EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Cette proposition de loi constitutionnelle propose d'inscrire dans la Constitution le droit à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception et de garantir son accès effectif, libre et inconditionnel.

Si la loi Veil du 17 janvier 1975 a ouvert le droit à l'interruption volontaire de grossesse en France, il serait illusoire de considérer le droit comme inaliénable et intangible.

La fragilité des droits permettant aux femmes de disposer librement de leur corps s'est illustrée à travers la décision de la Cour suprême des États-Unis du 24 juin 2022, annulant la jurisprudence Roe V. Wade de 1973 et supprimant de facto la protection du droit à l'avortement. Ce revirement de jurisprudence n'est pas le seul exemple des restrictions aux droits sexuels et reproductifs précédemment détenus par les femmes : ainsi, en Pologne, l'avortement était autorisé et gratuit de 1956 à 1993, et les limitations se sont accumulées jusqu'à son interdiction presque totale par le tribunal constitutionnel en 2020. En Espagne, en 2014, le gouvernement tenta de revenir sur ce droit.

Ces régressions ont lieu dans un contexte global où l'État de droit, les libertés fondamentales et les droits individuels sont profondément remis en cause et avec eux, en premier et comme toujours, les droits des femmes et des minorités sexuelles et de genre.

En décembre 2017, un document thématique du Conseil de l'Europe s'alarmait d'ailleurs de la progression des législations visant à restreindre l'accès à l'avortement et à la contraception sur le continent, citant en particulier les mesures rendant plus complexe l'interruption volontaire de grossesse en Arménie, en Géorgie, en Macédoine, en Russie et en Slovaquie. Les législations de Malte, du Liechtenstein, de Monaco ou encore de San Marin sont de même très restrictives.

Nous le savons, les opposants au droit à l'avortement et plus largement à l'autonomie décisionnelle en matière reproductive attaquent rarement en bloc, de front et en une fois les libertés individuelles et les droits des femmes et des minorités, et lorsqu'ils le font, ils gagnent rarement tout de suite. Ils commencent souvent par rogner le cadre matériel et légal, compliquent les conditions d'accès, la prise en charge sociale, le financement des associations, l'accès à l'information, tout l'environnement qui fait de ce droit une réalité ou non.

Garantir un droit exige de garantir également l'égalité d'accès à ce droit. C'est ce qu'a permis la loi Roudy du 31 décembre 1982 instaurant le remboursement de l'IVG par la Sécurité sociale. Cette avancée est toujours critiquée par les adversaires de l'IVG, prompts à dénoncer « les avortements de confort et l'effet incitatif du remboursement ». Il est utile de rappeler qu'en 1986, l'Assemblée nationale en France a eu à débattre d'amendements visant à mettre fin au remboursement.

Garantir un droit exige également de garantir son accès effectif. Car même lorsque l'avortement n'est pas interdit, l'accès à l'IVG souffre d'entraves : il est contraint par le manque de moyens, par le manque de rendez-vous dans les hôpitaux, par la diminution du nombre de centres pratiquant l'IVG et par le manque de financement des associations compétentes et des services publics de santé.

C'est pour cela que protéger les droits en matière de santé reproductive et sexuelle, mais aussi l'accès effectif, libre et inconditionnel à ces droits, est indispensable.

C'est non seulement utile mais aussi nécessaire de le faire dans la Constitution.

Aucun pays n'est à l'abri d'une majorité politique susceptible d'abroger les dispositions autorisant l'avortement, la contraception ou d'en restreindre considérablement l'accès.

Alors que les crises économique, sanitaire, climatique et géopolitique portent en elles, comme toutes les crises, les germes d'une régression des droits des femmes, donner un rang constitutionnel au droit à l'accès à la contraception et à l'IVG est devenue une étape nécessaire pour parachever la reconnaissance politique de l'égalité réelle des citoyens et citoyennes.

Et cela, même si le taux d'adhésion en France au droit à l'avortement et plus largement aux droits reproductifs et sexuels est très important, voire même, notamment parce qu'il est si important.

Ce ne saurait en effet être seulement l'imminence d'une régression qui devrait justifier d'inscrire ces droits dans la Constitution. C'est aussi parce que ces droits font partie du contrat social qu'ils doivent être affirmés dans la Constitution.

Parce que précisément, la devise de la France est Liberté, Égalité, Fraternité, parce que ce pays a voulu faire de l'égalité des droits un principe fondateur de son existence politique, parce que l'inégalité de fait des individus face aux questions reproductives rend nécessaire la reconnaissance au plus haut niveau de la liberté reproductive, parce que la Constitution est le texte légal qui établit notre contrat social en tant que communauté politique, la consécration de ces droits dans la Constitution est un enjeu fondamental de citoyenneté.

Cet enjeu a d'ailleurs été saisi par les parlementaires depuis de nombreuses années, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, avec notamment la proposition de loi constitutionnelle du groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) dès mai 2017, celle du groupe Socialiste, écologiste et républicain (SER) et du Groupe écologiste, solidarité et territoires (GEST) ainsi que deux propositions de loi à l'Assemblée nationale issue de la coalition nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES) et du groupe Renaissance et apparentés.

En conséquence, cette proposition de loi constitutionnelle, dont la rédaction s'inspire des différents textes déposés à ce jour, inscrit le droit à un égal accès à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception parmi les droits fondamentaux protégés par la Constitution.

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