Les réunions de la délégation du Sénat pour l'Union européenne

25 avril 2000


Politique étrangère et de sécurité commune

Communication de Mme Danielle Bidard-Reydet sur le texte E 1421 relatif au soutien à des entités mises en place par la communauté internationale à la suite de conflits

Marché intérieur

Communication de M. Hubert Haenel sur les initiatives susceptibles d'être prises par la Commission européenne dans le domaine des marchés publics

Elargissement

Communication de M. Serge Lagauche sur la candidature de la Lettonie à l'adhésion à l'Union européenne


Politique étrangère et de sécurité commune

Communication de Mme Danielle Bidard-Reydet sur le texte E 1421 relatif au soutien à des entités mises en place par la communauté internationale à la suite de conflits

Le texte sur lequel j'ai souhaité intervenir aujourd'hui a pour objectif de permettre à la Communauté de soutenir certaines entités instituées, à la suite de conflits, par la communauté internationale.

Celles-ci peuvent être amenées soit à mettre en oeuvre certains aspects des accords de paix (exemple de la Bosnie), soit à administrer de façon transitoire certaines régions (exemple du Kosovo).

Jusqu'à présent, il n'existe pas de base juridique permettant à la Communauté d'apporter sa contribution financière à l'installation et/ou au fonctionnement de ces instances. Il lui a donc été nécessaire, pour intervenir, de s'appuyer sur des " actions communes " adoptées dans le cadre de la PESC, qu'il s'agisse de la MINUK, mission intérimaire des Nations unies pour le Kosovo, ou de l'OHR, Office du Haut représentant en Bosnie-Herzégovine.

Pour simplifier le dispositif actuel, le texte E 1421 propose d'établir un cadre juridique spécifique autorisant la Communauté à participer financièrement, et en toute transparence, à ces entités internationales.

Le financement prendra la forme de subventions, accordées par la Commission sur la base de conventions annuelles conclues avec les entités bénéficiaires en fonction du budget détaillé qu'elles auront présenté, et précisant le montant, la nature des dépenses éligibles, la période couverte, les modalités de mise en oeuvre ainsi que les modalités de contrôle de l'utilisation des fonds. Suivant l'article 5 du texte, il est expressément prévu que la Commission, tout organisme qu'elle mandate à cet effet, la Cour des comptes et l'OLAF pourront procéder au contrôle sur place du bien-fondé de l'utilisation des subventions.

*

Que penser de ce texte ? A priori, nous ne pouvons être que très favorables à un dispositif permettant, d'une part, de doter l'Union des moyens d'agir rapidement, d'autre part, de prévoir une enveloppe budgétaire distincte de celle de la PESC.

Je dois toutefois vous indiquer que, durant sa phase préparatoire, une difficulté résultant de la première version du E 1421 a été soulevée : la création de cette action communautaire (1er pilier), en parallèle de la PESC (2ème pilier), a été contestée dès lors que le texte d'origine prévoyait que le règlement ne serait pas circonscrit aux deux entités actuelles (MINUK et OHR), mais pourrait être élargi, en tant que de besoin, à d'autres instances. Dans cette hypothèse, la base juridique choisie (l'article 308 du traité relatif au fonctionnement du marché commun) n'était pas pertinente. Plusieurs Etats membres, dont la France, s'étaient alors opposés au texte.

Un projet de compromis de la Présidence, en date du 20 mars 2000, a limité le champ d'action du règlement à deux seules entités existantes.

Ce compromis permet d'éviter de laisser au Conseil le soin de décider à la majorité qualifiée du champ d'application futur du règlement. Ce sont les Etats membres qui le définissent actuellement, à l'unanimité et à leur seule initiative, dans le cadre de la PESC. Il aurait été grave que cela ne soit plus le cas.

Le texte ainsi modifié paraît plus acceptable. Il est cependant nécessaire de rester vigilant, notamment en ce qui concerne le contrôle par les Parlements, européen et nationaux. Nous souhaitons préserver les compétences des Etats membres et la règle de l'unanimité dans des domaines aussi stratégiques que celui des compétences nationales, tout en favorisant autant que possible la coopération.

*

A l'issue de cette communication, la délégation a décidé de ne pas intervenir plus avant sur ce texte, compte tenu de l'évolution des négociations.


Marché intérieur

Communication de M. Hubert Haenel sur les initiatives susceptibles d'être prises par la Commission européenne dans le domaine des marchés publics

Au mois de mars 1998, la Commission européenne a publié une communication dans laquelle elle annonçait son intention de prendre plusieurs initiatives dans le domaine des marchés publics. Deux ans plus tard, si l'on excepte un projet de communication sur les concessions, rien de véritablement notable n'est sorti en la matière et l'adoption par la Commission des textes préparés par ses services est reportée de mois en mois.

Or le sujet revêt une importance que nous mesurons tous ici. Et c'est parce que je sais que vous êtes particulièrement attentifs à l'évolution du droit des marchés publics que j'ai tenu à faire le point sur la réflexion de la Commission à ce jour.

L'essentiel de ce que certains appellent le " paquet marchés publics " est constitué d'un projet de refonte du droit communautaire des marchés publics, afin de simplifier un dispositif plutôt complexe, mais aussi d'apporter des modifications de fond plus ou moins importantes. C'est sur ces modifications que je voudrais insister. En l'état, quatre d'entre elles me paraissent devoir plus particulièrement être soulignées.

1. La mise en place d'un cadre réglementaire pour les marchés électroniques

Désireuse d'encourager les pouvoirs adjudicateurs à recourir aux nouvelles technologies pour la passation des avis, la Commission propose d'autoriser expressément les marchés conclus après mise en concurrence par voie électronique.

Dans le même esprit d'encourager le recours aux nouvelles technologies, les délais courraient désormais non plus à compter de la date d'envoi de l'avis de marché, mais à compter de la date de publication. Ce changement devrait inciter un pouvoir adjudicateur à recourir aux moyens électroniques car, dans ce cas, la publication est immédiate.

Cette politique semble susciter une certaine inquiétude de la part des petites et moyennes entreprises qui considèrent que toutes les entreprises n'auront pas forcément accès aux avis publiés par voie électronique. On peut cependant se demander dans quelle mesure il ne qu'il s'agit pas là d'un faux problème : l'adoption de la proposition de directive (et a fortiori sa transposition) étant une affaire de longue haleine, on peut imaginer que, d'ici là, toutes les entreprises auront les équipements électroniques nécessaires à l'accès de l'information par Internet.

Je signale au passage, car la chose est importante, que la proposition de directive prévoirait un raccourcissement des délais pour la procédure d'adjudication : par exemple, dans le cadre d'une procédure ouverte, le délai minimal de réception des offres serait ramené de 52 à 30 jours. Ce raccourcissement est la contrepartie du fait que le délai courra à partir de la publication et non plus de l'envoi de l'avis ; il n'y a en effet plus lieu de se donner une " marge " pour prendre en compte le temps susceptible de s'écouler entre l'envoi et la publication : seule comptera la publication.

2. L'instauration d'un mécanisme de " dialogue compétitif " entre le pouvoir adjudicateur et les candidats

La Commission souhaite remédier aux rigidités des procédures actuelles, lesquelles imposent à l'acheteur de déterminer à l'avance ses besoins et aux candidats de fournir une offre qui ne pourra plus évoluer lors des discussions préalables à la passation du contrat.

La Commission constate en effet que, dans certaines hypothèses, le pouvoir adjudicateur ne peut déterminer à l'avance les moyens (techniques, juridiques, financiers) qui répondront le mieux à ses besoins. Par exemple, il n'est pas sûr que le pouvoir adjudicateur puisse savoir à l'avance s'il sera plus avantageux de recourir à un financement public, à la gestion privée ou à une voie intermédiaire. Un autre exemple parlant est celui d'une collectivité qui souhaite relier une île au continent sans savoir d'emblée quelle solution est la plus avantageuse (édification d'un pont, construction d'un tunnel, mise en place d'un service de navette par bateau...).

Certes, le droit communautaire autorise le pouvoir adjudicateur à procéder à une étude technique avant d'engager une procédure d'adjudication ; mais une société qui aide le pouvoir adjudicateur dans cette étude ne peut ensuite participer à l'adjudication, une telle participation étant jugée par la Commission contraire au principe de l'égalité de traitement des candidats.

D'où l'idée émise par la Commission en 1998 de créer une nouvelle procédure, qualifiée de " dialogue compétitif ", permettant un dialogue technique dans le cadre même d'une procédure d'adjudication.

Depuis deux ans, l'idée a mûri et, contrairement à ce qui avait été initialement prévu, le texte que prépare actuellement la Commission ne crée pas une nouvelle procédure, mais adapte la procédure négociée.

Le mécanisme étant assez complexe, le plus simple me semble de reprendre mon exemple précité : la collectivité publierait un avis dans lequel elle annoncerait son intention de relier l'île au continent. Elle pourrait donc demander aux intéressés de lui proposer des solutions. Un dialogue s'engagerait pour permettre à la collectivité de choisir parmi les solutions proposées (pont, tunnel, navette) celle qui lui paraît préférable. Elle pourrait même décider de combiner plusieurs solutions proposées (par exemple, construire un tunnel pour les véhicules complété par un système de navette). Ce n'est qu'après avoir défini les moyens retenus que la collectivité demanderait aux candidats de lui soumettre leur offre définitive. Le marché serait ensuite attribué à une ou plusieurs entreprises selon les critères d'attribution des marchés publics, critères sur lesquels je reviendrai tout à l'heure.

3. La possibilité de conclure des " marchés-cadre "

La Commission considère que, pour les marchés conclus dans des secteurs en constante évolution (tels ceux soumis à de fortes fluctuations des cours), il est difficilement justifiable, en cas d'achats répétés, de lier les acheteurs publics à des prix et des conditions fixes. Aussi lui paraît-il souhaitable de permettre une certaine souplesse pour ce type de contrat. Tel serait l'objet du " marché-cadre ".

L'exemple cité est celui d'un pouvoir adjudicateur qui souhaiterait conclure un marché à bons de commande pour la fourniture de papier. En l'état actuel du droit, un tel marché est conclu à prix fixe : le changement du prix constitue en effet une modification substantielle du contrat qui exige donc une nouvelle mise en concurrence ; vous vous engagez donc, chaque fois que vous achèterez du papier, à vous approvisionner auprès du candidat retenu au prix fixé dans le contrat, même si le cours du papier a chuté.

Avec un marché cadre, le pouvoir adjudicateur pourrait sélectionner plusieurs entreprises auxquelles, à chaque commande, il demanderait leurs conditions. Le pouvoir adjudicateur pourrait ainsi bénéficier d'une baisse du prix du papier sans avoir à recommencer intégralement la procédure d'adjudication.

4. Vers de nouvelles exigences sur les critères d'attribution des marchés

Les services de la Commission envisagent d'exiger du pouvoir adjudicateur qu'il indique, dès le début de la procédure, l'importance relative qu'il attribuera à chaque critère pour le choix de son cocontractant. Par exemple, il devrait indiquer une pondération des critères (" le prix entrera en ligne de compte à hauteur de 40 % ; l'expérience à hauteur de 20 % ; le chiffre d'affaires de l'entreprise à hauteur de 10 %... ") ou les classer par ordre décroissant.

La Commission dresse une liste (non exhaustive) des critères sur la base desquels le pouvoir adjudicateur pourrait prendre sa décision.

Personnellement, cette idée me laisse quelque peu sceptique, pour ne pas dire qu'elle m'inquiète. Il me paraît tout d'abord difficile dans certains cas d'établir une hiérarchie, a fortiori un coefficient de priorité. En second lieu, parmi les critères énumérés, certains sont objectifs (prix, date de livraison...), d'autres le sont moins (service après-vente, qualité technique...) et d'autres sont franchement subjectifs : l'esthétisme, le caractère fonctionnel... Tout cela me paraît en définitive ingérable et source d'un abondant contentieux. C'est une illustration frappante du vieux dicton " le mieux est l'ennemi du bien ".

J'en ai terminé avec la présentation du " paquet " législatif qui pourrait représenter plusieurs centaines de pages. Il s'y ajouterait un ensemble de textes interprétatifs annoncés par la Commission et qui tardent à voir le jour. Outre la communication sur les concessions que j'évoquais au début de mon intervention, Bruxelles avait annoncé des communications sur les thèmes " marchés publics et environnement " et " les aspects sociaux " des marchés publics. Dans les deux cas, il s'agira de voir comment interpréter le droit communautaire des marchés publics au regard des exigences environnementales et sociales.

Une communication sur le thème " marchés publics et petites et moyennes entreprises " était également annoncée, mais la réflexion semble avancer lentement, au point que certains se demandent à présent si un tel texte verra jamais le jour. Enfin, l'adoption de la communication sur le thème " marchés publics et défense " paraît encore plus lointaine, pour ne point dire aléatoire, compte tenu de l'extrême sensibilité du sujet.


Elargissement

Communication de M. Serge Lagauche sur la candidature de la Lettonie à l'adhésion à l'Union européenne

Dans le cadre de la mission que vous m'avez confiée d'assurer le suivi de la préparation de l'adhésion lettone à l'Union, je me suis rendu en Lettonie du 27 au 29 février derniers, pour y assister à divers entretiens tant à Riga que dans la province de Valmiera.

Je vous rappelle que cet Etat balte, candidat depuis octobre 1995, ne figurait pas parmi les pays de la " première vague " des " six de Luxembourg " -contrairement à son voisin, l'Estonie-, ce qui avait été plutôt mal ressenti par la population.

La " remise en ligne " de l'ensemble des candidats, lors du Conseil européen d'Helsinki, a relancé les espérances lettones qui conduisent le pays à espérer une entrée dans l'Union, parmi les tous premiers, peut-être au 1er janvier 2003. Il est vrai que la logique géographique, tout autant que la raison conduisent, à mon sens, à organiser l'adhésion simultanée des trois Etats baltes. Celle-ci simplifierait les procédures de libre échange entre eux et de contrôle des frontières.

La question demeure de savoir si la Lettonie sera techniquement prête à intégrer l'Europe dans les délais qu'elle envisage. Ses ambitions sont actuellement " dopées " par la Commission qui, dans son dernier rapport pour 1999, s'est déclarée satisfaite de la Lettonie. Elle écrit ainsi que celle-ci " a accompli des progrès significatifs et durables s'agissant de l'alignement législatif et de la nécessaire mise en place de structures de reprise et d'application de l'acquis ".

1. Les points forts

a) Un petit pays

D'une superficie égale à 15 % du territoire français et peuplée de moins de 2,5 millions d'habitants, la Lettonie ne pose pas les problèmes d'intégration posés par les plus grands Etats. L'agriculture ne soulève pas, par exemple, de difficultés d'une acuité comparable avec la situation polonaise (en dépit du différend causé par la décision lettone de frapper les importations de porc de l'Union d'un droit de douane additionnel de 70 %, en violation de l'accord d'association, qui a conduit à des mesures de rétorsion sur le beurre letton).

b) La crise russe

Paradoxalement, la crise russe, bien qu'elle ait fortement ralenti la croissance lettone (2 % pour 1999, contre 6 % en 1997), a obligé l'économie à recentrer ses échanges vers l'Europe et à améliorer la qualité des produits, le débouché russe n'étant plus solvable. Désormais, 63 % de ses exportations et 56 % de ses importations vont ou proviennent de l'Union européenne. Le pays a toutefois souffert car il vivait beaucoup du commerce de transit, notamment celui du pétrole russe.

J'en profite pour ouvrir une parenthèse et signaler que la France tient une place très médiocre dans ce courant d'échange (1,9 % des exportations lettones et 3,1 % de ses importations) qui s'effectue principalement avec l'Allemagne (respectivement 17 % et 15 %). La présence française en Lettonie est quasi inexistante. Lors de mon séjour, par exemple, on venait d'apprendre que la Société générale, présente depuis 1995, fermait ses succursales lettones -pourtant bénéficiaires- pour cause de nouvelle politique commerciale et cette nouvelle était très mal ressentie localement. De même, l'échec de Gaz de France dans la privatisation du réseau letton n'a pas favorisé nos investissements sur place. Je me suis permis d'insister auprès du ministre des Affaires étrangères pour mieux développer la présence française et témoigner à la Lettonie l'intérêt de notre pays, à quelques mois de la présidence de l'Union européenne.

Autre exemple : notre participation aux jumelages institutionnels PHARE reste modeste. Deux projets ont été retenus en 1998 (volet phytosanitaire pour la modernisation du secteur agricole et création de la profession d'huissiers de justice), pour un montant global de 250 000 euros, et trois pour 1999 (renforcement du contrôle alimentaire, réforme de la fiscalité directe et indirecte, et, surtout, transposition de l'acquis communautaire) pour un budget total de 2 millions d'euros.

c) Des efforts de gestion remarquables

Durant la dernière période, les autorités lettones ont mené une politique de stabilisation économique efficace qui a permis, notamment, un contrôle remarquable de l'inflation : celle-ci est passée de 950 % en 1992 à moins de 3 % en 1998 et la monnaie est restée relativement stable en dépit des avatars liés à la crise russe.

De même, la politique des privatisations s'est poursuivie à un rythme honorable, plutôt bien ressenti par les investisseurs internationaux. Environ 96 % des propriétés d'Etat ont été privatisées concernant les petites et moyennes entreprises, ainsi que la majorité des grandes entreprises. Il reste toutefois quelques gros dossiers à régler dans les secteurs de l'énergie, des télécommunications, du rail et de la Compagnie de Navigation (la Lettonie dispose de la dix-huitième flotte mondiale et Riga constituait un élément majeur du commerce extérieur russe). L'objectif affiché est d'achever ce travail à la fin de l'année 2000.

*

Le bilan est donc plutôt positif. Il reste toutefois beaucoup à faire pour le développement industriel de ce pays qui était autrefois assez avancé, en régime socialiste protégé de la concurrence internationale, mais qui a vu son industrie disparaître après l'indépendance en raison de sa faible compétitivité. On nous a ainsi parlé d'une usine de montage de locomotives abandonnée du jour au lendemain dès lors qu'elle n'avait plus à assurer l'approvisionnement de l'URSS. Il faut donc repenser l'industrialisation du pays, à partir de ses atouts premiers (le textile, le bois, le port de Riga, le secteur agro-alimentaire, les activités de transit...).

Je vous précise, par ailleurs, que le revenu moyen letton correspond à 36 % de la moyenne communautaire à Riga et 18 % seulement dans les régions les plus déshéritées.

2. Les difficultés

a) L'existence de fortes minorités

L'histoire de la Lettonie a conduit à des brassages de population très importants, résultant tout à la fois de l'installation sur place de populations russes, du déplacement de populations lettones, notamment vers la Sibérie -on dit que toutes les familles lettones ont été touchées par ces événements- et des mariages mixtes. De ce fait, la population vivant en Lettonie comprend une fraction très importante (46 %) de non-Lettons, et surtout 34 % d'origine russe, les autres minorités étant essentiellement biélorusse, ukrainienne et polonaise. Les russophones sont peu présents en zone rurale et surtout implantés dans les villes, dont Riga. Les notions de majorité et de minorité sont un peu différentes de celles que nous employons habituellement : ainsi, les minorités disposent de la majorité dans les six plus grandes villes du pays.

La Lettonie est donc confrontée à une véritable difficulté : d'une part, préserver l'identité et la culture lettones -ce qui est très légitime compte tenu de son histoire récente-, d'autre part, accorder une véritable reconnaissance pour les populations " minoritaires ", implantées depuis longtemps -voire depuis toujours- et qui acceptent mal d'être considérées comme des citoyens de second niveau.

L'existence de non-citoyens

On compte environ 650 000 " non-citoyens " (ce qui ne veut pas dire forcément " russophones ") en Lettonie dont le statut demeure inférieur à celui des citoyens de nationalité lettone ; ils n'ont pas accès à certaines professions libérales ou à la fonction publique (bien que cette situation soit en cours de changement), ils ne votent pas aux élections locales, mais cette situation relève peut-être davantage de l'humiliation ou de la vexation que de réelles violations des droits de l'homme. La cohabitation des communautés n'est pas particulièrement difficile puisque l'on observe plutôt des habitudes de " vie clanique ", dans un cadre de coexistence relativement pacifique.

Cette situation suscite toutefois des réactions de condamnation souvent véhémentes de la part de la Russie avec qui les relations demeurent tendues. Je vous donnerai ainsi l'exemple de la répression, par la police lettone, d'une manifestation de retraités russophones ou bien encore d'un défilé de vétérans de la légion SS lettone au cours du 1er semestre 1998 qui ont entraîné une crise sérieuse avec Moscou et des mesures de rétorsion économique importantes de la part de la Russie.

Le processus de naturalisation

En juin 1997, après modification de la loi sur la citoyenneté de 1995, il a été rendu plus facile pour les non-citoyens vivant en Lettonie d'opter pour la nationalité lettone dès lors qu'ils pouvaient justifier d'une bonne connaissance de la langue du pays. Le mouvement de naturalisation n'en a pas été radicalement changé pour autant : il s'est amélioré par rapport à la situation antérieure (passant de 3 000 à 17 000 par an) mais est resté très en deçà des prévisions. Les explications de ces résistances sont multiples : problème de générations, difficultés linguistiques, milieux d'affaires préférant garder un passeport russe...

La nouvelle loi sur la langue d'Etat

Sur demande de la Présidente de la République, qui avait refusé de promulguer le texte initial, la Saeima (Parlement) a modifié la " loi sur la langue d'Etat " adoptée en juillet 1999 qui comportait quelques dispositions litigieuses vis-à-vis de la minorité russe en imposant le letton comme langue officielle exclusive.

Jugée désormais satisfaisante par les Quinze, car elle améliore le processus d'intégration des minorités dans la société lettone, elle a été considérée, pour l'essentiel, conforme aux obligations internationales et aux engagements de la Lettonie.

Les Lettons parlent le russe, sauf les plus jeunes générations qui ne l'apprennent plus à l'école, mais on observe depuis peu un retour vers l'enseignement de cette langue. De même, la Présidente de la République a souhaité apprendre le russe pour symboliser l'unité de son pays.

Un excellent programme " d'intégration sociale " des différentes communautés a été adopté et bénéficie du soutien de l'opinion publique, mais sa mise en oeuvre reste limitée du fait de la faiblesse des moyens financiers disponibles, bien qu'elle conditionne le versement des aides à la pré-adhésion.

b) Une organisation régionale insuffisante

La Lettonie est très consciente des insuffisances de son organisation locale qu'il lui faut impérativement structurer pour bénéficier des fonds européens. Ceux-ci ont beaucoup augmenté depuis le 1er janvier 2000, grâce à l'ISPA, instrument structurel de pré-adhésion, et au SAPARD pour le développement rural, qui s'ajoutent au programme PHARE. A ce jour, la Lettonie compte 584 collectivités locales qu'il faudrait pouvoir réduire à 150 environ sur une base de volontariat.

Un ministre est spécifiquement chargé, au sein du gouvernement, de " l'administration publique et de la réforme territoriale ".L'urgence porte sur la fixation des régions, aujourd'hui au nombre de 26, avec l'objectif vraisemblable de revenir aux cinq régions historiques (Riga plus quatre) pour se conformer aux consignes européennes. Mais les discussions sont très difficiles (notamment sur la nature de l'exécutif régional : élu ou nommé ?), l'enjeu étant de savoir qui assurera la gestion des fonds d'aide européens. La réforme des collectivités locales votée en 1998 tarde à entrer en vigueur. En principe, la réforme régionale devrait être présentée au Parlement d'ici la fin de l'année.

c) Une réforme administrative qui ne progresse guère

L'adoption des lois de reprise de l'acquis communautaire est très rapide -aidée en cela par le fait que le Parlement est monocaméral (Saeima), ce qui permet du moins de raccourcir les délais d'approbation des textes. Il comporte une commission des affaires européennes qui travaille en liaison avec un bureau de l'intégration européenne, placé auprès du Premier ministre, qui est chargé de veiller à la conformité des lois aux règles européennes et de proposer les améliorations législatives nécessaires.

Il faut toutefois veiller à ce que les lois soient appliquées. Or, les retards pris dans la réforme générale de l'administration risquent d'affaiblir la capacité du pays à mettre en oeuvre, de manière effective, les acquis communautaires et la Commission européenne n'a pas manqué de le souligner. Le pays manque de fonctionnaires formés et les jeunes se dirigent plus volontiers vers le secteur privé qui assure de meilleurs salaires. Il n'existe pas, en Lettonie, de tradition d'administration locale, puisque celle-ci s'effectuait précédemment depuis Moscou, et la gestion des fonds européens, qui ont triplé, requiert du personnel compétent et formé à cet effet.

*

Enfin, sans parler vraiment d'un obstacle technique à l'entrée dans l'Union, j'aimerais vous dire quelques mots de la vie politique lettone. On compte aujourd'hui six partis en Lettonie, ce qui n'est somme toute pas excessif, surtout au sortir de cinquante années de parti unique. Les majorités parlementaires élues au système proportionnel conduisent à des coalitions gouvernementales qui ont pu être fragiles ou fragilisées par des drames comme celui du scandale pédophile qui agitait le Gouvernement lors de mon séjour. Cela dit, on observe toutefois une grande continuité d'action sur les dossiers principaux et la marche vers l'Europe ne s'en est pas trouvée réellement perturbée.

J'ai eu le sentiment d'une réelle et forte motivation lettone, à travers les différents entretiens auxquels j'ai pu assister et notamment ma rencontre avec Mme Vaira Vike-Freiberga, Présidente de la République. Celle-ci, élue par la Saeima en juin 1999, sans étiquette politique, est une universitaire francophone qui bénéficie d'un très grand soutien populaire et qui constitue, sans nul doute, un atout de poids pour son pays.

Elle m'a confirmé que la population lettone était, pour les deux tiers, favorable à l'adhésion européenne, de même que l'ensemble des partis politiques, à l'exception de quelques réactions personnelles euro-sceptiques. Les plus fortes résistances émaneraient des retraités qui disposaient de meilleures rentes sous le précédent régime. Il est donc envisagé de créer un fonds de pension, peut-être financé sur les recettes de privatisations, pour améliorer cette situation et alléger le budget de l'Etat. En effet, c'est le niveau du déficit public qui attire le plus de critiques de la part de l'Union : après deux années convenables, 1999 s'est soldée par un résultat négatif de 4 %.

*

Je crois que la présence des Etats baltes dans l'Union peut être une source de richesses pour l'Europe. Lors d'une rencontre organisée avec des étudiants lettons, ceux-ci ont eu une formule qui m'a frappé : ils m'ont fait observer que les Lettons avaient sûrement une bien meilleure appréhension et compréhension de la Russie que celle que nous pouvons avoir, et cette analyse n'est pas dénuée de fondement. En effet, il faut que l'intégration de la Lettonie soit organisée en pleine amitié avec la Russie et non pas ressentie par elle comme une agression. N'oublions pas que les Etats baltes -même à leur corps défendant- ont été pendant cinquante ans partie intégrante de l'URSS. Le problème se pose dans des termes très différents en Tchéquie, en Roumanie ou en Pologne.

La Lettonie a également la perception très nette de sa fragilité et de sa vulnérabilité à d'éventuelles visées expansionnistes russes. Elle demeure fortement attachée à son désir d'intégration dans l'OTAN, ce qui n'améliore pas des relations qui restent tendues avec la Russie. Notamment, la fixation de la frontière orientale du pays -bien que reconnue- n'est toujours pas actée par les deux pays en raison de certaines résistances russes.

Depuis mon séjour, les négociations ont été officiellement lancées avec la Lettonie et huit chapitres (1(*)) devraient être ouverts sous présidence portugaise pour être traités sous présidence française. L'attente à l'égard de notre pays est donc considérable, tant pour l'aboutissement de la Conférence intergouvernementale que pour la poursuite des négociations d'adhésion.

Compte rendu sommaire du débat

M. Daniel Hoeffel :

Je vous remercie de cette communication claire et très documentée. Elle m'inspire les deux questions suivantes : d'abord, est-ce par une présence sociologique russe très forte en Lettonie que l'on peut expliquer le classement initial de ce pays dans la " deuxième vague " des candidats à l'adhésion ?

Ensuite, vous nous avez indiqué que la Lettonie devait entreprendre un mouvement de restructuration et de réduction de ses collectivités locales pour satisfaire aux critères européens. S'agit-il là d'un exemple isolé ou doit-on s'attendre à des interventions similaires de Bruxelles à l'égard d'autres pays, éventuellement déjà membres de l'Union européenne ?

M. Hubert Durand-Chastel :

Si je ne fais pas erreur, je crois que l'ordre des candidatures à l'Union, dans le temps, a suivi le classement Estonie-Lettonie-Lituanie, alors même que c'est la Lituanie qui a initié le mouvement séparatiste d'avec l'URSS. Le placement de l'Estonie dans la " première vague " avait alors été mal ressenti dans les deux autres Etats baltes. Ces observations me conduisent à vous manifester mon soutien dans l'idée, qu'idéalement, il serait judicieux de procéder à l'entrée simultanée des trois Etats baltes dans l'Union.

M. Marcel Deneux :

Pourriez-vous nous préciser l'horizon temporel des espérances lettones ? Ce pays candidat pense-t-il intégrer l'Union plutôt dans trois ans ou plutôt dans huit ans ? Je m'interroge sur cette échéance en constatant la faiblesse du revenu moyen letton par rapport à la moyenne communautaire, qui peut faire douter du caractère raisonnable d'une intégration lettone à terme rapproché.

M. Pierre Fauchon :

Je me fais le même genre de réflexion sous l'angle, cette fois, du devenir des institutions européennes. Ce pays, si petit, disposera probablement d'un commissaire européen et d'un certain nombre de voix au Conseil, selon ce qui ressortira de la nouvelle Conférence intergouvernementale. Comment appréhender la manière dont il pèsera sur le fonctionnement des institutions ?

Mme Danielle Bidard-Reydet :

Si j'ai bien écouté votre propos, je retiens que les motifs de tensions avec la Russie tiennent à la présence d'une minorité russophone équivalant à 34 % de la population, mais aussi à un incident résultant d'un défilé de légions SS lettones. Cette information m'intrigue fort. N'y a-t-il eu aucune autre réaction de la Communauté internationale à cet événement que je qualifierais de choquant ?

M. Hubert Haenel :

J'aimerais revenir sur plusieurs thèmes pour juger de l'état de préparation de la Lettonie à son entrée dans l'Union. Comment apprécie-t-on le fonctionnement de la justice ? La Lettonie dispose-t-elle d'une armée ? Le fonctionnement de la démocratie est-il satisfaisant ? Qu'en est-il de la reconnaissance et de la protection des droits de l'Homme ?

M. Serge Lagauche :

L'histoire de la Lettonie est une histoire compliquée, qui explique grandement la situation actuelle du pays. En 1919, elle obtient sa quasi-indépendance par rapport à la Russie, puis, dans les années 30, le régime se durcit, sur un modèle que je qualifierais d'italien.

Avant la seconde guerre mondiale, les Russes occupent la Lettonie pour des raisons stratégiques liées à l'accès à la mer Baltique et ce durant toute l'application du pacte germano-soviétique. C'est lors de la dénonciation de ce pacte que les forces allemandes entrent dans le pays où elles sont accueillies en libérateur après une sévère occupation russe, très mal vécue par la population. Voilà pourquoi de nombreux Lettons se rangent alors au côté des armées allemandes et des légions lettones seront envoyées sur le front russe où elles subiront des pertes importantes.

Après la guerre, les Etats baltes sont intégrés à l'URSS et celle-ci tient particulièrement à la Lettonie en raison du débouché privilégié qu'offre le port de Riga. De nombreuses populations russes, 600 000 personnes environ, se sont installées en Lettonie pour coloniser la région, tandis que l'on déplaçait massivement les Lettons. Après l'indépendance de 1991, les Russes installés sur place sont restés en Lettonie, en même temps que les Lettons voulaient affirmer leur nationalité retrouvée, ce qui est très compréhensible.

Pour ce qui concerne les problèmes d'administration du pays, la Lettonie doit d'abord organiser, former, structurer son administration centrale. Il faut savoir qu'il n'existe pas d'administration locale, laquelle fonctionne sur contrats privés lorsque les collectivités ont les moyens de recruter. La question du regroupement des collectivités territoriales n'est pas tant un problème de principe lié à leur nombre, mais plutôt un problème de taille critique permettant d'assurer la gestion des fonds structurels européens.

Le même problème de manque de personnel se pose dans le secteur de la justice. Par ailleurs, il ne m'a pas été rapporté de difficultés majeures en matière de droits de l'Homme, hormis ce que je vous indiquais concernant la coexistence des différentes communautés. Après un premier mouvement d'opposition à la Russie, à la langue russe qui était jusqu'alors la seule langue officielle, la situation va vers l'apaisement. Le rôle pacificateur de la Présidence de la République est très utile -et apprécié par les populations- dans ce sens.

Pour ce qui concerne la quasi-rivalité entre les trois Etats baltes pour leur accession à l'Union, il faut bien savoir que la candidature de l'Estonie avait été très soutenue par la Finlande, ce qui explique son classement dans le groupe des " six de Luxembourg ". La remise à niveau des candidatures à Helsinki a été particulièrement appréciée en Lettonie. Je dois vous dire également que la Finlande s'intéresse désormais aussi à la Lettonie -dont elle est un des principaux investisseurs- ainsi que la Suède qui se montre très active dans tout l'espace baltique.

La Lettonie, qui a profondément souffert durant les vagues d'occupation successives, espère beaucoup de son intégration européenne. Elle considère que son adhésion pourra être réalisée dès 2003, avec les tous premiers nouveaux arrivants.

Enfin, un dernier élément intéressant : la diaspora lettone est importante à travers le monde, notamment aux Etats-Unis et au Canada, d'où provient d'ailleurs la présidente de la République actuelle.

M. Marcel Deneux :

Quelle est la situation du chômage dans le pays ?

M. Serge Lagauche :

Les statistiques -dont je ne peux garantir la fiabilité- tournent autour de 10 %. La Lettonie est, parmi les trois Etats baltes, la plus concernée par ce problème.

M. Daniel Hoeffel :

Comme l'indiquait notre Président, l'entrée dans l'Union ne doit pas être dictée uniquement par des préoccupations mercantiles. Je peux me tromper, mais quand on prend conscience de l'histoire tragique de ce petit pays, on ne peut qu'avoir le sentiment que l'entrée dans l'Union européenne représente, pour lui, une aspiration à la liberté. Leur fermer la porte serait leur porter un coup rude.

M. Serge Lagauche :

Je partage votre sentiment ; c'est pour réussir cette mutation qu'il faut effectuer leur intégration à l'Europe en pleine amitié et transparence avec la Russie.


(1) PME, recherche, éducation, relations extérieures, politique étrangère et de sécurité, concurrence, statistiques, culture et politique audiovisuelle.


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