PREMIERE TABLE RONDE : LA PÂTE À PAPIER

INTERVENANTS

Mme Sri Murniningtyas, directrice du centre de coopération internationale de Jakarta
M. Jean-Marie Ballu, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts
Mme Marie Vallée, directrice de l'organisme de certification FSC France
Mme Églantine Goux, chargée de mission à France Nature Environnement

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Mme Catherine Deroche, sénateur . - J'ai le plaisir d'ouvrir cette première table ronde consacrée à la production de pâte à papier et à son impact sur la forêt indonésienne.

Je remercie les intervenants qui ont accepté de participer à ce colloque : Mme Sri Murniningtyas, qui dirige le centre de coopération internationale de Jakarta et qui a été attachée diplomatique en charge de la forêt auprès de l'Ambassade d'Indonésie au Japon ; M. Jean-Marie Ballu, ingénieur des eaux et forêts, spécialiste de la forêt tropicale ; Mme Marie Vallée, directrice de l'organisme de certification FSC France ; et Mme Églantine Goux, chargée de mission à France Nature Environnement (FNE).

Les forêts tropicales humides abritent une biodiversité d'une richesse exceptionnelle. Pourtant, la forêt indonésienne a perdu près de 500 000 hectares par an au cours de la décennie écoulée, ce qui place l'Indonésie au troisième rang mondial pour la déforestation. La forêt indonésienne est notamment exploitée pour produire de la pâte à papier. Des campagnes d'information et des appels au boycott ont été lancés par des ONG, je pense à Greenpeace et au WWF 3 ( * ) , contre certains producteurs, accusés de procéder à une déforestation illégale et de détruire des espèces protégées.

Pour tenter d'y voir plus clair, je propose de donner la parole d'abord à Mme Sri Murniningtyas, directrice du centre international de coopération internationale de Jakarta. Pourriez-vous nous indiquer quels sont les objectifs des autorités indonésiennes en matière de protection et de valorisation de la forêt ?

Mme Sri Murniningtyas, directrice du centre de coopération internationale de Jakarta 4 ( * ) . - Merci de votre invitation à ce colloque. Je vais d'abord vous présenter l'usage qui est fait des territoires forestiers en Indonésie, puis j'évoquerai notre programme de plantation de forêts.

Sur les 190 millions d'hectares du territoire indonésien, 69 % sont couverts par la forêt et 31 % sont affectés à d'autres usages. Si l'on considère les seules zones forestières, on constate que 21 millions d'hectares sont occupés par les forêts de conservation 5 ( * ) , 32 millions d'hectares par les forêts de protection 6 ( * ) , le solde correspondant aux forêts de production. Dans les forêts de production, on peut distinguer 33 millions d'hectares de forêt de production permanente, 22 millions d'hectares de forêt de production limitée et 20 millions d'hectares de forêt de production convertible.

Dans quelles zones sont cultivés les palmiers à huile ? On les trouve dans les zones de forêts de production convertible et dans celles répertoriées comme correspondant à d'autres usages.

Les zones forestières sont administrées par le ministère des forêts, tandis que les 31 % du territoire non couverts par la forêt dépendent de la National Land Agency .

J'en viens à la présentation de nos programmes de gestion des forêts de production. Concernant les forêts naturelles, le choix d'un mode d'exploitation sylvicole doit être fait en considérant les caractéristiques de la forêt et de son environnement, avec des coupes sélectives associées à des plantations. Concernant les forêts de plantation, les concessions, y compris celles accordées à de petits propriétaires privés ou à des communautés locales, sont attribuées sur des surfaces de forêt improductives, en procédant à une macro- et à une micro- délimitation 7 ( * ) , qui permettent de désigner des forêts à haute valeur de conservation 8 ( * ) . Il faut enfin souligner l'objectif de restauration des écosystèmes, qui vise à rétablir la fonction écologique des forêts de production.

Si l'on a de bonnes forêts naturelles et qu'une structure de gestion existe, on pourra attribuer des concessions d'exploitation forestière. En l'absence de structure de gestion, on privilégiera l'investissement en vue de concessions futures, la restauration des écosystèmes ou la production de biens autres que le bois. Si l'on a affaire à des terres improductives, avec une structure de gestion, les terrains seront consacrés à des forêts de plantation.

Qu'est-ce qu'une forêt de plantation ? On transforme des zones de forêts improductives en forêts de plantation pour gagner en productivité, pour disposer de matières premières utiles pour l'industrie, pour préserver les forêts naturelles de manière durable, pour obtenir des devises grâce aux exportations et pour promouvoir le développement des communautés locales.

Pourquoi investir dans les forêts de plantation ? D'abord, parce qu'il existe des zones de forêts dégradées qui ont besoin d'être réhabilitées. Les forêts de plantation sont ainsi une réponse à la déforestation. Ensuite, parce que l'on dispose d'essences qui présentent des performances exceptionnelles en termes de croissance et de rendement. Enfin, parce que l'on observe une augmentation massive de la demande nationale et mondiale de pâte à papier. S'il est vrai que l'on a rencontré des difficultés pour financer notre programme depuis le début de la crise économique, les forêts de plantation offrent une rentabilité prometteuse, les actions de recherche et développement sont bien avancées et les forêts présentent un potentiel pour le marché du carbone.

Quels sont les avantages liés aux investissements dans les forêts de plantation ? En premier lieu, elles peuvent être exploitées pendant une longue période, en principe soixante ans, qui peut être prolongée. En second lieu, l'Indonésie dispose de terres relativement fertiles, ce qui permet une croissance rapide des arbres et un cycle de production réduit. Il est ainsi possible de récolter plus de 150 m 3 de bois par hectare au bout de seulement cinq ans. En troisième lieu, l'Indonésie dispose d'une main d'oeuvre abondante et les coûts de plantation y sont réduits, de l'ordre de 1 300 euros par hectare. Enfin, il faut souligner le soutien qu'apporte l'État aux investissements nationaux et étrangers.

Comment les forêts de plantation prennent-elles en compte la protection de la biodiversité ? Des zones de forêts de production sont couvertes d'arbustes, sont dénudées ou ont déjà été exploitées. La préparation du terrain dans les zones déjà exploitées se déroule en procédant à une macro et à une micro-délimitation. L'objectif est d'optimiser la production, tout en prenant en compte les aspects sociaux et environnementaux, et de respecter les principes de gestion durable des forêts.

La délimitation permet d'obtenir des informations sur les forêts naturelles qui doivent être préservées et sur les zones de forêt qui vont être, ou non, entièrement déboisées, le déboisement étant suivi d'une régénération artificielle. Au terme du processus de micro-délimitation, seulement 70 % des terres seront affectées à des cultures commerciales, 10 % à la culture d'essences locales, 5 % à des cultures vivrières, 10 % à des zones de protection et 5 % aux infrastructures. Il est important de noter que, même dans les forêts de plantation, des zones de protection sont préservées.

Les zones de forêts dégradées sont reboisées et les forêts naturelles à haute valeur de conservation sont préservées, de sorte que les paysages forment, vus du ciel, une mosaïque propice à la préservation de la biodiversité et des écosystèmes et à la prospérité de la société.

L'attribution des licences pour les forêts de plantation associe de multiples acteurs : la procédure commence par une recommandation du gouverneur, basée sur des considérations techniques fournies par le district, incluant une évaluation de l'impact environnemental de la plantation ; le ministère des forêts évalue ensuite le degré d'exploitation de la forêt et la qualité de la gestion avant d'accorder son autorisation.

Chaque forêt de plantation doit disposer de sa propre pépinière, dotée de technologies de reproduction tissulaire. L'exploitant assure la plantation et l'entretien de la forêt, la coupe pouvant intervenir au bout de cinq à six ans.

Les essences les plus cultivées en Indonésie sont l'eucalyptus, l'acacia mangium et l'acacia crassicarpa, la croissance de cette dernière essence étant particulièrement rapide dans les tourbières. La construction de canaux est importante dans les tourbières pour réguler l'approvisionnement en eau. Cette régulation est essentielle pour éviter les inondations pendant la saison des pluies et les incendies pendant la saison sèche. À condition d'assurer une bonne gestion de la ressource en eau, les zones de tourbière peuvent être productives.

Les concessionnaires contribuent au développement des communautés locales en leur fournissant des semis, en dispensant des formations pour la plantation des arbres ou en commercialisant leurs produits agricoles. Grâce à ces programmes de développement, certaines personnes qui se livraient à l'abattage illégal ont appris un métier et sont devenues fermiers, employés d'une plantation ou bûcherons.

J'aimerais vous donner maintenant quelques chiffres concernant les plantations. On compte actuellement 231 exploitations forestières, couvrant une superficie totale de 9,7 millions d'hectares. Environ 5,7 millions d'hectares sont réellement plantés, l'écart s'expliquant, comme je l'ai indiqué, par le fait que seulement 70 % des terres sont effectivement consacrées aux plantations commerciales. Ces exploitations donnent du travail à 4,4 millions de personnes. Une cinquantaine d'exploitations, la plupart gérées par de grandes compagnies, sont certifiées ; elles couvrent une superficie de 4,2 millions d'hectares, soit 70 % du total. La certification repose sur le système indonésien de vérification de la légalité du bois, ou SVLK 9 ( * ) , qui bénéficie d'une reconnaissance par l'Union européenne au travers d'un accord de partenariat volontaire conclu dans le cadre du programme FLEGT 10 ( * ) .

En résumé, les plantations contribuent à la réduction de la pauvreté, en particulier pour les personnes qui vivent à proximité. Elles sont créatrices d'emplois dans le secteur forestier et dans les industries qui y sont liées. Elles sont une source de croissance économique, grâce à la valorisation des produits de la forêt et aux investissements. Enfin, elles sont favorables à l'environnement du fait de l'application de la règle « un million d'hectares déboisés, deux millions d'hectares replantés », dont l'application est supervisée par le vice-président indonésien. Les plantations sont une solution adaptée pour les zones de forêts dégradées et s'intègrent dans la politique économique mise en oeuvre par le gouvernement.

Le secteur forestier doit néanmoins encore faire face à plusieurs défis : des conflits sur la propriété des terres, la prise en compte des communautés locales, des incompréhensions persistantes, notamment concernant les tourbières, la gestion des ressources humaines et les incendies de forêts.

En conclusion, j'espère vous avoir aidé à mieux comprendre le développement des plantations forestières en Indonésie.

Mme Catherine Deroche . - Je vais me tourner à présent vers M. Jean-Marie Ballu. Ingénieur des eaux et forêts de formation, vous vous êtes rendu en Indonésie en début d'année et avez pu observer les méthodes d'exploitation mises en oeuvre par l'entreprise Asia Pulp and Paper (APP), qui ont été souvent décriées. Quelle impression générale en avez-vous retirée ? Les efforts que cette entreprise affirme réaliser pour une production durable de pâte à papier vous paraissent-ils convaincants ? La règlementation mise en place par les autorités indonésiennes est-elle, selon vous, correctement appliquée ?

M. Jean-Marie Ballu, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts . - Ma présentation va s'organiser en trois parties : d'abord, le contexte mondial de la déforestation ; ensuite, l'Indonésie et sa forêt ; enfin, l'exemple de l'entreprise APP.

Au niveau mondial, la forêt est une chance pour lutter contre le réchauffement climatique, dans la mesure où le bois stocke du carbone. Le bois présente l'avantage de pouvoir se substituer à d'autres matériaux, comme le béton, l'acier ou l'aluminium, dont la production émet beaucoup de dioxyde de carbone.

La reforestation permet de stocker du dioxyde de carbone mais cela prend du temps. Là où les forêts sont exploitées durablement depuis longtemps, comme c'est le cas en Europe, le dioxyde de carbone est stocké en forêt mais aussi « hors forêt », dans les habitations, les charpentes, le papier... Dans les forêts primaires protégées, le bilan carbone est presque nul : la quantité de dioxyde de carbone absorbée est voisine de celle qui est rejetée, sans compter les émissions de méthane. La situation la plus grave est évidemment celle de la déforestation, qui rejette d'importantes quantités de dioxyde de carbone dans l'atmosphère. Actuellement, la déforestation brute mondiale est de 13 millions d'hectares par an, soit à peu près la superficie de la forêt en France métropolitaine ou le double de la forêt en Guyane française. 20 % des émissions de gaz à effet de serre d'origine anthropique proviendraient de la déforestation.

Si l'on examine les causes de la déforestation, on constate qu'elle s'explique à 85 % par l'extension de l'agriculture et de l'élevage, à 8 % par la surexploitation liée au bois de feu, à 5 % ou 6 % par la production de bois d'oeuvre et à 1 % par le développement des villes. La déforestation a des conséquences mondiales mais il s'agit plus d'un problème d'équilibre que de surexploitation de la forêt. La surexploitation est un phénomène réversible, à la différence de la déforestation.

Le taux de boisement est un bon indicateur de suivi. Au Costa Rica, ce taux était tombé à 30 % en 1970 et est remonté à 51 % aujourd'hui. En France, il n'était que de 15 % en 1830 mais atteint actuellement 30 %. Ces exemples montrent qu'une vigoureuse politique forestière porte ses fruits.

Le rapport que le député Jean-Marie Le Guen avait réalisé, en 2010, pour la préparation des conférences de Cancun et de Durban, avait conclu à la nécessité de protéger les forêts primaires et la biodiversité, de reboiser en essences natives, de reboiser pour capter le dioxyde de carbone et produire du bois pour l'industrie et l'énergie, de favoriser l'agroforesterie et d'intensifier l'agriculture. Le Président de la République, à qui le rapport avait été remis le 12 octobre 2010, avait proposé la création d'un observatoire mondial de la forêt et d'un fonds de reboisement et d'adaptation au changement climatique, ainsi qu'un contrôle des taux de boisement. Il avait indiqué que la France soutiendrait le « fléchage » vers la forêt d'une partie des taxes sur les transactions financières proposées dans le cadre du G 20.

J'en arrive à la situation de l'Indonésie. La déforestation, qui est irréversible, a fourni des espaces pour l'urbanisation et pour l'agriculture, dont l'huile de palme. L'exploitation durable des forêts, en revanche, permet de produire du bois pour le papier et pour la construction, afin de satisfaire les besoins d'une population en forte croissance. L'Indonésie compte aujourd'hui 240 millions d'habitants et on en attend 310 millions en 2050.

Les plantations de palmiers à huile sont la cause majeure de recul de la forêt tropicale dans le bassin indonésien. Avant 2000, c'était la production de pâte à papier qui était le facteur principal de déforestation, selon les données de la FAO. Le moratoire de deux ans a eu des effets importants. Il y a de vastes plantations industrielles de palmiers à huile mais aussi des petites plantations privées. Les plantations d'hévéas peuvent également jouer un rôle important dans l'économie locale.

J'aborde enfin le cas particulier d' Asia Pulp and Paper (APP). Cette entreprise s'est fixée comme objectif de n'utiliser que du bois de plantation à partir de 2015. Elle dispose de gigantesques pépinières, sans équivalent en France par leur dimension, qui permettent d'éviter d'exploiter la forêt naturelle pour les plantations industrielles d'acacias ou d'eucalyptus. Les plantations peuvent se trouver dans des zones de plaines humides ou dans des zones de forêts dégradées sur des collines.

Le bois arrive dans l'usine Indah Kiat sur l'île de Sumatra, qui a reçu les certifications ISO 9001, ISO 14 001 et ISO 26 000. D'importants efforts ont donc été réalisés pour respecter des règles de développement durable. En plus des contrôles exercés à la sortie de la forêt et à tous les grands carrefours routiers (vérification du bordereau de livraison et de l'autorisation d'exploiter le bois), un triple contrôle est effectué à l'entrée de l'usine : contrôle des titres par l'administration forestière, contrôle du poids, enfin contrôle des provenances et des essences. Les bois protégés qui pourraient exceptionnellement être trouvés n'entrent pas dans le cycle de production papetière sont remis à l'administration forestière.

En zone humide, les perches abattues sont transportées dans des barges puis passent dans un port à bois avant d'arriver à l'usine, qui pratique le stockage « fifo » 11 ( * ) à une grande échelle puisque les quantités de bois entreposées garantissent trois mois de consommation.

Pour garantir le respect de l'environnement, la certification forestière joue un rôle très important. Au niveau mondial, on estime que 10 % des surfaces sont certifiées, ce qui est très faible ; en volume, 25 % de la production est certifiée, aux deux tiers selon la norme FSC 12 ( * ) et selon la norme PEFC 13 ( * ) pour le tiers restant. Une reconnaissance mutuelle entre les différents modes de certification me paraît souhaitable pour favoriser le développement de la certification forestière, aujourd'hui insuffisante. On ne peut à la fois souhaiter que tout le bois utilisé dans les usines soit certifié et en même temps faire obstacle à la certification des plantations. Au niveau européen, outre le programme FLEGT, il faut signaler le Règlement sur le bois dans l'Union européenne (RBUE), qui va entrer en vigueur le 3 mars 2013, ce qui suppose que tous les acteurs soient prêts à cette date.

Lors de notre déplacement, nous avons rencontré des associations écologistes locales qui nous ont notamment parlé des corridors écologiques développés pour favoriser la circulation des tigres de Sumatra. La création de corridors est cependant déjà un constat d'échec car cela signifie que les massifs forestiers sont isolés et dépourvus de connexions. On observe le même problème en France, où les trames vertes et bleues visent à connecter des massifs séparés par des autoroutes, des voies ferrées, etc., ce qui pose un problème pour la biodiversité et la protection des animaux.

APP mène des activités, en lien avec les associations locales, pour la préservation de la biodiversité mais réalise aussi des activités à caractère social : création d'écoles, de centres d'apprentissages pour les femmes (tissage, fabrication de paniers avec les chutes de liens plastiques). On retrouve donc le triptyque qui définit le développement durable : développement économique, social et environnemental.

En conclusion, la forêt indonésienne a connu un fort recul, lié d'abord à la production de pâte à papier puis aux plantations de palmiers à huile. Mais il faut savoir reconnaître le ralentissement de la déforestation, la forte volonté de l'Indonésie et de son ministère des forêts, dont témoignent le moratoire, et la prise de conscience par les industriels de la nécessité d'un développement vraiment durable et de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Le développement durable passe par l'utilisation de bois de plantations, qu'il faut donc, par cohérence, pouvoir certifier, et par la protection des forêts naturelles qui doivent être préservées dans leur biodiversité. La tâche reste difficile mais il faut saluer les efforts faits. L'Indonésie est un très grand et beau pays, avec 17 000 îles, la quatrième population mondiale et un grand dynamisme économique. La coopération entre la France et l'Indonésie mérite d'être développée dans l'intérêt des deux pays.

Mme Catherine Deroche . - Je vais maintenant céder la parole à Mme Marie Vallée afin que nous abordions la question de la certification. La certification a été lancée par des ONG il y a une vingtaine d'années dans le but d'encourager les bonnes pratiques en matière d'exploitation forestière. Concrètement, vous délivrez un label aux entreprises qui respectent des critères d'exploitation durable de la forêt. Pourriez-vous nous en dire plus sur les critères et sur les méthodes que vous utilisez ? Quel est votre jugement sur la production de pâte à papier en Indonésie ? Pourriez-vous également nous dire un mot des autres systèmes de certification et des différences avec FSC ?

Mme Marie Vallée, directrice de l'organisme de certification FSC France . - Mme Catherine Procaccia a évoqué en introduction la nécessité de trouver des solutions pour concilier protection de l'environnement et développement de l'économie. Le système de certification FSC que je vais vous présenter poursuit précisément cet objectif.

FSC est une association internationale créée, en 1994, à l'initiative d'acteurs économiques, sociaux et environnementaux qui ont discuté pour proposer des règles de bonne gestion forestière et élaborer, à cette fin, un cahier des charges. Les membres de FSC sont regroupés en trois chambres - sociale, économique et environnementale - qui disposent d'un pouvoir de décision égale, ce qui a un effet sur le contenu des règles proposées dans le cahier des charges.

FSC ne procède pas lui-même aux audits de certification. Dans la pratique, un propriétaire ou un gestionnaire forestier qui veut se faire certifier fait appel à un organisme d'audit indépendant et accrédité qui examine sur le terrain si les pratiques sont conformes au cahier des charges ; si c'est le cas, le certificat est délivré. Quand une forêt est certifiée FSC, les produits qui en sont issus peuvent être transformés en produits finis labellisés, ce qui suppose un suivi rigoureux de la traçabilité entre la forêt d'origine et le produit fini. Tous les opérateurs qui interviennent dans la fabrication du produit doivent être certifiés FSC.

Notre certification permet de différencier les produits sur le marché et a un impact social et environnemental visible sur le terrain, ainsi que plusieurs études et témoignages ont permis de le démontrer. Aujourd'hui, il y a 1,5 million d'hectares certifiés FSC en Indonésie, pour un total de 21 certificats.

À quoi correspond plus précisément notre cahier des charges ? Il repose sur dix grands principes, le premier d'entre eux étant le respect de la légalité. L'exploitation et la gestion forestières doivent être conformes à la règlementation en vigueur. Les autres principes permettent d'aller au-delà de cette exigence de base. Sans les énumérer tous dans le détail, je souligne que l'on tient compte à la fois de critères sociaux - respect des droits des populations locales et des travailleurs - et de critères environnementaux : protection des espèces rares et menacées, des paysages, des ressources en eau... Il y a enfin des aspects économiques : mise en avant d'essences secondaires, diversification des produits issus des forêts, attention portée aux filières locales, etc.

Je précise que le cahier des charges FSC permet la certification des plantations, en plus de celle des forêts naturelles ou semi-naturelles, à condition que ces plantations respectent les critères énoncés. FSC ne peut cependant encourager la conversion directe de forêts naturelles en plantations. Nous appliquons donc un critère selon lequel les plantations issues de la conversion de forêts naturelles réalisée après 1994, date de mise en service du cahier des charges FSC, ne peuvent être certifiées.

Concernant nos actions en Indonésie, j'ai eu au téléphone, ce matin, notre directeur pour la région Asie-Pacifique, qui m'a confirmé que l'Indonésie était une zone prioritaire pour FSC dans l'année qui vient. Il prévoit de développer l'équipe de représentants FSC sur place ainsi que les groupes de travail avec les parties prenantes locales.

Pour replacer notre action dans son contexte, je souhaite indiquer que 170 millions d'hectares sont certifiés FSC dans le monde. Les forêts tropicales correspondent à 11 % de cette surface, le reste étant constitué de forêts tempérées ou boréales. 8 % de cette surface correspond à des plantations.

Mme Catherine Deroche . - Je me tourne enfin vers notre dernière intervenante, Mme Églantine Goux. Vous êtes chargée de mission à France Nature Environnement (FNE) où vous suivez le dossier des forêts tropicales. Vous voudrez certainement réagir à tout ce qui a déjà été dit. Pourriez-vous nous présenter les actions engagées par France Nature Environnement pour protéger ces forêts ? Je crois savoir que vous avez participé à l'élaboration de la norme de certification PEFC. A-t-elle trouvé à s'appliquer en Indonésie ? Je pense qu'il pourrait être intéressant d'évoquer également l'évolution de la règlementation au niveau européen et les conséquences qu'elle pourrait avoir sur les pays producteurs.

Mme Églantine Goux, chargée de mission à France Nature Environnement (FNE) . - Je vais vous présenter une vue d'ensemble des causes de la déforestation et de ce que défend FNE au niveau international. Notre point de vue est que la déforestation des forêts tropicales n'est pas due seulement aux pays tropicaux mais que l'Union européenne et la France ont aussi une part de responsabilité.

FNE est une fédération qui regroupe trois mille associations de protection de la nature et de l'environnement, en France métropolitaine et en outre-mer. Créée en 1968, elle est reconnue d'utilité publique depuis 1976. Ses revendications sont construites grâce à ses associations membres, qui nous font part des enjeux de terrain et des prises de position de ses militants bénévoles, puis portées auprès des instances décisionnelles, que ce soit au niveau du Gouvernement, de l'Union européenne ou de l'Organisation des Nations Unies (ONU). Le but de FNE est de faire entendre l'expertise citoyenne au niveau national mais aussi au niveau international, puisque FNE coordonne une plateforme d'associations qui font remonter les problèmes de terrain sur des thématiques comme la déforestation, la certification forestière ou la lutte contre l'exploitation illégale du bois.

Sur un total de 4 milliards d'hectares de forêts dans le monde, 13 millions sont perdus chaque année, selon les chiffres fournis par la FAO en 2007. Trois grands bassins forestiers subissent une forte déforestation : le bassin amazonien perd 3,3 millions d'hectares chaque année, le bassin indonésien 1,9 million d'hectares et le bassin du Congo 0,3 million d'hectares. Les forêts boréales sont également concernées : la Russie perd 0,02 million d'hectares par an.

À l'origine de la déforestation, on trouve d'abord nos modes de consommation. Selon la FAO, l'expansion agricole serait à l'origine de plus de la moitié des destructions de forêts. Nos importations de matières premières provenant des pays tropicaux jouent également un rôle non négligeable dans la destruction des forêts tropicales. L'émergence de la Chine dans le commerce des matières premières et des produits « bois et dérivés » pose un problème supplémentaire.

L'exploitation illégale du bois est aussi un important facteur de déforestation et de dégradation forestière. Environ 50 % du bois commercialisé dans le monde serait illégal, d'après un récent rapport publié par Interpol et la Banque mondiale. En 2006, l'Union européenne aurait importé 30 millions de m 3 de bois produits illégalement. En France, 40 % du bois tropical importé serait illégal.

Les zones concernées par l'exploitation illégale du bois sont les trois grands bassins forestiers, ainsi que la Russie, certains pays d'Europe de l'Est et la Chine, par ses importations et ses exportations.

En Indonésie, d'après les données fournies en 2007 par le gouvernement, 1,8 million d'hectares de forêts disparaissent chaque année. La FAO, dans son dernier rapport, estime la perte à 500 000 hectares par an, ce qui semble indiquer une amélioration, même s'il peut y avoir des différences dans les modes de calcul. Environ 55 % des coupes seraient illégales en Indonésie, selon l'estimation de Chatham House. Selon un rapport de 2007 publié par le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE), dont les données sont toutefois un peu anciennes, si le rythme d'attribution des concessions, notamment pour les plantations de palmiers à huile, ne change pas, quasiment toutes les forêts intactes d'Indonésie auront disparu en 2022, ce qui est un constat alarmant.

La production d'huile de palme est un puissant moteur de déforestation. En 2012, l'Académie nationale des sciences des États-Unis a estimé que, entre 1989 et 2008, l'huile de palme a causé directement 27 % de la déforestation totale et 40 % de la destruction des tourbières. Selon un rapport du PNUE, on assiste à une disparition progressive des forêts à Bornéo, qui est l'île la plus touchée avec Sumatra, avec une grande menace sur des espèces emblématiques comme les orangs-outangs mais aussi l'éléphant de forêt, le tigre de Sumatra ou le gibbon de Java. Il ne faut pas oublier l'impact de la déforestation sur les populations autochtones qui dépendent de la forêt pour vivre.

J'en arrive aux solutions préconisées par FNE. Il faut d'abord lutter contre la production illégale de bois et de ses produits dérivés. En 2003, l'Union européenne a mis en place le plan d'action FLEGT, qui est un outil législatif qui concerne l'ensemble des concessions industrielles et permet d'agir sur l'offre et la demande. Avec la mise en place du règlement « Bois », l'Union européenne ferme ses frontières au commerce de bois illégal. Il est nécessaire que l'Union européenne se dote d'outils adéquats d'application de ce règlement, qui sera en vigueur en mars 2013, et qu'elle développe des accords de partenariat volontaire intégrant pleinement la consultation de toutes les parties prenantes et incluant le marché domestique, à l'instar de ce qui peut se faire dans les pays du bassin du Congo. L'Indonésie est assez avancée dans la négociation d'un accord de partenariat volontaire avec l'Union européenne.

La deuxième proposition est de certifier la gestion durable des forêts. Pour FNE, la certification de la gestion forestière doit être d'une totale transparence, basée sur une concertation avec les parties prenantes, sur la recherche de consensus et sur des vérifications par des tierces parties indépendantes et dotée de critères écologiques et sociaux ambitieux. Cela suppose une transparence des plans d'aménagement des forêts, une identification et une préservation des biotopes spécifiques, c'est-à-dire des forêts à haute valeur de conservation, et la mise en place de mesures pour réduire les impacts négatifs de l'exploitation forestière. La loi prévoit déjà souvent des études d'impact, mais ce n'est pas le cas dans tous les pays tropicaux et la certification doit donc le garantir. Il ne doit pas y avoir de conversion des forêts primaires, ou ayant gardé des fonctions similaires, en plantations. Il faut garantir la consultation des populations locales et autochtones pour la planification des travaux d'exploitation forestière et s'assurer du respect de la déclaration des Nations Unies sur les droits des populations autochtones, ainsi que du consentement libre, informé et préalable des populations autochtones en matière d'aménagement forestier.

Il faut également repenser nos modes de consommation, avec une réduction des importations de matières premières responsables de la déforestation, telles que l'huile de palme, le choix de privilégier les produits certifiés ou recyclés pour les produits papiers et cartons. Il convient enfin de réviser la politique de l'Union européenne en matière d'agro-carburants, qui incite à une augmentation des importations d'huile de palme pour notre alimentation puisqu'elle prévoit d'incorporer 10 % d'agro-carburants dans nos transports : on met du colza et du tournesol dans nos moteurs, ce qui entraîne une demande d'huile de palme plus importante pour notre alimentation.

Mme Catherine Deroche . - Avant de donner la parole à la salle, certains intervenants ont peut-être envie de réagir aux propos qui ont été tenus ?

Mme Sri Murniningtyas . - Je voudrais d'abord apporter des précisions concernant le rythme de la déforestation. De 1990 à 1996, environ 1,8 million d'hectares de forêts ont été perdus chaque année. Puis la déforestation a connu un pic en raison d'une décentralisation mal maîtrisée, engagée en 1998. Même dans les pays développés, il a fallu du temps avant que la décentralisation porte ses fruits. C'est en 2000 que la déforestation a été la plus importante avec la disparition de 3,5 millions d'hectares de forêts. Le gouvernement indonésien a ensuite mis en place un programme de lutte contre l'exploitation illégale du bois qui a permis de limiter la déforestation à 1,08 million d'hectares en 2003. Ces dernières années, moins de 500 000 hectares de forêts ont été perdus chaque année. Des observations par satellite permettent d'évaluer le phénomène. L'Indonésie a lancé un programme de plantation auquel participent l'État mais aussi toutes les communautés concernées.

M. Olivier Guichardon, directeur de la responsabilité sociale et environnementale (RSE) du groupe Séquana . - Je représente le groupe Séquana, producteur et distributeur de papier. Bien que nous dépendions très peu des importations de pâte à papier en provenance d'Indonésie, nous sommes confrontés à une réelle difficulté : d'un côté, nous entendons les discours alarmistes de certaines ONG, qui présentent des données scientifiques qui semblent fiables et qui font état d'une situation préoccupante ; d'un autre côté, des messages également forts nous disent que tout va bien, de sorte qu'il est difficile pour une entreprise comme la nôtre d'avoir une vision objective de la situation. Ma question s'adresse donc à M. Jean-Marie Ballu. Vous avez visité les plantations et les usines d'APP et vous avez l'air de dire que tout allait bien. Pourtant, vous nous avez indiqué que du bois était refusé pour non-conformité, ce qui peut paraître contradictoire. Était-ce du bois produit illégalement ou protégé ? Quelle était sa provenance et pour quels motifs ce bois était-il refusé ?

M. Jean-Marie Ballu . - Avant de vous répondre, je voudrais d'abord attirer votre attention sur un problème de communication fréquent. Il y a deux ans, la FAO 14 ( * ) a indiqué, un peu maladroitement, dans un communiqué que « la déforestation reculait », ce qui a pu laisser croire que la forêt progressait ! En réalité, la déforestation se poursuit, même si c'est à un rythme ralenti, et demeure préoccupante au niveau mondial. C'est également le cas en Indonésie : si le rythme de la déforestation a diminué, elle se poursuit encore.

Est-ce que tout va bien ? Non, il reste de grands efforts à accomplir partout à travers le monde. Mais ce qui nous a frappés est le renforcement des contrôles effectués en Indonésie. Le règlement « Bois » de l'Union européenne va interdire l'an prochain toute entrée de bois illégale, ce qui imposera encore de gros efforts.

Concernant le bois refusé dans les usines d'APP, il peut s'agir de bois interdits ou de bois qui ne sont pas souhaités - dans les papeteries françaises on n'utilise pas de tilleul, par exemple, en raison de certaines de ses propriétés. La quantité de bois illégal retrouvée sur le site était, en tout cas, marginale par rapport à l'ensemble de la production.

Mme Sri Murniningtyas . - On ne peut contester que l'Indonésie est encore confrontée à de réels problèmes en matière d'exploitation forestière. J'ai mentionné l'impact négatif qu'a pu avoir la décentralisation à ses débuts, ainsi que la dégradation de zones forestières. Mais je tiens à souligner les efforts accomplis pour la replantation et pour la lutte contre l'exploitation illégale du bois, qui passe par une meilleure application de la loi mais aussi par l'usage de notre capacité d'influence. Je serai heureuse de vous accueillir en Indonésie pour vous présenter nos réalisations sur le terrain.

M. Jean-Paul Lanly, ingénieur des eaux et forêts . - Il me semble que le débat sur la déforestation est pollué par des questions de sémantique, du fait de l'emploi par les médias et par les parties prenantes de termes anglo-saxons dont le sens est imprécis. Je prendrai l'exemple du terme « forest depletion », qui peut se traduire littéralement par « réduction de la forêt ». Mais s'agit-il de la réduction de la surface des forêts, de leur volume, de leur biodiversité, de la vitalité productive des écosystèmes forestiers ? Au final, on en vient à confondre disparition pure et simple de la forêt et dégradation forestière. Deuxième exemple : le mot « drivers » pour désigner les « moteurs » de la déforestation. On mélange les causes immédiates de la déforestation, essentiellement toutes les formes d'agriculture, et les causes sous-jacentes, par exemple la consommation européenne d'huile de palme. Je pense qu'il faut distinguer ces deux niveaux.

Ma deuxième question porte sur la propriété foncière. Comment fonctionnent les baux contractés pour l'exploitation des forêts ? Y a-t-il une propriété traditionnelle des forêts en Indonésie ? Je pense qu'il est important quand on parle des forêts de se poser la question de la propriété des terres.

Mon troisième point s'adresse plus particulièrement à nos collègues indonésiens, sans agressivité aucune à leur égard : peuvent-ils nous dire quels sont les moyens dont disposent les techniciens et les cadres de l'administration forestière et quel est leur salaire ? J'imagine que face à de grands groupes, qui sont riches, on peut être tenté de fermer les yeux sur certains comportements...

Ma quatrième question intéressera surtout Mme Marie Vallée. J'ai cru comprendre que FSC s'opposait fermement à la reconnaissance mutuelle des systèmes de certification. Souhaite-t-il donc détenir un monopole sur ce sujet ou d'autres raisons justifient-elles son refus ?

Mon dernier point concerne la production de papier : j'ai noté qu'APP avait pour objectif d'acheter 100 % de bois de plantation mais qu'en était-il au début de son activité ? A-t-on fabriqué du papier avec du bois en provenance de la forêt tropicale naturelle ?

Mme Catherine Deroche . - M. Jean-Marie Ballu, voulez-vous réagir à ces propos ?

M. Jean-Marie Ballu . - Je vois que nous avons affaire à un spécialiste. Je partage son analyse sur la sémantique. J'ai moi-même fait une distinction, dans mon intervention, entre la déforestation et la dégradation des forêts. J'ai également parlé de surexploitation des forêts, qui est, comme la dégradation, un phénomène réversible. Je pense que ces distinctions se font en français mais que ce n'est pas toujours le cas dans le discours anglo-saxon.

Mme Sri Murniningtyas . - Je voudrais insister sur le rôle des feux de forêt comme facteur de déforestation. En 1997-1998, le phénomène climatique « El Niño » a provoqué d'importants feux de forêts au sud de l'île de Sumatra. Cependant, si l'on se rend aujourd'hui sur les lieux qui ont été dévastés par les flammes, on constate que ces terres ont été entièrement replantées.

Mme Marie Vallée . - Notre objectif n'est pas d'exercer un monopole sur la certification. Il y a eu de nombreuses réunions depuis une quinzaine d'années au sujet de la reconnaissance mutuelle. Nous sommes tombés d'accord pour dire que chaque système a une approche très différente, ce qui rendrait compliquée toute reconnaissance mutuelle. De plus, certains acteurs, tant chez FSC que chez PEFC, ne souhaitent pas un tel rapprochement. Nos différences portent sur l'approche en forêt et sur un mode de fonctionnement global, avec, pour FSC, un cahier des charges international et, pour PEFC, un système qui permet de travailler avec les certificateurs nationaux. Il y a des différences dans nos cahiers des charges respectifs, dans nos modes de gouvernance, dans nos modalités de contrôle...C'est pourquoi, jusqu'à présent, aucune tentative de dialogue pour aboutir à une reconnaissance mutuelle n'a abouti.

M. Jean-Marie Ballu . - C'est un problème récurrent auquel on est confronté depuis des années. Je voudrais faire remarquer que l'on impose quasiment aux forestiers et aux industriels une double certification, s'ils veulent être tranquilles, ce qui augmente leur coût global et aboutit in fine à réduire l'étendue des surfaces certifiées.

Mme Catherine Deroche . - Quelqu'un veut-il intervenir sur la question de la propriété des terres ?

Mme Sri Murniningtyas . - Les forêts appartiennent à l'État et sont administrées par le ministère des forêts. Des concessions sont accordées à travers un système de licences. Pour les plantations, la durée des concessions est de soixante ans et peut être prolongée. Il faut distinguer le cas des forêts gérées par les communautés locales qui obéissent à un régime particulier.

M. Jérôme Frignet, chargé de mission « forêts » chez Greenpeace . - J'aurai le plaisir de participer tout à l'heure à la table ronde sur l'huile de palme mais je voudrais intervenir, dès à présent, sur la question de la pâte à papier, et notamment sur le cas d'APP. Cette entreprise a réussi à fédérer contre elle un grand nombre d'ONG qui ont pourtant parfois du mal à travailler ensemble. Le WWF ou la Rainforest Alliance , qui ont l'habitude de coopérer avec les entreprises dans une démarche de progrès, ont travaillé un temps avec APP mais ont ensuite claqué la porte estimant qu'APP n'était pas sincère dans sa volonté proclamée d'améliorer ses pratiques.

J'en prendrai une illustration : en 2005, APP a annoncé son intention de ne plus utiliser que des fibres issues de plantations à l'horizon 2007, et donc de renoncer à l'emploi des feuillus tropicaux mélangés ; puis cette date a été repoussée à 2009 ; depuis l'année dernière, comme l'a dit M. Jean-Marie Ballu, c'est l'échéance de 2015 qui est retenue par APP. On peut donc douter de la volonté réelle d'APP d'atteindre cet objectif.

Deuxième élément inquiétant : en 2011, la principale unité de production d'APP, Indah Kiat, sur l'île de Sumatra, a demandé l'autorisation au ministère des forêts d'utiliser plus de 50 % de feuillus tropicaux mélangés issus de forêts naturelles.

Troisième élément : la large coalition d'ONG que je mentionnais a publié, il y a quelques semaines, une lettre destinée aux investisseurs internationaux afin de les dissuader de financer l'extension des capacités industrielles d'APP. L'entreprise prévoit en effet de doubler sa capacité de production dans un avenir proche grâce à la construction d'une unité de production géante au sud de Sumatra, alors qu'elle ne parvient pas à satisfaire ses besoins en fibres en faisant appel aux seules plantations.

On est donc dans une situation où APP a pris des engagements et a fixé des échéances mais sans les respecter. L'entreprise tient un discours progressiste en contradiction avec la réalité de ses investissements. APP fait beaucoup d'efforts, mais surtout en matière de relations publiques et de communication - elle a financé récemment une vaste campagne de publicité dans la presse qui a dû couter plusieurs millions d'euros rien que pour la France - avec peu de résultats sur le terrain.

Mme Catherine Deroche . - L'entreprise APP étant représentée dans l'assistance, je vous propose de lui donner la parole.

M. Jacek Siwek, directeur Europe d'APP 15 ( * ) . - Merci, Madame la présidente. Concernant les engagements passés d'APP, je voudrais dire simplement que nous ne demandons à personne de nous croire sur parole. Vous pouvez nous rejoindre pour observer si nous respectons ou pas nos engagements. Aujourd'hui, nous tenons nos engagements et nous allons continuer, y compris en ce qui concerne notre objectif pour 2015. Concernant l'extension de nos capacités de production, je pense qu'on ne peut pas reprocher à une entreprise de vouloir se développer. Notre production supplémentaire ne remettra pas en cause nos engagements, notamment en matière de protection des forêts à haute valeur de conservation.

Mme Liz Wilks, responsable du développement durable pour l'Europe d'APP 16 ( * ) . - J'aimerais poser une question à Mme Marie Vallée. Elle a mentionné les différences entre les règles de certification de FSC et de PEFC. APP envisage d'appliquer certaines règles qui distinguent FSC de PEFC, à savoir la prise en compte sur le terrain des forêts à haute valeur de conservation, ainsi que la règle du consentement libre et préalable des communautés locales. Mais une différence essentielle réside dans la prise en compte de l'année 1994 comme année de référence par FSC. Elle implique qu'une plantation, pour obtenir la certification, doit respecter les critères définis par FSC, mais aussi avoir été établie avant 1994. Cette règle ne vaut pas seulement pour l'Indonésie. Dans la mesure où la plupart des plantations vont se développer dans les pays émergents, j'aimerais savoir quels sont vos projets concernant cette référence à l'année 1994, qui fait obstacle au développement de la certification.

Mme Marie Vallée . - La référence à l'année 1994 est un point clé du cahier des charges FSC. Elle fait obstacle à la certification de plantations créées en remplacement de forêts naturelles après cette date. Il s'agit d'un critère capital pour notre chambre environnementale. Quelle serait votre proposition ? Remplacer cette date par une référence à l'année 2010 ou à 2012 ? Aujourd'hui, une telle modification n'est, à ma connaissance, pas d'actualité.

M. Jean-Marie Ballu . - Dans le rapport que j'ai rédigé avec M. Jean-Marie Le Guen et Mme Catherine Procaccia, ce problème est évoqué et qualifié de « péché originel » : avant 1994, la certification peut être accordée, après 1994, elle n'est plus possible. On aimerait que FSC évolue sur ce point afin de favoriser le développement de la certification.

M. Paul-Antoine Lacour, directeur Energie-Environnement à la confédération française de l'industrie des papiers, cartons et cellulose (Copacel) . - Je travaille pour la Copacel, qui est l'organisation professionnelle papetière française. En France, une très faible proportion, moins de 1 %, de la pâte à papier importée provient d'Indonésie et il s'agit, pour l'essentiel de pâte à papier certifiée. Comme FSC est présent en Indonésie, j'aimerais savoir si, en important de la pâte certifiée FSC, on a une garantie totale qu'elle a été produite de manière durable.

Mme Marie Vallée . - Comme je l'ai dit, FSC est un système international qui applique un cahier des charges avec des critères identiques partout dans le monde. Dans tous les pays, est également mis en oeuvre un audit systématique par une tierce partie indépendante. Donc, en achetant de la pâte à papier certifiée FSC, vous pouvez être certain que l'ensemble des garanties a été respecté.

M. Damien Faure, cinéaste . - Je vous remercie d'avoir organisé ce débat. J'aimerais parler de l'homme dans son rapport avec la nature, car il me semble que l'on est dans un discours un peu trop naturaliste. Qu'en est-il de la vingt-sixième province, la Papouasie Occidentale ? Quels rapports entretenez-vous avec les mouvements indépendantistes papous ?

Mme Catherine Procaccia . - Je pense que l'on pourrait commencer par se demander si les terres sont exploitées dans cette province pour la production de pâte à papier ou d'huile de palme.

M. Rezlan Ishar Jenie, Ambassadeur d'Indonésie . - Je répondrai par l'affirmative concernant l'huile de palme, même si cette production reste très limitée ; il n'y a pas, en revanche, de production de pâte à papier dans cette province. Je voudrais souligner ensuite que la Papouasie Occidentale fait l'objet d'une attention particulière de la part du gouvernement indonésien, qui lui a accordé un statut spécial. Près de 80 % des recettes fiscales retirées de l'exploitation des ressources minières dans ce territoire bénéficient au gouvernement provincial. Tous les problèmes ne sont pas encore réglés mais l'État accorde une grande attention aux besoins de la population qui jouit d'un statut d'autonomie.

Mme Constance Cluset, membre de l'association Kalaweit . - L'association Kalaweit se consacre à la protection des gibbons et des forêts de Bornéo et de Sumatra. Son fondateur, qui vit en Indonésie depuis quinze ans, a pu observer les dégâts d'une déforestation de plus en plus intense. On parle beaucoup des efforts du gouvernement indonésien mais je peux témoigner que l'on ne voit pas encore de progrès sur le terrain. On a du mal à relâcher des animaux en forêt, que ce soit à Sumatra ou à Bornéo. On parle de reforestation, mais de quoi parle-t-on exactement ? S'agit-il d'une monoculture ? Où va-t-on replanter plusieurs essences, en sachant très bien que l'on ne pourra jamais reconstituer la forêt antérieure, la faune et la flore ayant été détruites ? Quel est le véritable objectif ? Se donner bonne conscience ou protéger au maximum la forêt ?

M. Jean-Baptiste Roellens, chargé de campagne « forêts tropicales » au WWF . - Je confirme tout d'abord les propos tenus par M. Jérôme Frignet, de Greenpeace, concernant APP et ses agissements. J'aimerais d'ailleurs savoir quelle part représentent les fibres naturelles dans les approvisionnements de cette entreprise et quel est son objectif précis à l'horizon 2015.

Je souhaite relever ensuite une erreur, que j'ai retrouvée dans plusieurs présentations, qui consiste à expliquer que les plantations compenseraient la perte des forêts naturelles. En réalité, les plantations ne jouent pas le même rôle et ne rendent pas les mêmes services que la forêt naturelle. Même pour le stockage du carbone, les forêts anciennes sont beaucoup plus efficaces que les plantations. Il en va de même pour la protection des sols et la qualité des eaux. La récolte mécanique de l'acacia mangium , tous les six ou sept ans, entraîne une dégradation des sols très importante.

Sur le débat entre FSC et PEFC, je pense que les performances de ces deux systèmes en termes de développement durable ne sont pas les mêmes et que l'on ne doit donc pas mettre tous les labels au même niveau. Ce ne serait pas un progrès mais cela noierait au contraire les efforts accomplis par certains.

Enfin, ma dernière remarque s'adresse à la représentante de l'Indonésie. Je reviens d'un voyage sur l'île de Sumatra, dans la province de Riau, où une déforestation intense se poursuit, même dans des parcs nationaux. Il est vrai que la décentralisation pose des problèmes et est un facteur de déforestation, mais comment faire pour que la légalité soit respectée sur le terrain, notamment dans la perspective de la mise en oeuvre du programme FLEGT (Forest Low Enforcement Governance and Trade) ?

Mme Sri Murniningtyas . - Je voudrais d'abord répondre sur le sujet de la protection de la faune. La déforestation a privé les orangs-outangs et d'autres grands mammifères de leur habitat naturel. Mais nous avons mis en place un centre de réhabilitation pour les orangs-outangs au centre et à l'est de Kalimantan. Un problème auquel nous nous heurtons est qu'il est très coûteux de relâcher des orangs-outangs dans la nature. Nous avons prêté des animaux, à des fins de conservation, à d'autres pays, le Japon par exemple. Nous allons également prêter un tigre au zoo de Berlin. Si ces animaux se reproduisent, les petits seront toujours la propriété de l'Indonésie, il s'agit seulement d'un prêt.

Concernant la situation au centre de Sumatra, il est vrai que des problèmes se produisent encore et que nous avons des défis à relever, notamment par rapport aux activités des communautés locales.

M. Jacek Siwek . - Pour répondre aux questions sur les mesures de transparence prises par APP, je tiens à indiquer que nous travaillons sur un plan d'action pour le développement durable avec des tiers indépendants qui nous aident à développer nos capacités et à contrôler l'ensemble du processus. De plus, nous communiquons chaque trimestre à toutes les parties intéressées, ainsi qu'à nos clients, des données actualisées. En septembre, nous avons rendu public le chiffre que vous demandiez, à savoir la part des feuillus tropicaux mélangés dans nos approvisionnements : nous sommes aujourd'hui à 8 %, soit quatre points de mieux que notre objectif. Je ne dis pas cela pour nous vanter mais notre objectif était d'arriver à 12 % à cette date.

Je voudrais faire une remarque complémentaire : l'utilisation de feuillus tropicaux mélangés n'est pas forcément synonyme de déforestation. En effet, cette matière première provient de différentes sources, toutes parfaitement légales : les plantations, la déforestation, le bois inutilisé résultant du développement des plantations ou de la mise en oeuvre de grands projets d'infrastructures. Nous nous sommes engagés à n'utiliser que du bois issu des plantations d'ici à 2015, en nous autorisant toutefois à utiliser 5 % de fibres d'autres origines. Cette clause nous permet d'utiliser du bois provenant de projets d'infrastructures ou de zones détruites par des catastrophes naturelles, qu'il serait néfaste de laisser sur place.

M. Jean-Marie-Ballu . - Les plantations à révolution rapide de six ans sont en effet moins intéressantes pour le stockage de carbone que les forêts naturelles, mais il faut prendre en compte aussi le stockage ultérieur, sous forme de bois ou de papier, qui constitue aussi une réserve de carbone. Si j'avais l'air tout à l'heure de mettre les forêts naturelles sur le même plan que les plantations, c'est parce que je parlais uniquement du stockage du carbone. Les forêts tropicales protégées sont évidemment le nec plus ultra en ce qui concerne la biodiversité. Les plantations mono-spécifiques sont beaucoup moins intéressantes pour la faune sauvage mais nous avons insisté sur le fait qu'il faut, à chaque fois que c'est possible, reconstituer les forêts avec des plantations en essences natives ou en essences mixtes et, à défaut, envisager les plantations industrielles mono-spécifiques.

M. Jean-Marie Le Guen . - Je remercie les organisateurs de ce colloque, qui a donné lieu à des interventions de haut niveau. On ne va pas résoudre les problèmes de la forêt tropicale du jour au lendemain mais je voudrais insister sur la nécessaire confiance qui doit exister entre tous les acteurs. Des feuilles de route ont été remises à certaines entreprises, et elles doivent les respecter, tandis que les ONG jouent un rôle utile d'aiguillon. Leurs rapports doivent être marqués par le respect mutuel pour construire la confiance.

Je voudrais terminer sur une note d'optimisme en prenant l'exemple du Costa Rica : ce pays a connu une longue période de déforestation qui a fait passer la superficie couverte par la forêt de 80 % du territoire à seulement 30 % ; dans les années 1970, ce pays, comptant sur la protection des États-Unis, a décidé de supprimer son armée et d'investir dans le développement durable ; aujourd'hui, la forêt couvre 55 % de son territoire et la biodiversité regagne du terrain, même si elle n'est pas exactement la même que celle qui existait à l'origine. On peut donc regarder l'avenir avec espoir, tout en étant conscient des difficultés, et on peut penser qu'il y aura toujours de belles forêts sur notre planète.

Mme Catherine Deroche . - Nous arrivons au terme de cette première table ronde. Je remercie les participants pour la clarté et la franchise de leurs explications.


* 3 World Wild Fund : fonds mondial pour la nature.

* 4 Mme Sri Murniningtyas s'est exprimée en anglais.

* 5 Les forêts de conservation sont des zones forestières comportant des caractéristiques spécifiques établies aux fins de la préservation d'espèces animales et végétales et de leur écosystème.

* 6 Les forêts de protection correspondent à des zones utilisées pour la subsistance, le maintien des systèmes hydrologiques, la prévention des inondations, le contrôle de l'érosion des sols et le maintien de la fertilité des sols.

* 7 La macro-délimitation consiste à repérer les zones de forêts naturelles existantes en ayant recours à l'imagerie par satellite. La micro-délimitation consiste à évaluer si une zone est adaptée au développement de plantations en procédant à des observations de terrain.

* 8 Le concept de forêt à haute valeur de conservation (traduit de l'anglais « high conservation value forest ») désigne des forêts qui présentent une importance exceptionnelle en raison de leur diversité biologique et de leur valeur environnementale, socio-économique ou paysagère.

* 9 System Verifikasi Legalitas Kayu, en langue bahasa.

* 10 FLEGT (Forest Law Enforcement, Governance and Trade : application des réglementations forestières, gouvernance et commerce) est un plan d'action de l'Union européenne, lancé en 2003, visant à lutter contre l'exploitation illégale des produits forestiers et à renforcer la gestion durable et légale des forêts.

* 11 « fifo » : first in, first out.

* 12 Forest Stewardship Council : assemblée d'acteurs intéressés par les questions forestières et à l'origine de normes relatives au régime juridique des forêts

* 13 Programme de reconnaissance des certifications forestières

* 14 Food and Drug Organization : organisation des Nations Unies pour l'agriculture et l'alimentation

* 15 M. Jacek Siwek s'est exprimé en anglais.

* 16 Mme Liz Wilks s'est exprimée en anglais.

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