Colloque "Caucase, Asie centrale : la dynamique Caspienne" (10 avril 2008)



Instruments de la politique étrangère et outils du développement économique :
les hydrocarbures et leur maîtrise par les États
de la zone Caspienne-Asie centrale

Alain PRZYBYSZ,
Délégué pays Azerbaïdjan, Kazakhstan, Turkménistan, Total Exploration et Production

Les hydrocarbures ne sont pas commercialisés dans le cadre normal des affaires. Ils sont l'objet de toute l'attention des politiques. La zone Caspienne-Asie centrale échappera de moins à moins à cette règle. Elle représente des enjeux dont les Etats de la région tirent parti pour acquérir une stature internationale. L'accroissement de leur revenu, lié à la manne pétrolière, leur permet de mettre en place des politiques de développement. Il leur confère une force de frappe pour procéder à des investissements stratégiques en dehors de leurs frontières.

Leur enclavement fait qu'ils recherchent à diversifier les voies d'évacuation des hydrocarbures et à accéder à des mers ouvertes, des projets demandant l'implication politique des Etats parties prenantes, sans laquelle les conditions favorables à la réalisation des infrastructures nécessaires pour pareilles entreprises, ne pourraient voir le jour.

La zone Caspienne-Asie centrale se trouve à l'intersection d'un axe Nord-Sud constitué des régions productrices - allant de la Sibérie Occidentale en Iran - et d'un axe Est-Ouest composé des pays importateurs et allant de la Chine à l'Europe. Toutes les puissances ont intérêt à ce que les hydrocarbures se déplacent dans une direction qui leur convienne. Les Etats de la zone font donc l'objet de multiples sollicitations et pressions. Désireux d'être reconnus en tant que pays libres, ils utilisent les hydrocarbures comme un outil de politique étrangère. Le Kazakhstan s'affirme ainsi en puissance régionale et économique de premier plan.

Les hydrocarbures sont aussi au centre des relations entre l'Union européenne et l'Azerbaïdjan. Ce dernier pays et le Kazakhstan ont, par ailleurs, signé avec l'Union européenne des protocoles relatifs à l'exploitation des hydrocarbures. Ils pourraient être rejoints en cela par le Turkménistan.

Le secteur pétrolier génère des rentes pour ces Etats, ainsi qu'une forte une activité industrielle dont ils se servent pour conforter les autres secteurs de leur économie, parmi lesquels l'agriculture. Les fonds pétroliers mis en place par certains pays assument ce rôle de régulateur et s'accompagnent d'outils de gestion des ressources pétrolières, par exemple des contrats ou la législation pétrolière.

Cette dernière s'est durcie au cours des dernières années. Le Kazakhstan en revient ainsi au régime des contrats de concession. La raréfaction du domaine minier disponible explique cette tendance. Elle accroît les risques pour les sociétés pétrolières. Les exigences des Etats rendent aussi les négociations des contrats plus difficiles. L'augmentation des prix du pétrole crée en effet des attentes en matière de rente et va de pair avec un accroissement vertigineux des coûts d'exploration, de développement et de production. Les opérateurs pourraient être aussi acculés à une baisse d'efficacité de leur travail, du fait de la présence d'administrations nationales tatillonnes.

Les sociétés pétrolières nationales des pays de la zone Caspienne sont en mesure, à l'image de Socar en Azerbaïdjan, de jouer le rôle d'opérateurs pétroliers dans des zones réservées. Elles peuvent à la fois être des partenaires étrangers, au sein de consortiums internationaux, des gestionnaires de contrats pétroliers pour l'Etat et des investisseurs sur le marché domestique ou à l'étranger. Elles représentent le bras armé de l'Etat pour son développement industriel et, en même temps, un outil de sa politique étrangère. Elles se trouvent en première ligne pour les relations contractuelles avec les opérateurs pétroliers et peuvent être impliquées dans des négociations délicates sous l'autorité des hommes politiques. Elles peuvent ainsi avoir pour mission l'optimisation de la rente pétrolière.

Total développe de nombreuses activités dans la région. L'entreprise possède 18,52 % du site de Kashagan, lequel cache une réserve de plus de 10 Mds de barils. En Azerbaïdjan, elle détient une participation de 10 % dans le champ de gaz Shah Deniz et dans le gazoduc BTE. La première phase de développement de ce champ a démarré en fin 2006. Sa production en régime stabilisé s'élèvera à 10 Mds de m 3 par an, dont plus de 6 Mds de m 3 seront exportés vers la Turquie. Le potentiel de ce site pourrait permettre le lancement d'une deuxième phase de développement.

Total est également actionnaire à hauteur de 5 % de l'oléoduc BTC. L'ensemble de ses participations fait d'elle un acteur majeur dans la région, qui s'est engagé à étudier la manière d'évacuer les pétroles Kazakhs vers le Sud. Dans cette perspective, elle a conçu une voie traversant la mer Caspienne et se connectant à l'oléoduc BTC, à Bakou. Ce projet, baptisé KCTS, permettra d'évacuer vers la Méditerranée orientale une part importante des productions de Kashagan et de Tengiz.

Le contrôle que les Etats exercent sur les activités pétrolières est parfaitement légitime. Les enjeux sont considérables pour eux. Une société pétrolière, elle, dans le cadre de son activité, cherche un cadre légal bien défini et protecteur pour ses investissements, un contrat raisonnablement rémunérateur, des relations fluides avec les autorités et des perspectives d'ouverture de domaines miniers. Il n'existe pas d'incompatibilité entre ses besoins et les outils, lois et contrats des sociétés nationales que l'Etat utilise. Il faut toutefois éviter que ces outils n'ajoutent encore des incertitudes et n'augmentent les risques inhérents à l'exploration pétrolière. Les contrats doivent prendre en compte l'ensemble des paramètres économiques et les sociétés nationales continuer à se comporter en partenaires soucieux d'acquérir nos savoir-faire et prêts à nous proposer de nouveaux domaines de coopération.