Actes colloque Moyen-Orient



Approche géopolitique

Gilles KEPEL
Professeur des Universités, Directeur de la Chaire Moyen-Orient Méditerranée,
Institut d'Etudes Politiques de Paris

La vision de nos concitoyens sur le Moyen-Orient relève le plus souvent de la caricature et de l'ignorance. Les universitaires français, longtemps mauvais sur cette région, ont maintenant largement rattrapé leur retard.

Il ne s'agit pas de considérer le Moyen-Orient simplement comme un marché. C'est une région qui nourrit un projet complexe et dont les dirigeants ont le sentiment que leurs interlocuteurs ne les comprennent pas. Il faut arriver à accompagner ce projet, en gardant présent à l'esprit que la concurrence asiatique est féroce.

Le Moyen-Orient dispose de très grands atouts. Les pays du Golfe sont en pleine capacité de production pétrolière. L'Irak sera demain un grand producteur de pétrole et un grand marché. Il en est de même pour l'Iran. Or même chez les pays qui n'ont pas de problèmes politiques et qui se sont remis des pertes massives engendrées par la spéculation, l'anxiété est extrême vis-à-vis de l'avenir. Les systèmes économiques sont très fragiles car basés sur des Etats où la population nationale est très faible. A l'inverse, leur voisin égyptien compte 80 millions d'habitants dont la moitié vit dans un état de pauvreté extrême. Le voisin iranien, avec ses 80 millions d'habitants également et sa capacité de devenir un acteur nucléaire, pourrait faire des Etats arabes du Golfe ses vassaux.

La question est de savoir quel rôle cette région va jouer dans un monde multipolaire qui suppose que les Etats ne peuvent se passer des autres pour agir. La France peut aider les pays du Golfe à se développer, à jouer un rôle majeur et à relever des défis, dont elle partage un certain nombre.

L'approche purement tournée sur le profit est vouée à l'échec. Les Etats du Golfe ne veulent plus être des distributeurs de liquidités ni la station-service de l'Occident. Ils veulent maximiser leurs profits mais aussi jouer le rôle qu'ils estiment leur revenir dans le monde de demain et se prémunir contre les calamités prévisibles qui tiennent à la perspective de l'épuisement des réserves pétrolières et à la transformation des modèles énergétiques. L'anticipation de cette transformation passe par des projets d'investissements dans le nucléaire.

Il faut sortir des relations strictement bilatérales. Nous devons penser notre relation avec le Golfe dans le cadre d'une triangulation dont le premier pôle serait l'Union européenne avec son espace de droit et de paix et qui est aussi un grand marché, avec une monnaie unique et un tissu industriel et universitaire qui font de l'Europe un acteur non négligeable à l'échelle du monde. Pour accroître sa lisibilité, l'Europe s'est récemment dotée d'un président et d'un haut représentant pour la politique étrangère. Le deuxième pôle serait le Moyen-Orient, essentiellement le CCG aujourd'hui, l'Irak demain et éventuellement l'Iran après-demain. La région dispose d'atouts importants avec ses ressources pétrolières et gazières, un changement de modèle énergétique à terme, beaucoup de liquidités et une volonté très forte de jouer un rôle politique. Mais elle est aussi confrontée à un problème considérable de démographie. Elle éprouve également un sentiment de faiblesse et poursuit une quête incessante de la sécurité. L'Europe et le Moyen-Orient présentent des complémentarités. Elles doivent pouvoir ensemble aider au développement du troisième pôle que constituent l'Afrique du Nord et le Proche-Orient. Ces deux régions ne disposent pas de tissu industriel significatif, ni de ressources en hydrocarbures, hormis la Libye et l'Algérie, mais leur ressource humaine est abondante et très mal employée. Elle sert en outre de sas aux populations subsahariennes en attente d'immigration clandestine en Europe. Cette ressource humaine représente aujourd'hui un risque économique et politique majeur de déstabilisation des Etats de la région. S'il n'est pas géré dans une logique régionale globale, il deviendra un problème économique, politique et social majeur à la fois pour nos sociétés et pour celles du Golfe. Par ailleurs, on peut considérer qu'il existe en Afrique du Nord et au Proche-Orient de très gros potentiels de développement à condition que les investissements soient assurés et que le know-how industriel et technologique soit également en place. Mais aujourd'hui il y a une véritable inquiétude et la perspective du déferlement de populations arabes pauvres est un cauchemar quotidien pour les dirigeants du Golfe. Ils affichent même une volonté de substitution des ressortissants de pays arabes pauvres par des ressortissants d'Asie.

Les entreprises peuvent et doivent se situer dans une logique globale. C'est une vision de bonne gestion à moyen terme qui peut apporter aux entreprises françaises un avantage comparatif considérable. L'université est à vos côtés dans cette perspective.

Le colloque est animé par Michel PICOT, journaliste, BFM.