L'encadrement financier du processus électoral



Présentation de la journée

Bernard OWEN,
Secrétaire général du CECE

Notre équipe travaille ensemble depuis des années, et pour cette cinquième édition de nos rencontres, j'espère que nous parviendrons à vous transmettre notre enthousiasme.

Nous traiterons aujourd'hui des différentes dimensions de la prise en comptes des finances dans les processus électoraux. Ce matin, nous nous concentrerons essentiellement sur la France et certaines organisations européennes. Nous y estimons de manière générale que les candidats, s'ils ne doivent pas nécessairement concourir selon une égalité parfaite, doivent le faire en suivant des règles claires.

Depuis la constitution non appliquée de Condorcet, le lien entre élections et démocratie a fait l'objet de nombre de réflexions. Le modèle français auquel nous avons abouti est-il exportable ? En réalité, il convient de travailler à partir et en fonction de l'endroit concerné, en fonction des réussites et échecs connus.

Au cours de l'après-midi, nous aborderons le cas des ONG. A l'issue de la Guerre froide et de la réunion de Copenhague, les ONG internationales ont été dotées de droits exorbitants, puisqu'elles peuvent agir dans d'autres pays que le leur et véhiculer des sommes considérables. Or certaines exercent une activité politique indéniable. Elles peuvent contribuer, dans certains cas, à renverser des gouvernements en agissant selon une méthodologie quasi militaire, comme l'a récemment montré la technique très élaborée déployée lors des « révolutions de couleurs », en Géorgie, par exemple.

Actualité du financement électoral en France

Jean-Louis MERE,
Directeur juridique,
commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP)

Qu'entendons-nous par le terme d'actualité ? Certaines questions, bien qu'anciennes, demeurent sans réponse : Les frais de la campagne officielle doivent-ils intégrer les comptes de campagne ? Comment intégrer à ces comptes la publication d'ouvrages à compte d'éditeur, sans coût pour le candidat ? Quid des candidats déclarés, ayant reçu des soutiens financiers, mais n'allant pas au terme de leur démarche ? Comment régler les difficultés des candidats à ouvrir un compte bancaire ?

D'autres questions sont nouvelles en ce qu'elles portent sur de nouveaux moyens de communication, notamment depuis la campagne de Barack OBAMA. La problématique des réunions tenues dans un cercle privé, mais auxquelles le candidat n'a pas nécessairement donné son accord, se trouve démultipliée par les réseaux sociaux du web. Par ailleurs, le paiement d'un soutien par carte bancaire sur le web ne permet pas de vérifier que le donateur est bien une personne physique.

L'actualité la plus brûlante est évidemment celle des prochaines élections régionales. Les campagnes des Conseils généraux sur la réforme des collectivités territoriales ou la taxe professionnelle constituent-elles des dépenses de campagne ? La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rappelé le principe selon lequel une collectivité ne peut faire campagne en faveur d'un candidat, d'un de ses thèmes de campagne ou de son programme sous peine qu'on considère qu'il s'agit d'un concours en nature de personne morale. Toutefois un candidat peut rémunérer une collectivité pour une campagne et faire figurer ces frais dans ses comptes de campagne.

Cette présentation se limitera aux dernières décisions importantes de la CNCCFP.

1. Règles de procédure

Le candidat à une élection est tenu à deux obligations.

· Désigner un mandataire financier

Ce mandataire reçoit les fonds et paye les dépenses. Le candidat ne peut le faire directement, mais la jurisprudence prévoit une souplesse : il peut régler directement des menues dépenses, faibles par rapport au total des dépenses et négligeables par rapport au plafond des dépenses autorisées. L'imprécision demeure dans cette terminologie.

La CNCCFP a tenté de quantifier ces montants, même si la fixation de seuils est toujours dangereuse. Elle estime qu'ils doivent être inférieures à 10 % des dépenses globales et à 3 % du plafond. Par ailleurs, il faut tenir compte de la nature des dépenses afin d'éviter une multiplication incontrôlée de petits frais.

C'est sur la base de ces règles que les comptes de campagne du député FENECH ont récemment été rejetés. En réalité, la dépense importante qui a motivé cette décision avait été payée par un tiers pour le compte de ce candidat, mais il ne s'agissait pas d'un don et elle a été considérée comme un paiement direct de sa part. Le Conseil constitutionnel, n'ayant pas le pouvoir d'apprécier la bonne foi de l'accusé, a dû confirmer le rejet du compte.

Cette affaire conduit à penser d'une part que le Conseil devrait être pourvu de la faculté d'apprécier la bonne foi et d'autre part que la sanction ne devrait pas être disproportionnée par rapport à la faute. La CNCCFP pourrait alors sanctionner pécuniairement un candidat sans avoir à rejeter son compte.

· Déposer un compte de campagne visé par un expert comptable

A la date de son dépôt, le compte doit être visé par un expert comptable. La Commission n'admettait initialement pas de régularisation, mais une jurisprudence a reconnu que rien n'empêchait un candidat de régulariser son compte tant que la Commission n'avait pas statué. Cette dernière y voit une rupture d'égalité entre les candidats, dans la mesure où ils ne disposeront pas des mêmes délais selon qu'il y aura ou non contentieux.

2. Notion de dépenses électorales

Le Code électoral définit les dépenses électorales comme des dépenses engagées ou effectuées lors d'une élection et dont la finalité est l'obtention du suffrage des électeurs. Cette définition est peu précise et mêle deux types de comptabilité.

Les frais de déplacement de représentants de formations politiques entrent-ils dans ces dépenses ? Une jurisprudence du Conseil constitutionnel répond négativement, arguant de la difficulté même à définir un représentant de formation politique. Est-il une personne pouvant engager le parti, figurant dans son organigramme, disposant d'un mandat ? Un ministre est-il le représentant d'un parti ou de l'Etat ? Est-il un expert ? Par ailleurs, comment contrôler les partis ne bénéficiant pas des fonds publics, dont les frais de déplacement ne sont pas remboursés sur les comptes de campagne mais qui peuvent avoir été réglés par une collectivité ? Dans ce cas, la Commission a intégré à un compte les fais de déplacement du Premier ministre et sanctionné le candidat, mais elle a été contredite par le Conseil constitutionnel.

S'agissant des frais de restauration, la Commission a longtemps eu une position très restrictive : ils ne pouvaient être intégrés que s'il était prouvé que le candidat avait invité des personnes pour les convaincre. L'invitation de son équipe au restaurant n'entrait donc pas dans ce champ. Un arrêt d'avril 2009, autorisant un buffet pour des militants déjà convaincus, lui a donné tort.

La Commission a adopté une position nuancée sur les intérêts d'emprunt des partis politiques : ils pouvaient figurer aux comptes de campagne s'ils visaient à financer la campagne d'un candidat, mais non si le parti prêtait ensuite des fonds à ce candidat. En effet, les campagnes sont financées publiquement, au travers des partis, et le contribuable n'a pas à payer deux fois. De la même manière, le parti ne peut refacturer au candidat l'occupation de locaux ou l'utilisation de personnels fixes. La Commission n'a pas été suivie par le juge dans cette interprétation. Désormais, les candidats invitent leurs soutiens à donner au parti et non à leur compte, ce qui permet en outre de donner davantage. Un risque nouveau est apparu.

Les dépenses engagées pour obtenir l'investiture du parti ne sont pas considérées comme électorales, en revanche celles engagées contre un candidat peuvent l'être lorsqu'il n'existe que deux candidats et que ce positionnement amène à favoriser l'un des deux.

Une dépense électorale est-elle nécessairement remboursable ? Certaines, figurant dans le compte, financent des actions illégales telles que l'affichage sauvage. Si le fait est prouvé, elles ne doivent pas être remboursées. Qu'en est-il des gadgets et t-shirts distribués ? De nature indiscutablement électorale, ils ne participent pas au débat politique. La Commission estime qu'elle ne doit pas autoriser leur remboursement lorsque leur montant est trop élevé.

3. Rôle du juge de l'élection

Le juge électoral n'est pas un juge de plein contentieux : il doit seulement se prononcer sur l'éligibilité du candidat, et n'a pas compétence pour contester une décision de la Commission.

En cas de contestation sur le bienfondé de la décision, le candidat doit saisir à nouveau la Commission, et parfois aller jusqu'au recours contentieux classique, ce qui implique des frais élevés. Nombre de candidats ne se lancent donc pas dans cette démarche. Dès lors, ne serait-il pas envisageable de permettre au candidat un recours pour excès de pouvoir en lieu et place d'un contentieux ? Il peut par ailleurs advenir qu'un candidat, dont le compte a été accepté par la Commission, soit sanctionné par le Conseil. Déclaré inéligible, il bénéficie néanmoins d'un remboursement de son compte car le juge ne peut se substituer à la décision de la Commission.

Ces deux cas de figure posent la question du pouvoir d'interprétation de la Commission. La création de la notion de dépenses non remboursable montre qu'elle peut dépasser son rôle, mais le juge adopte souvent une position très restrictive. Il en est allé ainsi lorsque la Commission a suggéré qu'un non respect des obligations légales (ou la répétition trois années d'affilée des mêmes réserves de la part des Commissaires aux comptes) n'entraîne que la perte de l'avantage fiscal et de la possibilité pour le mandataire d'accorder des dons. Hier, le Conseil d'Etat a considéré que ce positionnement outrepassait les pouvoirs de la Commission.