Effets des modes de scrutin divergents : cantonales et législatives 1946-1958

Jean-Marie DENQUIN
Université Paris X Nanterre

J'ai préféré consacrer mon exposé à la IV ème République, de 1946 à 1958. Les modes de scrutin influent de plusieurs manières sur les régimes politiques. Ils conditionnent la répartition des sièges dans l'assemblée. Cependant, le nombre de voix obtenues par les candidats dépend-il du mode de scrutin ? Un vote « utile » a-t-il lieu, déclenché par l'estimation des chances de succès d'un candidat ? La réponse est généralement positive, quoique difficilement démontrable. En effet, le mode de scrutin choisi est exclusif de tout autre. Ainsi, deux modes de scrutin ne peuvent être simulés pour une même élection. En outre, l'implication des électeurs est toujours stimulée par un enjeu.

Le mode de scrutin influe sur les votes. Les votes diffèrent qualitativement, à savoir dans leur contenu psychologique. Les changements quantitatifs sont néanmoins plus importants. Un nombre de voix obtenues par une liste de candidats au scrutin proportionnel égal à celui des voix obtenues par les candidats séparément au scrutin majoritaire démontrerait que le mode de scrutin n'influe par sur les votes. Une telle analyse est possible en France, où le scrutin majoritaire uninominal à deux tours et la proportionnelle départementale coexistent. La construction d'un tel modèle fait intervenir une variable supra-individuelle : le parti. Les candidats au scrutin de liste ou uninominal peuvent ainsi être comparés. L'élection ne se réduit toutefois pas à la dimension idéologique. Les électeurs votent en effet également selon les personnes. Le mode de scrutin est neutre par rapport aux comportements électoraux si et seulement si le nombre de voix obtenues par la liste d'un parti au scrutin proportionnel dans une circonscription est identique à la somme des voix obtenues au scrutin majoritaire par des candidats identiques de ce même parti dans les circonscriptions correspondantes.

Ce modèle ne peut être directement testé. En effet, il implique la comparaison d'une réalité avec un résultat simulé. Cependant, durant la IV ème République, trois élections législatives et quatre élections cantonales se sont déroulées. Une étude similaire ne peut être entreprise dans le cadre de la Vème République. Toutefois, de nombreuses variables perturbent la seule prise en compte du mode de scrutin. La première variable est chronologique. Ainsi, un décalage de quatre mois entre une élection législative et une élection cantonale peut influer sur le vote de l'électeur. Deuxièmement, l'élection législative ne comprend qu'un seul tour, contrairement à l'élection cantonale. Les électeurs choisissent ainsi de ne se déplacer seulement qu'au deuxième tour de l'élection cantonale. Troisièmement, le taux d'abstention peut différer du simple au double entre les deux élections. Un mode de scrutin neutre nécessite une identité des résultats en pourcentage, mais également une identité des électeurs. Quatrièmement, seule la moitié des cantons s'exprime lors d'une élection cantonale. Cinquièmement, la pertinence d'un rapprochement entre les chiffres dépend de la fiabilité des étiquettes politiques. Ainsi, lors de l'élection de 1949, le RPF a chapeauté des candidats issus d'autres partis. Les additions de voix demeurent donc toujours sujettes à caution. Sixièmement, les partis politiques ne présentent pas le même nombre de candidats.

En 1951, le parti communiste a obtenu des résultats électoraux très proches aux élections législatives et cantonales ; il en est de même pour la SFIO et le MRP. Ce constat témoigne d'une réelle stabilité. L'influence du mode de scrutin est présente, mais ne saurait être isolée sur la base des chiffres des élections de 1951. Ces observations montrent que les statistiques dont nous disposons sont impropres à la mise en exergue de réalités. De plus, le critère des résultats identiques aux divers modes de scrutin est manifestement trop exigeant. Enfin, l'élection constitue une question posée à l'électeur. Elle ne saurait être réduite à sa dimension idéologique, car un électeur peut répondre différemment à plusieurs questions.

Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES

Je vous remercie d'avoir brillamment mené cet exercice intellectuel. Je cède la parole à Guillaume BERNARD.