II. TADJIKISTAN, DE L'OR BLANC À L'OR BLEU...

Avec 143 000 km², le Tadjikistan est en superficie le plus petit des cinq États d'Asie centrale, mais sa population d'environ 7,4 millions d'habitants dépasse celle de son voisin kirghize (seulement 5,4 millions d'habitants). En revanche, comme le Kirghizistan, il forme un pays enclavé, sans accès à la mer, dont le territoire est principalement constitué de montagnes ; plus de la moitié du Tadjikistan est située à une altitude supérieure à 3 000 m avec un point culminant à 7 495 m (l'actuel Pic Ismail Samani, ancien Pic Staline rebaptisé par la suite Pic du Communisme) ; l'est du pays, dans la région du Haut-Badakhchan, est constitué de hauts plateaux de type tibétain -le Pamir- à la lisière nord desquels s'élèvent les plus hauts pics.

A son enclavement vis-à-vis de l'extérieur, s'ajoute une sorte d'enclavement intérieur puisque le Tadjikistan est coupé en son centre par des chaînes de montagnes orientées est-ouest (notamment les Monts Alaï), qui interdisent en hiver les communications terrestres entre la capitale, Douchanbé, et le nord du pays.

Dans un certain sens, cette configuration montagneuse représente aussi pour le Tadjikistan un potentiel de développement régional considérable, car les glaciers du Pamir sont la principale source d'eau de l'Asie centrale, transportée en aval notamment par deux vastes fleuves, le Syr-Daria et de l'Amou-Daria.

Le climat du Tadjikistan, de type continental, dépend surtout de l'altitude, avec des écarts pouvant variant entre - 20° l'hiver sur les hauts plateaux du Pamir et + 30° l'été dans les vallées.

Ainsi qu'on le constate sur la carte reproduite dans le présent rapport, le Tadjikistan est divisé administrativement en quatre provinces : deux provinces ordinaires ( viloyat ), la province autonome du Haut-Badakhchan -qui englobe le Pamir- et une région dite « de subordination républicaine », directement administrée par le pouvoir central ; la capitale Douchanbé constitue une unité administrative ad hoc ne relevant d'aucune province.

Sur bien des points, l'histoire du Tadjikistan ressemble et se mêle à celle des autres peuples de l'Asie centrale, avec des invasions et des occupations successives, en particulier par les tribus turco-mongoles puis par les Arabes, les armées tsaristes et, au XXème siècle, par les troupes bolchéviques qui en firent d'abord une République autonome rattachée à l'Ouzbékistan, puis une République socialiste soviétique à part entière en 1929.

LE TADJIKISTAN EN QUELQUES REPÈRES

- Avril 2011 -

(source : ministère des Affaires étrangères et européennes)

Nom officiel : République du Tadjikistan

Président de la République : Emomali Rakhmon

Données géographiques

Superficie : 143 100 km2

Capitale : Douchanbé

Villes principales : Khodjent, Kouliab, Kourgan-Tioubé

Langue officielle : tadjik

Langue courante : russe (langue de communication interethnique)

Monnaie : Somoni

Fête nationale : 9 septembre (Fête de l'Indépendance)

Données démographiques

Population : 7,349 millions (estimation, juillet 2009)

Densité : 50 habitants/km²

Croissance démographique : 1,9 % (estimation 2009)

Espérance de vie : 65 ans (50 % de la population a moins de 17 ans)

Taux d'alphabétisation : 99,5 %

Religion(s) : Islam sunnite (90 %), minorité de chiites ismaéliens (dans le Pamir, 5%), orthodoxie (200 000)

Indice de développement humain : 127ème sur 182 (classement ONU 2009)

Données économiques

PIB (2008) : 5,2 milliards de dollars

PIB par habitant (2008, PPA) : 1 800 dollars

Taux de croissance (2008) : 7,9 % (-3 % est. 2009)

Taux d'inflation (2008) : 20,5 % (6,7 % est. 2009)

Solde budgétaire (2008) : 1,9 % PIB

Balance commerciale (2008) : - 1,9 Mds de dollars

Principaux clients (2008) : Pays-Bas (36,7%), Turquie (26,5%), Russie (8,6%)

Principaux fournisseurs (2008) : Russie (32 %), Chine (11,9 %), Kazakhstan (8,8 %)

Part des principaux secteurs d'activités dans le PIB (2008) :

- agriculture : 23 %

- industrie : 27 %

- services : 50 %

Exportations de la France vers le Tadjikistan : 5,4 millions d'euros

Importations françaises du Tadjikistan : 7,3 millions d'euros

Communauté française au Tadjikistan : une vingtaine de personnes (ONG et organisations internationales), hors contingent militaire (200 personnes)

Comme ses voisins, le Tadjikistan a longtemps été parcouru par des caravanes de la Route de la soie, puis a été contraint, pendant l'ère soviétique, à une monoculture outrancière du coton, ce prétendu « or blanc » qui, avec le recul, a profondément perturbé les équilibres traditionnels du pays et provoqué, au Tadjikistan comme dans les pays aval, des dégâts écologiques considérables, le plus catastrophique étant évidemment l'assèchement quasi irrémédiable d'une grande partie de la Mer d'Aral.

Pour autant, le Tadjikistan présente par rapport à ses voisins plusieurs spécificités historiques, culturelles et démographiques qui l'en démarquent assez notablement.

Tout d'abord, le Tadjikistan est le seul État persanophone de la région (la langue tadjike appartient à la famille indo-européenne et est apparentée à l'iranien, alors que les langues majoritaires pratiquées les autres républiques d'Asie centrale se rattachent à la famille des langues turques). Il tient ce particularisme de l'héritage des Samanides dont le vaste empire, à partir du IX ème siècle, s'étendait du Khorasan, en Iran, aux limites orientales du Tadjikistan et de l'Afghanistan (avec pour capitale Boukhara, aujourd'hui sur le territoire de l'Ouzbékistan).

Par ailleurs , si la majorité de la population se réclame de l'Islam sunnite, on note au Tadjikistan la présence d'une forte communauté ismaélienne , notamment à l'est dans le Pamir (en fait, la province du Gordo-Badakchan , qui représente près de la moitié de la surface totale du pays), où cette forme particulière de l'Islam est fortement implantée. C'est la raison pour laquelle les institutions ismaéliennes, à travers l'Aga Khan Development Network (ADDN), occupent une position importante au Tadjikistan, retracée plus en détail dans la dernière partie du présent rapport.

Enfin, à la différence des autres pays d'Asie centrale, l'accession du Tadjikistan à indépendance s'est déroulée selon un processus chaotique et violent , ayant débuté par des émeutes dès 1990, une succession de prises de pouvoir et d'affrontements meurtriers entre les prétendants, dégénérant en une guerre civile généralisée entre les forces post-communistes et une opposition hétéroclite allant des démocrates libéraux aux mouvements islamistes, en passant par une série de groupes ethniques et de clans locaux. Cette guerre civile s'est prolongée jusqu'en 1997, causant au total plus de 50 000 morts, des déplacements massifs de population et la fuite en Afghanistan d'environ 70 000 combattants islamistes.

Aucun camp n'étant parvenu à se démarquer par la force, c'est finalement sous l'égide des Nations Unies, de la Russie et de l'Iran qu'un « Accord général sur la Paix et la Réconciliation nationale » sera conclu en juin 1997, confirmant à la tête de l'État M. Emomali Rakhmon, l'ancien Président du Parlement qui avait lui-même remplacé le Président Nabiyev, capturé entretemps par l'opposition.

Depuis lors, le Président Rakhmon a été réélu en 1999, puis en 2006. Les milices islamistes ont quant à elles été pour la plupart désarmées, certains de leurs membres étant ensuite intégrés dans les forces de l'ordre (comme l'a rappelé le Président Rakhmon durant l'audience accordée à la délégation sénatoriale - cf. infra ).

A. UN CHÂTEAU D'EAU AU RÉGIME SEC...

Sur le plan économique, le Tadjikistan est aujourd'hui le pays le plus pauvre de toute la CEI , et beaucoup de gens y vivent nettement moins bien qu'à l'époque soviétique.

Plus de 40 % de la population subsiste avec moins de 2 dollars par jour et selon le Programme alimentaire mondial de l'ONU (PAM), près de 1,5 million d'habitants souffriraient de malnutrition chronique. Le revenu national du pays serait tributaire pour près de 50 % des transferts privés des quelque un million de travailleurs tadjiks émigrés (environ 2 milliards de dollars US en 2010, selon les statistiques de la Banque centrale russe), pour la plupart en Russie où ils sont régulièrement victimes de vexations et de brimades xénophobes.

Le pays produit, certes, de l'aluminium (entreprise Talco) -un peu plus de 420 000 tonnes en 2007- mais pas son alumine, qu'il doit donc importer. Pour le reste, il est pareillement dépendant de ses importations (en provenance, notamment, du Kazakhstan, d'Ouzbékistan et du Turkménistan), aussi bien pour les produits alimentaires que pour son énergie.

Cette pauvreté pourrait s'expliquer si le pays était dépourvu de toute ressource, mais tel n'est pas le cas ; en effet, le Tadjikistan dispose en abondance d'une ressource particulièrement recherchée : l'eau, véritable « or bleu » qui pourrait y être une « source de vie [...] dans cette Mésopotamie entre Amou Daria et Syr Daria », pour reprendre une expression imagée de l'ambassadeur de France dans un article récent 15 ( * ) .

1. Une économie à l'étiage

Une des freins au développement économique du Tadjikistan tient sans doute à la défiance qu'il a longtemps suscitée auprès des investisseurs étrangers et des institutions financières internationales, d'abord en raison de la guerre civile puis, une fois le calme revenu, du fait d'une forte corruption dans beaucoup de secteurs d'activité et de centres de décision économique, y compris au niveau de la Banque nationale.

Sur ce plan, la situation se redresse un peu, car pour restaurer la confiance des bailleurs, les autorités tadjikes ont accepté en 2008 un audit international de la Banque nationale et des deux grandes entreprises publiques Barki-Tojik (production d'électricité) et Talco (production d'aluminium).

Un autre facteur de stagnation économique réside dans les fragilités structurelles de la monoculture intensive du coton qui, comme à l'époque soviétique, demeure aujourd'hui une composante majeure de la production intérieure, tout en ayant diminué en volume (la récolte n'atteint que les 2/3 de son niveau antérieur) et en étant plus exposée qu'auparavant à la volatilité des cours internationaux.

Dans ce contexte, le développement économique futur du Tadjikistan semble passer par une valorisation plus effective de son potentiel hydraulique et hydroélectrique , sachant que les montagnes tadjikes produisent à elles seules plus de 60 % du total de l'eau potable de la région -ce qui vaut au pays l'appellation de « château d'eau de l'Asie centrale »- et recèlent un potentiel de 500 millions de kW/h 16 ( * ) , suffisant pour satisfaire les besoins en électricité du Tadjikistan et, pour partie, de plusieurs de ses voisins centrasiatiques.

Or, selon les indications fournies par le ministre tadjik des Ressources en eau, M. Rakhmat Bobokolonov, lors du très intéressant entretien qu'il a accordé à la délégation sénatoriale le 21 avril, le Tadjikistan n'aurait la libre disposition que de moins de 10 % de l'eau qu'il produit.

Plus singulier encore, le Tadjikistan subit périodiquement des pénuries d'énergie -y compris électrique- entraînant souvent des coupures de chauffage pendant la saison hivernale. Faute d'équipements adaptés, la production hydroélectrique annuelle n'atteindrait qu'environ 17 millions de kW/h, le pays en étant réduit à importer non seulement des hydrocarbures, mais également de l'électricité.

En définitive, même en prenant en compte les handicaps objectifs susceptibles de freiner le développement économique du Tadjikistan (l'enclavement et l'altitude d'une grande partie de son territoire, la vétusté des équipements et des structures hérités de la période soviétique, les coûts éducatifs et sociaux pour faire face à un taux élevé de natalité, etc...), il apparaît un hiatus frappant -pour ne pas dire choquant- entre d'un côté le potentiel productif considérable du Tadjikistan et, de l'autre, sa situation économique réelle , particulièrement dégradée.

2. Une nécessaire « diplomatie régionale de l'eau »

Pour un pays, produire beaucoup d'eau n'a guère d'intérêt s'il ne peut en tirer parti pour assurer son propre développement économique : autant que la délégation sénatoriale puisse en juger, c'est à un blocage de ce type que le Tadjikistan semble aujourd'hui confronté.

En effet, une des difficultés majeures qu'il rencontre pour valoriser plus efficacement son potentiel hydroélectrique réside moins dans des problèmes techniques ou de financement que dans le caractère hautement sensible de la question de l'eau en Asie centrale , pouvant déboucher sur des rapports quasi-conflictuels entre les deux pays de l'amont (le Kirghizistan et le Tadjikistan) et les trois pays de l'aval (le Kazakhstan, l'Ouzbékistan et le Turkménistan). Ayant eux-aussi d'énormes besoins d'eau douce -notamment pour assurer l'irrigation de leurs propres champs de coton- et donc très soucieux de leur propre approvisionnement, les pays de l'aval ne sont de fait guère enclins à la remise en cause des équilibres actuels .

Dans le système soviétique, la question de l'eau était gérée depuis Moscou. Mais après l'indépendance, elle devint rapidement une revendication nationale plutôt qu'une problématique appréhendée dans sa dimension régionale , en dépit d'un Accord de coopération signé le 18 février 1992 par les cinq ministres compétents ( Accord de coopération pour une gestion concertée des ressources en eau et pour la préservation des sources interétatiques , connu sous le nom d' Accord d'Almaty ).

Selon cet accord, la région centrasiatique constitue une communauté et dispose d'une unité des ressources en eau, chaque État-membre étant tenu d'empêcher sur son territoire toute action pouvant porter atteinte aux intérêts des autres Parties, leur causer des dommages et entraîner un écart par rapport aux valeurs admises pour l'évacuation d'eau et la pollution des sources d'eau ; en outre, les cinq États signataires sont convenus de conserver les quotas d'allocation hérités de l'époque soviétique.

L'Accord de 1992 avait surtout pour objet de figer la situation au sortir de l'ère soviétique, mais il ne déterminait pas un véritable cadre de gouvernance multilatérale ; c'est une des raisons pour lesquelles, après deux décennies, les tensions sur l'eau deviennent plus perceptibles entre les pays de l'Asie centrale, et que les équilibres anciens sont de plus en plus contestés par les Parties en présence.

A cet égard, les autorités Ouzbèkes semblent particulièrement préoccupées par les projets tadjiks , invoquant différents arguments scientifiques, techniques et environnementaux pour tenter de démontrer que la construction au Tadjikistan de nouveaux équipements hydroélectriques ou l'implantation de nouveaux systèmes d'irrigation entraîneraient nécessairement des dommages considérables à leurs propres structures et à l'équilibre écologique de toute la région.

En l'état, les critiques ouzbèkes les plus catégoriques vont au projet de construction de l'immense barrage de Rogun .

D'après les renseignements obtenus sur place, cette retenue hydroélectrique devrait atteindre une hauteur de 335 mètres (elle serait ainsi la plus haute du monde) ; comme le barrage de Nurek -que la délégation sénatoriale a pu visiter le 22 avril- celui de Rogun est conçu selon la technique dite de « l'enrochement » (muraille composite de terre et de roches), censée mieux résister que les murs de béton aux tremblements de terre, assez fréquents dans cette région. A terme, la centrale hydroélectrique alimentée par la retenue de Rogun devrait permettre au Tadjikistan d'être totalement autosuffisant en électricité , et d'exporter du courant vers d'autres pays voisins dont, notamment, l'Afghanistan.

Ses détracteurs font valoir différents arguments dont il est évidemment difficile d'évaluer la pertinence.

Trois vues du barrage de Nurek,
deuxième plus haute retenue hydroélectrique au monde (300 m),
construit selon la technique de l'enrochement utilisée pour le barrage de Rogun

Le lac artificiel

La centrale, vue d'en haut

La salle de contrôle

Peu de temps avant son départ, la délégation sénatoriale a par exemple eu communication d'informations alarmistes selon lesquelles le directeur honoraire de l'Institut de sismologie de l'Académie des Sciences du Tadjikistan, Sabit Negmatullaev, prévoirait de puissants tremblements de terre dans les montagnes du Pamir au Tadjikistan au cours des dix prochaines années, le gouvernement du Tadjikistan « feignant d'ignorer les préoccupations des scientifiques et des spécialistes de nombreux pays [qui] tentent d'avertir l'opinion publique internationale des risques potentiels énormes que représente le projet de Rogun. Dans le cas d'un tremblement de terre semblable à celui survenu au Japon, là où se trouvera le barrage de la future station hydroélectrique haut de plus de 335 mètres, il y a aura une forte augmentation de pression de l'eau, provoquée par des distorsions des fondations, elles mêmes dues à des pressions énormes de la colonne d'eau (plus de 300 mètres). Il est clair que le barrage ne pourra pas résister à une telle combinaison de pressions et, en s'effondrant, provoquera un tsunami [...] c'est une vague de plus de 100 mètres de haut qui se précipiterait vers l'aval de Vakhsh. Son potentiel de destruction dépasserait de loin celui du tsunami qui s'est produit au Japon. La destruction du barrage pourrait entraîner alors une catastrophe sans précédent pour l'ensemble de l'Asie centrale, mais surtout pour le Tadjikistan lui-même. Les experts prédisent que dans pareil cas, une énorme masse d'eau se précipiterait en aval du barrage à la vitesse de 130 mètres par seconde, soit 468 km/h en direction de la station hydroélectrique de Nurek. Le barrage de Nurek serait alors complètement détruit, et la ville de Nurek serait submergée par une vague de 280 mètres de hauteur qui déferlerait à une vitesse de 86 mètres par seconde. Toutes les stations hydroélectriques et les complexes hydro énergétiques de la cascade Vakhsh et des villes de Sarban, de Kurgantyube et pratiquement toute la ville de Rumy seraient inondées. Ces villes seraient les premières à subir l'impact de la masse liquide, mais cette dernière poursuivrait ses destructions en inondant également de nombreuses agglomérations humaines au Tadjikistan, en Ouzbékistan et au Turkménistan » 17 ( * ) .

Face aux réticences ouzbèkes, le Président tadjik a appelé les représentants des organisations internationales, des institutions financières régionales et mondiales à coopérer largement afin de définir et réaliser de nouveaux projets d'investissements, prioritairement dans le domaine de l'énergie hydroélectrique. Il a également « invité » ses compatriotes à contribuer financièrement au projet-phare de Rogun, selon une formule de souscription quasi-obligatoire.

Pour l'heure, les positions respectives du Tadjikistan et de l'Ouzbékistan semblent difficilement conciliables , d'autant qu'elles se fondent des deux côtés sur des intérêts qui, pour être contradictoires, n'en paraissent pas moins légitimes. Il en résulte des tensions et des raidissements que les autorités tadjikes ont dénoncés à plusieurs reprises au cours de cette mission 18 ( * ) .

Pour ce qui le concerne, le groupe d'amitié France-Asie centrale du Sénat considère que cette question complexe gagnerait à être traitée dans le cadre d'une véritable diplomatie régionale de l'eau , permettant de définir les mécanismes d'une coopération régionale rénovée et, le cas échéant, élargie . A cet égard, il ne peut que soutenir des initiatives comme celles prises ces dernières années par les autorités tadjikes en vue de promouvoir un dialogue régional sur l'eau (tenue d'un Forum de l'eau pure à Douchanbé en 2003 ; proposition d'une résolution de l'Assemblée générale des Nations unies ouvrant à partir de 2006 une Décennie internationale de l'eau ; Conférence internationale sur le thème de la coopération dans les bassins transfrontaliers organisée à Douchanbé en mai 2005 ; tenue à Douchanbé en juin 2010 d'une Conférence internationale sur l'eau organisée dans le cadre du programme onusien sur la Décennie internationale, ...). Dans la même perspective, le groupe d'amitié considère que la France, forte d'une expertise reconnue sur la problématique de l'eau, serait sans doute bien placée pour aider les Parties intéressées à rapprocher leurs points de vue , selon un processus diplomatique dont il resterait à définir le schéma.

Par ailleurs, une coopération internationale plus effective et complétée, le cas échéant, par le recours à des formules innovantes -par exemple, un partenariat avec des fonds souverains étrangers, comme M. Aymeri de Montesquiou en a avancé l'idée au cours de l'audience du ministre tadjik en charge de l'eau- permettrait sans doute de mieux gérer certains problèmes techniques complexes (les déperditions incontrôlées sur les réseaux d'irrigation, par exemple) tout en facilitant le financement des équipements structurants appropriés 19 ( * ) .


* 15 « Le Tadjikistan, un concentré de mondialisation », article publié par Henry Zipper de Fabiani dans le numéro 5 de Mondes - Les cahiers du Quai d'Orsay (automne 2010).

* 16 D'après d'autres estimations étrangères, le potentiel tadjik serait seulement de 300 millions de kW/h, capacité néanmoins considérable pour un petit pays peu industrialisé de 7,4 millions d'habitants.

* 17 Ce communiqué est accessible en français sur le site Internet de l'Ambassade d'Ouzbékistan (http://www.ouzbekistan.fr/activites/press-releases/2011/rogun.html)

* 18 A titre d'exemple, les Tadjiks sont ainsi toujours soumis à une obligation de visa pour se rendre en Ouzbékistan, formule pénalisante si on considère que le sud du pays est plus proche de Samarkand que de Douchanbé.

* 19 De gros opérateurs étrangers privés -des entreprises françaises spécialisées, notamment- pourraient aussi trouver intéressant d'être associés au tour de table, dans la mesure où ces équipements s'amortissent en une douzaine d'années environ, pour une exploitation rentable sur des durées bien plus considérables.

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