TABLE RONDE 1 - QUEL AVENIR POUR LES ÎLES DU PACIFIQUE FACE AU DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE ?

Table ronde animée par M. Serge MASSAU, journaliste à Outre-mer 1 ère

Ont participé à cette table ronde :

M. Robert LAUFOAULU, Sénateur des Iles Wallis et Futuna, Président délégué pour Fidji du groupe d'amitié France-Vanuatu-Iles du Pacifique

M. Lam DANG, Directeur de la législation au Parlement des États fédérés de Micronésie

S.E. M. Christian LECHERVY, Secrétaire permanent de la France pour le Pacifique, Ambassadeur représentant permanent de la France auprès de la Communauté du Pacifique

M. Anthony LECREN, membre du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, en charge de l'aménagement foncier, des affaires coutumières, de l'écologie et du développement durable

M. Serge MASSAU. - Bonjour et bienvenue à cette première table ronde dédiée à l'avenir. On entend beaucoup, ces derniers temps, dire que les océans sont les grands absents de cette COP21 alors que les habitants des îles basses du Pacifique sud sont annoncés comme les premières victimes du réchauffement climatique. Pourtant, on parle encore du Pacifique comme prochain centre du monde géostratégique et du développement de l'économie des océans avec l'extraction des minerais, la pêche, les énergies renouvelables. Encore une fois, les États insulaires du Pacifique ont uni leurs voix en avril dernier à l'occasion de la déclaration de Lifou d'Océania 21 en Nouvelle-Calédonie, une déclaration qui appelle à réussir cette COP21.

Alors pour entendre la voix de l'océan, rien de tel que d'écouter les Océaniens, habitants du plus grand océan du monde, l'Océan Pacifique, et les spécialistes de la région pour aborder la question des incidences du réchauffement climatique sur les îles du Pacifique.

Cette première table ronde nous donnera donc l'occasion de nous interroger : « Quel avenir pour les îles du Pacifique face au dérèglement climatique ? ». Nous allons en parler avec M. Robert Laufoaulu, sénateur des îles Wallis et Futuna, avec M. Christian Lechervy, secrétaire permanent de la France pour le Pacifique, avec M. Lam Dang, directeur de la législation au Parlement des États fédérés de Micronésie, et avec M. Antony Lecren, membre du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

Pour commencer très concrètement, je vais laisser la parole à M. Robert Laufoaulu, sénateur des îles Wallis-et-Futuna et également Président délégué du groupe d'amitié France-Vanuatu-Îles du Pacifique, plus spécialement en charge des relations avec les îles Fidji. Monsieur le sénateur, vous allez nous parler spécialement des incidences du réchauffement climatique, à Wallis et Futuna. Quelles solutions y apporter au quotidien ? Je vous laisse la parole.

M. Robert LAUFOAULU. - Madame la Présidente, Monsieur le Président de la République, chers collègues parlementaires, Monsieur le membre du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, Messieurs les ambassadeurs, Monsieur le secrétaire exécutif de la commission océanographique intergouvernementale, Mesdames et Messieurs. Le réchauffement climatique est-il seul responsable de la montée des eaux ? Pouvons-nous limiter celle-ci à 1, 2 ou 3 centimètres ? Quelle est la part de responsabilité humaine ? Quelle île est la plus menacée et à quelle échéance ?

Toutes ces questions sont nécessairement sujettes à discussions, voire à controverses, et bien d'autres que moi sont mieux à même de vous les exposer. Aussi m'a-t-il semblé plus intéressant, plutôt que de faire une intervention générale, de vous parler de la réalité concrète de ce petit bout de France des antipodes, Wallis et Futuna, que je représente au Sénat.

Quel avenir pour Wallis et Futuna face au dérèglement climatique ?

Ce qui vient immédiatement à l'esprit, me semble-t-il, à entendre la formulation de la question, c'est « par rapport à tous les scénarios d'inondation des milliers d'îles et d'archipels de la région Pacifique, quelle est la situation de Wallis et Futuna ? Par rapport aux prévisions du GIEC, comment Wallis et Futuna s'en sortiront-ils ? ».

En effet, nos îles, comme l'ensemble des îles basses de la région Pacifique, se trouvent en première ligne d'un affrontement qui sera de plus en plus fréquent et de plus en plus violent avec les tempêtes, les cyclones et les inondations diverses.

Une modélisation de l'éventuelle submersion de nos îles a été réalisée sur la base d'une élévation du niveau marin de 50 cm. Bien sûr, c'est une catastrophe annoncée, car des centaines d'habitations seront alors vouées à rejoindre le monde sous-marin.

L'organisation de la vie traditionnelle a toujours privilégié la fixation de la population des villages sur les côtes, afin de recevoir plus directement la brise des alizés, d'être à proximité des sources d'eau douce, du platier et des palétuviers pour la cueillette et le ramassage des coquillages et des crustacés, à proximité des récifs pour la pêche, des tarodières pour l'alimentation quotidienne. Une telle concentration n'est plus aussi dense aujourd'hui, mais il n'en demeure pas moins qu'une grande partie de la population vit encore en bord de mer. C'est donc un déplacement important de personnes qu'il faut envisager dans l'idée d'un scénario catastrophe.

La population de Wallis et Futuna est déjà bien sensibilisée au problème de la montée des eaux, car nous avons toujours connu des inondations et des phénomènes climatiques compliqués comme des tsunamis, des cyclones et des grandes marées. Durant ces deux dernières décennies, suite à des cyclones, des côtes ont été inondées, entraînant l'évacuation provisoire des populations de certains villages. Le subconscient collectif semble avoir intégré les caprices de la nature, et avoir créé un certain fatalisme chez les gens : « C'est ainsi, on verra bien », disent-ils. C'est la mentalité même de ces populations qui vivent en permanence à la merci des phénomènes climatiques extrêmes depuis des siècles. Quand il a fallu installer les premières sirènes d'alerte de tsunami, il y a une dizaine d'années, les responsables ont rencontré beaucoup de difficultés à faire partir les habitants des côtes, qui préféraient s'en remettre à la providence et à la protection divine plutôt qu'à la technique et aux alarmes.

Les choses changent heureusement, cependant, et pour nos populations, le drame de Fukushima, me semble-t-il, a contribué fortement à cette évolution des mentalités. En effet, elles ont vécu l'événement en direct à la télévision, à une heure de grande écoute. Les images terribles de l'énorme vague déferlant sur les côtes, écrasant et emportant tout sur son passage ont certainement ébranlé leur fatalisme. Les sirènes sont maintenant associées à quelque chose de concret. Je mets sur le compte de ce spectacle cataclysmique l'apparition d'une nouvelle et insistante préoccupation des chefs de villages, surtout à Futuna, à ouvrir et aménager des accès à proximité des villages pour faciliter une évacuation rapide des populations dès le déclenchement des sirènes ou l'annonce d'une montée de la mer.

Si ce déplacement de populations vers les zones élevées de nos îles est désormais une préoccupation, la question d'une émigration climatique, vers d'autres îles, ne se pose absolument pas. Concrètement, les terrains disponibles pour un déplacement interne, des côtes vers les hauteurs, sont suffisamment nombreux pour accueillir l'ensemble des habitants.

Il faut avouer qu'un mouvement de peuplement de l'intérieur de nos îles est déjà amorcé, aussi bien à Wallis qu'à Futuna, et je pense que c'est la conséquence d'une prise de conscience de la population de ce qui se passe et de la nécessité de trouver des solutions face aux événements climatiques qui ont surpris et contribué à renforcer un sentiment d'insécurité sur les côtes.

Ce mouvement est facilité dans certains villages, où une redistribution du foncier communautaire était de toute façon nécessaire pour permettre aux jeunes de sortir du foncier indivisible familial essentiellement situé sur les côtes en s'installant à l'intérieur des îles.

Il s'avère maintenant nécessaire pour la collectivité d'inscrire tout cela dans une stratégie territoriale globale et bien ciblée. On en parlait encore hier soir avec le préfet, le président de l'Assemblée territoriale de Wallis et Futuna, le député et la mission de l'assemblée territoriale présente actuellement à Paris. La situation exacte doit être connue pour l'élaboration d'un tel projet. Quelques études existent mais il faudra poursuivre dans cette constitution de bases de données essentielles à une prise de décision adéquate. Il faut envisager les conséquences des perturbations liées au réchauffement climatique, certes dans leur soudaineté, mais aussi dans leur lente et progressive avancée qui peut s'étendre dans le temps.

On peut dire que la lutte contre les effets du changement climatique est déjà en cours dans le territoire. Les côtes érodées par les cyclones, par les marées et par les inondations sont protégées par des enrochements, des murs de protection, la restauration des écosystèmes, la protection des plages, la plantation de palétuviers et de vétiver... Ce sont bien sûr des mesures provisoires par rapport à la montée de l'océan, que l'on sait désormais certaine et progressive. Elles seront inévitablement obsolètes et inefficaces si les choses devaient empirer.

La montée des océans n'a pas seulement des conséquences pour l'habitat côtier. Un autre grave problème qui nous menace est la question de l'eau douce. La protection de celle-ci est un combat qui mérite d'être mené. L'eau douce, c'est la vie, et nous avons à Wallis ce privilège rare de disposer d'une énorme nappe phréatique en plein océan, qui correspond à une vingtaine de fois les besoins de la population de l'île. La lutte contre sa contamination par l'infiltration de produits toxiques ou nuisibles peut être à notre portée par des mesures de prévention et de pédagogie. Mais la préservation de la nappe face à la montée du niveau de la mer est quasiment impossible. Les études et les simulations dont nous disposons montrent le danger auquel elle est exposée.

Le secteur primaire sera le premier à en souffrir. Par exemple, les tarodières, essentiellement situées sur les côtes et d'où les populations, surtout celles qui sont sans emploi, tirent une partie de leurs revenus, disparaîtront entièrement car l'eau de mer se substituera à l'eau douce et les rendront infertiles. Ainsi, outre le déplacement des populations vers les parties hautes de nos îles, la submersion des côtes aura des effets dramatiques sur l'économie déjà si faible et fragile du territoire.

Toutes ces mesures nécessitent des moyens et bien évidemment se pose la question de leur financement. La collectivité et l'État ne feront pas défaut mais les coûts seront énormes.

D'autres fonds, extérieurs, pourront-ils être sollicités ? C'est un point qui pourrait être soulevé dans le cadre de la demande de compensation qui est, je le sais, l'un des enjeux majeurs pour l'ensemble des responsables et gouvernants des îles du Pacifique et je crois que Wallis et Futuna devrait s'associer à ce mouvement.

C'est face à une telle situation de danger que l'on sent le besoin de se rapprocher de ses voisins qui sont confrontés aux mêmes risques. On se rappelle les adages pleins de bon sens, comme « l'union fait la force ». Il faut porter ensemble le combat de la lutte contre l'émission des gaz à effet de serre, mais aussi et peut-être surtout, tenter de convaincre les pays grands producteurs de CO 2 de leur responsabilité et de leur juste solidarité à l'égard des îles dont ils menacent l'existence même par leur développement économique et humain.

Les instances de coopération régionale s'efforcent de jouer ce rôle moteur et fédérateur, en particulier le Forum des îles du Pacifique qui chaque année adopte des déclarations communes, mais aussi le Secrétariat général de la Communauté du Pacifique (CPS), le Programme régional océanien de l'environnement (PROE) et d'autres institutions et associations régionales dont je salue l'action efficace.

Les actions concrètes sont difficiles à mettre en place. Les gouvernements des îles semblent hésiter entre deux attitudes : résister, construire des digues, sans savoir si cela est encore possible, ou bien se déplacer en abandonnant les lieux. A Wallis, comme je le disais tout à l'heure, nous avons encore cette chance de pouvoir nous déplacer vers l'intérieur, ce qui n'est pas le cas pour certains de nos voisins. Je pense aux Kiribati qui ont été obligés d'acquérir des terrains ailleurs, aux Fidji.

Des propositions sont apparues - et c'est assez neuf comme approche - de se regrouper par zone géographique et si possible, culturelle. Ce sont théoriquement des propositions qui ont du bons sens et qui peut-être doivent être étudiées. Mais déjà je vois qu'il y a également beaucoup de difficultés à mettre tout cela en pratique. Je vous remercie.

M. Lam DANG. - Monsieur le Président, Mesdames Messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier de m'avoir invité ici à ce colloque pour partager un peu de ce qui se passe dans notre petit pays, la Micronésie, dont beaucoup d'entre vous n'ont probablement jamais entendu parler.

La Micronésie est un pays qui, comme M. Remengesau l'a rappelé, est un grand pays océanique. Nous avons 600 îles sur une étendue océanique de la taille des États-Unis. La distance entre les deux principales îles de la Micronésie, Yap et Kosrae, équivaut à peu près à celle entre Madrid et Varsovie, c'est donc une très grande étendue pour seulement 100 000 habitants.

Mais avec le changement climatique, notre gouvernement qui a été nommé le 11 mai, notre chef d'Etat et le Président du Congrès ont dû partir dans les îles pour distribuer de l'aide parce que nous avons subi les dommages du typhon Maysak il y a deux mois. Il y a tout le temps des cyclones mais ce qui est vraiment particulier depuis Maysak , c'est que dans un intervalle de deux mois, nous avons eu deux autres cyclones, qui n'ont heureusement pas fait de victimes : un typhon de catégorie 5 qui n'est passé sur aucune île puis le typhon Dolphin , il y a deux semaines, qui a menacé la capitale de Pohnpei juste quelques heures avant l'installation du nouveau gouvernement. Nous avons envisagé - j'étais l'un de ceux qui étaient en réunion de crise - la déclaration de l'état d'urgence dans le cas où le cyclone passerait sur la capitale. Heureusement, au dernier moment, douze heures avant l'évènement, le typhon a changé de direction et est passé à 50 km de Pohnpei.

Voilà le premier aspect du changement climatique, qui n'est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c'est l'amplitude et la fréquence de toutes ces manifestations. Nous avons toujours eu des ouragans mais jamais trois ouragans en deux mois. C'est la première fois que nous sommes confrontés à cette réalité.

Le deuxième aspect du changement climatique pour nous, c'est la fameuse montée des eaux. Tout le monde, lorsque l'on parle de montée des eaux, pense aux terres englouties mais ce n'est pas que cela. Bien avant que la montée des eaux engloutisse les îles, il suffit de 10 cm pour complètement envahir la réserve d'eau douce. A la différence de Wallis et Futuna, nous n'avons pas en Micronésie la chance d'avoir une nappe phréatique importante, nous avons seulement de petites nappes sous les différentes îles. Une montée de seulement 10 cm du niveau de la mer suffit à empoisonner tout cela. Il y a un vers d'un poème anglais très fameux qui dit « water, water everywhere, not any drop to drink » : « de l'eau, de l'eau partout, mais pas une seule goutte à boire ». C'est cela que le changement climatique veut dire, bien avant l'engloutissement.

Bien sûr, on parle ici aussi de la montée des eaux et, hier, j'ai fait une croisière sur la Seine, j'ai vu le Zouave du Pont de l'Alma. On m'a dit que lors des inondations, les eaux montaient jusqu'au cou du Zouave. Il faut dire que lorsque l'on a commencé toutes les négociations sur le climat, il y a vingt ans, on parlait de 2°C d'augmentation de la température en moyenne sur le globe. Maintenant on évoque de 4°C ou 5°C. Mais la différence entre 2°C et 4°C, c'est à peu près 50 cm, ce qui peut paraitre peu, mais quand vous avez de l'eau jusqu'au cou, c'est beaucoup. Avec 50 cm en plus, nous disparaissons.

Il y a un autre aspect, d'ordre économique celui-là. L'économie de la Micronésie repose sur la pêche. La première source de revenus résulte des licences de pêche et les revenus halieutiques, les revenus de la pêche du thon sont très importants pour l'économie.

Donc, toute notre économie dépend du contrôle de la zone économique exclusive de 200 miles autour de nos côtes. Si certaines îles disparaissent, il y aura un problème juridique majeur : comment va-t-on mesurer les 200 miles marins ?

Nous avons fait des projections et il semble que le territoire maritime des États fédérés de Micronésie pourrait être substantiellement réduit si certaines petites îles, petits îlots ou petits rochers disparaissaient, parce que nous ne pouvons plus calculer 200 miles marins autour de rien !

J'insiste, c'est un débat juridique essentiel, et cette année nous avons commencé à le porter devant les instances internationales. En plus de la disparition du territoire, nous constatons aussi la disparition des poissons. Vous avez tous entendu parler du phénomène El Niño , c'est-à-dire qu'avec le changement du climat, les courants marins changent de direction comme les vents. Avec les vents et les courants, les poissons partent aussi. On continuera à avoir des espaces marins de la taille de l'Europe occidentale mais il n'y aura plus de poissons à l'intérieur. Ils seront partis quelque part, peut-être vers l'est du Pacifique. C'est ce qui se passe, en effet, lors des années où se manifeste El Niño, avec le renversement des courants marins.

Auparavant, il y avait un phénomène récurrent El Niño toutes les douzaines d'années, maintenant on nous annonce qu'il y en aura un tous les deux ou trois ans. C'est un problème majeur parce que cela entraînera un déclin important de la pêche et donc des revenus économiques, mais aussi une disparition des coraux avec le réchauffement des eaux, d'où une perte aussi de revenus touristiques.

Qu'est-ce qu'on va faire face à ces évènements ? Nous ne voulons pas être seulement des victimes, nous allons lutter ! La Micronésie, et en particulier le Parlement où je travaille, est à l'avant-garde pour établir une législation novatrice. Nous avons été reconnus, au plan international, par l'Organisation intergouvernementale des législateurs, comme l'un des huit pays qui ont fait le plus de progrès dans le domaine de la législation sur le changement climatique. Nous n'avons pas attendu les résultats des négociations internationales pour commencer à adapter notre législation nationale.

Nous avons, par exemple, adopté une loi au Congrès, qui a reçu un écho international, pour obliger tous les ministères du gouvernement à prévoir dans leur budget une ligne spécifique pour la lutte contre le changement climatique.

Je vous remercie beaucoup de votre attention et je serai ravi de répondre à toutes vos questions.

S.E. M. Christian LECHERVY. - Monsieur le Président, Madame la Présidente du groupe d'amitié, Mesdames, Messieurs les parlementaires, chers collègues, chers amis. A l'occasion de sa visite en Nouvelle-Calédonie le 17 novembre dernier, à l'invitation du directeur général de la Communauté du Pacifique (CPS), le Président de la République a souligné, aux côtés des chefs d'États et de gouvernements océaniens, combien est urgente la lutte contre les changements climatiques dans le Pacifique. Je le cite : « il faut la conduire de manière sérieuse, efficace et équitable ». Aux côtés du Président des Philippines, l'archipel le plus proche de notre invité d'honneur, le Président des Palaos, fin février, le chef de l'État a rappelé une fois encore cet impératif de manière solennelle, comme l'a souligné Mme la présidente Catherine Procaccia tout à l'heure.

C'est dire combien nous sommes attachés à ce combat. Nous entendons le mener de manière déterminée, aux côtés et avec les États insulaires, les organisations régionales dont les États et territoires se sont dotés, les structures qui sont propres aux États insulaires en voie de développement et les organisations internationales. Dans cette logique inclusive, le Premier ministre, M. Manuel Valls, a annoncé vendredi la volonté du gouvernement de donner une suite positive à la proposition des Présidents des gouvernements de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et des élus de Wallis et Futuna, d'organiser à la fin de l'année, en amont de la 27 e Conférence des Parties des Nations Unies à la Convention sur les changements climatiques, un quatrième sommet France-Océanie.

Pour répondre très concrètement aux défis auxquels les États et les territoires du Pacifique vont faire face, nous savons que la COP21 - et plus largement la communauté internationale -, se doit de conclure un accord qui est à la fois ambitieux, équitable et universel en s'appuyant sur les recommandations scientifiques du Groupe d'experts environnemental sur l'évolution du climat. Il s'agit - et même si ce constat n'est pas partagé par tous les États riverains du Pacifique - d'un enjeu vital, de la préservation de notre planète et de la possibilité pour les générations futures d'y vivre.

La France, pays qui est au coeur même du Pacifique, appelle à agir pour le climat, tout simplement pour que les territoires et les habitants du Pacifique continuent d'y avoir un avenir, social, politique et aussi institutionnel. Nous nous y employons avec l'énergie de nos territoires de la région. La Nouvelle-Calédonie, par exemple, a très récemment organisé le troisième sommet Océania 21, et on a fait référence tout à l'heure à la déclaration de Lifou. La Polynésie française rassemblera le groupe des dirigeants polynésiens (PLG) au début de l'été. Enfin, le sénateur de Wallis et Futuna, Robert Laufoaulu, mentionnait tout à l'heure les actes de solidarité avec les insulaires.

Comme le rappellent l'ensemble des élus du Pacifique, il convient que le sommet Paris Climat 2015 aboutisse à un accord, qui doit être le plus ambitieux possible et le plus conforme aux attentes et aux intérêts des pays et territoires insulaires et océaniens car le Pacifique constitue le poumon de notre planète et sa plus vaste réserve halieutique. On vient d'en rappeler pour la Micronésie l'enjeu économique. Mais il faut aussi bien percevoir que la dimension géographique du Pacifique n'est qu'une définition limitée de l'espace maritime. Au fond, le Pacifique n'est qu'un élément d'un espace maritime global qu'il faut traiter en tant que tel.

En réunissant à Paris les dirigeants océaniens, la France rappelle qu'elle est partie intégrante de la région du Pacifique et qu'elle partage ses préoccupations vitales et durables. Pour la France, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Wallis et Futuna, le sommet France-Océanie 2015 constituera l'occasion de fédérer à nouveau la région autour des ambitions de réussite de la COP21, portée avec la France et l'Union européenne. Il s'agit de donner la parole au plus grand nombre des plus petits États, si vous me permettez cette formule. Il s'agit d'une ambition qui est à la fois politique, démocratique et éthique.

Nous le devons d'ailleurs aux populations du Pacifique car plusieurs orateurs l'ont déjà rappelé, ces dernières années, il y a eu toute une série d'évènements climatiques extrêmes et meurtriers. Le dernier visage le plus sombre, le plus dévastateur, s'est manifesté tout récemment au Vanuatu, à Kiribati, à Tuvalu ou encore en Micronésie.

Tout en sachant nous montrer solidaires, comme d'ailleurs l'ensemble de nos territoires l'ont fait à travers la générosité des citoyens, nous espérons la mobilisation efficace des États au travers d'accords intergouvernementaux et celle des collectivités locales, des ONG, des partis politiques et des institutions coutumières. Nous devons prendre aussi conscience que les États insulaires du Pacifique, qui ont le moins contribué au changement climatique, sont ceux qui souffrent le plus de ses effets.

Les populations du Pacifique font preuve d'une extraordinaire résilience qu'il faut souligner, vanter, mettre en valeur. A cet égard, les différentes manifestations qui se dérouleront autour de la COP21 le démontreront mais il nous faut aussi appeler à la solidarité et à la justice face au changement climatique. Ce terme de justice vient d'ailleurs d'être employé dans une déclaration commune de plusieurs États insulaires océaniens.

Il nous faut aussi conduire des efforts de connaissances, de gestion et de coopération régionale. A ce titre, je dirais qu'il nous faut établir une véritable stratégie de développement de nos connaissances pratiques, théoriques, et partager les nouveaux savoirs pour optimiser les politiques publiques insulaires.

Il nous faut faire un effort intellectuel car les efforts consentis ces dernières années ont mis en évidence certes de nombreux savoirs scientifiques coutumiers mais également l'existence de très nombreuses lacunes. Nous devons aujourd'hui les combler par des mesures de protection, de prévention, mais cela ne saurait suffire. Dans ce contexte, il est plus généralement important qu'à l'échelle du bassin Pacifique et pour chacun des territoires insulaires, nous engagions de nouveaux efforts.

Ces efforts consistent par exemple à poursuivre le développement des connaissances du milieu physique, les conséquences très concrètes des tsunamis et des cyclones, les connaissances de la biodiversité, les connaissances dans la mesure des évolutions et des distorsions... Il s'agit de comprendre l'état et le fonctionnement des écosystèmes, en particulier les chaînes alimentaires et les interactions entre l'environnement physique et le monde biologique. On se doit de chercher aussi à mieux comprendre les zones fonctionnelles pour la nutrition, la reproduction, les déplacements des organismes vivants, notamment les plus vulnérables aux activités humaines. A cet égard, nos scientifiques soulignent combien il est essentiel de renforcer nos connaissances du rôle des principaux reliefs, en particulier des monts sous-marins et du monde des très grandes profondeurs. En effet, au-delà de 4000 mètres, il faut bien reconnaître l'aporie de nos savoirs.

On doit aussi appréhender la complexité d'un milieu qui ne se résume pas à l'homogénéité que pourraient suggérer les termes génériques de « bassin Pacifique » ou de « bassin océanien ». Il nous faut réfléchir à un « monde Pacifique » fait d'interconnexions entre des milieux différents, physique, spatial, génétique... Mais également à l'échelle de la sous-région, par exemple de la barrière de corail qui dimensionne nos coopérations avec l'Australie.

En un mot, il nous faut mieux caractériser et hiérarchiser les enjeux, élaborer et proposer de nouvelles orientations de gestion reposant par exemple sur la création, comme l'a rappelé le Président des Palaos tout à l'heure, d'aires marines protégées, ce à quoi nous nous employons, notamment en Polynésie.

M. Serge MASSAU. - Merci M. Lechervy. Pour poursuivre cette discussion, une question à chacun d'entre vous. À partir de quel moment considérez-vous que la COP21 sera réussie ? Quels sont pour vous les enjeux de cette conférence pour les États insulaires du Pacifique ? Qu'est-ce que vous en attendez ?

M. Lam DANG. - Pour nous, c'est très simple. S'il y a un accord légal, valide, international qui limite la hausse de la température à 2°C, ce sera pour nous un grand succès.

M. Serge MASSAU. - Monsieur le sénateur, qu'attendez-vous concrètement de cette COP21 pour lutter contre le réchauffement climatique ?

M. Robert LAUFOAULU. - J'espère également que le fonds qui a été promis depuis des années, le Fonds vert, se mettra en place de façon consistante. Il me semble qu'on avait annoncé 100 milliards d'euros, on n'en est encore qu'à 10 milliards. On souhaite donc que la solidarité vis-à-vis des îles et des populations touchées par la montée des eaux soit renforcée.

M. Serge MASSAU. - Monsieur Lechervy, vous qui êtes donc le secrétaire permanent de la France pour le Pacifique, je vous poserai la même question : quel est l'objectif à atteindre pour cette COP21 pour les États insulaires du Pacifique dont on a entendu à l'instant justement les conséquences très pressantes du réchauffement climatique ?

M. Christian LECHERVY. - Il s'agit d'avoir un accord qui soit universel, contraignant et, comme l'a rappelé à l'instant Monsieur le sénateur Robert Laufoaulu, octroyant des moyens accrus, en particulier pour les États insulaires les plus vulnérables. Sur la mise en oeuvre du Fonds vert, nous savons qu'il ne s'agit pas seulement de moyens supplémentaires. La France a octroyé très concrètement 1 milliard de dollars à cette institution. Mais c'est aussi la capacité de décaissement rapide selon des mesures qui prennent en considération les spécificités de chacun des territoires, de leur capacité d'absorption, de leur capacité administrative et de gestion. C'est la raison pour laquelle nous considérons que, y compris dans la mise en oeuvre du Fonds vert, il est utile qu'un certain nombre de projets puissent déjà être opérationnels d'ici la fin de l'année, de manière à montrer aux opinions publiques que les propositions sont aujourd'hui concrètes, immédiates et perceptibles.

M. Serge MASSAU. - M. Lam Dang, pour poursuivre sur cette thématique, est-ce que la question du Fonds vert est essentielle pour vous aussi ? Sur cette question de solidarité entre les pays industrialisés et ceux qui en seront les victimes en matière de réchauffement climatique, et en matière de solutions concrètes, pratiques et immédiates, est-ce qu'il y a des choses à mettre en place, que ce soit en Micronésie ou ailleurs dans le Pacifique ?

M. Lam DANG. - Oui, c'est une question très importante pour nous parce que les États insulaires n'ont pas de moyens. Mais ce qui est vraiment crucial, c'est la limitation universelle des émissions. Par le passé, on a négocié plusieurs traités environnementaux, le traité de Montréal sur l'ozone par exemple, dans lesquels on a promis des soutiens financiers. L'expérience montre qu'on passe beaucoup trop de temps à parler d'argent et pas assez de temps à traiter de la réduction physique des problèmes. Nous considérons le Fonds vert comme très important mais pas autant que la limitation des émissions.

M. Serge MASSAU. - Pour rester dans cette partie du monde, l'Océanie, est-ce qu'il y a vraiment une prise de conscience générale, collective de tous les pays de cette nécessité de lutter contre le réchauffement climatique ?

On parlait tout à l'heure d'Océania 21 qui appelait d'une seule voix à réussir cette COP21 pour les pays du Pacifique. Est-ce qu'il y a vraiment une prise de conscience sur place de la part des habitants, de la part des institutions, Monsieur le sénateur Laufoaulu, par exemple ?

M. Robert LAUFOAULU. - Ah oui, certainement. Avec le Forum des îles du Pacifique, le PROE et la Commission du Pacifique sud, la sensibilisation des populations est déjà importante. Je pense que l'information circule et progresse auprès des populations de nos îles.

M. Serge MASSAU. - Il y a une réelle attente sur place dans la perspective de la COP21, c'est cela ?

M. Robert LAUFOAULU. - Oui, je le pense, comme Monsieur l'ambassadeur l'a souligné tout à l'heure. J'étais présent lors de la visite du Président de la République, M. François Hollande, en Nouvelle-Calédonie. J'ai senti la communauté océanienne unie, exprimant sa volonté de participer à ce rassemblement et demandant bien sûr à ce que l'on tienne compte de la réalité des îles. J'ai été surpris de la réponse du Président de la République à la question posée par le Président de Kiribati - parce que le Président avait fait l'annonce d'un milliard d'euros de participation de la France au Fonds vert - et il avait demandé pourquoi la France ne destinerait pas une partie de cette participation au Fonds vert d'aide au Pacifique. J'ai senti que c'était une demande unanime au niveau des responsables politiques de la région. Le Président de la République n'a pas directement dit oui mais il était à l'écoute et j'ai compris qu'il y aura une prise en compte de ces demandes des communautés du Pacifique au cours de la COP21. La preuve - je l'apprends ce matin, puisque c'est une décision récente -, c'est qu'un sommet France-Océanie sera réuni à nouveau après avoir été mis sous le boisseau pendant de nombreuses années.

M. Lam DANG. - Puis-je ajouter quelque chose ? Il y a une véritable passion dans tous les petits pays insulaires de l'Océanie pour débattre de la lutte contre le changement climatique dans tous les cadres multilatéraux : au Forum, à la CPS, à l'Alliance des Petits États insulaires (AOSIS)... Mais l'Océanie ne se réduit pas seulement aux petits pays insulaires, il y a aussi de grands pays développés qui en sont encore au stade du déni, c'est un problème.

M. Serge MASSAU. - Monsieur Lechervy, je disais tout à l'heure en introduction qu'on a entendu ces derniers jours que les océans seraient les grands oubliés de la COP21. Les habitants de ces pays du Pacifique nous disent le contraire justement, ce sont eux qui doivent être au centre des préoccupations pour réussir cette COP21.

M. Christian LECHERVY. - Ce dont je peux témoigner, c'est de la préparation extrêmement méthodique des États et des territoires du Pacifique à cette conférence. Quand je dis méthodique, cela veut dire très concrètement que les chefs d'État et de gouvernement se retrouvent au niveau sous-régional.

J'évoquais tout à l'heure la rencontre qui se tiendra prochainement à Papeete entre les dirigeants du triangle polynésien. On observe la même dynamique dans l'espace mélanésien et en Micronésie, et tout cela sera porté devant les instances régionales, à commencer par le Forum des îles du Pacifique que préside notre invité d'honneur aujourd'hui, le Président des Palaos. Il effectue d'ailleurs son déplacement à Paris sous cette double casquette de chef de l'État de la République des Palaos et de président en exercice du Forum des îles du Pacifique. Donc il y a une élaboration collective, des attentes.

Il y a une organisation méconnue mais réelle et très sophistiquée des positions, au travers de sommets. Je pense que le sommet France-Océanie de novembre sera l'un de ces réceptacles, comme vient de l'être d'ailleurs le sommet triennal entre le Japon et les États océaniens ou encore la manifestation qui s'est tenue il y a tout juste quinze jours, dans le cadre de la Convention des Nations Unies pour l'Asie et le Pacifique.

Mais, surtout, il faut souligner qu'au fond, les États et territoires insulaires ne sont pas simplement des « quémandeurs » de financements jouant une dramatisation excessive. Ils ont aussi, et on l'a rappelé tout à l'heure en évoquant les politiques d'énergies renouvelables, des solutions aux difficultés auxquelles ils doivent faire face. Je crois que ce qui valorise cela, c'est aussi la mobilisation de tous les espaces au-delà de leurs relations interétatiques : les organisations non gouvernementales, les entreprises, les espaces coutumiers... Cela s'est manifesté lors du troisième sommet Océania 21. Il y a une volonté de porter à la connaissance du monde les solutions, en termes d'énergie solaire, en matière de gestion des ressources halieutiques sur le long terme, en matière de protection d'aires marines inscrites dans un droit collectif...

Il sera très intéressant dans les années qui viennent de faire le bilan de toute cette énergie déployée. Elle irrigue très largement la négociation et, contrairement à ce que certains peuvent proclamer, il y une très forte visibilité, dans les négociations multilatérales, des messages portés par les États et territoires insulaires. J'insiste sur ces deux dimensions parce que l'on voit bien que concernant le défi auquel on est confronté, en matière de santé ou de gestion des risques alimentaires, il nous faut tenir compte de l'ensemble des territoires, quel que soit le statut juridique ou politiques des territoires, États souverains ou non.

M. Serge MASSAU. - Pour conclure et pour en revenir à la question de cette table ronde : « Quel avenir pour les îles du Pacifique face aux dérèglements climatiques ? », je me tourne vers M. Lam Dang, directeur de la législation du Parlement des États fédérés de Micronésie.

Comment voyez-vous l'avenir de l'Océanie, de la Micronésie, si l'objectif des 2°C dont vous parliez tout à l'heure, est atteint ou au contraire s'il ne l'est pas ?

M. Lam DANG. - Il y a une dimension psychologique dans cette question. Nous luttons, dans tous les petits États insulaires, contre l'émigration, c'est-à-dire le fait que les gens veulent partir pour des pays plus développés. Il faut donner aux gens de l'espérance : il y aura un futur, il y aura une île dans cinquante ans. Mais qu'est-ce qu'on va leur dire si tous les journaux du monde, si tout l'Internet leur assène que toutes les îles vont disparaître dans trente ans ? L'enjeu pour les petites îles du Pacifique est véritablement existentiel. Serons-nous encore là dans cinquante ans ? Il faut vraiment, pour la stabilité et la paix dans cette région, donner de l'espoir.

M. Serge MASSAU. - Merci à vous. Un mot pour conclure, M. Robert Laufoaulu, quel avenir voyez-vous pour les îles du Pacifique, pour Wallis et Futuna face aux dérèglements climatiques ?

M. Robert LAUFOAULU. - Je signale que M. Lecren, membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie vient d'arriver, il est à l'initiative d'Océania 21...

M. Serge MASSAU. - Nous allons en effet parler d'Océania 21 dans un instant.

M. Robert LAUFOAULU. - ... Ce sont toutes ces initiatives qui donnent de l'espoir pour la région. Si on ne réussit pas à faire aboutir cette volonté d'arrêter l'émission de gaz à effet de serre, on sera bien sûr condamné. Mais je ne me résigne pas à cette fin, parce que je constate aujourd'hui tellement de bonne volonté et je pense que cette triste situation va amener les populations à travailler ensemble : c'est cela que je retiens d'aujourd'hui. Encore une fois, une réunion comme celle de ce matin fait partie de ce mouvement de sensibilisation et du désir de prendre notre avenir en main. C'est le souhait que je formule bien sûr pour nous tous, pour nos responsables dans la région. Wallis et Futuna est un territoire qui ne peut pas vivre isolé, il ne peut pas envisager son avenir dans ce cadre-là tout seul. C'est dans le cadre d'une solidarité et d'un mouvement d'ensemble qu'il doit s'inscrire.

M. Serge MASSAU. - Merci Monsieur le sénateur Robert Laufoaulu. Monsieur Anthony Lecren, vous êtes membre du gouvernement de Nouvelle-Calédonie depuis 2011, actuellement en charge du développement durable et vous avez participé à Océania 21, cette déclaration commune des États insulaire du Pacifique dans la perspective de la COP21. C'est bien le signe que les États du Pacifique sont unis, parlent d'une même voix face aux dangers du réchauffement climatique. Est-ce que vous pouvez nous présenter cette initiative et le message que porte Océania 21 ?

M. Anthony LECREN. - Merci à Monsieur le sénateur qui effectivement a rappelé le long chemin, le chemin de croix comme on l'appelle, depuis Rio+20. Depuis 2012, on a lancé une initiative qui s'est appuyée sur un programme « un arbre, un jour, une vie ».

C'est l'appel du Pacifique auprès de la communauté internationale, face aux pays industrialisés, face aux grandes puissances de ce monde, pour qu'on prenne en compte « la vie » avant « les profits ». Cet appel nous a fédérés. Aujourd'hui se sont unis 17 États du Pacifique, hormis l'Australie et la Nouvelle Zélande, pour rappeler les difficultés du Pacifique face à ces dérèglements climatiques et à la montée des eaux. Cela s'est traduit par Océania 21 . Mais, chez nous, avant toute prise de parole, on a une coutume : permettez-moi de faire ce petit geste coutumier pour vous demander l'autorisation de prendre la parole.

M. Serge MASSAU. - Avec grand plaisir. Merci, vous pouvez reprendre la parole.

M. Anthony LECREN. - L'ambition d'Océania 21 est effectivement de porter une politique commune à l'échelle du Pacifique. L'élément fédérateur de l'Europe a été la politique agricole commune et nous voulons, pour tirer les leçons à l'échelle de la planète de ce qui se passe sur les nouveaux modèles de développement, mettre en oeuvre de nouveaux modèles de gouvernance transcendant les considérations simplement étatiques. Nous prônons donc une politique commune du développement durable à l'échelle du Pacifique.

Océania 21 représente les trois piliers du développement durable : à la fois l'environnement, l'économie, les aspects culturels et pédagogiques avec une particularité, les savoirs traditionnels. Le geste coutumier que je viens de faire, c'est aussi cette culture, cette civilisation, en termes d'approche philosophique, en termes de gouvernance mais aussi en termes de savoirs traditionnels sur notre environnement, à la fois terrestre et maritime. Ces savoirs doivent être « compilés » avec les savoirs scientifiques.

La particularité d'Océania 21 est donc de faire référence à l'ensemble de ces connaissances. Celles-ci existent dès lors qu'on a à gérer un espace maritime, un espace terrestre, quand on a à promouvoir ou à protéger les connaissances sur les propriétés médicinales d'une plante, sur la capacité d'un homme, d'un peuple, à décrire une vague, à décrire les phénomènes climatiques qui ont aussi une expression scientifique... Toutes ces connaissances traditionnelles sont une richesse et Océania 21 tente de mettre en exergue l'ensemble de ces connaissances.

Le geste coutumier, c'est aussi la particularité du Pacifique : nous avons été en marge du développement mais cela nous a en quelque sorte préservés et nous avons pu conserver nos valeurs traditionnelles, nos relations à la fois humaines et avec l'environnement.

Je pense que la montée des eaux que nous subissons dans le Pacifique est une mise en danger de l'ensemble de ces savoirs. On peut évoquer par exemple le cas dramatique de Tokelau, où la montée des eaux se traduit par l'inondation des cimetières. Le cyclone Pam a détruit à 80 % le Vanuatu et a aussi frappé Kiribati.

A l'occasion de ce phénomène climatique, on a des morts et c'est ça, aujourd'hui, les réalités du Pacifique même si chaque État a ses propres problématiques.

Il nous faut des moyens pour étudier l'évolution de ces changements climatiques. L'impact est important puisqu'il touche au quotidien, à la vie des gens. Cela se traduit par ce qui est essentiel, c'est-à-dire la mémoire. Voilà, en quelques mots, résumée la situation.

M. Serge MASSAU. - Un dernier mot avant de passer la parole aux intervenants de la seconde table ronde. Dans Océania 21, on lit au point 10 : « nous, territoires et pays du Pacifique, ne sommes pas responsables de ce changement climatique mais nous en sommes les premières victimes, nous voulons avoir voix au chapitre lors de ces négociations ». Lors de la Conférence COP21, quel sera le message porté par les États du Pacifique et à partir de quel moment vous considèrerez que la conférence sera une réussite pour l'Océanie ?

M. Anthony LECREN. - L'intitulé de notre déclaration, c'est « sauvez l'Océanie ». On n'est pas pessimiste, mais simplement réaliste sur ce que l'on considère comme une menace et la non-prise en considération de la réalité. Il y a effectivement un certain nombre d'instruments financiers et de grandes déclarations internationales mais qui ne sont pas réellement mises en oeuvre dans les politiques publiques relatives à la protection et à la préservation de nos milieux. On ne voit pas encore les moyens poindre. Ce que l'on attend, c'est une véritable prise en considération du Pacifique. Le Pacifique, c'est 30 millions de kilomètres carrés : la Polynésie, à elle seule, couvre 5 millions de kilomètres carrés, cela représente la surface des pays de l'Union européenne, mais avec seulement 10 millions d'habitants au total.

Chez moi, on a la chance d'avoir l' amborella trichopoda , qui a 130 millions d'années, c'est le premier arbre à fleurs, c'est la « Lucy de la flore ». Et la « Lucy de la flore » n'existe qu'en Nouvelle-Calédonie. Nous avons cette responsabilité de la préserver à la fois pour nous, les gens du Pacifique, de la Nouvelle-Calédonie, mais aussi pour le reste de la planète. Quand on a la « Lucy de la flore » et que 93 % de certaines espèces sont complètement endémiques, on a la responsabilité de préserver le patrimoine de l'humanité. La « Lucy de la flore », la première fleur à avoir donné le premier fruit, le premier fruit, a peut-être nourri le premier homme et pourquoi pas le Paradis d'Éden ?

Aidez-nous à sauver l'Océanie, aidez-nous à préserver le Paradis d'Éden ; je dis cela tout simplement parce que nous n'en aurons pas les moyens tout seuls. Alors, qu'est-ce que j'attends, personnellement de la COP21 ? C'est que véritablement, ce ne soit pas l'Union européenne qui parle pour nous, ni les grandes ONG, il faut que l'on puisse disposer de moyens parce que nous savons comment les utiliser. Voilà en quelques mots ce que j'attends de la COP21. Mais il y a aussi d'autres initiatives...

M. Serge MASSAU. - Alors, un dernier mot...

M. Anthony LECREN. -La CPS, le PROE - Programme régional océanien pour l'environnement -, toutes les initiatives, quelles qu'elles soient, en tout cas pour cette partie du monde qui est si importante, peuvent aider à proposer des solutions... Quand je parlais de gouvernance, notre façon de concevoir le monde, par exemple, lorsque l'on crée le parc marin de la mer de corail, c'est de prévoir 1 200 000 kilomètres carrés ! L'histoire, on peut la changer, la géographie, on ne la changera pas. Moi, je suis dans le Pacifique et nous avons besoin d'agir au niveau de la Nouvelle-Calédonie.

Il nous faut véritablement des moyens. On a la possibilité d'associer le Vanuatu, les îles Salomon, la Papouasie Nouvelle-Guinée concernant le parc marin de la mer de corail. Dans notre proposition pour le comité de gestion, cela nous paraît tout naturel de proposer une représentation régionale, même si cela peut surprendre.

Voilà le type de proposition qui fait partie d'une philosophie, d'un concept. Chez nous on dit « Pacific way », voilà ce que nous pouvons proposer, nous les petits États du Pacifique.

M. Serge MASSAU. - Merci Anthony Lecren. Les enjeux sont bien posés avant de passer à la deuxième table ronde : « Comment concilier croissance et protection des écosystèmes océaniques ? ». Merci à vous tous.

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