TABLE RONDE 1 - L'ASEAN : QUELLES OPPORTUNITES SECTORIELLES ?

« Mieux se nourrir »

Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique.

Ont participé à cette table ronde :

Mme Florence CASTAREDE, Administrateur, Castarède
Mme Claire CAMDESSUS, Directrice Ubifrance, Thaïlande, Birmanie

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M. Arnaud FLEURY . - Je suis heureux de vous retrouver pour cette thématique de l'ASEAN. Vous vous souvenez peut-être que nous avons déjà traité des opportunités et des potentiels de cette zone commerciale, qui représente un PIB comparable à celui de la France. L'intérêt reste entier pour cette zone, dont les différents pays présentent des situations et des problématiques différentes, avec néanmoins pour point commun la croissance et le développement. Nous aborderons également la question de la volatilité des marchés de ces pays.

Notre programme sera articulé autour des opportunités sectorielles, qui rappellent le tableau de bord lancé par Mme Nicole BRICQ. Cette dernière a ainsi décidé de définir de nouvelles priorités pour la France dans un nouveau contexte économique mondial de fort développement. La France se positionne donc sur des priorités que nous allons aborder aujourd'hui : mieux se nourrir, mieux se soigner, mieux vivre en ville et mieux communiquer.

Ensuite, nous aborderons les situations des trois pays les moins avancés de la zone : la Birmanie, le Laos et le Cambodge, puis nous étudierons comment approcher les marchés de l'ASEAN - qui sont tous très différents - et comment y pérenniser les affaires une fois réussie l'approche initiale.

S'il n'est pas toujours facile d'accéder à ces marchés, les pays de l'ASEAN présentent du potentiel en matière de vins et de spiritueux, ainsi que des produits de grande consommation. Claire CAMDESSUS, pouvez-vous nous dresser un panorama de la zone dans ces domaines ?

Mme Claire CAMDESSUS . - Les excédents commerciaux ne concernent pas que l'aéronautique et les transports ; la France réalise plus du tiers des exportations agroalimentaires de l'ASEAN. Nous sommes d'ailleurs le seul pays à y présenter un excédent commercial dans le domaine agroalimentaire. Nous réalisons en effet plus de 2 milliards de dollars d'exportations dans ce secteur, pour un excédent de près d'1 milliard de dollars. 60 % des ventes françaises en ASEAN sont dirigées vers Singapour, avec une répartition équitable vers les autres pays les plus importants de la zone.

M. Arnaud FLEURY . - Cela provient également du fait que Singapour joue le rôle de plateforme dans la région.

Mme Claire CAMDESSUS . - Oui. De nombreuses grandes maisons, notamment dans les vins et spiritueux, ont en effet choisi Singapour comme grande plateforme logistique. Les exportations ne se font pas seulement vers les pays de la zone ASEAN, mais également vers les autres pays d'Asie.

Plus de 60 % des ventes françaises sont effectuées dans le secteur des vins et spiritueux et le deuxième poste correspond aux produits laitiers.

L'ASEAN regroupe de nouveaux consommateurs, avec de plus en plus de moyens. À Bangkok, les centres commerciaux comptent de nombreuses épiceries de luxe, avec beaucoup de produits importés, des restaurants étoilés et des consommateurs de plus en plus exigeants et sophistiqués. Les nouveaux marchés de cette région représentent, en outre, une autre poche de croissance.

À Rangoon, en Birmanie, nous avons ainsi récemment organisé un premier rendez-vous « Vins et spiritueux » il y a un mois. Tout reste à faire, mais les besoins dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration sont énormes.

M. Arnaud FLEURY . - Concernant l'Indonésie, le Vietnam et les Philippines, sur quels produits faut-il mettre l'accent ? Ces pays commencent-ils à consommer des biens manufacturés français ?

Mme Claire CAMDESSUS . - Tout dépend du secteur d'activité. Les idées reçues sont nombreuses sur ces sujets. En Malaisie et en Indonésie, la consommation de vin est en effet importante et ces deux marchés ne doivent pas être négligés. Pour les produits carnés, les barrières phytosanitaires demeurent, mais nos deux conseillers spécialisés dans l'agroalimentaire et basés à Singapour fournissent un travail très important. La viande de boeuf est ainsi désormais autorisée à Singapour et en Indonésie. Pour les vins et spiritueux, les taxes douanières restent élevées, ce qui n'empêche pas des taux de croissance à deux chiffres cependant, car ces pays comptent de nombreux consommateurs, dont des touristes.

M. Arnaud FLEURY . - La PME Castarède réalise 1,5 million d'euros de chiffre d'affaires. Quel est le poids de vos exportations ?

Mme Florence CASTAREDE . - 70 % de notre chiffre d'affaires correspond à des exportations.

M. Arnaud FLEURY . - Et qu'en est-il des pays d'Asie et de l'ASEAN ?

Mme Florence CASTAREDE . - Les exportations en direction de l'Asie représentent 20 % de nos exportations et l'ASEAN, 5 %. J'ai participé récemment à trois missions organisées par Ubifrance, dont je remercie les équipes, qui se mobilisent vraiment depuis quelques années pour nos entreprises. Au sein de mon entreprise, qui est une TPE, je suis seule pour commercialiser nos armagnacs. Or ces produits sont quasiment inconnus du grand-public étranger, ce qui ajoute encore des difficultés.

J'ai participé à trois missions Ubifrance. La première était organisée au Vietnam au mois de juillet, la deuxième était en Thaïlande et la dernière en Birmanie, il y a un mois. J'ai alors été particulièrement étonnée de constater que ces pays comptaient de véritables professionnels, de très bons mixologistes travaillant dans des bars splendides, des restaurateurs étoilés, des magasins haut de gamme, etc.

M. Arnaud FLEURY . - Vous avez identifié des marchés qui vous intéressaient plus particulièrement, y compris la Birmanie. Souhaitez-vous à présent trouver plus de distributeurs pour vous développer au maximum sur cette zone ?

Mme Florence CASTAREDE . - Lorsque nous nous implantons dans un pays, notre objectif est de trouver un importateur, qui ensuite redistribuera nos produits, en l'occurrence, des hôtels, des restaurants et des magasins haut de gamme. Ma stratégie consiste à réaliser le maximum de missions avec Ubifrance, qui offre désormais la possibilité d'opter pour le suivi commercial. Cette option représente pour les entreprises une opportunité extraordinaire.

M. Arnaud FLEURY . - En quoi cette expérience des armagnacs Castarède pourrait-elle constituer en modèle pour d'autres entreprises ? Y a-t-il de la place pour toutes, quelle que soit leur taille ?

Mme Claire CAMDESSUS . - Tout à fait. La région compte de nouveaux modes de distribution ainsi que de nombreux importateurs professionnels, notamment dans les domaines des vins et spiritueux et des produits gourmets. Il y a donc de la place pour les petites entreprises et nous avons vocation à aider à identifier les bons importateurs et à organiser le suivi des affaires. Il faut ainsi envisager une stratégie sur le long terme et rencontrer les bonnes personnes.

M. Arnaud FLEURY . - La société Castarède doit donc à présent identifier des distributeurs et vendre plus ?

Mme Florence CASTAREDE . - Nous devons trouver le maximum de clients, et donc des importateurs. Nos armagnacs sont aujourd'hui exportés dans 56 pays et nous souhaitons augmenter ce nombre de deux ou trois pays chaque année. Cet objectif n'est pas simple, il nécessite du temps et de l'énergie.

« Mieux se soigner »

Ont participé à cette table ronde :

M. Pierre MAILLOUX, Directeur export, Amplitude
M. Marc CAGNARD, Directeur Ubifrance, Vietnam

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M. Arnaud FLEURY . - Pouvez-vous nous présenter un panorama des métiers de la santé au sens large : industrie pharmaceutique, technologies médicales et cosmétiques ?

M. Marc CAGNARD . - Il s'agit d'un secteur très porteur pour la France sur la zone ASEAN, dans lequel nous affichons également un excédent commercial. Les opportunités à venir dans ces secteurs sont très fortes, les dépenses en matière de santé présentant des taux de croissance à deux chiffres et certains pays voyant leurs revenus par habitant croître très fortement. Les opportunités sont grandes également du fait du vieillissement des populations et de la croissance des niveaux de vie, et du développement du tourisme médical.

Les produits pharmaceutiques apparaissent sans doute comme le premier sous-secteur à prendre en considération et la France est le quatrième pays fournisseur dans ce secteur. Les cosmétiques représentent un secteur clé pour notre pays et nous occupons la deuxième place dans cette zone.

M. Arnaud FLEURY . - Comment expliquer la position de Singapour sur les cosmétiques ?

M. Marc CAGNARD . - Le rôle de redistribution de Singapour doit être pris en considération dans ce domaine.

Par ailleurs, pour les technologies médicales, les opportunités sont grandes.

Au total, cet environnement est donc très porteur. Pour accéder à ces marchés, il est néanmoins important d'avoir enregistré ses produits localement. Il est également vivement recommandé de s'adosser à un partenaire local, qui facilitera les démarches d'enregistrement et aidera les entreprises à se développer commercialement.

M. Arnaud FLEURY. - Avez-vous l'impression que les Français pourraient mieux faire dans ces secteurs dans lesquels ils sont pourtant traditionnellement forts ? Prospectent-ils la zone suffisamment ? Pourquoi, par exemple, sont-ils positionnés derrière la Belgique dans le domaine de la pharmacie ?

M. Marc CAGNARD . - Nous sommes très actifs sur cette zone. Sanofi compte ainsi trois usines au Vietnam. Avec la société Amplitude et d'autres, les exemples d'entreprises qui réussissent bien dans ces pays ne manquent pas. J'ignore cependant pour quelles raisons la Belgique est positionnée devant la France pour la pharmacie. Notre potentiel dans la zone doit être développé. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous organisons des événements.

M. Arnaud FLEURY . - Dans le domaine de l'équipement médical, la réputation de la France est très bonne. Quels sont les pays à cibler en priorité dans ce domaine ?

M. Marc CAGNARD . - Si l'on considère le potentiel en matière d'importations, Singapour prend la première place, devant la Malaisie et la Thaïlande. Le Vietnam, l'Indonésie et les Philippines présentent un potentiel très important et il faut mettre l'accent dès maintenant sur ces pays.

M. Arnaud FLEURY . - Le tourisme médical se développe-t-il ?

M. Marc CAGNARD . - Oui, il se développe beaucoup en Thaïlande, à Singapour et en Malaisie.

M. Arnaud FLEURY . - Amplitude est une PME située à Valence, dans la Drôme. Il s'agit d'une société de prothèses (genoux, hanches, etc.) Quelle est votre stratégie pour l'ASEAN, région dans laquelle vous n'êtes pas encore très présents ? Avez-vous l'intention de vous y développer ? Cette zone est-elle prioritaire pour votre entreprise ?

M. Pierre MAILLOUX . - Effectivement, il s'agit d'une zone prioritaire. Nous regrettons d'ailleurs de ne pas nous être tournés vers cette zone plus tôt. Notre société a beaucoup crû en France, nous sommes passés de 20 millions d'euros de chiffre d'affaires il y a quatre ans à 65 millions d'euros cette année et de 60 à 175 salariés sur cette période. Nous avons cependant dû faire face à une baisse des prix en Espagne et en Italie, où nous étions bien implantés.

M. Arnaud FLEURY . - L'ASEAN apparaît donc comme un relais pour vous. Quelle est votre stratégie pour cette zone ?

M. Pierre MAILLOUX . - Nous incluons aussi l'Australie dans cette zone. Nous avons ainsi acheté une toute petite société en Australie, du fait d'interconnexions entre les médecins australiens et certains pays de l'ASEAN. Dans notre domaine, l'orthopédie, la chirurgie française jouit d'une réputation internationale, ce qui est très utile pour nous. Dans notre stratégie, nous nous appuyons sur l'Australie ainsi que sur les relations entre les universités françaises et celles qui sont situées dans la zone, pour nous aider à nous développer. J'encourage d'ailleurs nos responsables politiques à favoriser la formation d'experts étrangers en France, qui pourront ensuite jouer un rôle de relais au service de la France quand ils retourneront dans leur pays.

Nous avons identifié deux sortes de pays dans cette zone : les pays avec un potentiel de retour à court terme (Thaïlande, Singapour, Malaisie) et les pays dans lesquels nous anticipons des retours de long terme (Vietnam, Indonésie, Philippines). Cependant, notre implantation au Vietnam a été très satisfaisante et nous avons trouvé dans ce pays un partenaire commercial grâce à Ubifrance.

M. Arnaud FLEURY . - Quel est votre chiffre d'affaires au Vietnam ?

M. Pierre MAILLOUX . - Il s'élève à 150 000 euros à présent, mais nous pensons doubler ce chiffre d'affaires dans un an.

M. Arnaud FLEURY . - Vous m'avez signifié que, dans le domaine de l'équipement médical, il était nécessaire de travailler avec des distributeurs disposant de moyens solides.

M. Pierre MAILLOUX . - Effectivement. Ubifrance nous aide ainsi beaucoup à évaluer la qualité de la trésorerie de nos partenaires. La pose de prothèses nécessite en effet de détenir du matériel spécialisé et relativement onéreux.

M. Arnaud FLEURY . - Vous visez surtout les cliniques privées, car les hôpitaux des pays de l'ASEAN travaillent plus souvent avec du matériel chinois. Les cliniques privées connaissent d'ailleurs un essor considérable dans cette région.

M. Pierre MAILLOUX . - Nous visons en effet le haut de gamme. Nous sommes en concurrence avec cinq grands groupes américains, mais nous devons également faire face à présent à des entreprises chinoises, qui « cassent les prix », mais dont les produits manquent parfois de qualité.

M. Arnaud FLEURY . - Quelle serait votre conclusion sur ce chapitre « mieux se soigner » en ASEAN ?

M. Marc CAGNARD . - Je souhaite retenir la forte coopération qui a été développée avec le Vietnam et la présence de médecins formés en France, qui nous aident beaucoup à connaître et à s'introduire sur ce marché. Je conclurai ensuite en rappelant les opportunités de ce marché et en invitant les entrepreneurs travaillant dans ce secteur à s'y intéresser de près, pour toutes les raisons que nous venons d'évoquer.

« Mieux vivre en ville »

Ont participé à cette table ronde :

Mme Catherine PROCACCIA, Présidente du groupe d'amitié France-Indonésie et Timor-Est
M. Frédéric DITTMAR, Directeur général, Blue Solutions, groupe Bolloré
M. Jean-Philippe ARVERT, Directeur Ubifrance, Indonésie

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M. Arnaud FLEURY . - Nous avons l'impression que les besoins de l'Indonésie sont considérables pour tout ce qui touche à la ville : transports, déchets, eau, gestion urbaine au sens large, etc.

Mme Catherine PROCACCIA . - Tout à fait. Il y a des problèmes de transport à Djakarta, où il apparaît nécessaire de mettre en oeuvre des solutions innovantes. Ces solutions en matière de transport ne peuvent être qu'aériennes. Elles passent par des systèmes de télésièges et de télécabines.

M. Arnaud FLEURY . - Il s'agirait donc de mettre en place à Djakarta des systèmes de transport identiques à ceux que nous connaissons à Grenoble par exemple, pour relier les quartiers excentrés, ceux qui sont situés en hauteur, etc. ?

Mme Catherine PROCACCIA . - Même les quartiers qui ne sont pas situés en hauteur peuvent être reliés avec des dispositifs de ce type, comme c'est d'ailleurs déjà le cas dans le Val-de-Marne. Toutes les villes d'Indonésie sont concernées par ces problèmes de transports en commun, d'assainissement et d'eau potable. Il est donc nécessaire d'investir dans ce pays.

M. Arnaud FLEURY . - Avez-vous l'impression que les pouvoirs publics et les entreprises françaises prospectent ces zones comme ils le doivent ?

Mme Catherine PROCACCIA . - Pour les pays que je connais un peu, comme l'Indonésie et la Malaisie, la situation n'est pas simple. Les administrations y sont très lourdes, la corruption y est très forte et nous avons besoin de disposer de guides sur place. Les potentiels de ces pays semblent toutefois considérables. L'Indonésie est en effet un pays long de 5 000 kilomètres et une compagnie aérienne s'y crée tous les trois mois. Ce pays compte 17 000 îles et l'avion apparaît comme le moyen de circulation le plus efficace.

M. Arnaud FLEURY . - Monsieur ARVERT, quels chiffres illustrent bien les besoins considérables des pays de la zone en matière d'infrastructures ? Quels pays cibler ? Quelles méthodes adopter ?

M. Jean-Philippe ARVERT . - Les infrastructures en matière de transport se sont développées au cours des années précédentes de manière très hétérogène selon les pays. Cependant, les entreprises travaillant dans ce secteur rencontrent des opportunités sur toute cette zone. Si Bangkok, Manille et Kuala Lumpur disposent d'un métro, des constructions de nouvelles lignes sont en projet et Djakarta aura son métro sous peu.

Un projet de train à grande vitesse est à l'étude pour relier Kuala Lumpur à Singapour et la France est positionnée en Indonésie sur un projet ferroviaire, qui reliera Bandung à Djakarta. Cette zone est donc très dynamique, mais il n'est pas facile d'y prospecter. Il faut donc que les entreprises françaises y soient présentes en continu, car nos concurrents européens y sont déjà implantés. En Indonésie, les Pays-Bas sont ainsi plus efficaces que la France. Un partenariat stratégique a été signé entre la France et l'Indonésie en 2011 et nous nous efforçons de développer des échanges entre ces deux pays.

M. Arnaud FLEURY . - Quel est le message à faire passer concernant les partenariats publics-privés (PPP) dans le domaine des infrastructures au sein de la zone ASEAN ?

M. Jean-Philippe ARVERT . - De nombreux projets relatifs aux infrastructures sont financés par les bailleurs de fond, comme l'AFD pour la France. Les PPP peuvent donc prendre un certain temps et, certains projets adoptent une autre forme que ces partenariats, voire sont portés par les provinces et les régions.

M. Arnaud FLEURY . - Pouvez-vous évoquer le rôle des PME, tels que les cabinets de consultants ? Y a-t-il de la place pour elles dans le sillage des grands groupes ?

M. Jean-Philippe ARVERT . - Oui. À moins d'être positionné sur une niche, il est difficile pour une PME d'exporter sur la zone. L'ASEAN est restée dans l'ombre de la Chine pour les entreprises françaises, mais elle fait figure à présent de véritable zone de développement pour nos entreprises. En Indonésie, les besoins en investissements et en infrastructures sont grands, notamment en matière de routes, de chemins de fer et d'aéroports, mais aussi d'assainissement des eaux, d'énergie, etc. Le potentiel est donc énorme et le marché complexe.

M. Arnaud FLEURY . - Outre l'Indonésie, les autres pays de la zone permettent de belles possibilités. Certains ont en effet des besoins importants.

M. Jean-Philippe ARVERT . - Les pays émergents, qui ont accumulé du retard du fait d'un manque de financements et de volonté politique, ont effectivement d'importants besoins.

M. Arnaud FLEURY . - Blue Solutions est une filiale de Bolloré cotée en bourse, qui rencontre un succès impressionnant. En Asie, on peut imaginer votre développement dans des villes sophistiquées et occidentalisées, avec des logiques de véhicules propres et connectés. Quelle est la stratégie de Blue Solutions en ASEAN ?

M. Frédéric DITTMAR . - Nous sommes un groupe qui prend des risques. Notre groupe existe depuis 1822 et appartient majoritairement à M. Vincent Bolloré, qui en est propriétaire à 82 %. Cette situation est d'ailleurs plutôt rare, s'agissant d'une entreprise pesant 11 milliards d'euros. Quand M. Vincent Bolloré prend une décision, l'ensemble de l'entreprise l'applique, sans contestation.

Ce mode de fonctionnement nous permet de réaliser des projets un peu fous. Lorsque nous avons mis en oeuvre notre projet de véhicules électriques à Paris, il y a trois ans, nous n'avions encore vendu aucun véhicule, ni même développé une ligne de solution informatique. Nous sommes un tout petit acteur sur le marché de l'automobile, de même que sur celui des solutions informatiques. L'Europe a raté le marché de l'informatique au détriment des Américains et des Japonais et nous estimons que nous pouvons saisir des opportunités en matière de connexions des villes.

En ce qui concerne la propreté, je rappellerai en outre que, si nous avons parfois pointé du doigt Pékin, nous avons connu un important pic de pollution il y a quinze jours à Paris.

M. Arnaud FLEURY . - Effectivement, nous avons connu un pic de pollution à Paris, mais dont les proportions n'ont pas approché celles que nous constatons en Chine.

M. Frédéric DITTMAR . - Certes. Néanmoins, si nous respections les lois en vigueur, 85 % des Parisiens devraient être délogés. Tout le monde a envie de vivre dans une ville propre et les solutions que nous mettons en place dans les villes sont connectées.

Avec notre système, vous pouvez réserver un véhicule à l'avance, puis réserver une place lorsque vous montez dans le véhicule. C'est cette connexion qui permet une valeur ajoutée en termes de service.

Tous les continents, Asie comprise, sont aujourd'hui demandeurs d'indépendance énergétique. En proposant des solutions avec des villes propres, connectées et énergétiquement indépendantes, nous souhaitons approcher le marché de l'ASEAN.

M. Arnaud FLEURY . - Quelle est votre stratégie sur la zone ?

M. Frédéric DITTMAR . - Notre stratégie est double et permet de s'adresser à l'ensemble des pays, quel que soit leur niveau de richesse.

Nous sommes déjà implantés dans cette région. Ceux qui ont la chance de visiter le site d'Angkor se rendent compte que ce site est très pollué par des véhicules thermiques. Il y a seulement six mois, nous avons mis en place une ferme solaire à l'entrée du temple. Nous stockons ainsi l'énergie du soleil dans des shelters ( abris ) et alimentons nos véhicules électriques. Nous comptons à présent cinq véhicules électriques, ainsi qu'un bus électrique, qui permet de visiter Angkor.

M. Arnaud FLEURY . - Pour l'Autolib, il me semble que vous avez entamé une phase de réflexion avec Singapour.

M. Frédéric DITTMAR . - Effectivement, je vais d'ailleurs devoir vous quitter prématurément pour rencontrer une délégation venant de Singapour, qui souhaite examiner les projets que nous avons mis en place à Paris, Lyon, Bordeaux et Londres. Singapour est beaucoup moins polluée que Paris, mais souhaite s'inscrire dans une logique préventive. À Singapour, 90 % des habitants sont propriétaires de leur logement et seulement 10 % d'entre eux de leurs véhicules, contrairement aux situations que nous rencontrons dans la plupart des autres villes du monde.

M. Arnaud FLEURY . - Dans quelles autres mégapoles de l'ASEAN des systèmes d'Autolib peuvent-ils être mis en place ? Manille, Djakarta, Saïgon, Hanoï ? Est-ce encore trop tôt ?

M. Frédéric DITTMAR . - Pour les villes que vous avez citées, il est encore trop tôt. Il faut d'abord prévoir une solution de transport de masse en effet, pour qu'un système tel que celui d'Autolib prenne du sens pour une mise en oeuvre à grande échelle. Cependant, dans des pays comme le Japon, la Corée ou certaines villes de Chine, Autolib prend tout son sens.

M. Arnaud FLEURY . - D'une façon générale, Bolloré souhaite participer à la création de « cités bleues » 3 ( * ) , d'écosystèmes dans lesquels l'eau, l'électricité et l'éducation sont repensées. Y a-t-il de la place dans les pays de l'ASEAN pour se projeter dans ces villes du futur ?

M. Frédéric DITTMAR . - Oui, c'est possible. Plus de 50 % de la population habite en ville, ce qui est considérable. Aux États-Unis, 85 % de la population habite en ville. De plus, au sein d'un pays riche, certaines zones peuvent être éloignées les unes des autres et les infrastructures électriques qui les relient coûteront donc cher. Nous allons inaugurer la semaine prochaine des blue cities au Niger, en Guinée, au Togo et au Cameroun. Grâce à l'énergie éolienne ou solaire stockée dans nos shelters nous créons des « cités bleues » , avec un hôpital et des espaces d'éducation.

M. Arnaud FLEURY . - Ce modèle est-il duplicable en Asie ?

M. Frédéric DITTMAR . - Ces projets sont parfaitement duplicables en Asie. Nous allons mener des tests dans quatre pays africains en 2014 et avons l'objectif de les dupliquer en 2015.

M. Arnaud FLEURY . - Madame la Présidente, pouvez-vous conclure cette table ronde ?

Mme Catherine PROCACCIA . - Le potentiel de l'ASEAN est considérable. La France et l'Europe se sont concentrées durant des années sur la Chine, l'Inde et le Vietnam pour des raisons historiques. Pendant ce temps, nos concurrents se sont installés en ASEAN, mais le marché y est tellement considérable qu'il y a encore de la place pour les entreprises françaises. Pour s'y rendre, ces dernières doivent être bien informées et prendre attache avec les antennes d'Ubifrance, les chambres de commerce, les ambassades, etc. Je pense aussi aux autres entreprises françaises qui y sont déjà implantées et qui sont sans doute prêtes à leur donner des conseils.

En Indonésie, s'il semble difficile aujourd'hui d'envisager un système de véhicules propres, les problèmes de transport sont cruciaux. Le covoiturage devient dans ce pays un marché et les besoins en matière de transport y sont donc particulièrement importants.

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« Mieux communiquer »

Ont participé à cette table ronde :

M. Jacques LEMANCQ, CEO, Broadpeak
M. Grégory VERET, CEO et Fondateur, Xooloo
M. Frédéric MUSSO, Directeur général, M. Target
M. Frédéric ROSSI, Directeur Ubifrance, Singapour

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M. Arnaud FLEURY . - Monsieur Rossi, pouvez-vous nous rappeler les enjeux attachés à la communication dans la zone ?

M. Frédéric ROSSI . - Les enjeux de la communication dans la zone sont multiples. Le taux d'équipement en mobiles y est très élevé, alors que celui en Smartphones est très disparate. Il est élevé à Singapour, mais suit le niveau de développement pour les autres pays. Les réseaux sociaux, les applications mobiles et l'audiovisuel (tant pour les infrastructures que pour les contenus) y sont également en fort développement. La totalité des pays de la zone, à l'exception des Philippines, a choisi la norme européenne pour la télévision numérique.

Pour le mobile, le revenu moyen par abonné est très faible et il semble donc nécessaire d'identifier de nouveaux business models et faire preuve d'adaptabilité. Cette zone compte en outre l'un des trois gros opérateurs asiatiques, SingTel, basé à Singapour. Il s'agit même de l'un des plus importants opérateurs au monde et du deuxième opérateur australien, présent également au Moyen-Orient et en Afrique. Nous pouvons donc travailler avec lui pour des solutions sur l'ensemble du monde.

M. Arnaud FLEURY . - Monsieur LEMANCQ, votre société Broadpeak, créée en 2010, dispose d'un bureau à Singapour. Vous proposez des solutions de câblage pour des téléphones, de la vidéo à la demande (VOD) et de la télévision directe pour tablettes et Smartphones . Il s'agit de marchés en plein essor. Quelle est votre stratégie dans les pays de l'ASEAN ?

M. Jacques LEMANCQ . - Nous avons choisi de commencer par Singapour pour nous attaquer à l'ASEAN et à l'Asie. Nous avons commencé ce travail au début de l'année 2012 avec l'aide d'Ubifrance et avons mis en place un duo commercial - VIE (Volontariat International en Entreprises) pour l'avant-vente. À Singapour, nous avons signé un contrat avec Starhub, l'opérateur principal de ce pays pour le câble. Nous avons ensuite pu prospecter sur toute cette zone.

M. Arnaud FLEURY . - S'agissait-il d'un contrat important pour vous ?

M. Jacques LEMANCQ . - Ce contrat a nécessité beaucoup de travail localement, chez le client, avec les opérateurs des télécoms ou de câble.

L'Asie-Pacifique représente une région très importante pour nous, et plus particulièrement l'ASEAN. Outre Singapour, nous constatons également des opportunités en Malaisie, avec Telecom Malaisia, au Vietnam, avec de nombreux entrants, en Thaïlande ainsi qu'aux Philippines.

M. Arnaud FLEURY . - Il est donc intéressant d'être positionné à Singapour pour rayonner et attaquer ces opérateurs depuis cette base.

M. Jacques LEMANCQ . - Cette ville n'est pas polluée et il s'agit d'une excellente localisation pour développer une affaire et installer un bureau. De cette place, nous pouvons effectivement rayonner sur l'ASEAN, ainsi que sur l'Asie du Sud. Grâce à ce bureau, nous avons d'ailleurs signé un projet au Sri Lanka, ainsi qu'à Taïwan.

L'année dernière, Broadpeak a réalisé 16 % de son chiffre d'affaires sur la zone Asie-Pacifique.

M. Arnaud FLEURY . - Quel est votre objectif pour 2014 ?

M. Jacques LEMANCQ . - Nous souhaitons faire passer cette part de 16 % à 25 %.

M. Arnaud FLEURY . - Le cloud constitue-t-il la révolution de demain pour l'ASEAN ?

M. Jacques LEMANCQ . - Les coûts des infrastructures réseaux sont encore plus élevés en ASEAN qu'en Europe et aux États-Unis. Les acteurs du cloud peuvent effectivement saisir de nombreuses opportunités dans la zone.

M. Arnaud FLEURY . - Quel message voudriez-vous faire passer en priorité concernant cette zone ?

M. Jacques LEMANCQ . - Singapour constitue une bonne porte d'entrée non seulement pour l'ASEAN, mais aussi pour toute l'Asie. De plus, c'est avec le soutien d'Ubifrance et de deux collaborateurs sur place (un VIE et un commercial) que nous avons pu faire la différence.

M. Arnaud FLEURY . - Monsieur VÉRET, vous êtes le patron de Xooloo, créée il y a 14 ans. Cette entreprise compte 12 collaborateurs et propose des solutions de contrôle parental dans tous les environnements numériques. Quelle est votre stratégie pour l'ASEAN ?

M. Grégory VERET . - Nous nous sommes rendus à un salon des télécoms à Singapour en février 2013, qui s'est très bien déroulé. Nous avons ensuite eu la chance de faire partie de la délégation des PME qui ont accompagné le Premier ministre lors de son voyage officiel en Malaisie.

Quelques semaines plus tard, nous avons signé notre premier contrat à Singapour, avec un opérateur de très haut débit. Nous discutons avec de très importantes entreprises asiatiques, positionnées dans tous les pays de cette région, et nous espérons signer un ou deux contrats en Malaisie et à Singapour avec eux avant la fin de l'année. S'agissant de solutions grand public de protection et d'accompagnement des enfants pour les nouvelles technologies qui comportent également des aspects politiques, nous signons généralement des corporate deals (accords d'entreprises). C'est ainsi le client qui déploie nos solutions dans ses filiales.

M. Arnaud FLEURY . - Souhaitez-vous vous implanter localement ou acheter de l'espace dans les « centres de données » 4 ( * ) ?

M. Grégory VERET . - Nous n'avons pas prévu d'ouvrir de bureau, mais d'occuper des infrastructures techniques, afin d'être en mesure de servir nos clients avec des capacités techniques locales.

M. Arnaud FLEURY . - Singapour représente-t-elle la meilleure porte d'entrée sur l'ASEAN selon vous ?

M. Grégory VERET . - Singapour ou Kuala Lumpur constituent deux portes d'entrées intéressantes. Nous avons été très surpris par l'attitude volontariste des autorités malaisiennes concernant les nouvelles technologies et la création d'infrastructures télécom robustes, ainsi qu'une sorte de Silicon Valley en Malaisie. Pour notre première infrastructure, nous hésitons donc entre Singapour et la Malaisie, bien que notre premier contrat ait été signé à Singapour.

M. Arnaud FLEURY . - À terme, quel pourcentage de votre chiffre d'affaires l'ASEAN pourrait-elle représenter ?

M. Grégory VERET . - 20 %, je pense. Déjà à présent, la majorité de nos revenus proviennent de l'export.

M. Arnaud FLEURY . - Qu'en est-il des pays moins avancés, tels que le Cambodge, l'Indonésie, les Philippines et le Vietnam ?

M. Grégory VERET . - Les opérateurs importants de la zone occupent des positions dans tous ces pays et notre prochaine étape sera de nous implanter en Australie et certainement au Vietnam.

M. Arnaud FLEURY . - Monsieur MUSSO, vous travaillez dans le domaine du marketing mobile par SMS.

M. Frédéric MUSSO . - Nous proposons des solutions de marketing digital par SMS, par courriel et sur Facebook.

M. Arnaud FLEURY . - Vous vous adressez aux opérateurs ainsi qu'à d'autres clients, comme la FNAC ou Darty. Pour votre stratégie en Asie, vous avez débuté par le Vietnam.

M. Frédéric MUSSO . - Nous avons commencé par nous intéresser à des pays présentant de forts taux d'utilisation de mobile, une population jeune et un fort développement dans le domaine des sollicitations par SMS. Nous avons ouvert une filiale au Vietnam et allons ouvrir un bureau de représentation au Cambodge.

M. Arnaud FLEURY . - Vous avez donc créé une filiale, avec un partenaire local.

M. Frédéric MUSSO . - Nous avons nommé un responsable recruté localement, qui travaille cependant exclusivement pour M. Target. Nous avons également signé des partenariats exclusifs, que nous avons identifiés grâce à Ubifrance, et noué des relations avec des opérateurs.

Au Vietnam, il convient de ne pas perdre de vue que le poids de l' intuitu personae est très fort dans le monde des affaires. Il est ainsi nécessaire d'être présent sur place pour développer ses affaires.

M. Arnaud FLEURY . - Les opérateurs se développent dans tous les pays de l'ASEAN et ont donc besoin d'acheter des solutions.

M. Frédéric MUSSO . - Tout à fait. Un opérateur vietnamien est également présent en Afrique, au Cameroun et au Mozambique.

M. Arnaud FLEURY . - Quelle est la première condition pour réussir ? Faut-il être particulièrement performant sur le prix ?

M. Frédéric MUSSO . - Il faut être très bon sur le prix d'abord, car, au Vietnam, c'est d'abord le prix qui fait la différence, la qualité venant ensuite.

M. Arnaud FLEURY . - Dans tous ces secteurs, avez-vous l'impression que les Français sont conscients du potentiel que l'ASEAN représente ou qu'ils sont en retard ?

M. Frédéric MUSSO . - Selon moi, ils sont en retard. Les entreprises françaises sont en effet très peu présentes dans notre secteur en Asie, même au Vietnam ou au Cambodge, contrairement aux entreprises anglaises. Cette zone présente pourtant de formidables opportunités, avec une population très jeune, qui souhaite consommer et obtenir des informations précises. De leur côté, les marques souhaitent de plus en plus s'adresser à leurs clients, via de nouveaux médias.

M. Arnaud FLEURY . - Les réseaux des pays de cette zone se sont beaucoup améliorés.

M. Frédéric MUSSO . - Oui ; tout le Vietnam est couvert par le réseau 3G.

M. Arnaud FLEURY . - Quels sont vos projets sur cette zone ?

M. Frédéric MUSSO . - Nous souhaitons nous implanter au Cambodge, puis aux Philippines. Nous envisageons également de travailler à Singapour et en Malaisie avec des partenaires locaux.

M. Arnaud FLEURY . - Vous êtes aussi présents en Afrique et l'Asie pourrait faire office pour vous de deuxième support de croissance.

M. Frédéric MUSSO . - Effectivement. Nous proposons et vendons des services en Asie pour toucher l'Europe. De nombreux partenaires souhaitent ainsi envoyer des SMS depuis l'Asie pour cibler des consommateurs européens.


* 3 « Blue cities » dans le texte.

* 4 Data center, dans le texte.

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