intégrale de ces 13 milliards de dégrèvement. Les deux rapports proposent la même idée. Une telle réforme s'annonce extraordinairement difficile. Lors de la rédaction de mon rapport sur la taxe d'habitation, j'ai réalisé les inégalités que cela engendrait. La mise en route de la mécanique est chose aisée, mais aller en sens inverse s'avèrera bien plus difficile. Si ces avantages étaient répartis également sur le territoire, la suppression des dégrèvements ne poserait pas de problème majeur. Cependant, ils se concentrent dans quelques communes, qui ne sont pas nécessairement les plus riches ni les plus pauvres. Certaines communes très pauvres ne bénéficient pas de dégrèvements en raison d'une politique fiscale très modeste. D'autres communes très pauvres les utilisent au maximum et ont su faire fonctionner la mécanique. La réforme visant à supprimer le coin fiscal et à se re-saisir des 13 milliards d'euros dus au dégrèvement nécessitera une mise en place progressive, marquée de transitions très difficiles à instaurer, au niveau des contribuables en particulier. Ce problème exigera un doigté extraordinaire.

Toutefois, il est urgent de prendre des mesures : plus le mécanisme se développe, plus il est difficile de l'arrêter et plus l'alternative est difficile à mettre en place. Nous devrons réformer les assiettes des collectivités locales. Plus nous attendons, plus la réforme devient nécessaire, plus elle sera douloureuse, et plus nous nous décourageons devant l'obstacle. Une grande partie de la solution en matière de réforme de la fiscalité locale ne consistera pas à encourager à plus d'autonomie financière locale, mais à détenir une portion d'impôts locaux qui fonctionne bien, même si elle est inférieure à l'ensemble actuel.

La deuxième régulation de l'impôt est celle de sa spécialisation. Il est possible d'imaginer de multiples nouvelles donnes. L'imposition des ménages à chaque niveau serait idéale. Sans cet impôt le marché politique ne fonctionnerait pas. Le problème de la définition de l'impôt ménage, se pose dans les mêmes termes que celui de la définition de la CSG. Par ailleurs, l'impôt sur l'entreprise est nécessaire. Comme le suggère Monsieur Valletoux, une division du foncier bâti en deux permettrait de distinguer le foncier bâti entreprise du foncier bâti ménage. Les niveaux communal et intercommunal conserveraient la gestion du foncier bâti ménage, tandis que le niveau département se saisirait de la gestion du foncier bâti entreprise.

Ce problème semble extraordinairement difficile à résoudre dans la mesure où, s'il est facile de distinguer un foncier bâti usine d'un foncier bâti ménage logement, toute une zone intermédiaire existe entre ces deux extrêmes. Cette zone, comprenant les bureaux et les commerces, représente parfois 30 % du foncier bâti. Tout partage me paraît impossible. Lors de la mise en place de l'intercommunalité, la taxe professionnelle était confiée à cette nouvelle collectivité alors que les communes conservaient une part essentielle de l'impôt entreprise local par les fonciers bâtis. Si les communes acceptent, dans le régime de Taxe Professionnelle Unique, d'accueillir des usines et des activités qui peuvent ne pas être agréables à accueillir, c'est parce qu'elles bénéficient alors du retour du foncier bâti entreprise. Cela justifie ma réticence à l'égard de l'un des piliers de la réforme proposée qui proposait la création d'un cinquième impôt local opérant la distinction entre les deux formes d'entreprises.

Le troisième problème de régulation de l'impôt réside dans la liberté des taux. Si ce problème est à peine évoqué, la liberté des taux risque d'être de plus en plus restreinte. Les impôts modernes que nous voulons ne peuvent s'accommoder d'une liberté absolue des taux mais d'une fourchette de taux qui présente le danger de voir tout le monde passer aux taux supérieurs.

Enfin, la régulation concernant les dotations est un sujet très délicat. Les rapports recommandent incessamment le développement de la péréquation. La définition même de ce concept est floue. Avant de la recommander, il conviendrait de rédiger des rapports l'explicitant davantage. Les ambiguïtés sont telles sur cette notion que tout le monde parle un langage différent. Si la Constitution exige la péréquation des charges et des ressources, dans la pratique du Parlement ou au niveau des finances locales, nous utilisons toujours les mêmes indicateurs sans chercher à peaufiner les formules. Les logements sociaux, la longueur des voiries - qui favorise les montagnes, la densité de la population, le nombre d'allocations logement, le revenu, servent de base à l'organisation de la péréquation. Nous répartissons nos dotations sur le plan vertical de telle sorte que nous additionnons un nombre important de dotations, sans savoir quel est le résultat final, même lorsque nous globalisons la DGF. Nous ne savons plus quel territoire reçoit réellement. Enfin, tous nos mécanismes sont bloqués par des systèmes de garanties. Nous souhaitions cette année réformer la DFM des départements, ce qui nous a amené à voter immédiatement un mécanisme de garantie. Nous devrions alors toujours faire le calcul qu'avait autrefois fait Monsieur Guengant lors de la réforme de la DGF. Au moment de la détermination des dotations en garanties, nous constaterions qu'il ne reste pas grand-chose. Les résultats finaux en matière de répartition des dotations (40 milliards pour la DGF seule) sont tels que des collectivités, et notamment la ville de Lourdes, vivent encore avec des systèmes fiscaux âgés de plus de quarante ans. L'année d'une compensation, il est logique, pour ne pas détruire l'équilibre des budgets locaux, d'assurer des recettes de remplacement.

Pour autant, il n'est pas logique qu'une collectivité locale continue à percevoir des recettes parce que son système fiscal l'avantageait quarante ans auparavant et en l'occurrence, pour Lourdes ou Vichy, il s'agissait de la taxe locale à 8,5 % sur les cafés, hôtels et restaurants. Il n'est pas normal non plus que Paris continue de recevoir, au nom des mêmes principes, les dotations les plus fortes. Les indicateurs de performance en matière de redistribution des subventions et des dotations de l'Etat devraient être étudiés dans le cadre de la loi relative aux lois de finances. Ainsi, 4, 5 ou 6 milliards pourraient être récupérés.

S'agissant des dotations de 2006, je n'ai pu calculer le total, ni ajouter le Fonds de Compensation de la TVA et de beaucoup d'autres dotations. Les dégrèvements ne sont pas encore pris en compte. J'ai cherché à connaître la répartition des 34 milliards de dotations aux communes, aux départements et aux régions, en vertu des dispositions de l'actuelle DGF, compensations comprises. La situation interdépartementale des 2 500 établissements publics intercommunaux, les 36 000 communes et tous les départements ne m'ont pas rendu la tâche aisée. Mon exercice a débouché sur une courbe parabolique, qui reflète bien la réalité : les nombreux petits départements, et en premier lieu la Lozère, sont les principaux bénéficiaires. Le Territoire de Belfort est mal situé, parce que malgré sa petite taille, il a une forte densité. Or la densité est le facteur important. Ces résultats illustrent le fait que les 5 euros offerts par hectare ou kilomètre carré de montagne n'expliquent pas les fortes dotations. Des quantités de mécanismes, tels que les centimes superficiels, existent. Les départements de la région parisienne sont les autres grands bénéficiaires. Les départements des Hauts-de-Seine et de Seine-Saint-Denis font l'objet des mêmes traitements. Cela ne signifie pas que les communautés de communes ne perçoivent pas davantage et les départements moins. L'argent du contribuable apporte 60 % des dotations.

J'ai ensuite effectué le même calcul en ne considérant que les communes en EPCI et Paris. J'ai obtenu un nuage de 2 500 points montrant un important fossé pour les grandes agglomérations. En effet, la taxe locale sur le chiffre d'affaires était répartie dans une échelle s'étalant de 1 à 4. La dernière loi a réduit cette échelle de 1 à 2 mais grâce aux compléments de garantie, les conséquences restent faibles. Paris se situe très bien dans la redistribution. Dans notre système, quels que soient les mécanismes de péréquation, la situation des différentes collectivités est inégale. Le montant de la fiscalité locale à Paris et celui des dotations laissent croire à un lien entre l'un et l'autre. Dans tous les cas, la fiscalité n'est pas trop élevée à Paris.

Toute réforme nécessite au préalable une vision claire des statistiques. Nous manquons d'informations. Nous avons une bonne information macroéconomique, nous avons une information sectorielle acceptable, mais nous avons une très mauvaise information sur les disparités locales. Nous ne savons pas traiter les conséquences de ces disparités et toute réforme négligeant ces spécificités est vouée à l'échec.

B. ÉCHANGE DE VUES SUR LES ASPECTS FINANCIERS DE LA DÉCENTRALISATION

Jean ARTHUIS, sénateur de la Mayenne

François FORTASSIN, sénateur des Hautes-Pyrénées

Jacqueline GOURAULT, sénatrice, expert désigné par l'AMF, première vice-présidente

Adrien GOUTEYRON, sénateur de Haute-Loire

Alain GUENGANT, professeur à l'Université de Rennes-I, directeur de recherche au CNRS, CREM (Centre de Recherche et Economie et en Management), expert

Dominique HOORENS, expert désigné par Dexia, directeur des études

Charles JOSSELIN, sénateur des Côtes-d'Armor

François LANGLOIS, expert désigné par l'ARF, délégué général

Marie-Christine LEPETIT, expert désigné par la Direction Générale des Impôts (directrice adjointe à la DGI, directrice de la législation fiscale)

Michel MERCIER, sénateur du Rhône, vice-président de l'Observatoire de la Décentralisation

Rémy POINTEREAU, sénateur du Cher

Jean PUECH, président de l'Observatoire de la Décentralisation

Henri de RAINCOURT, sénateur de l'Yonne

Renaud ROUSSELLE, expert désigné par la Direction Générale de la comptabilité publique, sous-directeur du service public local

Michel ROUZEAU, expert désigné par l'ADF, délégué général

Alain VASSELLE, sénateur de l'Oise

Luc-Alain VERVISCH, administrateur de l'association finances-gestion-évaluation des collectivités territoriales (AFIGESE-CT), expert

Paul de VIGUERIE, membre du Conseil Economique et Social

Henri de RAINCOURT

Il me semble nécessaire de renoncer à un impôt progressif pour un impôt additionnel. Cet impôt ne pourrait alors qu'être proportionnel. La CSG serait le meilleur support si elle n'était collectée par localisation de l'employeur qui exerce la retenue à la source. Il faudrait trouver les moyens pour que la CSG soit prélevée sur les revenus y compris les revenus salariaux, non pas en fonction du siège de l'entreprise, mais en fonction du domicile du contribuable. Cela doit pouvoir être possible.

Nos débats sur l'autonomie financière et sur la péréquation mettent en évidence une contradiction flagrante : nous revendiquons l'autonomie des communes tout en exigeant de la péréquation. Cette logique mènerait à généraliser les dotations. La spécialisation de l'impôt est une donnée intéressante. Le foncier bâti reste un élément enraciné, non délocalisable, qui devrait conserver son statut d'impôt local de base. Nous devons être capables d'obtenir des évaluations homogènes en cas d'élargissement de l'assiette. D'un secteur à l'autre, les évaluations sont très contrastées, et dans l'intercommunalité existe une vraie offense à l'égalité devant l'impôt, parce qu'un taux unique s'applique à des assiettes évaluées de façon très hétérogène.

S'agissant des dotations de l'Etat, il est nécessaire d'agir vite et efficacement. Dans cet objectif, une base de données devrait être bientôt mise à la disposition du Sénat. Les opérations doivent se faire dans la plus grande transparence. D'insupportables injustices existent encore aujourd'hui. La discordance entre les discours prononcés en séance publique au Sénat et les situations qui les justifient ne peuvent continuer ainsi. Seule la transparence peut nous mener au succès. L'autorité du comité des finances locales a une tâche importante mais la délégation est excessive et le Sénat, grand conseil des collectivités territoriales, jouerait parfaitement son rôle s'il exerçait une mission de vigilance en se portant garant de la transparence et en mettant un terme à ces pratiques inadmissibles proclamant des péréquations, des rattrapages, s'empressant ensuite de multiplier les garanties de telle sorte que rien ne change. Cette situation n'est pas tenable. Une ère nouvelle doit s'ouvrir sous votre autorité.

Jean PUECH

Vous me confiez une grande responsabilité. Où en est votre projet de banque de données ?

Henri de RAINCOURT

Il progresse. Je pense que nous y arriverons.

Yves FRÉVILLE

Quant à moi, je le fais tout seul.

Jacqueline GOURAULT

Monsieur Richard propose d'accroître l'implication du Comité des Finances Locales. Quel est le rôle du Comité des Finances locales en comparaison avec les assemblées et notamment le Sénat, qui est chargé de cette mission ?

Michel MERCIER

Ces graphiques, ainsi que les vrais chiffres, devraient être mis à la disposition des sénateurs. Chaque année, lors des débats concernant les relations financières entre l'Etat et les collectivités locales, les deux mêmes catégories de collectivités locales sont particulièrement bien représentées : les 24 départements historiques et les communautés urbaines. Sur le graphique indiquant le montant par habitant de la DGF cumulée par population départementale, des trois points situés au-dessus de l'extrémité gauche de la courbe, un doit être en Basse-Normandie. La publication claire des chiffres permettrait de gagner deux journées de débats sénatoriaux.

Jean ARTHUIS

Il est déterminant que soient très précisément identifiées les recettes associées aux dépenses, qu'il s'agisse de celles des collectivités, de l'Etat ou de la sécurité sociale. L'idée d'une contribution généralisée représentant une nouvelle ressource financière pour les collectivités n'appelle pas de réserves de ma part. Toutefois, il conviendrait d'éviter que cette contribution, par son appellation, ne trouble la clarté de la perception de la clarté à l'égard de ses dépenses et n'entraîne une confusion dans l'esprit des citoyens entre la Sécurité Sociale d'une part et les collectivités locales d'autre part... Si une CSG locale devait voir le jour, il faudrait la baptiser autrement. L'existence de cette CSG est importante, mais il est nécessaire de distinguer les dépenses de nature très différente de la Sécurité Sociale de celles du budget de l'Etat, et de celles du budget des collectivités locales. Seule cette distinction confèrera de la crédibilité aux différents budgets auxquels nos concitoyens sont appelés à contribuer.

Alain GUENGANT

Dans le cadre de la mission relation avec les collectivités locales, au titre non des crédits budgétaires mais des prélèvements sur recettes, sont calculés des indicateurs de performance de la péréquation en France à partir de la méthodologie développée par le commissaire général du plan. Les informations concernant les communes, les départements, les régions, actuellement disponibles pour la période 1994-2001. Dans le cadre du projet de loi de Finances pour 2008, ces indicateurs de performance de prélèvements sur recettes, plus précisément la DGF et au-delà de la DGF, seront actualisés pour la période allant de 2002 à 2006. Dans le cadre de la préparation de la loi de finances de 2008, une série longue de l'évolution de la péréquation en France sera présentée.

Cette évaluation des performances de la péréquation présente diverses caractéristiques : répondant à un choix explicite, il ne s'agit pas d'une évaluation individuelle mais d'une évaluation globale mesurant la réduction des inégalités de pouvoir d'achat des collectivités locales sous l'impact de la redistribution des concours de l'Etat. Un seul chiffre accompagne chaque catégorie de collectivités. Il serait possible de publier l'ensemble des résultats individuels, que nous pouvons obtenir parce qu'ils découlent de l'ensemble du protocole de l'évaluation, mais, dans le cadre des indicateurs de performance de la LOLF, une seule information globale sur la péréquation est dévoilée.

Ces résultats ont été commentés dans les rapports parlementaires. La péréquation a progressé en France de 1994 jusqu'en 2001, la dernière année pour laquelle nous disposons à ce jour d'une information. Cette progression aboutit à un taux de correction de 40 % des inégalités de pouvoir d'achat entre les communes, avec un gain de six points supplémentaires par rapport à 1994. Les péréquations ont corrigé de plus de 50 % les inégalités de pouvoir d'achat pour les départements et les régions. Les départements gagnent 8 points et les régions 16. L'égalisation la plus importante des inégalités de pouvoir d'achat des régions est liée en partie au recul de l'autonomie fiscale des régions et notamment aux suppressions d'impôts locaux. Le ratio de ressources propres des régions françaises n'est que de 36 %, alors qu'il dépasse 56 % pour les départements et les communes. L'actualisation des indicateurs confirmera ou infirmera la lente montée en puissance de la péréquation, sous le poids du passé et des compensations. Cette actualisation permettra de mesurer l'impact des réformes de la DGF en 2004. L'Etat a assigné comme cible de la péréquation pour 2006 un taux de correction de 50% pour les communes et les communautés, et un taux de correction de 60 % pour les départements et les régions.

Henri de RAINCOURT

Les taquets de garantie provoquent l'inefficacité de l'opération. Cette année encore, le gouvernement a introduit un amendement qui freine les effets positifs de la péréquation. Nous voulons proclamer des objectifs très rassembleurs avant de mettre en place des taquets qui font obstacle à tout effet.

Michel MERCIER

Les débats sur la péréquation permettent d'organiser des colloques et de discourir pendant de longs mois durant sans que personne ne se préoccupe jamais des décisions de dépenses de l'Etat. Or ces décisions font l'économie de toute péréquation. L'Etat ferait mieux de ne pas décider des dépenses et de déléguer cette tâche aux élus locaux. S'il s'obstine à décider des dépenses, il devrait mettre en place des formules de péréquation. Une note qu'on m'a communiquée vient de m'annoncer que le Ministre des Affaires Sociales a pris la grande décision de porter de 14,33 euros à 16,95 euros le tarif horaire des aides aux personnes handicapées. Cette augmentation de 17,70 % du taux horaire, soit 17,16 francs de l'heure. En multipliant ce chiffre par des millions d'heures, il est facile de comprendre la démesure de la décision du ministre.

Jean PUECH

Vous auriez pu éviter cette mauvaise nouvelle en fin de réunion.

Henri de RAINCOURT

Cette schizophrénie politique est accablante. Ils exhibent leurs qualités d'un côté pour amasser suffrages et popularité et de l'autre côté proclament que nous sommes dans une logique de responsabilité, de Décentralisation.

Yves FRÉVILLE

En réponse à Jacqueline Gourault, il me semble que le rôle assigné au Comité des Finances Locales est très difficile à tenir. Pierre Richard souhaitait en faire un organisme tampon entre les collectivités territoriales et l'Etat. Cette relation est semblable à celle qui existait en Angleterre entre le Ministère de l'Enseignement et les Universités. L'organisme tampon réglait tous les problèmes et l'Etat payait. Un CFL disposant d'une fonction telle que celle que lui accordent les rapports n'aurait aucune légitimité. Il deviendrait un organisme indépendant alors qu'il ne me semble pas avoir la capacité d'expertise que les rapports lui attribuent, à moins que ses moyens ne soient réformés. Il est difficile de se prononcer sur un problème si délicat. A l'origine, le principe de base respecté par les présidents actuel et antérieurs du CFL consistait à donner au Parlement le pouvoir décisionnel et à mettre en pratique ses décisions. La responsabilité première incombe donc au Parlement. Le Parlement devrait détenir l'instrument d'observation qui apparaît. En revanche, il me paraît essentiel que les deux grands instruments d'observation existants, l'un au Ministère des Finances où nous progressons très rapidement, et l'autre au Ministère de l'Intérieur, fusionnent progressivement. Notre connaissance des finances locales a été longuement perturbée par l'absence de lien entre l'impôt d'une part et la dotation d'autre part. Nous devons obtenir cette réforme fondamentale malgré toutes les grandes difficultés posées par des problématiques telle que celle des dégrèvements.

Lorsque nous partons d'un système A avec des anciens impôts qui disparaissent, une ancienne dotation est supprimée, et que l'on souhaite arriver à un point B qui représente le nouveau système de dotation, le nouveau système de fiscalité, il faut travailler sur la transition. En France, nous n'avons jamais su étudier cette transition. La mise en oeuvre d'une telle réforme priverait une collectivité locale d'un impôt qui représentait 30 % de son budget ; il s'avère donc bien nécessaire d'organiser la transition. Inversement, ne rien faire amène à décrire la situation de l'immobilisme. La seule réforme, qui avait suscité une démarche pratique, est la réforme de 1966. Les dirigeants avaient envisagé une transition en 20 ans pour passer de la taxe locale au système de la DGF généralisée. Cette solution a fonctionné dix ans durant, jusqu'à la récession économique des années 70 qui a provoqué le blocage du système. Nous n'avons pas su faire face à cela. Le problème essentiel de la réforme du système des finances locales est l'étude du système de transition.

Luc-Alain VERVISCH

Le rapport Valletoux suggère un taux national pour la CSG sans préciser s'il s'applique à une assiette départementale ou à la répartition d'une assiette nationale. Dans le premier cas, les disparités de revenus par habitant dans le département risqueraient d'aller à l'encontre de l'effet recherché parce que les départements susceptibles d'avoir des dépenses plus fortes, notamment en raison du faible niveau de revenus par habitant, seraient désavantagés. Dans le cas d'une répartition nationale, la question des critères demeure. Cette question posée sur les critères du Fonds Départemental pour l'Insertion introduit la problématique de la performance publique en matière de politique sociale.

Nous gagnerions à réfléchir sur la localisation d'un impôt national sur les télécommunications. Certains éléments de télécommunication sont facilement localisables, comme tout simplement, le bénéficiaire des appareils.

Dominique HOORENS

Le but du rapport n'était pas de fournir des solutions « clés en main ». Nous voulions ouvrir quelques portes et suggérer des axes de réflexion. Dans toutes ces réflexions sur la réforme des finances de collectivités, il est notable de voir qu'au-delà des constats et objectifs globaux, de très fortes disparités continuent d'exister tant sur le constat que sur les propositions. Une réforme imaginée dans un but précis, pour une collectivité locale, peut avoir l'effet inverse sur une collectivité locale autre. Le passage du global à l'individuel s'avère très compliqué. Il est possible de résoudre les systèmes de passage parce que nous disposons d'une base de dotation de l'Etat pouvant servir à neutraliser le passage.

En cas de réforme fiscale, pour les collectivités, existe un tampon, mais la problématique du contribuable n'est pas résolue. J'ignore comment les systèmes de transition, déjà en place dans les collectivités, peuvent s'appliquer aux contribuables, considérés individuellement. Philippe Valletoux montre que la DGI réfléchit à des comptes individuels en termes fiscaux. Toutefois, la complexité est plus importante. Ce ne sont pas 50 000 agents mais 30 millions de ménages qui sont concernés.

Yves FRÉVILLE

Les assiettes modernes sont concentrées spatialement. Le problème intervient avec l'impôt sur le revenu mais le même problème se pose avec la réforme de l'assiette de la taxe professionnelle. L'échec de la commission Fouquet s'explique par le fait que la concentration des services s'effectuait dans les grandes agglomérations alors que l'industrie est beaucoup plus dispersée spatialement. Par conséquent, il faudra parvenir à une valeur assiette de type valeur ajoutée sur un impôt entreprise. Cet impôt sera très concentré dans les grandes agglomérations, ce qui nécessitera l'invention de nouveaux mécanismes de péréquation, remplaçant les logements sociaux pour parvenir à répartir correctement une fraction de cette manne.

Henri de RAINCOURT

Il faut veiller à favoriser des assiettes relativement simples. L'assiette des valeurs ajoutées sera extrêmement difficile à calculer. Des mécanismes d'optimisation pour échapper à l'impôt se développeront. Le maintien de l'impôt sur les entreprises devient de plus en plus aléatoire, dans notre économie d' « hyper concurrence ». Par conséquent, les territoires qui maintiendront des impôts de production risquent, à terme, de se vider du potentiel de production. Nous sommes dans une économie mondiale. Dans ce contexte, il faut refonder le pacte républicain sur un impôt payé par le citoyen. En effet, tous les impôts payés par les entreprises sont répercutés sur les consommateurs. Ce transit, parfaitement acceptable en économie étanche, joue contre l'économie et jouera de plus en plus comme un levier de délocalisation. Il est nécessaire de réfléchir à des impôts payés directement par le citoyen. Les entreprises ont raison de maintenir quelque chose. Le foncier est une bonne chose, mais imposer la valeur ajoutée relèvera à l'avenir d'une tâche d'autant plus ardue que certains risquent de venir optimiser leur placement avant de partir ailleurs.

Jean PUECH

Nous avons bien compris que le chantier qu'il nous faut ouvrir est considérable.

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