Étude de législation comparée n° 313 - mars 2023

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- LÉGISLATION COMPARÉE -

NOTE

sur

SIMPLIFICATION DU DROIT ET ÉVALUATION EX ANTE

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Pays-Bas

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Cette note a été réalisée à la demande de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Elle actualise partiellement l'étude n° 267 sur la simplification du droit

AVERTISSEMENT

Ce document constitue un instrument de travail élaboré à la demande des sénateurs, à partir de documents en langue originale, par la Division de la Législation comparée de la direction de l'initiative parlementaire et des délégations. Il a un caractère informatif et ne contient aucune prise de position susceptible d'engager le Sénat.

SIMPLIFICATION DU DROIT ET ÉVALUATION EX ANTE

À la demande de la délégation aux collectivités territoriales, la Division de la Législation comparée a procédé à une mise à jour partielle de l'étude n° 267 sur la simplification du droit 1 ( * ) , publiée en mai 2016. Cette mise à jour se concentre sur l'étude des procédures d'examen ex ante des projets de nouvelles réglementations aux Pays-Bas . De plus, elle présente les initiatives de simplification et d'allègement des charges et coûts administratifs spécifiquement en faveur des collectivités territoriales (et non des entreprises).

Les Pays-Bas font figure de pionnier et de modèle en matière de simplification du droit en Europe. Comme relevé dans l'étude annuelle de 2016 du Conseil d'État 2 ( * ) , la simplification y est abordée moins comme une façon d'améliorer la clarté du droit que comme un moyen de diminuer les charges et les coûts de mise en oeuvre pour les entreprises, mais aussi les citoyens et les collectivités territoriales. Il s'agit ainsi de diminuer la pression normative ( regeldruk ) pesant sur les différents acteurs 3 ( * ) .

Le succès du modèle néerlandais tient à l'existence de deux processus de contrôle de la pression normative :

- au plan interne, les ministères doivent examiner la qualité et la nécessité de tout projet de loi dans le cadre de la démarche d'évaluation ex ante « IAK » ;

- au plan externe, l'autorité consultative de contrôle de la pression normative (ATR, anciennement dénommée ACTAL) est saisie des textes les plus importants.

Deux évolutions principales sont intervenues depuis la publication de l'étude initiale en 2016 : d'une part, la transformation de l'autorité ACTAL en ATR, le projet de pérennisation de l'autorité et l'élargissement de ses tâches au contrôle des charges créées par les propositions d'actes européens et, d'autre part, la décision de refondre le cadre d'évaluation IAK.

a) Le rôle et l'activité de l'autorité indépendante ATR

L'autorité consultative de contrôle des charges administratives ( Adviescollege toetsing administratieve laten - ACTAL), créée en 2000 et dont le mandat avait été renouvelé pour la période 2011-2017, a laissé la place, en 2017, à l'autorité consultative de contrôle de la pression normative ( Adviescollege toetsing regeldruk - ATR) 4 ( * ) . Le mandat de l'ATR prenant théoriquement fin en décembre 2022 et le gouvernement ne pouvant prolonger ce dernier 5 ( * ) , il a présenté, en octobre 2022, une décision créant une « ATR provisoire », dans l'attente de l'adoption d'un projet de loi établissant l'ATR en tant qu'organe permanent 6 ( * ) .

La composition de l'autorité demeure inchangée : le collège de l'autorité se compose d'un président et de trois membres nommés par le Conseil des ministres. Il est assisté d'un secrétariat de dix personnes. Le budget de l'ATR s'élevait à 1,8 million d'euros par an moyenne entre 2017 et 2020 7 ( * ) .

En dépit de la volonté initiale du gouvernement de limiter le mandat de la nouvelle autorité aux nouveaux projets législatifs et de supprimer son rôle consultatif vis-à-vis des collectivités territoriales, les missions de l'ATR demeurent quasiment identiques à celles de sa prédécesseur ACTAL, et ce conformément à la volonté de la seconde chambre du parlement ( Tweede Kamer ) 8 ( * ) .

L'ATR a pour missions principales :

- de conseiller le gouvernement sur les effets des projets de loi, d'arrêtés ministériels et de mesures administratives en terme de pression normative ;

- sur demande, de conseiller la seconde chambre du parlement sur les effets de ses propositions de loi ou d'amendements en terme de pression normative ;

- sur demande, d'aider un ministre dans la préparation d'un texte législatif ou réglementaire.

À condition que cela n'affecte pas l'exécution de ses tâches essentielles, l'ATR peut également remplir les missions annexes suivantes :

- conseiller les communes, provinces et agences de l'eau, à leur demande, sur les conséquences de leurs réglementations ;

- conseiller l'une des deux chambres du parlement, à sa demande, sur les questions de pression normative ;

- conseiller le gouvernement sur les goulots d'étranglement dans la législation et la réglementation existantes, notamment à partir des signalements d'entreprises ou de la société civile.

L'action de l'ATR se concentre ainsi à un stade précoce, en amont du processus d'adoption des normes , afin de s'assurer que l'objectif politique est atteint sans imposer une charge excessive aux citoyens et aux entreprises. Son intervention n'est pas systématique : les ministères ont la faculté de la saisir sur les projets de loi les plus importants ou présentant une difficulté.

Le projet de loi instituant l'ATR en tant qu'organe permanent, présenté en mai 2022, propose de confier à l'autorité une nouvelle compétence en matière d'évaluation de la pression normative et des charges créées par les propositions d'actes européens 9 ( * ) . Il prévoit également la possibilité, pour les ministères, de demander à l'ATR un avis sur leur stratégie ou « vision » de politique publique, en amont de tout projet législatif.

L' évaluation de l'ATR pour la période 2017-2020 , menée par un cabinet indépendant, indique que l'autorité a répondu en moyenne à plus de 400 demandes de conseils par an . 35 % des réponses ont pris la forme d'un avis formel (lettre au ministre responsable), le reste étant traité dans le cadre d'une procédure abrégée, assurant un traitement rapide des demandes, conforme au délai de réponse fixé à quatre semaines. Le rapport conclut que ATR a « satisfait aux exigences de performance » et qu' « il existe un large consensus parmi les parties prenantes sur le fait que sans ATR, la qualité des dossiers législatifs serait moindre et la pression normative serait plus forte » 10 ( * ) . Le rapport note le recours de plus en plus important des ministères à la pré-consultation de l'ATR, même si cette possibilité doit encore être davantage utilisée. En particulier, la consultation des parties prenantes sur Internet a souvent lieu en parallèle de l'examen par l'ATR alors même qu'il serait plus logique que cet examen ait lieu avant.

Le rapport d'évaluation estime qu'environ 80 % des recommandations de l'autorité sont suivies, en tout ou partie, par les ministères , mais s'agissant des recommandations non suivies, les justifications des ministères demeurent insuffisantes. Enfin, le rapport recommande une meilleure utilisation des avis de l'ATR 11 ( * ) par les parlementaires : « désormais, les ministères sont uniquement tenus de mentionner l'avis de l'ATR dans l'exposé des motifs des projets de loi. Il conviendrait d'imposer aux ministères de renvoyer les avis de l'ATR au parlement avant l'examen d'un projet de loi » ou d'indiquer précisément les suites données ou non à chaque recommandation 12 ( * ) .

Un autre rapport sur le suivi des avis de l'ATR par les ministères, publié en juillet 2022, montre que 53 % des recommandations de l'ATR sont entièrement suivies, 13 % le sont partiellement et 23 % ne sont pas suivies, après justification du ministère 13 ( * ) .

Le cadre d'évaluation utilisé par l'ATR demeure identique à celui utilisé par l'ACTAL. Lors de l'examen d'un projet de loi, quatre questions sont examinées, autour desquelles sont construits les avis :

« 1. Utilité et nécessité : y a-t-il lieu pour le gouvernement d'agir et la loi est-elle l'instrument le plus approprié ?

2. Existe-t-il des alternatives moins contraignantes ?

3. Les moyens de mise en oeuvre choisis sont-ils réalisables pour les groupes cibles devant se conformer à la législation ?

4. Les conséquences sur la pression normative ont-elles été pleinement et correctement identifiées ? »

L'avis de l'ATR peut être i) favorable à la soumission du texte au parlement sans modification préalable, ii) favorable à la soumission sous réserve d'adaptations mineures, iii) négatif sous réserve que des modifications importantes soient prises ou iv) négatif, sans adaptation possible, en raison d'objections fondamentales (par exemple, la loi ou le règlement n'est pas l'instrument approprié). En 2021, 8 % des avis formels rendus étaient défavorables, sans modification possible (contre 2 % en 2018) 14 ( * ) . Depuis la pandémie de Covid-19, l'ATR a constaté une dégradation de la justification des propositions normatives et de leur applicabilité.

À titre d'exemples :

- en 2021, l'ATR a rendu un avis négatif, sous réserve de modifications substantielles, sur le projet de loi visant à étendre l'obligation de « billets d'entrée coronavirus » sur le lieu de travail et dans les établissements de soins. Elle a estimé que ce texte créait une charge supplémentaire de 2 milliards d'euros pour les citoyens et de 433 millions d'euros pour les entreprises et a conclu qu'il existait une alternative moins onéreuse 15 ( * ) ;

- le 12 octobre 2022, l'ATR a rendu un avis négatif (défavorable à la soumission au parlement) concernant le projet de loi sur l'absentéisme scolaire . Elle a considéré que le projet de loi « entraîne une charge d'enregistrement des absences plus lourde pour les professionnels, sans garantie que ces mesures permettent de réduire l'absentéisme. Les écoles et les professionnels ne semblent pas suffisamment équipés pour remplir ces obligations d'enregistrement supplémentaires. En outre, les conséquences de la charge réglementaire n'ont en grande partie pas été évaluées. L'absence d'objectif précis et de compréhension adéquate de l'étendue de la charge réglementaire signifie qu'il n'est pas possible (pour le législateur) d'évaluer si les effets de ce texte sont proportionnés » 16 ( * ) .

b) Le remplacement du cadre d'évaluation « IAK » par le « Beleidskompas »

Le « cadre d'évaluation intégral de la politique et de la réglementation » (Integraal Afwegingskader voor beleid en regelgeving, IAK ) est une méthodologie d'étude d'impact ex ante , utilisée aux Pays-Bas lors de la phase préparatoire de tous les projets de loi. L'IAK contient sept questions clés 17 ( * ) auxquelles chaque ministère doit répondre afin de démontrer que le texte envisagé est nécessaire, applicable, conforme, efficace et efficient. Les réponses à ces questions sont présentées lors de la phase de consultation en ligne des projets de loi, accompagnées du projet de loi.

Le cadre d'évaluation IAK été généralisé à tous les ministères en 2010, sous la coordination du ministère de la Sécurité et de la Justice. Cependant, sur un échantillon de 434 projets de loi ou de réglementation soumis à consultation sur internet en 2018 et 2019, l'ATR a constaté que : i) dans un quart des dossiers le document IAK était manquant ; ii) que 65 des documents IAK disponibles ne présentaient pas ou très peu d'informations sur les alternatives possibles et iii) 77 des documents IAK ne présentaient pas ou peu d'informations sur les conséquences du projet de texte 18 ( * ) . Cette situation s'explique, selon l'étude de l'ATR, par la multitude des critères de l'IAK, qui le rendent trop complexe et peu maniable pour les ministères, ainsi que par l'absence de contrôle de qualité efficace 19 ( * ) .

Par conséquent, le gouvernement a annoncé en décembre 2021 la révision du cadre d'évaluation IAK et son remplacement, au premier semestre 2023, par un nouvel instrument obligatoire dénommé « boussole politique » ( Beleidskompas ) . En octobre 2022, le ministère de la Justice et de la Sécurité a présenté plus en détail le projet de réforme 20 ( * ) qui repose sur trois principes :

- le passage d'un processus linéaire à un cycle politique . L'analyse du problème doit être affinée sur la base de nouvelles informations, qui seront disponibles ultérieurement ;

- la prise en compte des personnes ou entités intéressées tout au long du processus afin de renforcer la coopération entre les différentes parties prenantes ;

- la considération de l'intégralité des options. « Le point de départ ne devrait jamais être l'élaboration d'une nouvelle loi . Premièrement, l'utilité et la nécessité d'une loi et les instruments alternatifs possibles pour atteindre l'objectif doivent être explorés. La boussole politique y contribue en fournissant des méthodes, telles que le test de mise en oeuvre et d'application (test U&H) et l'analyse coûts-avantages sociaux (SCBA), pour cartographier correctement les conséquences pertinentes des diverses options » 21 ( * ) .

Concrètement, les modifications suivantes seront introduites :

- la mise à jour des questions et des critères de qualité de l'IAK ;

- la création d'un nouveau site internet (www.beleidskompas) orienté vers les utilisateurs, présentant le contenu des évaluations à l'aide d'outils visuels et numériques ;

- une plus grande sensibilisation des ministères à travers la promotion du nouvel outil et des programmes de formation visant à s'assurer de sa bonne connaissance et de sa bonne utilisation ;

- la clarification des responsabilités des ministères et des organes de mise en oeuvre dans l'utilisation de la boussole politique ;

- l'amélioration régulière de la boussole politique par les usagers (c'est-à-dire l'administration des ministères), à travers différents groupes de pilotage) ;

- et enfin, l'évaluation de la réforme 22 ( * ) .

c) La politique de réduction de la pression normative en faveur des collectivités locales

Sur son site internet 23 ( * ) , le gouvernement central ( Rijk ) cite plusieurs mesures ayant contribué à diminuer la pression et la charge normatives pour les collectivités locales (communes et provinces) ces dernières années :

- le gouvernement central introduit, dans la mesure du possible, de nouvelles lois à des dates fixes. « Par conséquent, les communes et les provinces ne sont plus prises au dépourvu » ;

- la simplification de la responsabilité des communes et des provinces vis-à-vis de l'État ;

- la réduction du nombre de subventions spécifiques en faveur des communes et des provinces. Le financement est principalement assuré par le fonds communal et le fonds provincial ;

- l'allègement des procédures de supervision des collectivités locales par l'État central (par exemple, transmission unique des données comptables) et la suppression des dispositifs de tutelle.


* 1 http://www.senat.fr/lc/lc267/lc267_mono.html#toc199

* 2 Conseil d'État, Étude annuelle 2016, « Simplification et qualité du droit », 2016, p. 156.

* 3 https://www.rijksoverheid.nl/onderwerpen/regeldruk

* 4 Besluit van 17 mei 2017, nr. 2017000809, houdende instelling van het Adviescollege toetsing regeldruk

* 5 Pour des raisons juridiques, il n'est pas possible de prolonger le mandat de ce type d'autorité consultative, censée être temporaire.

* 6 https://open.overheid.nl/repository/ronl-7d70d6ddcb7c783a8cee9871e967000fef631e90/1/pdf/voorhang-van-het-ontwerpbesluit-van-het-instellingsbesluit-adviescollege-toetsing-regeldruk.pdf

* 7 Les nouvelles compétences données à l'ATR concernant les stratégies de politique publique des ministères et les textes européens entraîneront une augmentation de son budget de l'ordre de 1,8 million d'euros par an, selon le gouvernement.

* 8 https://www.atr-regeldruk.nl/wp-content/uploads/2011/10/Naar-Betere-Regels_Actal.2017.pdf , pp. 32-33.

* 9 https://www.internetconsultatie.nl/instellingswetatr/b1

* 10 https://www.atr-regeldruk.nl/publicaties/overige/evaluatie-atr-2017-2020/

* 11 Tous les avis de l'ATR sont publiés sur le site internet de l'autorité et sont librement accessibles, lorsque le projet de loi est public.

* 12 https://www.atr-regeldruk.nl/wp-content/uploads/2020/11/Eindrapport-Evaluatie-ATR-9-7-2020-def.pdf

* 13 https://www.atr-regeldruk.nl/onderzoek-opvolging-adviezen-atr-over-voorgenomen-regelgeving/. Pour 9 % des recommandations, les chercheurs n'ont pas été en mesure de déterminer si elles avaient été suivies ou non.

* 14 https://www.atr-regeldruk.nl/wp-content/uploads/2022/03/255.014_ATR_jaarverslag_2021-v04_TB.pdf

* 15 https://www.atr-regeldruk.nl/wp-content/uploads/2022/03/255.014_ATR_jaarverslag_2021-v04_TB.pdf

* 16 https://www.atr-regeldruk.nl/wp-content/uploads/2022/10/U113-Ministerie-OCW-Wetsvoorstel-terugdringen-verzuim-w.g.pdf

* 17 1. Quelle est l'origine du projet ? 2. Qui concerne-t-il ? 3. Quel est le problème posé ? 4. Quel est l'objectif poursuivi ? 5. Qu'est-ce qui justifie l'intervention des autorités ? 6. Quel est le meilleur instrument en termes de légalité, d'efficacité et d'« exécutabilité » ? 7. Quelles sont les conséquences des mesures pour les citoyens, les entreprises, les pouvoirs publics et l'environnement ?

* 18 https://www.atr-regeldruk.nl/wp-content/uploads/2020/12/U162-Advies-Integraal-Afwegingskader-w.g.pdf

* 19 Ibid.

* 20 https://www.rijksoverheid.nl/documenten/kamerstukken/2022/10/20/tk-het-kompas-voor-kwaliteit-in-de-beleidsvoorbereiding-iak-wordt-beleidskompas

* 21 Op. cit.

* 22 https://open.overheid.nl/repository/ronl-4b606c31b7b286022de4aa67b2f56a15605529e8/1/pdf/tk-bijlage-maatregelen.pdf

* 23 https://www.rijksoverheid.nl/onderwerpen/regeldruk/regeldruk-voor-medeoverheden

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