Rapport présenté par M. Henri de RICHEMONT relatif à la problématique de réduction de coû t en matière de brevets européens avec maintien de la traduction de ces documents en français

I - LA SITUATION ACTUELLE

A - L'OFFICE EUROPÉEN DES BREVETS


La Convention de Munich, signée le 5 octobre 1973 et entrée en vigueur le 7 octobre 1977, a créé une Organisation européenne des brevets, dotée d'une autonomie administrative et financière. Son organe principal est l'Office européen des brevets dont le rôle est de délivrer les brevets européens. L'Office a son siège à Munich, un département à La Haye et une agence à Berlin et à Vienne.

L'OEB est composé de 20 Etats membres, dont l'Union Européenne. L'adhésion d'autres Etats est envisagée : Albanie, Lituanie, Lettonie, Ex-République yougoslave de Macédoine, Roumanie, Slovénie. D'ici juillet 2002, l'accord s'étendra à la trentaine de pays de l'espace économique européen.

La mission de l'OEB est de délivrer des brevets européens selon une procédure uniforme et centralisée. Une fois délivré, le brevet européen se transforme en autant de brevets nationaux que de pays désignés par le déposant, et est régi par les différentes lois nationales des pays concernés. Il relève du droit conventionnel classique entre Etats.

En 1998, environ 113.400 demandes de brevet ont été déposées auprès de l'OEB.

B - LES ARTICLES 14 ET 65 DE LA CONVENTION

Pour obtenir une protection par brevet dans les Etats membres de l'Organisation européenne des brevets, il suffit de déposer une demande dans l'une des trois langues officielles de l'Office, à savoir l'allemand, l'anglais ou le français.

L'article 14 de la Convention précise que les autres pays contractants peuvent déposer des demandes de brevet européen dans une langue officielle de cet Etat, à condition de produire une traduction dans une des langues officielles. La langue officielle dans laquelle la demande de brevet a été déposée doit être utilisée dans toutes les procédures devant l'Office européen des brevets. Les demandes de brevet européen sont publiées dans la langue de la procédure.

Le même article prévoit que « les fascicules de brevet européen sont publiés dans la langue de la procédure ; ils comportent une traduction des revendications dans les deux autres langues de l'Office ».

Sont également publiés dans les trois langues officielles : le Bulletin européen des brevets, le Journal officiel de l'Office européen des brevets, les inscriptions au Registre européen des brevets.

L'article 14 n'est pas remis en cause.

Une fois le brevet délivré, l'article 65 relatif à la traduction du fascicule du brevet européen, stipule que :

« Tout Etat contractant peut prescrire, lorsque le texte dans lequel l'Office européen des brevets envisage de délivrer un brevet européen pour cet Etat ou de maintenir pour ledit Etat un brevet européen sous sa forme modifiée n'est pas rédigé dans une des langues officielles de l'Etat considéré, que le demandeur ou le titulaire du brevet doit fournir au service central de la propriété industrielle une traduction de ce texte dans l'une de ces langues officielles, à son choix, ou, dans la mesure où l'Etat en question a imposé l'utilisation d'une langue officielle déterminée, dans cette dernière langue. La traduction doit être produite dans un délai de trois mois à compter de la date de publication au Bulletin européen des brevets de la mention de la délivrance du brevet européen ou du maintien du brevet européen tel qu'il a été modifié, à moins que l'Etat considéré n'accorde un délai plus long.

Tout Etat contractant qui a adopté des dispositions en vertu du paragraphe 1 peut prescrire que le demandeur ou le titulaire du brevet acquitte, dans un délai fixé par cet Etat, tout ou partie des frais de publication de la traduction.

Tout Etat contractant peut prescrire que, si les dispositions adoptées en vertu des paragraphes 1 et 2 ne sont pas observées, le brevet européen est, dès l'origine, réputé sans effet dans cet Etat. »


Cela signifie qu'à l'heure actuelle, pour que le brevet soit protégé dans tous les Etats que le déposant choisit in fine, il est nécessaire que les trois parties du brevet - revendications, description et dessins - soient traduites dans les langues des autres Etats membres. Tous les Etats membres - dont la France - demandent cette traduction.

II - LE PROJET DE RÉFORME

A - LE BUT DE LA REFORME


Ce projet a pour but de moderniser le système du brevet européen, afin d'en réduire le coût d'obtention, notamment à travers sa traduction, charge lourde pour les petites et moyennes entreprises, et d'améliorer sa sécurité juridique.

Le coût global d'obtention du brevet est supérieur au coût des brevets octroyés par les principaux partenaires commerciaux de l'Europe .

B - LES CONFERENCES INTERGOUVERNEMENTALES

Conférence intergouvernementale sur le thème des brevets européens - 24-25 juin 1999



Une conférence intergouvernementale des Etats membres de l'OEB s'est tenue, à l'initiative de la France, les 24 et 25 juin 1999. Elle a confié à un groupe de travail un mandat pour étudier les moyens de réduire de 50 % le coût d'obtention du brevet européen.



La proposition française de limiter la traduction à la description du brevet a été combattue par la plupart des Etats, un groupe de pays comprenant principalement les pays d'Europe du Nord, optant pour le « tout anglais ».



La Conférence de Londres des 16 et 17 octobre 2000



L'accord proposé consistait dans une renonciation aux exigences de traduction prévues à l'article 65 de la Convention. Les trois langues de procédure seraient conservées et, dans le cas des brevets publiés en anglais et en allemand, la traduction en français des revendications ainsi que la traduction complète du brevet en cas de litige. En outre, chaque Etat conserverait la possibilité de faire traduire dans sa langue et à ses frais la totalité du brevet. En France, cette traduction serait à la charge de l'INPI (Institut National de la Propriété Industrielle). Les autres pays signataires auraient la faculté de choisir une des trois langues officielles et de ne pas exiger la traduction.



Le Conseil d'Etat, consulté pour donner un avis sur le dispositif, et plus particulièrement sur le fait de savoir si la traduction des seules revendications est suffisante au regard du principe constitutionnel selon lequel le français est la langue de la République, a estimé que le projet d'accord n'était pas en lui-même contraire à la Constitution.



La réforme proposée ne remet pas en question l'exigence de traduction des revendications de brevet européen dans les langues officielles de l'Office, et donc en français pour les brevets délivrés en anglais ou en allemand. Mais sa signature par la France entraînerait une renonciation à l'exigence de traduction des dessins qui l'accompagnent, et qui constituent un élément important dans la compréhension d'une invention.



Si l'accord est signé, les brevets européens, déposés pour l'essentiel en langue anglaise, seront opposables aux tiers sans traduction préalable dans la langue de chaque pays signataire. Réciproquement, le brevet européen en français prendrait effet sans traduction.



La France a fait savoir qu'elle réservait sa position, rappelant que son objectif était la réduction du coût des brevets tout en sauvegardant l'usage de la langue française.



Cet accord a été signé par l'Allemagne, le Danemark, le Liechtenstein, les Pays-Bas, Monaco, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse, auxquels se joindront certainement la Belgique et le Luxembourg, et probablement Chypre. L'Irlande et l'Autriche ont réservé leur position. L'Espagne, l'Italie, le Portugal, l'Autriche, la Finlande et la Grèce ont en revanche indiqué clairement leur intention de ne pas signer l'accord.



La décision définitive devra être arrêtée le 30 juin 2001.



L'accord n'entrera en vigueur qu'après ratification par 8 Etats - dont l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni (les trois langues officielles). La France a réservé sa signature et décidé de poursuivre la consultation.



C - LES INQUIETUDES MANIFESTEES VIS-A-VIS DU PROJET DE RÉFORME



• Plus de 150 questions orales ou écrites ont été posées tant au Premier ministre qu'au secrétaire d'Etat à l'industrie ou au ministre de la Coopération. Dans leur réponse, tous les ministres soulignent que les solutions apportées pour réduire les coûts du brevet européen devront respecter le principe du plurilinguisme.



• Le 21 juin 2000, le Conseil supérieur de la propriété industrielle a donné un avis défavorable à ce projet.



• Le 14 mai 2000, l'Académie des Sciences morales et politiques a souhaité que l'obligation de traduction prévue par l'article 65 soit maintenue, soulignant que « l'énorme masse des brevets délivrés à des demandeurs américains et japonais produira effet en France sans traduction ». Elle mettait l'accent sur « le danger d'accélérer et de généraliser un mouvement tendant à faire de la langue anglaise la langue unique de la technologie et de l'industrie ».



• Depuis 1997, la Compagnie Nationale des Conseils en Propriété Industrielle (CNCPI), qui regroupe tous les Conseils en Propriété Industrielle libéraux, lesquels gèrent environ les deux tiers des brevets en France, met en garde le gouvernement contre l'abandon de la traduction.



Mission d'information du Sénat sur les brevets



A la suite du colloque « Stratégies du brevet et champ de bataille européen » qui s'est tenu au Sénat le 14 septembre 2000, une mission d'information sur les brevets a été confiée à M. Francis Grignon, sénateur, qui devrait rendre son rapport dans les prochains mois.

Mission de concertation et de propositions relative au régime linguistique du brevet européen



Le 15 mars 2001, le Premier ministre répondait à une question écrite d'un parlementaire, l'informant que M. le secrétaire d'Etat à l'industrie venait de confier à M. Georges Vianes, conseiller maître à la Cour des Comptes, une mission de concertation et de propositions relative au régime linguistique du brevet européen. Cette mission est en cours et procède actuellement à des auditions. Elle rendra ses conclusions avant le 30 juin prochain.

• Par ailleurs, une réflexion est à l'étude sur une réduction significative ou une suppression des taxes nationales de publication exigées par certains Etats.



III - LES CONSEQUENCES DE LA REFORME DES BREVETS

Le risque de cette réforme est de voir un texte ayant des effets en droit interne rédigé dans une langue autre que le français. Les revendications constituent le coeur du dispositif de protection, puisque ce sont elles qui déterminent l'étendue de la protection. Cependant limiter la traduction aux revendications ne suffit pas à la compréhension du brevet : les revendications s'interprètent en fonction des éléments de la description.



• Les brevets européens délivrés en anglais et en allemand auront force de loi en France, au même titre que les brevets en français, de même que les brevets français seront automatiquement valides dans les autres pays.
Conséquence : les pays choisiront de déposer les brevets en anglais, à commencer par les pays du Nord.

• Le coût du brevet européen -élevé- est le même dans les pays d'Europe, malgré la baisse observée depuis une vingtaine d'années. La France dépose 13.000 brevets par an contre 19.000 en Grande-Bretagne, 45.000 en Allemagne , 135.000 aux Etats-Unis et 300.000 au Japon.. Les dépôts de brevets européens en langue anglaise par les Japonais et les Américains sont en forte progression. Les Non-Européens possèdent la majorité des brevets européens. L'avantage de la non-traduction bénéficiera largement plus aux autres pays : 75 % des brevets sont actuellement déposés en anglais, 18 % en allemand et 7 % en français. L'Europe risque d'être envahie par ces brevets qui seront utilisés comme une arme économique stratégique. Le dépôt des brevets qui était fait dans un but de protection juridique est devenu aujourd'hui une arme de concurrence, de contre-offensive ou même de diversion.
• La réciprocité n'existe pas : une loi est entrée en vigueur le 29 novembre 2000 aux Etats-Unis prévoyant que les dépôts internationaux publiés désignant les Etats-Unis ne pourront conférer une protection provisoire sur le territoire américain que s'ils sont rédigés en anglais. Il en est de même dans le domaine des marques.
• Le « tout anglais » gagnerait le domaine juridique à travers les professionnels de la propriété industrielle : avocats, conseils en propriété industrielle, responsables de service de propriété industrielle en entreprises.
• La profession de traducteurs sera menacée. Ces derniers seront défavorisés par le lancement d'appels d'offres bénéficiant aux grandes entreprises de traduction.



IV - LES SUGGESTIONS



ATTENTE DE LA CRÉATION DU BREVET COMMUNAUTAIRE



Le brevet communautaire est actuellement en discussion. La Commission Européenne devrait adhérer, à terme, à la Convention de Munich, ce qui aura pour conséquence de modifier le régime de compétence des juridictions. La décision prise le 30 juin prochain sera lourde de conséquences sur la création du brevet communautaire.



Il serait donc opportun de reporter la discussion de la réforme des brevets et d'attendre celle du brevet communautaire. L'avantage en serait que la décision serait prise dans un processus européen démocratique incluant tous les Etats membres, alors que le Protocole de Londres ne concerne que les Etats de l'Europe du Nord.



LA NON-SIGNATURE DE L'ACCORD

Le français étant une des trois langues officielles, il suffirait que la France ne signe pas pour que l'Accord ne soit pas applicable



LA TRADUCTION DE LA PARTIE « SIGNIFIANTE » DU PROJET
La Compagnie Nationale des Conseils en Propriété Industrielle avait proposé en 1999 de réduire la traduction à la partie signifiante de la description du brevet, ce qui aurait permis d'éclairer les revendications et de rendre l'invention, souvent très complexe, intelligible aux non anglophones.

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