INTRODUCTION

M. Frédéric ROSSI, Directeur Ubifrance, Singapour

Mesdames, Messieurs,

Je vais tenter de vous dresser un rapide panorama économique de l'Asie du Sud-Est. Aujourd'hui, la moitié de la population mondiale habite en Asie et l'ASEAN est située au coeur de ce continent. C'est donc là qu'il faut être. Cette zone compte 4 milliards d'habitants et en comptera 5 milliards dans quelques dizaines d'années. Elle représente l'avenir de nos entreprises.

Elle est composée d'une dizaine de pays, ainsi que du Timor-Est. Elle représente le poids de l'Europe en termes de population et celui de la France en termes de PIB. Les économies de ses pays sont très interdépendantes entre elles et les entreprises françaises et européennes doivent trouver leurs voies dans ce modèle intégré.

Une communauté économique sera peut-être mise en place en 2015, mais son schéma et son échéancier demeurent peu clairs et ces pays ont décidé d'aller plus loin dans cette intégration économique. Nous constatons déjà des avancées dans certains secteurs, avec des normes communes dans les cosmétiques, qui seront peut-être étendues aux produits de santé.

La zone est très hétérogène. Elle compte dix pays, dont certains sont très peu avancés, et d'autres sont parmi les plus riches du monde. Le PIB de la Birmanie en 2013 était de 900 dollars par habitant, alors que Singapour fait partie des six ou sept économies les plus développées du monde. Il est donc compliqué pour un exportateur ou une entreprise d'appréhender cette zone, car l'hétérogénéité de développement est très forte dans ces dix pays.

Dans le classement de la Banque mondiale Doing business , relatif à la facilité de réaliser des affaires dans les différents pays, nous constatons également cette hétérogénéité. Singapour est première depuis sept années consécutives et la Malaisie a beaucoup progressé ces dernières années. Ce classement récemment paru place ainsi la Malaisie comme meilleure base industrielle du monde pour une implantation manufacturière. D'ailleurs, les cinq premières places de ce classement sont occupées par des pays asiatiques. Les importants réservoirs de croissance de demain que sont l'Indonésie, les Philippines et le Vietnam sont quant à eux situés dans une tranche intermédiaire en ce qui concerne la facilité à réaliser des affaires.

Nous sommes engagés sur un sentier de croissance plutôt robuste, aux alentours de 5 % à 6 % pour tous les pays de la zone. Il s'agit là du taux de croissance des grands pays émergents de la zone. Singapour présente un taux inférieur, aux alentours de 3 % à 4 % et les pays moins développés, comme le Laos et le Cambodge, un taux de 8 % à 9 %. Nous constatons toutefois une convergence importante, et surtout une certaine stabilité, suite à la crise de 2009. La gestion macroéconomique par pays converge vers ce sentier de croissance. De son côté, la Chine est allée trop vite et a ralenti, tandis que l'Inde connaît de fortes difficultés structurelles et se situe dans une période d'incertitude. Cette zone qui était auparavant coincée entre ces deux géants semble donc connaître une certaine résilience à présent, lui permettant d'envisager un développement économique.

Le moteur de la croissance de la zone ASEAN correspond à la consommation et aux investissements internes, notamment dans des infrastructures. Cette région connaît également une croissance de sa classe moyenne assez importante.

Au deuxième semestre de l'année 2013, le resserrement de la politique monétaire américaine a essentiellement affecté l'Indonésie, dont la monnaie a dévissé de 25 % à 26 %, de la même manière que la Turquie, l'Inde et le Brésil. L'Indonésie était à cette époque dotée de réserves assez importantes et son économie n'a pas été complètement déstabilisée par cette situation. Des accords ont été passés entre les différentes banques centrales de la zone et les autres banques centrales asiatiques, qui permettent par exemple à l'Indonésie de disposer de 30 milliards de dollars de réserves potentiellement « actionnables » en cas de nouveau resserrement brutal de la politique américaine, ce qui ne semble pas le cas aujourd'hui cependant.

Pour l'Indonésie, sauf changement politique majeur à l'occasion des élections à venir, la situation devrait être satisfaisante. La Malaisie a réussi sa transition politique l'année dernière avec brio et a fourni des efforts pour terminer la dernière étape de son développement économique. Les Philippines, joyau méconnu de la zone, affichent un taux de croissance de plus de 6 %. Elles ont acquis le statut d' investment grade 1 ( * ) auprès des principales agences de notation l'année dernière. La corruption y régresse, mais ce pays reste encore peu prospecté par nos entreprises. Singapour affiche un taux de croissance de 4 %, il s'agit de l'une des économies les plus développées du monde et d'importants investissements d'infrastructure y sont prévus. Cependant, le resserrement de la politique migratoire à Singapour contraint de plus en plus le travail des expatriés.

En Thaïlande, une incertitude politique pèse fortement, mais l'économie thaïlandaise fait preuve d'une belle résilience depuis plusieurs années. Les missions de nos entreprises n'y sont pas annulées et le commerce courant continue de fonctionner.

Pour le Vietnam, la stabilité du système financier a donné lieux à des incertitudes l'année dernière, mais ce pays est en train de sortir de cette phase. Les privatisations se poursuivent et nous nous dirigeons vers une libéralisation plus importante de cette économie.

En matière d'accès au marché, la situation est assez stable à présent. Nous rencontrons quelques difficultés concernant l'entrée des produits agroalimentaires et les vins et spiritueux. En ce qui concerne la propriété intellectuelle, l'ASEAN se situe dans la moyenne asiatique. Singapour fait partie des quatre premiers pays du monde en matière de respect de la propriété intellectuelle. Il faut faire néanmoins preuve de vigilance.

Dans la plupart des pays de la zone, l'accès aux investissements est régulé, avec des secteurs ouverts et d'autres qui sont fermés. Un accord de libre-échange a été conclu entre Singapour et l'Union européenne (UE) l'année dernière et entrera en vigueur à compter de la fin de l'année 2014 ou du début de l'année 2015. Ainsi, près de 200 indications origines pour des produits européens seront reconnues à Singapour, dont une quarantaine pour des produits français. Singapour ouvre ainsi un registre des appellations d'origine pour l'UE et nous souhaitons que ce registre soit répliqué sur les autres pays de la zone. Cet accord est important pour Singapour, certes, mais sera également répliqué sur d'autres pays de la zone. Des négociations sont en cours dans ce domaine.

Singapour compte près de 6 000 exportateurs français réguliers, soit 2,4 % de parts de marché pour la France. Le pays joue le rôle de plateforme de redistribution, 70 % des denrées qui entrent à Singapour étant ensuite acheminées dans toute l'Asie, en particulier vers les pays de l'ASEAN. Au sein de cette zone, la Malaisie et la Thaïlande constituent les deux autres pays industrialisés. Nos positions y sont satisfaisantes, avec 3 000 exportateurs et des parts de marché en augmentation. La France reste cependant sous-positionnée dans les trois autres pays de la zone, qui constituent pourtant des réservoirs de population et de croissance importants. Lors de la crise financière de la fin des années 1990, quasiment la moitié des sociétés françaises se sont retirées du marché indonésien et seules 150 filiales françaises travaillent actuellement en Indonésie. L'Oréal y a toutefois implanté son unité de production de cosmétiques la plus importante et Renault ainsi que PSA s'y intéressent également. Mais nous payons le prix d'une décennie au cours de laquelle nous nous sommes retirés de ce marché.

Le volume du commerce bilatéral entre la France et l'ASEAN a atteint 27 milliards d'euros en 2013, avec un excédent commercial de 2 milliards d'euros en faveur de la France, ce qui est conséquent. Singapour est fortement excédentaire et les autres pays sont quant à eux à l'équilibre ou en léger excédent. L'aéronautique représente un excédent d'1,1 milliard d'euros et nous sommes par ailleurs structurellement excédentaires dans cette zone en 2013. Néanmoins, lors des années précédentes, nous étions légèrement en déficit. Singapour représente environ la moitié des échanges et des investissements de l'ASEAN, mais nous constatons une forte augmentation de nos ventes hors aéronautique au Vietnam, aux Philippines, en Thaïlande et en Birmanie. Nous sommes en effet en forte progression en Birmanie (avec une base néanmoins très faible).

Au Vietnam, notre part de marché est effectivement faible, mais l'intérêt des entreprises françaises est fort pour ce pays. Nous y avons ainsi organisé un forum l'année dernière, qui a rassemblé plus de 100 sociétés françaises. À présent, nous assurons un suivi plus étroit des sociétés présentes au Vietnam, car ce marché est difficile. Nous avons ainsi constaté une très forte augmentation de notre taux de concrétisation au Vietnam.

M. Arnaud FLEURY . - Vous vous êtes montré rassurant concernant la volatilité, malgré la possibilité d'un durcissement du quantitative easing 2 ( * ) américain et la régression de la place de la Chine. Vous n'êtes pas inquiet ?

M. Frédéric ROSSI . - Je suis raisonnablement optimiste. À présent, les économies sont certes liées, mais l'ASEAN est très ouverte sur le reste du monde. Un équilibre s'opère naturellement et tous les pays disposent de réserves de changes exprimées en mois d'importations suffisantes pour faire face à un nouveau resserrement de la politique monétaire américaine. Le principal risque est, selon moi, davantage lié aux échéances politiques dans certains pays.


* 1 Obligations les moins risquées émises par les emprunteurs qui reçoivent une note allant de AAA à BBB- par les agences de notation selon l'échelle établie par Standard& Poors, par opposition aux « non investment grade », également appelées « speculative grade » ou « high yield », bien plus risquées (notes allant de BB+ à D), mais permettant d'obtenir en contrepartie une meilleure rémunération.

* 2 Mesures de politique monétaire non conventionnelles, consistant par exemple à acheter des obligations ou des billets de trésorerie émis par les entreprises, ou encore à reprendre les actifs douteux de banque ou à les garantir.

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