2. Un gouvernement confronté à la fronde de l'opposition

Si le Président DUARTE FRUTOS peut se prévaloir du redressement macro-économique du Paraguay, l'aggravation du niveau de pauvreté et l'impatience des milieux populaires mécontents d'une politique sociale peu probante sont évidents. Le Président paraguayen est ainsi confronté aujourd'hui à la fronde de plus en plus active de son opposition, majoritaire au Congrès.

Depuis février 2006, le pays connaît en effet une forte crise politique, depuis notamment que le Président DUARTE FRUTOS s'est présenté et a été élu à la présidence de l'ANR, parti Colorado au pouvoir depuis 60 ans. Il s'était alors présenté comme le seul candidat capable de faire face au courant montant des néo-stroessnistes et de reprendre en main le parti très divisé et volontiers factieux.

Or en assumant quelques heures cette présidence avant de la transmettre à M. ALDERETE, premier vice-président du parti, les partis de l'opposition ont considéré qu'il avait violé la Constitution qui interdit le cumul entre la charge de Président de la République et toute autre fonction.

C'est ainsi que le 29 mars 2006 une manifestation de 40.000 personnes, la plus importante depuis 1999, s'est déroulée derrière les partis de l'opposition, les étudiants et surtout derrière Monseigneur LUGO, « évêque des pauvres et des paysans sans terre », soutenu par la Conférence épiscopale, pour protester contre les irrégularités constitutionnelles attribuées au Président DUARTE FRUTOS et à la Cour Constitutionnelle. L'Église, toute puissante au Paraguay, pointe le gouvernement du doigt et Monseigneur LUGO se veut l'interprète des pauvres et le rassembleur des oppositions. Il crée le mouvement de Concertación Ciudana pour se démarquer des partis politiques existants. En décembre 2006 naît également un nouveau mouvement politique TEKOJOJA (« marcher ensemble »), qui présente une pétition l'appelant à se présenter aux élections présidentielles d'avril 2008.

Le 25 décembre 2006, Monseigneur LUGO annonce officiellement sa candidature, soutenue par le mouvement Paraguay Posible (PP) et déclare vouloir nettoyer le pays des « mauvaises herbes perverses ». Il demande également à quitter son engagement sacerdotal pour redevenir laïc mais le Cardinal Re, en janvier 2007, l'informe qu'il ne sera que suspendu de ses fonctions et l'estime toujours tributaire de ses obligations cléricales.

Monseigneur LUGO, qui appelle à « l'unité dans la diversité », centre son discours sur les inégalités sociales et formule des propositions en matière de réforme agraire, de nationalisations énergétiques ou d'assainissement de la vie politique paraguayenne. Il s'oppose également à la présence des troupes américaines au Paraguay et a évoqué la possibilité de nommer une femme vice-présidente pour le tandem présidentiel.

Les partis d'opposition -à l'exception de TEKOJOJA et du PP- signent néanmoins un accord le 5 février 2007, pour désigner leur candidat par référendum, avant le 28 octobre prochain, qui fragilise quelque peu sa posture de fédérateur incontournable de l'opposition.

Il n'en demeure pas moins favori des sondages pour l'élection présidentielle d'avril 2008, ce qui ne laisse pas d'inquiéter le parti Colorado, qui le diabolise, et les catholiques conservateurs.

Après avoir ainsi démontré sa force de mobilisation, l'opposition bloque aujourd'hui gravement le fonctionnement de l'institution législative, y compris lors des visites de personnalités étrangères.

Les dysfonctionnements au sein du Mercosur, l'augmentation des prix et la stagnation des salaires par rapport à une inflation de plus en plus forte, comme la cristallisation de la corruption, qui touche tous les secteurs et toutes les couches sociales en dépit d'une volonté de rénovation des pratiques politico-administratives, entraînent également doutes et protestations.

Et ce désenchantement vis-à-vis du Président, qui s'associe à une montée sensible de l'insécurité, favorise les nostalgies pour le régime de STROESSNER qui maintenait un minimum d'équilibres sociaux, et pousse l'opinion publique à douter des bienfaits de la démocratie dans ce pays où, depuis la fin de la dictature, le PIB a régressé en valeur absolue et où le chômage et le sous-emploi se sont accrus notablement, touchant en tout 25 % de la population. On entend en effet souvent dire qu' « aujourd'hui on peut parler librement mais en chômant, alors que sous STROESSNER chacun travaillait à défaut de pouvoir s'exprimer ».

Pour tenter de répondre à ce malaise de l'opinion, le Président DUARTE FRUTOS n'hésite pas à changer, parfois à un rythme rapide, responsables et ministres au fil des soupçons de corruption et des désaveux. C'est ainsi que le 22 février 2007, il a laissé démissionner la présidente de la Banque Centrale, Mme Monica PEREZ, craignant pour sa propre image et extirpant ainsi un sujet de discorde avec l'opposition surtout interne de son parti. Le dernier remaniement de l'état-major des armées avait répondu au même souci de donner satisfaction à l'opposition.

Nommer puis renvoyer devient une méthode de gouvernement qui traduit la volonté de masquer des échecs et de proposer des transactions politiciennes.

Les changements fréquents de personnel politique donnent en effet du Président DUARTE FRUTOS une image de fragilité et d'hésitation. Sans doute espère-t-il ainsi marquer qu'il contrôle les résultats de sa politique, mais il montre ce faisant que sa situation devient de plus en plus inconfortable face à la déception populaire.

À deux ans des élections générales, le gouvernement paraguayen subit donc la pression des partis d'opposition et de l'Église, qui s'ajoute à la désaffection des couches populaires qui mesurent le fossé entre promesses électorales et réalité.

On prête l'intention au Président DUARTE FRUTOS de modifier la Constitution afin de pouvoir se représenter à un second mandat. Mais on peut se demander s'il aura la capacité de mobiliser une opinion qui s'est largement détournée de lui au fil des 3 années passées au pouvoir.

Ainsi, en dépit du texte constitutionnel de 1992, innovateur et démocratique, trente-cinq années de dictature stroessniste ont laissé des traces dans le paysage politique et social paraguayen.

Cinq caractéristiques principales affectent encore le jeu des institutions :

1 - la prééminence du parti Colorado (fondé en 1887), d'idéologie conservatrice, républicaine et nationaliste. Pilier de l'ancienne organisation autoritariste, il est toujours une institution clé du système national ;

2 - les forces armées restent une menace pour la vie politique ;

3 - le désintérêt pour la chose publique et la démobilisation de la société civile empêchent une représentation efficace des citoyens ;

4 - les mesures institutionnelles et légales n'ont pas su ou voulu éradiquer la corruption. Au contraire, l'opinion commune est qu'elle s'est « démocratisée » avec la transition ;

5 - enfin, les hommes politiques n'ont pas encore les bons réflexes démocratiques : le modèle demeure celui du chef local, le cacique, qui dirige grâce au clientélisme.

C'est pourquoi les autorités gouvernementales et parlementaires paraguayennes rencontrées par la délégation ont toutes insisté sur le besoin d'un appui de la France pour renforcer et consolider le processus démocratique que les Paraguayens attendent.

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