II. LES LIMITES DE LA RÉGULATION PRÉVENTIVE : UNE RÉSURGENCE DES RISQUES APPELANT UNE REFONTE DES MÉCANISMES DE SUPERVISION

Dans l'Union européenne , les normes issues du second accord de Bâle sont entrées en vigueur, dans leur totalité, au 1 er janvier 2008 (voir ci-dessus).

Aux États-Unis en revanche, l'application de Bâle II a été retardée de plusieurs années. La réforme ne s'y appliquerait qu'à une douzaine de grandes banques de dimension internationale, et seulement avec les approches avancées qui laissent une assez large marge de manoeuvre aux institutions financières. Cette entrée en vigueur récente dans l'Union européenne, et retardée aux États-Unis, empêche de dresser un bilan définitif de l'application des normes prudentielles de Bâle II.

La crise financière a néanmoins mis en évidence certaines lacunes de la réglementation. Une nouvelle réforme des normes est ainsi désormais envisagée, avant même la mise en oeuvre complète de la précédente réforme. Plus généralement, la crise conduit à de multiples réflexions sur le thème du renforcement de la supervision du système bancaire et financier.

A. LES LACUNES DE LA RÉGLEMENTATION PRUDENTIELLE : LA RÉSURGENCE DES RISQUES

La crise financière a mis en évidence les lacunes et l'existence d'effets pervers attachés à la réglementation prudentielle. L'appréhension des risques est en effet insatisfaisante pour trois raisons :

- d'une part, les normes incitent à un transfert des risques ;

- d'autre part, elles négligent l'existence d'un risque de liquidité ;

- enfin, elles génèrent en elles-mêmes un risque systémique, du fait de leur procyclicité.

1. Le transfert des risques

a) L'essor de la titrisation

Les exigences de solvabilité, ainsi que la gestion de leurs risques, ont conduit de longue date les établissements à transférer une large part des risques qu'ils produisent, au moyen d'opérations de titrisation. La période récente offre toutefois la particularité d'avoir donné naissance, à partir de la titrisation, à une classe nouvelle d'actifs : les dérivés de crédit ou les produits structurés.

Cette évolution correspond au passage d'un modèle d' « origination-conservation » des risques, à un modèle d' « origination-distribution ».

L'essor de ce type de pratique ne correspond pas seulement à une volonté de contournement des normes prudentielles : elle répond aussi à une demande massive de produits supposés peu risqués, soutenue par l'épargne abondante des pays émergents, notamment la Chine.

Le développement de la titrisation a pris un relief particulier avec l'essor des crédits subprimes, crédits immobiliers hypothécaires à des ménages américains peu solvables.

Titrisation et crédits « subprimes »

Le marché du crédit des Etats-Unis offre à des ménages peu solvables le bénéfice d'un crédit immobilier hypothécaire. La valeur de marché du bien emprunté vient en garantie de l'emprunt, dont une partie est libellée à taux variable. Ce crédit immobilier à risques est dit « subprime », c'est-à-dire de moindre qualité. L'équilibre de ces créances était fortement fonction d'une hausse sans fin du prix de l'immobilier qui était illusoire.

Les banques prêteuses, afin de minimiser leur exposition au risque, ont revendu leurs créances à des structures financières émettant en contrepartie des titres (technique de « titrisation ») adossés au portefeuille d'actifs immobiliers (residential mortgage backed securities - RMBS). Les années 2004-2007 ont été marquées par l'essor de la titrisation, qui a eu pour avantage d'élargir l'accès au financement et d'en diminuer les coûts.

Le développement des produits dits « structurés » (« collateralized debt obligations », CDO) a consisté à rassembler au sein d'un même véhicule des produits hétérogènes, aux risques a priori non corrélés. Dans ce système, qui s'apparente à un mécanisme de mutualisation 52 ( * ) , le volume des prêts compte davantage que leur qualité. Par conséquent, l'incitation à contrôler la solvabilité de l'emprunteur est affaiblie.

b) L'impact de la titrisation sur le risque

La titrisation a pour effet de réduire le risque d'un point de vue comptable, et ceci pour deux raisons.

En premier lieu, elle modifie le traitement du risque lié à un actif : après titrisation, le risque généré par l'actif n'est plus considéré comme un risque de crédit mais comme un risque de marché. L'actif ne figure plus au sein d'un portefeuille bancaire (« banking book ») mais il est comptabilisé dans un portefeuille de négociation (« trading book »). Or les capitaux propres requis pour couvrir le risque de marché sont plus faibles que ceux exigés pour couvrir les risques de l'actif avant titrisation. D'un point de vue réglementaire, la titrisation permet donc de réduire le risque, alors qu'en substance, d'un point de vue macro-économique, celui-ci demeure pourtant identique.

La distinction entre portefeuille de crédit et portefeuille de négociation peut être considérée donc pour partie artificielle, car le risque de crédit est de plus en plus présent dans le portefeuille de négociation .

Or, même dans le cadre de Bâle II, le risque de défaut n'est pas traité dans le cadre du portefeuille de négociation. Le risque du portefeuille de négociation est généralement calculé à partir d'un historique de cours, selon la méthode VaR 53 ( * ) , qui s'est avérée dépassée en période de crise systémique.

En second lieu, la titrisation permet de transférer le risque « hors bilan » (de l'externaliser) ou vers d'autres acteurs ne faisant pas face aux mêmes exigences réglementaires que les banques.

Le processus de titrisation conduit en effet les banques à loger le risque dans des structures hors bilan (conduits ABCP 54 ( * ) ), dont Bâle II a amélioré la prise en compte, sans en réduire l'utilité en termes d'atténuation de la contrainte de capital réglementaire.

Par ailleurs, des entreprises d'assurance, d'autres institutions financières et des entreprises non financières sont susceptibles d'acquérir des actifs titrisés. Les hedge funds sont notamment en cause : gérant des actifs qui ont augmenté à un rythme annuel de 20 % depuis 2000, ils ont été les plus gros acheteurs d'actifs titrisés à partir de crédits subprimes. Or les hedge funds ne sont pratiquement pas régulés. S'il est difficile d'identifier l'ampleur des risques qu'ils font courir au système financier, ainsi que les porteurs finaux de ces risques (banques, entreprises, ménages), on sait que le montant de leurs engagements est élevé et qu'ils reposent sur une prise de risque dont la mathématisation a été plusieurs fois prise en défaut.

La titrisation peut donc induire une forme de déresponsabilisation des banques avec pour conséquence majeure que celles-ci sont moins incitées à sélectionner les crédits et à analyser finement les risques associés .

Au total, les effets de la titrisation sur le risque systémique sont beaucoup plus ambigus qu'imaginé à l'origine. Celui-ci n'est pas seulement plus diffus ; il peut être aussi accru.

Bâle II et la titrisation

Le pilier 1 de Bâle II permet de prendre en compte les actifs titrisés figurant aux bilans des banques au titre des risques de marché.

Le pilier 3 de Bâle II exige des informations sur les opérations de titrisation. La banque doit expliquer les objectifs de ces opérations et décrire la nature de son implication. Elle doit préciser les approches retenues pour estimer l'impact des titrisations sur les fonds propres réglementaires et décrire les traitements comptables appliqués. Les informations quantitatives requises portent sur :

- l'encours total des expositions résultant d'actifs titrisés ;

- le montant des actifs titrisés qui ont dû être dépréciés et des actifs titrisés impayés ;

- le montant des expositions de titrisation conservées ou acquises avec l'exigence de fonds propres qui en découle selon l'approche retenue (approche standard ou selon les modèles internes).

2. Un risque peu pris en compte : le risque de liquidité

a) La liquidité et son impact sur la solvabilité

La crise financière a montré que les normes de solvabilité ne suffisaient pas à éviter les faillites bancaires, en raison de la possibilité d'une crise de liquidité.

Or la liquidité est un concept difficilement appréhendable car elle repose essentiellement sur un phénomène de confiance. Elle dépend notamment de l'appréciation par les agents du niveau de risque, c'est-à-dire de leurs anticipations concernant la résilience de l'économie et des contreparties face aux chocs. De même, elle est influencée par la crédibilité des interventions des pouvoirs publics, en particulier des Banques centrales. Elle dépend également de la transparence du système économique et financier , c'est-à-dire de l'existence ou non d'une véritable « traçabilité » des risques et de la capacité à les évaluer.

Le concept de liquidité

Trois grandes définitions de la liquidité sont couramment utilisées :

(1) la liquidité d'un produit financier reflète la facilité avec laquelle il peut être échangé contre du numéraire sans perte de valeur ;

(2) la liquidité de marché est un concept connexe qui désigne la capacité du marché à absorber des transactions sur un volume donné d'actifs ou de titres sans effet significatif sur leurs cours ;

(3) enfin, la liquidité monétaire se rapporte à la quantité d'actifs totalement liquides circulant dans l'économie. Elle est généralement mesurée par un agrégat monétaire plus ou moins large, ou par le rapport de cette valeur au PIB nominal.

Il existe plusieurs autres concepts de la liquidité : la liquidité de financement, qui désigne la facilité avec laquelle les agents économiques peuvent obtenir un financement externe ; la liquidité de bilan des entreprises du secteur non financier, qui correspond au montant des actifs liquides figurant à l'actif ; et, pour les institutions financières, la liquidité bancaire, qui reflète la capacité d'une banque à honorer ses engagements immédiats. Tous ces concepts sont distincts les uns des autres. Ils sont également étroitement liés mais de manière complexe.

Source : « La liquidité en période de turbulences financières », Banque de France, Revue de la stabilité financière (n° 11 - Février 2008)

Dans son principe, la titrisation améliore la circulation de la liquidité dans l'économie : son objet même est de transformer des créances en titres négociables.

Dans le cas de la crise récente toutefois, l'insolvabilité des emprunteurs subprimes a entraîné une méfiance généralisée vis-à-vis des actifs titrisés qui leur étaient adossés.

Cette méfiance a résulté d'un déficit d'information sur le montant et la localisation des pertes 55 ( * ) . Ces instruments sont, par conséquent, devenus totalement illiquides. La crise de liquidité s'est étendue au marché interbancaire, dans la mesure où il était difficile d'évaluer le degré d'exposition des établissements de crédit au risque résultant de l'illiquidité de ces actifs.

La crise de liquidité peut alors se transformer en crise de solvabilité des intervenants, car elle empêche une gestion normale des positions risquées ou non. Elle a en outre une incidence directe sur les bilans, en raison de la perte de valeur des actifs titrisés.

L'étroitesse du lien entre liquidité et solvabilité est resserrée par la méthode de valorisation des actifs en valeur de marché. Le principe de comptabilisation en « juste valeur » amplifie donc l'incidence des perturbations de la liquidité sur l'économie réelle.

b) La réglementation de la liquidité

« Si les canots de sauvetage sont immédiatement mis à l'eau dès l'apparition des problèmes, et que des liquidités supplémentaires sont fournies à des conditions favorables, les banques sont incitées à accroître la densité de leurs constructions en zone inondable. Pourquoi devraient-elles s'inquiéter de la gestion de la liquidité lorsque c'est la banque centrale qui s'en charge ? » 56 ( * )

Il est nécessaire de réglementer la liquidité pour pallier l'aléa moral qui consisterait pour les banques à attendre de la Banque centrale la réponse à toute crise. Une telle réglementation viserait à limiter ou à encadrer le recours à la fonction de prêteur en dernier ressort et, plus généralement, le recours à toute forme de renflouement par les pouvoirs publics, y compris la mise en oeuvre de la garantie des dépôts.

Dans les années quatre-vingts, le comité de Bâle a échoué à parvenir à un accord sur la gestion du risque de liquidité 57 ( * ) . En conséquence, les exigences en matière de liquidité varient d'un pays à l'autre. En France, le dernier règlement applicable date de 1988 58 ( * ) et soumet les banques à un coefficient de liquidité 59 ( * ) d'au moins 100 % entre leurs actifs facilement mobilisables et leurs exigibilités à court terme. Les établissements sont, en outre, tenus de calculer trois « ratios d'observation » 60 ( * ) rendant compte de leur situation prévisionnelle de liquidité à horizon trimestriel, semestriel et annuel.

Les exigences ainsi définies, en termes de liquidité de bilan, prennent insuffisamment en compte les évolutions du secteur bancaire et des marchés, s'agissant notamment de l'impact croissant de la liquidité de marché.

Les banques ont en effet cessé d'être de simples fournisseurs de liquidité, pour devenir tributaires à leur tour de la liquidité de marché, qui a une incidence majeure sur leurs bilans. Or la liquidité de marché a un impact direct sur la solvabilité, par le biais de la valorisation des actifs titrisés. Les effets de l'incertitude, définie comme l'impossibilité d'attribuer des probabilités aux différentes situations, sur l'évolution des marchés sont accrus par les asymétries d'information existant entre émetteurs et acheteurs de titres : les intervenants renoncent à effectuer des transactions sur des actifs dont l'évolution est affectée d'une incertitude forte, ce qui assèche les marchés. De surcroît, avec la valorisation en valeur de marché, toute incertitude sur la valeur des actifs se transforme en incertitude sur la solvabilité des institutions financières . Il en résulte de fortes tensions au coeur même du système, à savoir sur les marchés interbancaires. Celles-ci ont pu être accrues par des effets de concurrence : certaines banques ont pu être réticentes à prêter de la liquidité à court terme, afin de rétablir leur propre influence sur le marché en affaiblissant leurs concurrentes 61 ( * ) .

3. Le risque découlant des normes elles-mêmes

a) La procyclicité des normes prudentielles

Les ratios de solvabilité sont critiqués pour leur procyclicité : en période de ralentissement économique, les coefficients de pondération appliqués aux engagements en fonction des risques encourus augmentent, ce qui a pour effet d'accroître les exigences en fonds propres. Pour continuer à entrer dans le cadre des normes en vigueur, les banques sont contraintes de diminuer, par conséquent, le crédit distribué (« credit crunch »).

Inversement, en période de forte croissance, la diminution des risques incite les banques à prêter davantage, ce qui peut avoir pour effet d'alimenter des bulles spéculatives.

Les normes prudentielles sont donc suspectées d'accentuer le cycle économique, tant en période de récession qu'en période de croissance.

Cette procyclicité est toutefois débattue : outre le fait qu'elle est intrinsèque aux systèmes financiers, l'impact des normes prudentielles sur le crédit bancaire n'est pas démontré 62 ( * ) . Si elles le souhaitent, les banques ont la possibilité de gérer leur ratio de solvabilité en fonction de la conjoncture, en maintenant constante leur offre de crédit. Ceci implique d'avoir un niveau de fonds propres supérieurs au seuil réglementaire, au cours des périodes de croissance. Dans les faits, la plupart des banques détenaient, avant la crise des subprimes, des niveaux de fonds propres supérieurs aux seuils réglementaires , pour se conformer aux exigences des actionnaires, analystes financiers et agences de notation, en prévision d'une éventuelle détérioration de la conjoncture. Il est donc possible de voir diminuer le ratio de solvabilité, sans pour autant passer sous les seuils réglementaires. Par conséquent, des marges de manoeuvre existent déjà pour atténuer l'effet procyclique de la réglementation prudentielle, du moins si les banques puisent dans ces marges, en réduisant leur ratio de solvabilité lorsque les difficultés surgissent.

Les normes prudentielles comportent toutefois un second facteur de procyclicité, qui s'est révélé préjudiciable au cours de la crise : il réside dans le rôle imparti aux modèles de notation . L'accord de Bâle II a donné une place centrale à ces modèles, qu'il s'agisse des modèles internes aux banques , lorsque celles-ci sont habilitées à les utiliser, ou des modèles des agences de notation .

Le rôle des agences de notation est central quelle que soit l'approche retenue pour mesurer le risque :

- dans « l'approche standard » du pilier 1 de Bâle II, les notations établies par les agences déterminent les coefficients de pondération appliqués aux actifs ;

- dans les approches par les modèles internes des banques, les agences de notation jouent également un rôle important, puisque les notations qu'elles réalisent sont inévitablement prises en compte.

Or les notations comportent par nature d'importantes lacunes. Elles ne prennent notamment pas en compte les effets de liquidité. Elles incitent les investisseurs à considérer les produits complexes issus de la titrisation de la même façon que les produits simples, puisqu'il n'existe qu'une seule échelle de notation. Ainsi, « si la notation indique le niveau de risque moyen d'un titre, elle n'intègre pas la dispersion du risque autour de sa moyenne » 63 ( * ) . Elles accroissent la procyclicité du système financier, en surréagissant aux évolutions de la conjoncture. Plutôt que d'ajuster progressivement les notes, les agences ont eu tendance à abaisser très rapidement leurs notes, en réponse à la crise des subprimes, ce qui a constitué un phénomène déstabilisant supplémentaire, avec une incidence immédiate tant sur la liquidité que sur la solvabilité des intervenants.

Les agences de notation sont par ailleurs sujettes à des critiques en raison des conflits d'intérêt susceptibles de découler de la coexistence en leur sein d'activités de notation et de conseil.

b) La procyclicité des normes comptables

Le principe de comptabilisation en « juste valeur » implique la prise en compte des plus ou moins-values latentes, ce qui a pour conséquence une variabilité accrue des fonds propres et donc du ratio de solvabilité des banques.

Cette procyclicité est d'autant plus préjudiciable que la mesure de la juste valeur n'est pas totalement fiable, lorsqu'elle est estimée sur la base de modèles susceptibles de reposer sur des choix spécifiques à chaque établissement.

A court terme, au niveau microéconomique, la juste valeur accroît la volatilité des résultats et des fonds propres des institutions financières, en raison de l'enregistrement dans les comptes des plus ou moins values latentes.

A long terme, au niveau macroéconomique, elle amplifie les cycles. Elle contraint notamment les banques à restreindre encore davantage l'accès au crédit, en période de récession, afin de respecter le ratio minimal de solvabilité, malgré les dépréciations d'actifs inévitablement constatées.

Toutefois, il faut souligner que, compte tenu de leur ampleur, les moins-values latentes découlant de la perte de valeur des titres adossés au crédit subprimes auraient dû être enregistrées d'une façon ou d'une autre, quel que soit le référentiel comptable 64 ( * ) , dans les comptes de résultat et bilans des banques affectées par leur dépréciation.

Si la comptabilité en juste valeur a, par nature, une incidence indéniable en termes de volatilité financière et d'amplification des cycles , cet impact ne doit pas être surestimé . La valorisation aux prix de marché conserve un intérêt en termes de transparence, afin que les comptes reflètent aussi rapidement que possible les évolutions économiques et financières, plutôt que d'être la photographie d'une réalité passée.

B. LA RÉFORME DE LA RÉGULATION : DES SUPERVISEURS INTERNATIONAUX RENFORCÉS, DES NORMES DE NOUVEAU ADAPTÉES

Le système financier international actuel n'ayant pas permis de prévenir une crise qu'il a même contribué à aggraver, une réforme structurelle apparaît nécessaire , afin de rétablir la confiance dans les mécanismes de régulation de l'économie mondiale.

Cette réforme structurelle s'articulera vraisemblablement autour du renforcement des échelons internationaux de supervision, d'une extension du champ de cette supervision et d'un durcissement des normes appliquées. Telles sont les orientations retenues lors de la réunion des chefs d'Etat et de gouvernement, qui s'est déroulée à Londres, dans le cadre du G20, le 2 avril 2009 65 ( * ) .

1. Le renforcement de la supervision financière internationale

a) A l'échelon européen

A l'échelon européen, le rapport Larosière préconise la mise en place, sous la direction de la BCE, d'un nouvel organisme dénommé Conseil européen du risque systémique (ESRC en anglais) .

Présidé par le Président de la BCE, il serait composé des membres du Conseil de la BCE, et de représentants des superviseurs européens de la banque, de l'assurance et des valeurs mobilières, à savoir les présidents des « comités de niveau 3 » du processus Lamfalussy (CESR, CEBS et CEIOPS). Son rôle serait de rassembler l'information sur l'ensemble des risques macroprudentiels dans l'Union européenne. Ce conseil pourrait émettre des alertes impliquant un suivi et un contrôle obligatoire des superviseurs. Il travaillerait en relation étroite avec le FMI, le Forum de stabilité financière (FSF) et le G20, en charge de la supervision au niveau mondial.

Le rapport Larosière préconise la mise en place d'un système européen de supervision financière , fondé sur la transformation des trois « comités de niveau 3 » du processus Lamfalussy en trois autorités dotées de compétences réglementaires, chargées respectivement des secteurs de la banque , des valeurs mobilières et de l'assurance . Ces autorités auraient notamment pour tâche :

- d'harmoniser de façon obligatoire les pratiques des superviseurs nationaux ;

- d'adopter des mesures techniques directement applicables aux établissements ;

- d'agréer et de superviser des institutions de dimension européenne, telles que des agences de notation et des infrastructures post-marché 66 ( * ) ;

- de coopérer avec le Conseil européen du risque systémique (ESRC) ;

- d'assurer une fonction de coopération dans la gestion des crises.

Ce schéma correspond à un renforcement de la procédure Lamfalussy . Il dote les autorités européennes de pouvoirs élargis, mais ne prévoit pas des les charger de la responsabilité de superviser les établissements de dimension européenne. Il instaure deux niveaux supplémentaires (Conseil européen du risque systémique, système européen de supervision financière) mais ne supprime aucun échelon existant, ce qui lui vaut le reproche d'accroître l'illisibilité du système et les problèmes de coordination entre les intervenants de la supervision. Il maintient un contrôle segmenté par secteurs et par pays, même si le renforcement prévu de la coordination devrait aboutir à la mise en oeuvre d'un ensemble unique de normes communes.

b) A l'échelle mondiale

La crise financière a donné lieu à une tentative de coordination des politiques publiques à un niveau mondial .

Créé en 1999, à l'issue de plusieurs crises financières, le G20 s'est réuni pour la première fois au niveau des chefs d'État ou de gouvernement en novembre 2008 (Washington), puis en avril 2009 (Londres). Il s'appuie, pour la mise en oeuvre de ses orientations, sur le renforcement annoncé des rôles du FMI et du FSF.

Le Forum de stabilité financière

Le Forum de stabilité financière (FSF) a été créé en 1999 à l'initiative des ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales des pays du G7, à la suite des perturbations financières survenues en 1997 et 1998 (crise asiatique). Depuis lors, le FSF a été élargi à plusieurs autres pays (Australie, Pays-Bas, Hong-Kong, Singapour, Suisse). En mars 2009, il a décidé d'intégrer en son sein des représentants de l'ensemble des pays du G20. Il comporte également des représentants de plusieurs institutions internationales telles que le FMI, la BCE, l'OCDE, la Banque Mondiale, le Comité de Bâle, l'IASB. Son secrétariat est assuré au sein de la Banque des règlements internationaux (BRI) de Bâle.

A l'issue de la réunion du G20 d'avril 2009, le Forum de stabilité financière est institutionnalisé et devient le Conseil de stabilité financière (CSF).

La réunion du G20 du 2 avril 2009 a confirmé le renforcement du rôle du FMI . A l'idée d'en faire une « banque centrale mondiale », dans le cadre d'un « nouveau Bretton Woods », a toutefois succédé l'idée plus modeste de faire du FMI un « coordonnateur de la régulation mondiale » 67 ( * ) .

Avant la réunion précitée du G20, le FMI avait réformé ses instruments de prêt aux États, en assouplissant la conditionnalité des prêts existants, et en créant une nouvelle ligne de crédit, non conditionnelle 68 ( * ) et immédiatement mobilisable, par opposition aux prêts conditionnels dont les décaissements sont étalés dans le temps. Ce prêt est réservé aux États dont les fondamentaux économiques sont jugés solides, mais qui sont durement affectés par la crise. A ce jour, la Colombie, le Mexique et la Pologne en ont bénéficié.

La réunion du G20 a par ailleurs débouché sur un triplement des moyens du FMI , qui passeront de 250 à 750 milliards de dollars. Cette augmentation s'effectuera en deux étapes :

- par la voie d'accords bilatéraux, éventuellement au moyen d'obligations émises par le FMI ;

- par l'élargissement des Nouveaux accords d'emprunt 69 ( * ) .

Ces fonds supplémentaires doivent notamment servir à doubler le montant des prêts conditionnels du FMI aux pays les plus pauvres .

Il a par ailleurs prévu de procéder à une nouvelle allocation générale de droits de tirage spéciaux (DTS) qui alimentera la liquidité mondiale en injectant l'équivalent de 250 milliards de dollars dans l'économie mondiale.

Le FMI est également chargé d'analyser le rôle des politiques macroéconomiques dans le déclenchement de la crise et de surveiller la mise en oeuvre de nouvelles régulations financières, selon les orientations déterminées par le FSF qui, institutionnalisé et élargi à l'ensemble des pays du G20, devient le Conseil de la stabilité financière .

2. La refonte des normes

a) La modification des réglementations prudentielles et comptables

Dans un premier temps, des mesures de souplesse ont été adoptées, afin de répondre dans l'urgence aux situations de crise. Le règlement 1004/2008 CE de la Commission du 15 octobre 2008 a ainsi modifié les normes IAS 39 et IFRS 7 , comme suite à une demande du conseil Ecofin et à une préconisation de l'IASB pour permettre, dans des circonstances rares, de reclasser certains instruments financiers détenus « à des fins de transaction » comme « actifs détenus jusqu'à l'échéance », ce qui permet d'éviter leur comptabilisation en juste valeur. La crise actuelle est considérée comme une circonstance rare pouvant justifier que les entreprises aient recours à cette possibilité. Cette modification répond à l'absence de négociabilité de certains instruments financiers. Elle offre aux entreprises européennes une opportunité dont bénéficiaient déjà les entreprises américaines 70 ( * ) .

A l'assouplissement temporaire des règles devrait toutefois succéder un durcissement des normes de contrôle prudentiel . Le Comité de Bâle a donné plusieurs orientations dans cette direction en avril 2008. Le Forum de stabilité financière (FSF) a également émis des recommandations, dans un rapport d'avril 2008 71 ( * ) , dans le sens notamment d'un renforcement du cadre prudentiel de la titrisation et des engagements hors-bilan .

La Commission européenne a fait écho à ces propositions, en préparant une réforme des directives du 14 juin 2006 sur l'adéquation des fonds propres . Les principaux changements proposés sont les suivants :

- une amélioration de la gestion des « grands risques » : les banques ne pourront octroyer de prêt qu'à une hauteur limitée à un emprunteur donné, ce qui s'appliquera notamment sur le marché interbancaire ;

- une amélioration de la surveillance des groupes bancaires transfrontaliers, par une coordination des autorités de surveillance ;

- une amélioration de la qualité des fonds propres, se traduisant par une clarification du statut des instruments dit hybrides (présentant des caractéristiques de titres de propriété et de titres de dette) ;

- une amélioration de la gestion du risque de liquidité, se traduisant par une coordination accrue des autorités de surveillance pour le contrôle du risque de liquidité des groupes bancaires de dimension européenne ;

- une amélioration de la gestion des risques des instruments titrisés : les établissements cédant leurs créances comme titres négociables devront conserver une partie de l'exposition au risque, tandis que les entreprises qui investissent dans de tels instruments devront faire preuve de « diligence », à défaut de quoi ces titres seront fortement pénalisés.

D'autres questions doivent être traitées, notamment celle d'un durcissement des exigences en capital pour le portefeuille de négociation , permettant de prendre en compte les événements inattendus susceptibles d'affecter ces actifs, ce que ne font pas les calculs de VaR qui se fondent principalement sur un historique des cours. Sur ce point, le comité de Bâle préconise une charge « incrémentale » de capital pour les risques de crédit et de liquidité, qui ne sont pas pris en compte par la VaR. En effet, il s'est avéré que les pertes constatées pendant la crise ont davantage résulté de dégradations brutales des notations, d'élargissement des spreads de crédit et de pertes de liquidité, plutôt que de défauts avérés. Le nouveau mode de calcul permettrait de prendre en compte, outre le risque de marché, le risque de défaut de la contrepartie (risque de crédit, par exemple dans le cas des prêts hypothécaires) et le risque d'un changement du niveau général de risque (correspondant à des modifications de l'environnement économique).

Le FSF a, lui, préconisé une augmentation des exigences en fonds propres pour les produits complexes , afin de prendre en compte le risque de défaut présent dans le portefeuille de négociation, ce qui amoindrirait l'incitation à loger ces risques plutôt dans ce portefeuille que dans le portefeuille bancaire.

Aucune approche théorique réellement satisfaisante ne permet à ce jour de résoudre totalement cette question de l'évaluation du risque du portefeuille de négociation 72 ( * ) .

Un autre point débattu concerne le contrôle des entités hors-bilan . Le FSF a encouragé à diminuer l'intérêt de ces structures en termes de gestion du risque, par une augmentation des exigences tant en termes de capital réglementaire requis (1 er pilier de la réglementation de Bâle) que dans le cadre du processus de supervision (2 ème pilier) et des obligations de transparence (3 ème pilier).

Enfin, la mise en place de normes de fonds propres moins procycliques pourrait être envisagée. De telles normes, plus flexibles que le ratio McDonough, autoriseraient des mises à jour des paramètres de risque et un calibrage des obligations en fonction de la situation dans le cycle. Cette flexibilité pourrait s'inscrire dans le cadre du pilier 1, ou figurer au nombre des possibilités offertes par le pilier 2 de Bâle II.

Pour être efficace, la refonte des normes prudentielles et comptables devraient toutefois être précédé d'un assainissement de la situation des banques , dont un préalable est d'améliorer la connaissance des bilans bancaires . Aux États-Unis, les autorités ont demandé aux banques de mettre en oeuvre des tests de résistance aux chocs stress tests »). Ceux-ci ont suscité des critiques, tant du point de vue de leur méthode de réalisation que de leur mode de publication. Même imparfaits, ils ont toutefois permis d'augmenter l'information disponible sur l'exposition des établissements en cas d'aggravation de la crise. A l'échelon européen, de nombreuses voix se sont élevées pour demander la réalisation de tests harmonisés et leur publication pour chaque banque 73 ( * ) .

b) La réforme des bonus

Les dysfonctionnements structurels à l'origine de la crise sont multiples. Au nombre de ceux-ci figurent des incitations individuelles qui semblent actuellement biaisées en faveur d'une prise de risque maximale.

A la fin des années 1990, le poids des budgets de bonus était supérieur, dans la banque de marché, au poids des salaires fixes.

Or ce mode de rémunération a trois conséquences 74 ( * ) préjudiciables :

- Il encourage la prise de risque : l'incitation n'est en effet pas linéaire, puisqu'elle ne se déclenche qu'au-delà d'un certain seuil de revenu et ne s'applique pas aux pertes. Elle varie en fonction de la proximité avec la fin de l'année. Si une perte est observée, en fin d'année, il n'y a aucune incitation à la réduire graduellement, mais il en existe au contraire une à prendre des risques importants, ou à transgresser les règles de contrôle, pour inverser le résultat.

- Il transforme les conditions de construction des comptes : L'évaluation des portefeuilles de titres, nécessaire au calcul des fonds propres, a une incidence sur les bonus. Cette évaluation est donc soumise à deux logiques, potentiellement conflictuelles : une logique de détermination des rémunérations, et une logique d'évaluation des risques.

- Il engendre un biais des contrôleurs de risque en faveur des hypothèses court-termistes du « front-office », en raison d'un différentiel de légitimité entre les deux fonctions, de la polarisation des ambitions professionnelles vers le front-office, et de la distribution de bonus y compris aux salariés des fonctions de support (« back-office ») afin de ne pas creuser les écarts de rémunération.

* 52 Mais une mutualisation très incomplète puisque, au niveau individuel, les emprunteurs finaux (les ménages) n'en bénéficient pas quand ils se trouvent en défaut.

* 53 La méthode VaR (« value at risk ») mesure la perte potentielle associée à un portefeuille donné pour une durée de détention et un intervalle de confiance déterminés. Cette perte potentielle est évaluée en fonction de distributions historiquement constatées.

* 54 Asset backed commercial paper (ABCP), c'est-à-dire : titres courts adossé à des actifs.

* 55 C'est une des raisons pour lesquelles, dès septembre 2007, le service des études économiques du Sénat recommandait qu'il soit rapidement procédé à un inventaire des actifs en cause.

* 56 C. Goodhart « La gestion du risque de liquidité » (Revue de la stabilité financière, février 2008).

* 57 Des principes de gestion du risque de liquidité ont toutefois été publiés en 2000 puis complétés en 2008 (« Principles for sound liquidity risk management and supervision »).

* 58 Règlement du CRBF n° 88-01 du 22 février 1988 relatif à la liquidité, dernière modification par arrêté du 14 janvier 2009.

* 59 Les articles 3 et 4 du règlement n° 88-01 précité définissent respectivement le numérateur et le dénominateur du coefficient de liquidité.

* 60 Articles 8 et 9 du règlement n°88-01 précité.

* 61 Numéro spécial « Liquidité », Revue de la stabilité financière (Banque de France), février 2008

* 62 J.C Rochet « Procyclicité des systèmes financiers : est-il nécessaire de modifier les règles comptables et la réglementation financière ? » (Revue de la stabilité financière, octobre 2008).

* 63 Cousseran et Rahmouni (2005), cités dans La crise des subprimes, rapport du Conseil d'analyse économique (La Documentation française, 2008).

* 64 P. Dumontier, D. Dupré, C. Martin, Gestion et contrôle des risques bancaires (Revue Banque édition, 2008)

* 65 Cf. annexe 4 au présent document de travail

* 66 Il s'agit des chambres de compensation et des systèmes de règlement-livraison de titres, qui interviennent, dans la chaîne de traitement des titres, après la négociation.

* 67 M. Dominique Strauss-Kahn, directeur du FMI, Le Monde, 30 octobre 2008.

* 68 Cette ligne de crédit fait plus exactement l'objet d'une « conditionnalité rétrospective », qui repose sur un certain nombre de critères de qualification prédéfinis destinés à attester les solides antécédents économiques de l'État demandeur.

* 69 Les souscriptions de quotes-parts des pays membres du FMI constituent la principale source de financement de l'institution, mais le Fonds peut compléter ses ressources par l'emprunt. Un certain nombre de pays membres et d'institutions se tiennent prêts à apporter des concours additionnels au FMI par le biais des Accords généraux d'emprunt (AGE) et des Nouveaux accords d'emprunt (NAE). Ces derniers ont été créés à la suite de la crise financière mexicaine de 1994.

* 70 Les normes comptables américaines sont les normes US GAAP (Generally accepted accounting principles) établies par le FASB (Financial accounting standard board). Les entreprises américaines doivent basculer vers les normes IFRS d'ici à 2016.

* 71 « Report on enhancing market and institutional resilience », Forum de stabilité financière (avril 2008).

* 72 D'après P. Dumontier, D. Dupré, C. Martin, Gestion et contrôle des risques bancaires (précité).

* 73 « Pour de vrais stress tests européens », Peter Bofinger, Christian de Boissieu, Daniel Cohen, Jean Pisani-Ferry, Wolfgang Franz, Christoph Schmidt, Béatrice Weder di Mauro, Wolfgang Wiegard (Les Echos, 10 juin 2009)

* 74 « Les bonus accroissent-ils les risques ? » O. Godechot in La crise des subprimes, rapport du CAE (2008)

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