L'encadrement financier du processus électoral



Patrimoine des élus : avez-vous quelque chose à déclarer ?

Bernard MALIGNER

CERSA Université Panthéon-Assas Paris II

Ainsi que le rappelait Philippe SEGUIN en 1994 dans le groupe de travail Politique et argent, la Convention a décrété le 4 vendémiaire an IV de la République (26 septembre 1795) : « Chaque représentant du peuple sera tenu, dans le délai d'une décade et dans celui de deux décades pour ceux qui sont négociants ou marchands, de déposer la déclaration de fortune qu'il avait au commencement de la Révolution et de celle qu'il possède actuellement ». Il aura fallu deux siècles pour que ce décret trouve un début d'application !

1. Le dispositif actuel

Les Etats-Unis se sont dotés d'un code d'éthique en 1978, l'Italie en 1982 et la France en 1988. Ce dispositif a ensuite été complété en 1995 et 2000. Tous les décideurs publics doivent faire connaître l'état de leur patrimoine à leur entrée en fonction et lors de leur sortie, au travers de déclarations de patrimoine contrôlées par la Commission pour la Transparence financière de la Vie politique, la procédure, en cas d'irrégularités constatées, pouvant déboucher sur différentes sanctions dont, le cas échéant, la saisine des juridictions répressives. Les personnes concernées sont :

· des personnalités non élues, notamment les membres du Gouvernement ;

· les titulaires de certaines fonctions dans le secteur public (présidents, P-DG et directeurs adjoints des entreprises nationales, EPIC et organismes publics d'habitations à loyer modéré) ;

· des candidats non élus, notamment à l'élection présidentielle (la déclaration de patrimoine fait partie des conditions de recevabilité de la candidature, mais seule celle du Président élu est publiée au Journal officiel au lendemain de l'élection) ;

· le Président de la République ;

· des élus (membres du Parlement, présidents des conseils régionaux, présidents des conseils généraux, Président de l'Assemblée de Corse, Président du Conseil exécutif de Corse, présidents des assemblée territoriale d'Outre-mer, maires des communes et présidents des groupements de communes de plus de 30 000 habitants, députés européens, futurs conseillers territoriaux).

Cette déclaration comporte 12 rubriques : immeubles bâtis et non bâtis ; valeurs mobilières ; assurances vie ; comptes bancaires ; meubles meublant ; collections, objets d'art, bijoux, pierres précieuses, or ; véhicules ; fonds de commerce, charges et offices ; autres biens ; biens immobiliers et comptes à l'étranger ; passif ; observations.

Les assujettis doivent la transmettre dans les deux mois suivant leur entrée en fonctions et dans les deux mois qui précèdent leur échéance. Ils peuvent également informer la Commission sur des évolutions sensibles de patrimoine en cours de mandat.

Instituée en 1988, la Commission pour la Transparence financière de la Vie politique est une autorité administrative indépendante mais qui siège dans les locaux du Conseil d'Etat. Elle comporte trois membres de droit (vice-président du Conseil d'État, président de la commission ; premier président de la Cour de cassation ; premier président de la Cour des comptes) et 12 membres titulaires ou suppléants (4 présidents de section ou conseillers d'État, en activité ou honoraires, élus par l'assemblée générale du Conseil d'État ; 4 présidents de chambre ou conseillers à la Cour de cassation, en activité ou honoraires, élus par l'ensemble des magistrats du siège hors hiérarchie de la Cour ; 4 présidents de chambre ou conseillers maître à la Cour des comptes, en activité ou honoraires, élus par la chambre du Conseil). Elle est assistée d'un Secrétaire général et de 9 rapporteurs pour mener ses investigations. Elle fonctionne en formation ordinaire ou plénière et les assujettis peuvent être invités à comparaître devant elle. Elle est investie d'une mission d'information auprès des ministres du non respect par les assujettis de leurs obligations, dispose de la possibilité de lancer des actions pour obtenir ces informations, et est tenue à la plus grande discrétion. Les sanctions potentielles comprennent l'inéligibilité temporaire d'un an aux fonctions exercées, l'absence de remboursement forfaitaire des dépenses électorales et la nullité de la nomination. Un volet pénal repose en outre sur l'incrimination pour faux et usage de faux.

2. Quelques voies d'amélioration

L'obligation de déclarer son patrimoine pourrait être étendue aux maires des 187 communes de 20 000 à 30 000 habitants. M. DAUZIERES, député, recommande de réduire le nombre de décideurs publics locaux susceptible de répondre devant la Commission. Il est rejoint sur ce point par la Commission elle-même dans son rapport de 2009. Son Président, M. SAUVE, indique en outre qu'un temps considérable pourrait être gagné s'il était possible de recouper les déclarations de patrimoine et les déclarations de revenu. Il souhaite également la création d'une sanction en cas de déclaration mensongère. Paradoxalement en effet, l'absence de déclaration est lourdement sanctionnée par la perte du mandat et l'inéligibilité, mais des lacunes manifestes ne le sont pas. De manière plus générale, trois types d'amélioration sont possibles.

· Une modification de la déclaration patrimoniale du chef de l'Etat

M. DAUZIERES a récemment proposé qu'une nouvelle déclaration de patrimoine soit établie en cas de rupture ou modification de la communauté. Dans un tel cas de figure en effet, il devient impossible de comparer les déclarations initiale et finale. Par ailleurs, la simple information du public pourrait être dépassée si la variation du patrimoine faisait l'objet d'un véritable contrôle, par exemple de la part de la Commission pour la Transparence. Enfin, le chef de l'Etat pourrait, comme d'autres, signaler toute évolution notable de son patrimoine auprès de la Commission. En revanche, la possibilité de le rendre inéligible ou passible d'une sanction pénale demeure difficile d'application.

· Un accroissement des compétences de la Commission :

Depuis 1993, il est proposé d'élargir le champ des informations à la disposition de la Commission. Celle-ci devrait également disposer de moyens pour recouper les informations dont elle dispose, notamment grâce aux déclarations d'impôt sur le revenu ou la fortune. Tout refus devrait être sanctionné et, dans des situations douteuses, les investigations devraient pouvoir s'étendre au patrimoine des proches de l'assujetti. L'action de la Commission pourrait également être renforcée par davantage de sévérité. L'application stricte de la sanction d'inéligibilité d'un an amènerait à sanctionner 30 % des élus locaux assujettis, et nombre de parlementaires nationaux et européens. Le mécanisme de la sanction pourrait au moins être simplifié : il existe pour l'heure un long processus de transmission par la Commission au Premier ministre puis au ministre de l'Intérieur et au Préfet, alors que la Commission pourrait directement saisir la juridiction compétente.

· Un renforcement de l'arsenal des sanctions

La Commission se trouve souvent paralysée par l'inaction des juridictions répressives, car le Parquet n'aboutit presque jamais à une sanction pénale en l'absence d'incrimination idoine. M. DAUZIERES et la Commission suggèrent donc d'instituer une nouvelle incrimination dans la législation, celle de déclaration de patrimoine manifestement insincère, fausse ou mensongère. La proposition de loi déposée en ce sens prévoit en outre de conférer au juge pénal la possibilité de prononcer des inéligibilités ou privations de certains droits électoraux. L'enquête récemment lancée par M. SAUVET permettra de disposer d'un panorama complet des dispositifs étatiques.