QUELQUES TÉMOIGNAGES SECTORIELS

M. Pierre OLINGER, délégué Pays du Moyen-Orient, Exploration et Production, Total

Quelles évolutions pour le secteur pétrolier ?

Mesdames et Messieurs, c'est un honneur de vous présenter mon témoignage au sujet de l'expérience de Total et des évolutions du secteur pétrolier en Iran. Je concentrerai mon exposé sur le secteur de l'exploration-production et répondrai, dans la mesure du possible, aux questions relatives à l'aval pétrolier et la pétrochimie.

Pour commencer, je souhaite rappeler la place importante de l'Iran sur la scène énergétique mondiale. L'Iran détient respectivement 10 % et 18 % des réserves pétrolières et gazières mondiales, étant entendu que ces chiffres n'intègrent pas le potentiel d'hydrocarbures de schiste dans les autres pays. Par ailleurs, il se place aux quatrième et deuxième rangs mondiaux en matière de réserves pétrolières et gazières et partage avec le Qatar une part importante de South Pars, le plus grand champ gazier du monde.

Pour autant, la production iranienne de pétrole et de gaz représente moins de 5 % de la production mondiale. Le potentiel de développement de sa capacité de production est donc important et, couplé au fait que les coûts de production dans la région sont parmi les plus faibles du monde, ces deux facteurs expliquent l'intérêt que l'Iran suscite chez les compagnies internationales.

Ces rappels effectués, je peux maintenant aborder la question des réalisations de Total en Iran.

De 1955 à 1975, Total faisait partie du consortium de majors qui exploraient et exploitaient le pétrole iranien pour le compte de la compagnie nationale NIOC. La production atteignait alors environ six millions de barils par jour. Naturellement, cette présence a pris fin en 1979, avec la nationalisation des ressources consécutive à la Révolution iranienne.

Total a été la première compagnie à revenir en Iran après la guerre avec l'Irak, en signant en 1995 le premier contrat buy back 6 ( * ) relatif au développement du champ de Siri. Le groupe a signé en 1997 un autre contrat de ce type pour le site de South Pars, avec une capacité de production évaluée à vingt milliards de mètres cubes par an. Puis, deux autres contrats buy back ont été signés en 1999 pour les sites de Balal et Dorud, ce dernier ayant connu un développement de sa capacité de production aux alentours de 75 000 barils par jour, grâce à l'ajout de nouveaux puits et d'injections sur un champ préalablement en production.

Les investissements totaux sur ces quatre projets représentent environ quatre milliards de dollars, dont la moitié à la charge de Total.

Parallèlement, Total a collaboré avec la NIOC et la compagnie malaisienne Petronas au développement d'un projet d'usine de gaz naturel liquéfié. Cependant, celui-ci a été suspendu en raison de la conjoncture politique et économique.

En 2008, Total a décidé de se retirer d'Iran et le renforcement des régimes de sanctions depuis 2010 n'a fait que conforter le groupe dans cette décision. Toutefois, celui-ci a maintenu sa présence à Téhéran, par l'intermédiaire d'un bureau de représentation, et entretient toujours des liens avec les autorités pétrolières et la NIOC.

Je souhaite désormais détailler la nature du contrat buy back , qui constitue une spécificité iranienne. Pour simplifier ma démonstration, je prendrai le cas d'un contrat pour le développement de réserves déjà découvertes et ne nécessitant donc pas d'exploration préalable.

Dans le cadre d'un tel contrat, la compagnie pétrolière réalise et finance les travaux de conception, les forages des puits et les installations de production du champ pour le compte de la NIOC. Elle prend donc en charge le début de la production, puis cède l'opération à la compagnie nationale. La compagnie pétrolière est ensuite remboursée de son financement suivant un calendrier fixé dans le contrat et touche une rémunération généralement calculée en pourcentage de l'investissement consenti.

Parallèlement au contrat principal est signé un contrat auxiliaire prévoyant le droit de rachat buy back d'une partie de la production à un prix de marché par la compagnie internationale. La revente des volumes correspondants sur le marché international lui permet ainsi de réaliser des gains équivalents au remboursement et à la rémunération qui lui sont dus par la NIOC.

Pour vous donner un ordre de grandeur, la période allant de la construction des installations à la mise en production dure généralement de trois à cinq ans. Les remboursements sont, pour leur part, étendus sur sept années et la rémunération est de l'ordre de 70 % des dépenses contractuelles.

Le contrat buy back se différencie de la majorité des contrats pétroliers usuels, qui offrent un rôle beaucoup plus large aux compagnies et une rémunération plus incitative, liée notamment au volume des produits et/ou au prix des hydrocarbures.

Dès lors, quel bilan tirer de l'expérience de Total au sujet de ces différents projets buy back ?

Le groupe a mis en place près de 600 000 barils par jour de capacité additionnelle de production de pétrole et de gaz pour le compte de la NIOC, sans que celle-ci n'ait eu à dépenser le moindre dollar en amont de la production. Par ailleurs, il a développé sur le projet South Pars le premier schéma de transport de flux mélangés liquide et gaz sur plus de cent kilomètres, ce qui constituait alors une véritable prouesse technologique.

En outre, l'action de Total a permis un transfert local de compétences et de ce fait, une création de valeur pour l'économie iranienne. À titre d'exemple, 750 ingénieurs, techniciens et managers iraniens ont été formés sur le site de South Pars et bon nombre de ces personnes forment aujourd'hui l'ossature des opérationnels sur le champ.

Les succès précités expliquent largement la bonne image dont Total bénéficie actuellement en Iran et constitueront un atout majeur pour un éventuel retour du groupe le jour venu.

Sur le plan financier, le bilan apparaît correct, bien que les résultats soient en deçà des prévisions formulées lors des prises de décision d'investissement. Il y a là une anomalie, dans la mesure où les contrats buy back assurent théoriquement un remboursement et une rémunération fixes. Cependant, il faut signaler que ceux-ci sont assortis de clauses pénales très préjudiciables aux intérêts des compagnies étrangères.

En outre, la nature même du contrat buy back est porteuse de difficultés. Le problème du plafond des dépenses remboursables apparaît à ce titre exemplaire, dans la mesure où il oblige la compagnie internationale à s'engager contractuellement sur un plan de développement et une estimation de coûts, alors que celle-ci ne dispose pas d'informations techniques suffisantes pour procéder à une évaluation correcte.

Par ailleurs, le contrat buy back ne tire pas profit des compétences des compagnies internationales en matière d'optimisation de la production et de gestion des réservoirs, dans la mesure où leur action est cantonnée à la phase de développement. De même, le mode de rémunération fixe et non incitatif de ces contrats ne correspond pas au modèle d'entreprise propre aux organisations internationales.

Le contexte de fermeture de l'Iran a considérablement nui aux performances des entrepreneurs, notamment locaux, ainsi qu'au développement d'infrastructures et d'administrations performantes autour des sites, engendrant des délais et des surcoûts importants.

De plus, l'application parfois rigide des contrats buy back , inadaptée à des projets complexes, ainsi que la difficulté à obtenir les approbations nécessaires en cas de changement de scope engendrent des délais et des retards et, par conséquent, une dégradation de la rentabilité.

Enfin, si les négociateurs iraniens apparaissent particulièrement habiles et professionnels, le système qui sous-tend leur action se définit par une certaine méfiance à l'égard des compagnies étrangères.

Dans l'ensemble, les projets aboutis ou avortés de Total ont représenté une belle aventure. Des liens solides ont été tissés avec la NIOC et certains entrepreneurs, que ce soit à haut niveau ou à l'échelle des équipes, et le groupe compte de nombreux passionnés de l'Iran en son sein.

Cela étant, quelles évolutions se dessinent pour le secteur exploration-production et les contrats afférents ?

Pour augmenter leur capacité de production tant pétrolière que gazière, les nouveaux dirigeants pétroliers iraniens ont défini plusieurs priorités encore sujettes à d'éventuels changements. Dans ce cadre, le développement des grands champs vierges, tels qu'Azadegan et Yadavaran à la frontière irakienne, apparaît comme un enjeu central, de même que l'amélioration de la récupération sur les grands champs matures, notamment Ahvaz.

En ce qui concerne le gaz, les autorités font du développement de South Pars une priorité, y compris pour l'export régional ou sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL). Celles-ci sont conscientes, selon nous, de la nécessité d'apports financiers et technologiques en provenance des compagnies étrangères, notamment occidentales, pour porter leurs projets sur le court et le long terme.

Les effets d'annonce visant à inciter les entreprises étrangères à revenir travailler en Iran ne suffisent pas à éclipser la faible attractivité des contrats actuels. Depuis dix ans, des réflexions sont menées afin d'améliorer les contrats buy back . Cependant, elles se heurtent à certaines contraintes constitutionnelles ou légales, qui rendent cette réforme particulièrement sensible politiquement.

Une impulsion décisive a été donnée par le nouveau gouvernement, via la création d'un comité ad hoc sous la présidence de Mehdi Hosseini, inventeur du contrat buy back dans les années 1990. Celui-ci a abouti à l'élaboration d'un nouveau modèle original, l' Iran Petroleum Contract , qui, selon nos sources, couvrirait tout le cycle d'un champ, encouragerait les compagnies internationales à conclure des partenariats avec la NIOC ou d'autres entités iraniennes, afin de favoriser le transfert de compétences, et instituerait une rémunération plus incitative, liée aux niveaux du risque et de la difficulté des projets.

Pour autant, le modèle comporte des incertitudes résiduelles relatives à la suppression réelle du plafond de remboursement et aux modalités de gouvernance ayant trait à la gestion des projets au sein des partenariats conclus entre les compagnies internationales et la NIOC.

En novembre 2014, la NIOC prévoit de présenter au cours d'une conférence à Londres le nouveau contrat type pétrolier ainsi que les champs faisant l'objet de propositions de la part des compagnies internationales.

Les sanctions empêchent pour le moment toute activité d'exploration-production de la part des compagnies internationales en Iran. Leur levée est une condition nécessaire, bien qu'insuffisante, au retour des investissements émanant de compagnies soumises aux régimes américain et/ou européen.

Pour conclure, il est évident que les ressources en hydrocarbures de l'Iran en font un pays important pour l'alimentation du marché énergétique mondial. Son vivier humain de grande qualité et son industrie pétrolière et parapétrolière de bon niveau rendent possible l'activité des compagnies internationales sur son sol, à condition qu'elles s'adaptent aux modes de pensée d'un pays ancien, au fonctionnement très différent du nôtre.

L'Iran est conscient de son retard et a besoin de technologies et d'investissements étrangers. Par ailleurs, si le nouveau type de contrat pétrolier en préparation apporte des améliorations au modèle buy back , il ne fera probablement pas de ce pays l'eldorado rêvé par les compagnies étrangères.

M. Patrick BLAIN, président du Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA)

* 6 Littéralement, contrat de rachat, à un prix fixé en référence à celui du marché.

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