Asie centrale : quels marchés pour quelles entreprises ?

Gilles REMY,
président-directeur général, Cifal Groupe, CCEF

Cette région représente un enjeu stratégique, que nous y fassions des affaires ou non. Ainsi, une déstabilisation de l'Ouzbékistan aurait des conséquences dramatiques.

Les huit pays qui composent cette zone ne sont pas si importants que cela du point de vue de leur PIB ou de leur population. Ils forment une mosaïque de pays ayant reçu en héritage soit des richesses, soit rien du tout. La population de 75 millions d'habitants - répartie sur un espace considérable - est bien éduquée.

Cette zone peut être stratégique pour des grands groupes français du fait de la richesse de ses sous-sols ou de ses projets de développement d'infrastructures. La question qui se pose porte donc sur l'occupation du terrain. Tous ces pays sont issus d'un même Etat, mais chacun possède sa propre législation, en matière de visas notamment. Il n'existe pas de capitale régionale à partir de laquelle rayonner.

Ce marché est intéressant car ses besoins essentiels correspondent aux pôles d'excellence de notre industrie. L'approche est différente pour les PME. Il n'est pas évident d'accompagner une PME dans une telle zone. Le travail doit davantage se faire par des agents locaux que par des implantations directes. A l'inverse, pour un industriel du gaz ou du pétrole, un équipementier ou une société de services, cette région est essentielle.

Les entreprises françaises qui ont travaillé dans cette région ont globalement réussi, dégageant des marges normales. Avec environ 3 % de parts de marché, la France peut progresser. La grande interrogation pour l'avenir est la présence chinoise. Tous ces pays préféreraient certainement travailler avec nous qu'avec les Chinois, mais personne d'autre que les Chinois ne peut investir 5 milliards d'euros d'emblée sur un projet.

Kazakhstan, Ouzbékistan, Kirghizstan, Tadjikistan : nouvelle donne, moment de vérité

Jean-Jacques GUILLAUDEAU,
chef du service économique à Astana

L'année dernière, j'avais abondamment parlé de la Chine. Aujourd'hui, tout le monde l'a fait avant moi. Ce sujet est important. La Chine contrôle 28 % de la production de pétrole du Kazakhstan.

Le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, le Kirghizstan et le Tadjikistan doivent régler des questions dont la résolution a été reportée. C'est au prix de cet effort qu'ils passeront à une étape de développement supérieur.

Le Kazakhstan vous a été très bien décrit. Sur le plan macro-économique, ce pays va bien, avec 7 % de croissance l'an dernier, et probablement un taux identique cette année. Même pendant la crise, le Kazakhstan a continué de croître. Le PIB par habitant est d'environ 9 000 dollars, soit le niveau des derniers entrants de l'Union Européenne. Ce pays est stable politiquement. Le Président de la République vient d'y être réélu. Le Kazakhstan a su conserver un équilibre et la paix dans un contexte multiethnique remarquable, fait d'une multiplicité de religions. Outre l'islam dominant, toutes les églises sont présentes au Kazakhstan.

Dans ce contexte très porteur, la France était très peu présente sur le plan industriel jusqu'au sommet du 6 octobre 2009 à Astana. Cela confirme l'importance du fait politique dans ces pays. Il existait un réel besoin de reconnaissance politique. Depuis cette date, de nombreux contrats ont été signés : Alstom construit une usine à Astana et négocie la réalisation d'un tramway, Eurocopter assemblera des hélicoptères, tandis qu'EADS, Thalès, Sagem, Total et Areva sont également présents. Total considère le Kazakhstan comme l'un de ses cinq pays stratégiques dans le monde. Le Kazakhstan est le premier fournisseur d'Areva. Dans le domaine agroalimentaire, Lactalis possède plusieurs unités de production. Danone monte en puissance. Ciments Français est présent depuis longtemps. Au final, la position de la France a pris un essor considérable au Kazakhstan depuis que les contacts politiques entre les deux pays sont de haut niveau.

Derrière tous ces grands projets, notre défi consiste à faire venir un nombre croissant de PME dans ce pays. Il existe des raisons objectives pour cela, même si pour l'instant, les Italiens ont été plus efficaces que nous dans ce domaine.

Le Kazakhstan se trouve à un point intéressant de son histoire. Pour aller plus loin, il a trois défis à résoudre. Il doit d'abord former davantage d'ingénieurs et de techniciens. Les financiers sont très doués, mais il est très compliqué de recruter des ingénieurs et des techniciens au Kazakhstan. Ce pays doit également parvenir à détourner une partie de sa richesse considérable vers le secteur agricole, qui emploie un tiers de ses habitants. Ce secteur très prometteur a besoin de beaucoup d'investissements. La France pourrait faire beaucoup dans l'élevage, les semences ou l'irrigation. Enfin, compte tenu du niveau de l'investissement étranger, le Kazakhstan doit absolument développer les conditions d'accueil des investisseurs étrangers. Des lois sont actuellement en discussion. Dans le secteur de l'énergie, nous savons à quoi nous en tenir. Dans les autres secteurs, les discussions se poursuivent. Il faut que la législation soit suffisamment souple pour que les investissements puissent perdurer. Il ne faudrait pas que le pourcentage de contenu local soit trop important.

Le projet Kashagan est emblématique pour le pays. Il est donc important que tout se passe bien. Tout le monde souhaite que cette opération soit un succès. Cela passe par la mise en oeuvre de technologies modernes. Les investisseurs français ont la volonté de transférer de la technologie au Kazakhstan et d'y bâtir une tête de pont. Pour cela, il faut qu'ils puissent y faire venir des ingénieurs et des techniciens. Or il est parfois difficile d'obtenir ou de renouveler des permis de travail.

En tout cas, le Kazakhstan représente une opportunité de développement très importante, mais il doit stabiliser les termes de son partenariat avec les investisseurs étrangers pour passer à la dimension supérieure.

L'Ouzbékistan est un pays riche et intéressant, parce que très diversifié. Outre le gaz et le pétrole, il possède de l'uranium, du coton, de l'agriculture et des mines d'or. Sa population de 30 millions d'habitants est de loin la plus importante de la région. Elle est bien formée. Le défi de l'Ouzbékistan est l'ouverture. Le frémissement que nous sentons doit se traduire dans les actes. Deux sujets se posent. Le premier concerne la convertibilité du soum. Les entreprises françaises ont une volonté de se développer dans ce pays. L'Ouzbékistan doit davantage s'ouvrir aux ressources naturelles. Ainsi, il est dommage qu'Areva ne puisse pas faire dans ce pays ce qu'il fait au Kazakhstan. Les autorités ouzbèques l'ont compris. Nous sentons que les choses changent.

Le Tadjikistan et le Kirghizstan sont intéressants non seulement parce que la stabilité y est très importante, et à cet égard les efforts du Kirghizstan pour tendre vers davantage de démocratie doivent être salués, mais également parce qu'ils renferment des possibilités. Ainsi, l'eau de ces deux pays est cruciale pour leurs voisins, mais son prix est très faible.