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N°62

SÉNAT

PREMIÈRE SESSION ORDINAIRE DE 1993 - 1994

Annexe au procès-verbal de la séance du 27 octobre 1993.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT, sur la proposition de règlement (CEE) du Conseil fixant des mesures en vue d'interdire la mise en libre pratique, l'exportation et le transit des marchandises de contrefaçon et des marchandises pirates (n°E-107),

Par M. Jacques GENTON,

Sénateur.

(Renvoyée à la commission des Affaires économiques et du Plan sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Communautés européennes - Marchandises de contrefaçon et marchandises pirates.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

On ne s'étonnera pas que la patrie de Beaumarchais soit la terre d'élection de la propriété intellectuelle. C'est ainsi que l'Institut National de la Propriété Industrielle voit chaque année l'enregistrement ou le renouvellement de quelque quarante à cinquante mille marques. La France ne peut donc qu'approuver l'instauration de règles garantissant le respect des droits intellectuels dans le cadre de l'organisation des échanges internationaux.

La réglementation européenne est, à cet égard, en voie de perfectionnement. En revanche, le commerce mondial ignore encore très largement le respect des marques commerciales. Le chapitre du nouvel accord général sur le commerce et les tarifs (GATT) qui traite « des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, y compris le commerce des marchandises de contrefaçon » semble, quant à lui, fort précautionneux à l'égard de pratiques qui portent un tort considérable aux produits européens et d'abord, sans doute, français, tant sur le marché communautaire que sur les marchés mondiaux.

* * *

La proposition d'acte communautaire E 107 qui vous est soumise vise une proposition de règlement du Conseil qui remplace intégralement un règlement précédent (n° 3842 - 86). Ce règlement initial arrêtait des règles communes en vue d'interdire la mise en libre pratique des marchandises de contrefaçon. Entré en application en principe le 1er janvier 1988, ce règlement s'est malheureusement révélé largement inopérant, comme l'indique un rapport de la Commission adressé en février 1991 au Conseil et au Parlement européen (Sec - 91 - 262 F). Des lacunes ont été constatées dans l'efficacité des procédures comme dans le champ d'application de ce règlement initial.

Lacunes de procédures tout d'abord puisque, quoiqu'il s'agisse d'un règlement, c'est-à-dire d'un texte d'applicabilité directe, des dispositions complémentaires relevant de l'ordre interne (désignation des autorités compétentes, procédures de saisine, de constatation des infractions et de saisie des objets incriminés), devaient être prises à la date de l'entrée en vigueur, le 1er janvier 1988.

Or, deux États membres n'ont pas rempli cette obligation : le règlement n'est ainsi devenu effectif que le 10 mai 1990 en Irlande ; quant à l'Italie, seul l'engagement d'une procédure en manquement a pu l'engager à envisager l'adoption des dispositions nécessaires.

Au vrai, les bancarelle ne sont pas rares encore, dans Venise ou Florence, à proposer de la pacotille parée des marques ou des sigles les plus prestigieux.

Les procédures prévues apparaissent encore insuffisamment précises puisqu'elles ont permis à certains États d'établir un cheminement tellement complexe pour les demandes de suspension d'importations suspectes que l'application du règlement s'en était trouvé paralysée (interventions successives d'autorités douanières puis judiciaires et/ou administratives, exigences de preuves et/ou de provisions financières dissuasives).

C'est ainsi qu'en deux ans la statistique de mesures de suspension d'importations aux frontières communes, de produits contrefaits, fait apparaître des résultats globalement maigres, et fortement contrastés :

- Grande Bretagne 452 cas

- Allemagne 148 cas

- France 126 cas

- Espagne 9 cas

- Danemark 1 cas

tandis que tous les autres États membres, Grèce, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas et Portugal, ne donnaient suite à aucune demande, l'Italie se mettant hors d'état d'en examiner même le bien fondé, faute de dispositions adéquates.

La proposition de règlement que contient le document E 107 vise à corriger toutes ces imperfections.

Pour permettre de combattre efficacement l'importation de marchandises de contrefaçon, les règles de procédure sont précisées : le titulaire d'une marque qui soupçonne un trafic de contrefaçons doit pouvoir saisir directement les autorités douanières de l'État d'importation. Il peut obtenir communication du nom et de l'adresse du fabricant des marchandises de contrefaçon. Enfin, les éléments d'information que doit fournir le demandeur sont limitativement énumérés afin de prévenir des exigences impossibles à remplir en fait et qui paralyseraient, avec toute demande, l'application du règlement.

Le champ d'application du règlement de 1986 est également étendu. Pourront être constitutives de l'infraction, les importations de signes distinctifs de marques ou «logos», ou encore celles d'emballages ou de conditionnements spécifiques, c'est-à-dire revêtus de la marque enregistrée.

De même, le règlement ne permettait pas la répression, au niveau communautaire, des contrefaçons des dessins et modèles, non plus que celles des emballages ou des signes distinctifs de certaines marques ou «logos» (tel petit crocodile apposé sur des produits textiles ou tel signe formé de deux initiales disposées selon un graphisme précis : par exemple, deux C opposés ou les lettres LV).

Seront également assimilées à ce trafic prohibé, les importations d'outils, de moules ou de matériels spécifiquement destinés à la fabrication des marchandises contrefaites. De même, la mise sur le marché communautaire, de marchandises « pirates», c'est-à-dire fabriquées, à partir d'un dessin ou d'un modèle, sans le consentement de son auteur ou d'un ayant droit, pourra être réprimée au titre du nouveau règlement.

Peut-être peut-on seulement regretter le recours à une dénomination empruntée au langage courant (les «cassettes pirates» d'enregistrement sonore, par exemple, copiées à partir de produits ayant dûment acquittés des droits d'auteur, ou enregistrées directement, mais sans l'autorisation des musiciens). En effet, ces pratiques sont constitutives de contrefaçon selon la jurisprudence, et, s'il était sûrement judicieux de préciser que les demandes de suspension d'importations peuvent viser de tels produits contrefaits, en revanche, la pluralité des dénominations peut donner lieu à des interprétations divergentes d'une notion apparemment nouvelle, source ainsi d'incertitude juridique.

Enfin, le règlement permet de suspendre non seulement l'importation, mais également le transit sur le territoire des États membres ou l'exportation à partir de la Communauté, les marchandises de contrefaçon et les marchandises pirates.

Toutes ces dispositions ne peuvent que susciter une approbation sans réserve dans la mesure où elles tendent à décourager des pratiques de concurrence déloyale dont notre pays est sans doute l'une des principales victimes.

Mais il conviendrait que ces règles saines soient rapidement reconnues par tous les partenaires du commerce mondial. À cet égard, les dispositions prévues dans le chapitre du projet de nouvel accord général sur le commerce et les tarifs, GATT, en cours de négociation (chapitre dont le Parlement ne semble pas avoir été saisi, fût-ce à titre d'information) semblent très insuffisantes.

Ainsi, sans porter d'appréciation sur les nombreuses dispositions qui figurent dans ce chapitre, il convient de citer son préambule dans lequel les parties contractantes déclarent reconnaître « que les droits de propriété intellectuelle sont des droits privés » et donc, en quelque sorte, inférieurs, tandis que les mêmes parties contractantes « reconnaissent aussi les besoins spéciaux des pays les moins avancés à qui il convient de ménager un maximum de flexibilité dans la mise en oeuvre des lois et réglementations au plan intérieur pour leur permettre de se doter d'une base technologique solide et viable », fût-ce en développant à grande échelle une industrie de contrefaçons ravissant leurs parts de marché aux producteurs traditionnels ayant supporté tous les frais de recherche et de mise au point, et titulaires de marques ,dûment enregistrées mais finalement dépourvues de protection efficace...

En outre, en l'état actuel de la négociation, des mesures transitoires ménageraient les délais suivants :

- toutes les parties contractantes disposeraient d'un an à partir de l'entrée en vigueur de l'accord pour respecter les règles commerciales et en particulier celles qui prohibent le trafic de contrefaçons ;

- un délai supplémentaire de quatre ans est accordé aux pays «en développement», ainsi qu'aux pays en transition vers l'économie de marché mais se heurtant «à des problèmes spéciaux dans l'élaboration et la mise en oeuvre de lois en matière de propriété intellectuelle» ;

- une période additionnelle de cinq ans est accordée aux pays en développement qui doivent étendre la réglementation protectrice à des domaines de technologie qui ne faisaient pas jusqu'alors, sur leur territoire, l'objet de brevets ou de protection quelconque ;

- enfin, pour tenir compte de « leurs besoins et impératifs spéciaux, leurs contraintes économiques, financières et administratives, et le fait qu'ils ont besoin de flexibilité pour se doter d'une base technologique viable», les pays les moins avancés ne seraient pas, au terme même du nouvel accord du GATT, « tenus d'appliquer les dispositions » de cet accord pendant une période de dix ans à compter de la date d'effet obligatoire de l'accord, soit un an après sa signature.

Si cette exception aux règles d'une concurrence loyale peut être admise pour les États effectivement les moins avancés, son champ d'application doit être très strictement défini. Il serait choquant en effet de laisser encore se développer cette concurrence déloyale à partir de pays producteurs qui ont déjà largement bénéficié de ces trafics et dont les paramètres économiques se situent désormais à des niveaux comparables ou supérieurs même à ceux des États les moins développés de la Communauté européenne. Des délais aussi prolongés que ceux qui sont prévus sont en effet de nature à bouleverser les courants d'échange, peu d'entreprises pouvant résister à des années de concurrence déloyale, pâtissant au surplus de la détérioration de leur « image de marque », du fait de la circulation de produits contrefaits de qualité inférieure.

*

* *

En conclusion de ces observations, il vous est proposé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution qui suit que la délégation pour les Communautés européennes m'a chargé de déposer sur le bureau du Sénat :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Considérant que la proposition de règlement du Conseil « fixant des mesures en vue d'interdire la mise en libre pratique, l'exportation et le transit des marchandises de contrefaçons et des marchandises pirates », vise à remplacer un précédent règlement insuffisamment efficace ;

Considérant en particulier que le nouveau texte propose des procédures claires, et respectueuses tant du commerce loyal que de la propriété intellectuelle ;

Considérant de même qu'il étend le champ de la surveillance communautaire aux dessins et modèles et à d'autres éléments de la propriété intellectuelle ;

Considérant qu'il définit plus strictement les éléments de preuve exigibles qu'il étend la possibilité de suspension au transit et à l'exportation, à partir du territoire communautaire, de marchandises de contrefaçon ;

Invite le Gouvernement :

- à approuver la proposition de règlement du Conseil n°E-107 dont les dispositions concourent à rendre plus efficace la protection de la propriété intellectuelle sur le territoire communautaire ;

- à agir au sein du Conseil afin de promouvoir les mêmes orientations dans le cadre de la négociation du nouvel accord général sur le commerce et les tarifs, GATT.

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