Art. 5
Délais pour prendre les ordonnances et déposer
les projets de loi de ratification

Cet article prévoit de laisser au Gouvernement six mois, à compter de la promulgation de la présente loi, pour prendre les ordonnances visées à l'article premier et à l'article 3.

Le Gouvernement dispose ensuite de trois mois pour déposer un projet de loi de ratification.

D'après les informations communiquées par M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, lors de son audition le 17 octobre dernier par votre commission des lois, un projet de loi serait présenté par " domaine " de compétences. Il y aurait ainsi un projet de loi de ratification des ordonnances " techniques " prévu dans le domaine social et un projet de loi de ratification de l'ordonnance relative à la refonde du code de la mutualité.

Compte tenu de l'urgence, votre commission vous propose d'adopter un amendement, ramenant de six à trois mois le délai laissé au Gouvernement pour prendre l'ordonnance relative à la refonde du code de la mutualité. En effet, seule l'urgence justifie la transposition des directives assurance aux mutuelles, ainsi que la réforme du code de la mutualité, par voie d'ordonnances.

De nombreux éléments laissent penser que le projet d'ordonnances a fait l'objet d'une concertation étroite.

La publication de cette ordonnance dans un délai de 3 mois puis le dépôt du projet de ratification dans un délai également de 3 mois (sans changement) devrait permettre que s'ouvre le débat de ratification avant la fin de la présente session parlementaire. La lettre d'ordre du jour du Gouvernement prévoit par avance un " dernier mot " à l'Assemblée nationale au cours de la deuxième quinzaine de décembre. Mais si l'Assemblée nationale dans sa sagesse suit le Sénat, le projet de loi d'habilitation pourrait être adopté définitivement dès la deuxième quinzaine de novembre...).

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Sous le bénéfice de ces observations, votre commission émet un avis favorable à l'adoption de cet article ainsi amendé.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. COMPTE RENDU INTÉGRAL DES AUDITIONS
DU JEUDI 12 OCTOBRE 2000

1. Audition de M. Jean-Pierre Davant, président et M. Jean-Louis Bancel, directeur général de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF), de M. Marc Zamichiei, membre du comité exécutif de la Fédération des mutuelles de France (FMF) et de M. Gilles Marchandon, délégué général de la Fédération nationale interprofessionnelle des mutuelles (FNM)

M. Jean DELANEAU, président - Mes chers collègues, le moment que nous nous apprêtons à passer ensemble risque d'être intenseÉ Il sera en tout état de cause important. L'audition d'aujourd'hui se déroule dans le cadre du projet de loi d'habilitation et plus particulièrement du volet consacré au code de la mutualité. Lorsque nous avons demandé au ministère de l'emploi et de la solidarité un projet d'ordonnance, il nous a envoyé un exemplaire du projet de loi relatif au code de la mutualité qui devait être adopté en conseil des ministres le 1 er août dernier.

Je vous souhaite, cela étant dit, la bienvenue. Voici comment nous avons prévu d'organiser cette table ronde, qui succédera à une série de trois interventions liminaires. Les intervenants nous présenteront leur point de vue sur la situation. Je rappelle à cet effet qu'il ne s'agit plus d'un projet de loi, mais d'un projet de loi portant habilitation du Gouvernement à refondre, par ordonnance, le code de la mutualité. M. André Jourdain, rapporteur pour avis de la commission des Affaires sociales, interviendra afin d'introduire les échanges. M. Denis Badré et M. Daniel Hoeffel, respectivement rapporteur pour avis de la commission des Finances et rapporteur au fond de la commission des Lois, ajouteront s'ils le désirent leur contribution au débat. Chacun pourra ensuite répondre s'il le juge nécessaire.

Nous allons limiter tout d'abord notre propos à ce qui concerne la procédure d'ordonnance. Il s'agit de savoir si le choix de cette procédure vous satisfait ou non. C'est un sujet sur lequel je sais que vous vous êtes d'ores et déjà entretenus avec les responsables concernés et en particulier avec le Premier ministre. Une question essentielle se pose : cette ordonnance suffira-t-elle ou d'autres ajustements juridiques auront-ils lieu ?

Je donne la parole à M. Jean-Pierre Davant, qui représente la Fédération nationale de la mutualité française.

M. Jean-Pierre DAVANT - Monsieur le président, je n'ai guère d'éléments à ajouter quant au point de vue adopté par la mutualité française. Auparavant, je souhaiterais procéder à un bref rappel sur différents points.

Il est fondamental de rappeler que ces directives européennes sur l'assurance ont été conçues pour les sociétés commerciales d'assurances. Il se trouve qu'en France, dans le secteur de la complémentaire santé, c'est la mutualité qui détient la majorité de cette activité, à hauteur de 62 ou 63 %. Les compagnies d'assurances, pour lesquelles ces directives sont prévues, ne représentent environ que 25 % du marché. Cette situation est quelque peu curieuse.

Les discussions avec les pouvoirs publics ont commencé sous d'autres Gouvernements que celui-ci : le dialogue avait été entamé utilement avec l'équipe de M. Edouard Balladur, puis avec celles de M. Alain Juppé et de M. Lionel Jospin. Le dialogue avec ces gouvernements fort différents s'est à chaque fois déroulé dans un état d'esprit comparable.

Nous sommes arrivés aujourd'hui à la limite de ce que peut tolérer l'Europe. Au mois d'aoút dernier, la procédure de sanction a été réactivée par la Commission européenne et il y a fort à parier qu'en l'absence de solution rapide, la France se verrait condamnée.

La mutualité ne peut pas vivre dans le cadre d'une telle instabilité juridique. Cela nous pénalise, contrairement à ce qui a été dit quelquefois par des commentateurs peu avisés Il eût été du reste préférable d'aboutir à l'une ou l'autre solution il y a quelques années déjà. Je ne connais pas d'exemples d'entreprises capables d'exercer leur activité dans l'incertitude totale du lendemain. La mutualité française l'a dit et répété, en particulier au Premier ministre : nous devons sortir de cette situation le plus rapidement possible.

Il se trouve que nous avons récemment tenu notre 36 ème congrès national au mois de juin, qui a rassemblé 5.000 personnes. Le Premier ministre et le Président de la République s'y sont tous deux exprimés. Ce fut l'occasion de renouveler cette demande pressante. Les deux principaux acteurs de notre République ont tous deux répondu dans le même sens. Nous avons ensuite tenté de dégager ensemble la solution à cette question. J'ai moi-même dú dialoguer avec Matignon ainsi qu'avec le Président de la République. Je lui ai fait part de notre situation, ainsi que du fait que nous représentons les intérêts de millions de Français, et non ceux des institutions. Ce sont les intérêts des Français qui doivent être pris en compte.

Je conçois parfaitement que la procédure des ordonnances soit frustrante, pour le Sénat comme pour l'Assemblée nationale. Elle nous para»t néanmoins constituer l'unique moyen de sortir le plus rapidement possible de l'incertitude que j'évoquais, dans la mesure où nous avons trouvé un point d'équilibre sur le fond du texte, la forme de ce dernier exceptée. Je précise aussit™t que, si nous l'avions nous-mêmes rédigé, il n'aurait sans doute pas été totalement identiqueÉ

Nous pensons que l'ordonnance est en effet le meilleur moyen de sortir de cette situation. J'estime que l'accord du Gouvernement et de la Présidence de la République constitue une garantie suffisante pour l'Assemblée nationale, pour le Sénat et pour nos concitoyens.

M. Jean DELANEAU, président - Je vous remercie, Monsieur le président, pour ces propos liminaires qui ont parfaitement circonscrit le sujet. Je donne la parole à M. Marc Zamichiei, qui représente la Fédération des Mutuelles de France.

M. Marc ZAMICHIEI - Monsieur le président, mes propos vont rejoindre ceux de M. Jean-Pierre Davant. Nous avons effectivement conscience que le Gouvernement demande une large habilitation au Parlement. Elle concerne, outre la transposition des directives européennes, la modernisation du code de la mutualité. Nous avons été consultés avant que soit défini le choix de cette procédure par ordonnance et avons donné notre accord pour des raisons essentielles : il est nécessaire de faire entrer en vigueur le plus rapidement possible les dispositions évoquées dans le projet de loi d'habilitation.

Deux raisons essentielles doivent amener à légiférer rapidement et elles ont été rappelées par M. Davant.

La première raison concerne le contentieux en cours au niveau européen. L'Etat français est directement intéressé par cette procédure, mais les citoyens le sont également.

Je m'arrêterai davantage sur la seconde raison. Il est nécessaire de sécuriser le cadre juridique de la mutualité. Nous sommes réellement aujourd'hui dans une situation de complète insécurité juridique. La Cour de justice des Communautés européennes, dans un arrêt récent en date du 21 septembre, vient de confirmer à nouveau un fait déjà ancien : le texte des directives est suffisamment précis et inconditionnel pour pouvoir être invoqué devant les tribunaux français, y compris en l'absence de transposition. Le droit communautaire l'emporte sur le droit français. Dans ces conditions, nous courons le risque d'une application " sèche " des directives européennes, pour reprendre une expression employée dans d'autres circonstancesÉ Nous ne bénéficierions pas, dans ce cas, du travail de transposition, ni de la modification du code de la mutualité prévus dans le projet de réforme. De nombreux contentieux sont en cours à l'heure actuelle, phénomène que nous devons absolument éviter de voir pérennisé.

L'urgence justifie donc l'emploi de cette procédure. Cela a été rendu possible par le consensus existant sur le contenu de la réforme envisagée, point que j'estime très important. Le Gouvernement et le Président de la République ont été consultés et se sont exprimés. Des négociations approfondies ont eu lieu avec les fédérations de mutuelles. Nous souhaitons que la loi d'habilitation soit votée dans les meilleurs délais, si possible sur la base d'un accord entre les deux Assemblées, afin que de multiples lectures du projet ne ralentissent pas son adoption, que l'ordonnance puisse para»tre dès le prochain semestre et que la loi de ratification soit alors présentée au Parlement.

M. Jean DELANEAU, président - Je vous remercie et je donne la parole à M. Gilles Marchandon.

M. Gilles MARCHANDON - C'est M. Philippe Delemarre, premier vice-président, qui va s'exprimer en premier lieu. Je compléterai ses propos.

M. Philippe DELEMARRE - Monsieur le président, depuis la fondation de la V e République, la répartition des pouvoirs entre le Parlement et le Gouvernement, établie par les articles 34, 37 et 38, a fait l'objet d'importants débats. Il faut, pour apprécier le caractère d'urgence de cette procédure, vérifier que l'article 38, dont on demande l'application au Sénat, puisse être employé ici. Je souhaite vous lire un extrait du projet de loi, tiré du paragraphe 3 de la page 5 : " (É) on note enfin que l'habilitation n'est pas demandée pour des directives dont l'objet et la portée politique justifient un débat devant la représentation nationale ". J'avoue que cette phrase m'a laissé perplexe. Signifie-t-elle que le secteur mutualiste n'a pas suffisamment de portée et d'importance politique pour justifier un débat public ?

La réponse de notre fédération à cette interrogation est clairement négative. Nous pensons qu'un débat parlementaire eût été préférable. Rappelons deux faits.

Etre unitaire ne signifie pas que différentes appréciations ne coexistent pas au sein du mouvement mutualiste en France sur un texte particulierÉ L'affirmation de l'existence d'un consensus sur le projet de loi d'habilitation et sur le contenu de ce texte est inexacte : le consensus ne porte pas sur tous les articles du texte et ce dernier appelle certaines critiques. Je le dis très sincèrement et très clairement : ce texte aurait été avantageusement amélioré par les sénateurs. Ces derniers peuvent prendre en compte les réalités du terrain et apporter de positives modifications.

Le principe général des ordonnances appelle une remarque. Que peut faire le citoyen confronté à ce type de pratique ? La réponse est claire : il ne peut rien faire. Ce qui exprime la voix du citoyen, c'est la représentation nationale. La procédure des ordonnances élimine le citoyen de l'équation. Nous avions pour notre part prévu de consulter nos deux millions et demi de mutualistes et la procédure par ordonnance fait capoter ce projet. Certes, chacun n'aurait pu être consulté individuellement, mais aurait néanmoins pu faire conna»tre sa position, par le biais des différents organes existants dans les mutuelles adhérant à notre fédération.

Il est à craindre que les principes généraux de la mutualité (économie sociale, liberté, solidarité et responsabilité) soient bafoués si ce texte est adopté par ordonnance. Dans ce paysage mutualiste français, appelé à devenir européen, nous souhaitons nous poser en défenseurs des petites et moyennes mutuelles. Malheureusement, ce texte ne leur est pas favorable. Sans entrer dans le débat, je note que le problème de la fiscalité n'est pas évoqué.

Par ailleurs, certains sujets ont tout intérêt à être débattus devant le Parlement. A l'OMC se pose la question de la place des systèmes de protection sociale. A Nice, au cours du mois de décembre, la Charte des droits des citoyens européens sera débattue. Je crois que le texte dont nous parlons devrait être mis en perspective avec ces importantes discussions. Tel n'est pas le cas.

Il est exact, comme l'a rappelé la Cour de Justice des Communautés, que l'application des directives européennes est urgente. Soit, mais ne pouvons-nous pas distinguer la transposition des directives, la modification du code et ce volet capital, quoique négligé, de la fiscalité ? Les journaux bien informés font quotidiennement état de mesures fiscales concernant la mutualité. Ces mesures ne sont pas neutres et sont liées au texte dont nous discutons aujourd'hui... Je vais illustrer mon propos : les principes mutualistes fondent notre éthique mais ne doivent pas aboutir, en raison de règles financières particulières, à nous placer dans une position défavorable vis-à-vis des autres acteurs du secteur de l'assurance santé, aux statuts différents. Nous aurions alors échoué. La potion du lendemain serait pour nous fort amèreÉ

Nous prenons acte de cette demande du Gouvernement. Nous avons indiqué cependant au Président de la République, au Premier ministre et aux différents ministres concernés que nous ne pouvions accepter que le Parlement perde ses droits en ce domaine.

M. Jean DELANEAU, président - Je vous remercie de l'hommage que vous rendez au Sénat, quant à la sagesse que vous lui prêtez, notamment dans l'examen des textes. Le président Davant évoquait la frustration éventuelle de notre Assemblée et vous l'avez pour votre part abordée tout à fait clairement. Nous nous trouvons en effet face à des directives élaborées sans consultation réelle de la représentation nationale. Elles seront traduites par des ordonnances qui n'impliquent pas davantage de concertationÉ

La procédure des ordonnances est ancienne et a été utilisée par de nombreux gouvernements. Je ne me souviens pas néanmoins avoir vu au cours de mes trente années d'expérience parlementaire un projet de loi analogue. L'afflux de directives n'était pas, cependant, aussi important qu'aujourd'hui.

Je laisse la parole à M. André Jourdain.

M. André JOURDAIN, rapporteur pour avis de la commission des Affaires sociales - Merci, Monsieur le président. Je souhaiterais, si vous m'y autorisez, poser deux séries de questions, concernant d'une part la procédure et d'autre part le contenu de cette future ordonnance, dont nous avons connaissance au travers du projet de loi qui vous a été communiqué.

Je m'attacherai dans cette première intervention aux problèmes de procédure.

Je souhaiterais commencer par une remarque. Deux choses sont en effet évoquées dans le projet de loi qui nous est soumis. L'habilitation à donner au Gouvernement la possibilité de transposer par ordonnance les directives européennes de 1992 constitue le premier point. Le second concerne la réforme du code de la mutualité. Je ne suis pas en conséquence certain que le projet de loi soit correctement intitulé, puisqu'il semble actuellement signifier que la refonte du code de la mutualité résulte de ces directives européennes.

Ma deuxième remarque concerne la question de l'urgence. Il a été dit qu'il était urgent de transposer les directives de 1992 aux mutuelles, ce qui est indéniable. La France est condamnée depuis le 16 décembre 1999. En raison de la menace des astreintes, il serait préférable ne pas trop tarder. L'article 5 prévoit un délai de six mois, puis de trois mois. L'examen du projet de loi, tel qu'il était proposé, devait être entamé suite à son examen en Conseil des Ministres le 1 er aoút, mais a été transposé in extremis en une simple communication. La durée d'une procédure normale d'examen aurait-elle été plus longue ?

Ma troisième remarque est également une question. Si les directives européennes ont intégré les mutuelles à l'ensemble des entreprises d'assurance, c'est à la demande de l'Etat français, qui répercutait la demande du mouvement mutualiste exprimée à l'époque par M. Teulade. Cette demande émane donc du mouvement mutualisteÉ

Le président Davant a par ailleurs évoqué les négociations entamées avec les gouvernements successifs de ces dernières années. Quelles sont les raisons expliquant que ces discussions n'aient pas abouti plus t™t ?

Une autre de mes questions renvoie à l'intervention de M. Zamichiei. Il est en effet urgent de renforcer le cadre juridique de la mutualité, puisque vous êtes dans une position instable dans l'état actuel des choses.

M. Delamarre a souhaité que s'instaure un débat parlementaire. Il est évident que nous sommes frustrés, pour reprendre l'expression de M. Davant. Si nous suivons le projet de loi, nous allons donner une habilitation au Gouvernement, sans débattre du problème important de la réforme du code de la mutualité. Pour illustrer ce propos, je note que le statut de l'élu mutualiste ne sera pas abordé au Parlement, ce que je trouve tout à fait regrettable.

Ces questions de procédure sont les premières que je souhaitais vous poser.

M. Jean DELANEAU, président - Je passe la parole à M. Daniel Hoeffel.

M. Daniel HOEFFEL, rapporteur au fond de la commission des Lois - Merci, Monsieur le président. Mon intervention sera davantage une observation qu'une véritable interrogation.

L'accumulation des retards, qui concerne une cinquantaine de directives, saisit le Parlement à la gorge. Il s'agit d'agir vite si nous voulons éviter l'accumulation d'un certain nombre d'astreintes, dommageables pour les uns comme pour les autres. Nous éprouvons un incontestable sentiment de frustration devant l'urgence dans laquelle nous sommes contraints d'agir.

Je souhaiterais, pour ma part, évoquer la phrase suivante : " L'habilitation n'est pas demandée pour des directives dont l'objet et la portée justifient un débat parlementaire par les représentations nationales ". Le contenu des articles 3 et 4 qui impliquent une refonte du code de la mutualité et une réforme fondamentale de l'ensemble de notre système autoroutier me paraissent constituer des débats d'une incontestable portée nationale. Ils auraient mérité que soit connu le contenu des dispositions dont on nous demande la transposition. Ce n'est donc pas une question mais une observation qu'il nous appartiendra de faire valoir au cours du débat, tout en sachant qu'il s'agit sans doute hélas d'un débat d'arrière-garde. Il n'en revient pas moins au Parlement d'exprimer tant qu'il en est encore temps certains regrets quant à l'accélération d'une procédure qui aurait mérité que l'on y consacre davantage de temps, sur les questions de fond en particulier.

M. Jean DELANEAU, président - Je vous remercie. Monsieur Badré ?

M. Denis BADRÉ - Je ne pourrais exprimer aussi bien que M. Daniel Hoeffel ce qu'il vient d'exposer et me contente de le reprendre à mon compte, en y adjoignant quelques observations exprimées à la lumière des travaux de la commission des Finances.

Nous ne cherchons ni à être frustrés ni à être comblés. Notre souci consiste à bien légiférer, ce qui constitue notre mission et la raison de notre existence. J'estime que les différents orateurs qui se sont exprimés ont clairement introduit le problème.

Je vais recentrer le débat autour de l'apport des travaux de la commission des Finances. Nous avons terminé un travail important sur les assurances. J'étais moi-même membre du groupe de travail dont le rapport fait aujourd'hui autorité, comme précédemment le rapport sur la banque. Nous poursuivons, sur l'ensemble de ces sujets (mutuelles, institutions de prévoyanceÉ), une véritable réflexion, qu'ils méritent largement au demeurant : la loi mérite-t-elle d'être modifiée ? Dans l'affirmative, il nous semble qu'elle mériterait une correction sérieuse. Il me semble que la proposition qui nous est faite est quelque peu contradictoire avec notre mission.

Trois préoccupations sont à mon sens à retenir.

La première concerne cette notion d'urgence. J'apporterai au débat un point de vue européen. Ce qui nous est proposé n'est pas bon à terme pour la construction européenne. Cette méthode fait appara»tre l'Europe aux yeux des Français comme celle qui condamne ou celle qui nous contraint à mal légiférer. Ce n'est pas cette Europe que je m'attache à construire jour après jour. Je souhaite une Europe qui nous aide à progresser de manière sérieuse, solide et tournée vers l'avenir, en compagnie de nos partenaires. Si la faute en incombe au Gouvernement français, n'en accusons cependant pas l'Europe. Avons-nous mal présenté notre point de vue à Bruxelles ? Si nous sommes condamnés, existe-t-il une possibilité d'expliquer que la transposition en France pose un réel problème politique ? Cela rouvrirait le débat à Bruxelles. Si c'est impossible et si le retard relève de notre seule responsabilité, d'un ordre du jour du Parlement mal établi par le Gouvernement, ce dernier doit alors assumer son erreur. Le Gouvernement doit en ce cas imposer une application stricto sensu de la transposition, à l'exclusion de l'ajout d'une réforme du code de la mutualité.

Ma deuxième question est la suivante. En quoi la transposition de la directive justifie-t-elle la remise en chantier du code de la mutualité ?

Ma troisième question est directement incidente : si cette réforme est entamée, un débat au Parlement peut-il ou non enrichir la loi ? Si la réponse est négative, fort bien ! Qu'on laisse le Parlement de c™té ! Mais ce n'est pas mon sentiment ni, il me semble, celui des orateurs qui se sont exprimés. J'ai la faiblesse de penser qu'un débat parlementaire peut enrichir notre réflexion et faire progresser la loi en complétant ce que nous demande le Gouvernement. J'ajoute incidemment que tout débat parlementaire est l'occasion d'identifier différents problèmes et d'impliquer nos concitoyens, par le biais de leurs représentants nationaux. Les institutions de la mutualité voient là une opportunité de faire partager leur propre réflexion.

A tous égards, la réflexion que nous ouvrons aujourd'hui me semble utile mais ne devrait pas déboucher, sauf conclusion contraire, sur la cl™ture du débat après quelques quarts d'heure de discussion. Cela ne serait pas frustrant, mais dommageable et regrettable.

M. Jean DELANEAU, président - Merci, Monsieur Badré. Le débat n'est certes pas clos à l'issue de cette matinée d'auditions. Nous en rediscuterons et les commissions saisies auront tout loisir d'exprimer leurs idées.

M. Denis BADRÉ - Ma conclusion a été rapide, parce que j'avais été un peu long. Je me refuse personnellement à apporter ma pierre à un ensemble de réformes, qui touchent à la fois aux autoroutes et aux mutualités, b%oties en deux jours.

C'est impossible et ce n'est pas sérieux. Si ce sujet est véritablement urgent, identifions les urgences et traitons-les ! Si, sur le fond, de vrais sujets se trouvent prioritaires, c'est au Gouvernement de les retenir et nous devrons en ce cas travailler en utilisant le temps nécessaire. Toute autre approche manque du sérieux requis.

M. Jean DELANEAU, président - Je souhaite simplement rappeler ce que dit le texte dans l'exposé des motifs, dans son article premier. Ce projet de loi d'habilitation se fixe comme objectif la transposition de directives et les adaptations de la législation qui lui sont liées. Il s'agit bien de mesures liées directement à ces directives, ce qui semble éliminer tout ajout intempestif au sein de l'ordonnance. Je laisse à présent la parole à mes collègues sur cette question de procédure. Le rapporteur aura sans doute quelques questions portant sur le fond, que nous examinerons par la suite.

M. Charles DESCOURS - Dans cet aspect de pure procédure, je ne m'attacherai qu'à la question de la réforme du code de la mutualité. Je n'ai d'ailleurs, pour être franc, guère examiné les autres questions.

Que ce soit la FNMF, avec M. Jean-Pierre Davant, la FMF, avec M. Marc Zamichiei, ou la FNIM, avec MM. Philippe Delemarre et Gilles Marchandon, les discussions ont été entamées voici dix ans. Je tiens à préciser, afin d'éclairer mes collègues, que cette transposition en droit français des directives européennes " assurances " est assez difficile pour que des gouvernements de droite comme de gauche se soient mutuellement transmis le dossier.

Comme toujours, lorsque domine l'indécision, l'actuel Premier ministre a demandé un rapport à M. Michel Rocard. Ce dernier a remis ses conclusions. Je me rappelle un débat qui réunissait les trois fédérations... Monsieur Davant, vous sortiez d'une discussion avec Martine Aubry avec une certaine irritation. Au printemps dernier, vous aviez d'ailleurs demandé à certains parlementaires de l'opposition de vous rencontrer. Vous nous aviez alors fait part de votre agacement et de votre désir de passer à l'offensive. Ce débat est si difficile que plusieurs gouvernements l'ont laissé de c™té : ils ne savaient comment procéder pour satisfaire Bruxelles sans mécontenter les mutualistes. Lorsque j'ai appris que le Gouvernement comptait légiférer par ordonnances, j'ai pensé que les mutuelles réagiraient. Or, brutalement, peut-être à l'occasion de le Pentec™te et de la descente du Saint-Esprit, tout se passe bien de votre c™téÉ Vous représentez la plus importante des fédérations, mais ma remarque vaut également pour les autres. Quel est l'élément, arrivé subitement dans le texte de l'ordonnance, qui calme l'ensemble des partenaires, alors que tous les efforts entamés depuis une dizaine d'années n'amenaient aucune avancée ?

M. Jean DELANEAU, président - Je donne la parole aux personnes incriminées en rappelant que l'article 3 prévoit d'aller au-delà de la simple transposition puisque le Gouvernement y précise qu'outre " les mesures législatives nécessaires à la transposition des directives, le Gouvernement est autorisé à procéder par ordonnances à la refonte du code de la mutualité, à la modification du code des assurances ", etc. Il y a donc bien un supplément à l'habilitation elle-même.

M. Jean-Pierre DAVANT - Je ne compte pas m'immiscer dans le débat politique. Je vais répondre sur ce qui relève de ma compétence.

Il est exact que des éléments concernent uniquement la transposition et que d'autres touchent à la modernisation du code. Nous demandions ces derniers depuis fort longtemps. Il avait été convenu avec les différents gouvernements que l'occasion en serait précisément la transposition. Ne soyons pas hypocrites : la transposition aboutit à un certain nombre de conséquences en ce qui concerne le code de la mutualité. Les deux choses sont à mon sens indissociables. Je vous renvoie au discours de M. Jacques Chirac au Congrès de la mutualité de juin. Il y avait uniquement évoqué la nécessité absolue de cette modernisation. La vie politique, comme celle des mutuelles, se moderniseÉ Il faudra sans doute procéder à un aggiornamento des structures de nombreuses institutions mutualistes et syndicales. Certaines ont au demeurant anticipé cette mutation. Dissocier ces deux éléments serait à mon sens dangereux.

L'ancien président de la Fédération nationale de la mutualité française avait en effet demandé, au début des années 90, l'intégration du secteur mutualiste dans le champ des directives européennes d'assurance. Soyons cependant justes : il l'avait demandé tout en indiquant que six points devaient être respectés si l'on ne voulait pas banaliser la mutualité. Les instances européennes n'en ont pas tenu compte. Peut-être, n'étions-nous pas assez présents. Les assureurs sont bien mieux organisés que nous, je le reconnais bien volontiers. Nous en avons néanmoins tiré certaines leçons : nous avons désormais un bureau à Bruxelles et sommes de surcro»t profondément européens. Nous tentons d'éviter que ce passé ne se reproduise à l'avenir.

Je tiens à revenir sur cette question de la modernisation et sur le point de vue exprimé par M. Delemarre. J'ai un profond respect pour les minorités mais à l'entendre, je finis par me demander s'il n'y a pas en France davantage de mutualistes que de FrançaisÉ Le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 12 février 1997, a indiqué que la FNMF représente pour tout le territoire, dans tous les départements et dans toutes les couches socioprofessionnelles, 82 % du mouvement mutualiste.

Nous avons été plus que conciliants. Nous ne souhaitions pas en effet qu'un groupement de deux ou trois mutuelles puissent se décerner le titre de fédération. Nous avons été fort accommodants sur la modernisation et sur la nécessité d'une transparence, afin de ne pas tromper nos concitoyens sur ce que nous représentons les uns et les autres. Il faut savoir rester raisonnables. Je veux bien admettre que beaucoup de personnes au Parlement aiment la mutualité, au point de débattre dans le détail de ce que sera son avenir, mais comme l'a rappelé le sénateur Descours, les discussions ont été entamées depuis dix ans avec l'ensemble des partis politiques républicains de ce pays. On ne peut pas par conséquent prétendre aujourd'hui que tout se fait en catimini.

Je répète à nouveau que la réforme du code de la mutualité concerne des millions de Français. C'est au nom de ces quinze millions d'adhérents et de ces trente millions de personnes couvertes que je m'exprime. Ce n'est pas pour défendre les intérêts d'une structure mutualiste que je suis là aujourd'hui, mais pour ceux de ces Français qui ont majoritairement choisi la mutualité pour couvrir les dépenses de santé, face aux défaillances de la sécurité sociale. Ce n'est pas une boutique que je défends ici ! Je serais bien sûr ravi qu'il y ait un débat au Parlement, en tant que citoyen profondément républicain et démocrate. L'urgence et la raison veulent cependant que la situation se débloque rapidement.

On nous a demandé pourquoi ces avancées n'avaient pu avoir lieu sous les gouvernements précédents. Edouard Balladur avait demandé un rapport à M. Alain Bacquet, conseiller d'Etat. M. Michel Rocard s'en est fortement inspiré. Le Gouvernement Balladur a changé et les négociations ont repris avec M. Alain Juppé, mais ses préoccupations étaient d'un autre ordre. La réforme de l'assurance maladie, que nous avons soutenue, a été un chantier important. Les discussions avec le gouvernement Jospin ont commencé dès son arrivée, voilà déjà trois ans et demi. Il aura fallu ce laps de temps pour en arriver à la discussion en cours et les précédents gouvernements n'ont pas connu une telle longévité. Si cela avait été le cas, nous aurions probablement pu régler ces problèmes-làÉ

Ces textes sont au demeurant appelés à être améliorés, à notre demande quelquefois. Aucun texte de loi n'est figé pour l'éternité, j'en suis tout à fait convaincu, et nous vous demanderons probablement au cours de séances parlementaires de faire évoluer ces textes. Mais dans le cas présent, l'urgence d'une avancée qui concerne des millions de nos concitoyens est déterminante. C'est bien ainsi que nous informerons ces derniers des choix opérés. Je n'ai pas consacré tant de temps à la recherche d'un consensus entre le Président de la République, très au fait des problèmes de la mutualité, et le Gouvernement, pour en arriver à une petite guerre politicienne, qui mettrait en péril l'intérêt de nos concitoyens.

M. Jean DELANEAU, président - M. Zamichiei désire-t-il ajouter quelque chose ?

M. Marc ZAMICHIEI - Je n'ai pas de compétences particulières pour juger de la portée d'une loi d'habilitation. Je rappelle néanmoins que la sécurité sociale elle-même a été créée par ordonnance et modifiée fréquemment selon la même procédure. Les dernières ordonnances sur lesquelles nous avons eu une discussion portaient elles sur une réforme d'ensemble du système de santé.

Je souhaiterais insister sur le lien nécessaire entre la transposition de la directive européenne et la modernisation du code de la mutualité. Si la modification de ce dernier ne résulte pas directement de la transposition, elle rend cependant possible et acceptable celle-ci pour le mouvement mutualiste.

Nous ne pouvons pas, par conséquent, séparer les deux éléments et il est parfaitement logique que la loi d'habilitation soit reliée à la réforme du code de la mutualité. Je ne donnerai qu'une illustration de ce lien. Vous savez que les directives d'assurances européennes reposent sur le principe de spécialité. Il ne permet pas aux opérateurs concernés par cette directive d'exercer hors de l'assurance d'autres activités considérées comme commerciales par les autorités européennes. Or, les mutuelles ont actuellement d'autres activités que celle de l'assurance : prévention, action sociale, gestion de réalisations sanitaires et socialesÉ La transposition prévue de ce principe de spécialité innove juridiquement et permet à la mutualité de continuer de gérer ces activités. Une transposition stricto sensu de la directive européenne mettrait la mutualité dans une situation impossible au regard de ses missions, plus particulièrement de celles qui relèvent de l'intérêt général. Les deux parties de la loi envisagée sont donc liées.

La transposition des directives " assurances " entra»ne différentes contraintes. Si les moyens permettant de maintenir la spécificité de nos activités et de nous développer ne nous sont pas dans le même temps offerts via cette réforme du code de la mutualité, la banalisation de nos activités est à redouter. Tout un pan de l'histoire sociale de notre pays serait remis alors en question.

J'insiste donc sur ce lien entre transposition et modernisation du code, qui explique que ces deux aspects figurent dans la loi d'habilitation.

M. Jean DELANEAU, président - Je suppose que M. Delemarre souhaite s'exprimer.

M. Philippe DELEMARRE - J'ai été attentif aux réponses. Je rappelle mon respect de tout Français et de tout mutualiste, attitude que je partage avec Jean-Pierre Davant et Marc Zamichiei. Je rappelle que l'un des principes fondamentaux du mouvement mutualiste renvoie à ce que Descartes appelait le libre arbitre, " principale perfection de l'homme ". Appliquer son libre arbitre, c'est pouvoir notamment faire part à des parlementaires de telle ou telle inquiétude. Le projet qui nous est présenté aujourd'hui est en somme prêt à l'emploiÉ Certains ont sans douté été mieux associés que d'autres au cours de la rédaction du texte, sans que j'en aie la certitude. Nous avons pour notre part des critiques à formuler.

Je répète que le chapitre II évoquant les principes mutualistes fait na»tre en nous une légitime inquiétude. Des contraintes fortes, évoquées au demeurant par M. Zamichiei, nous sont imposées : l'absence de sélection, d'exclusion, de questionnaire médical en sont une illustration. La mutualité ne propose qu'un produit et la gestion du risque, pratiquée par d'autres opérateurs, a pour conséquence une hétérogénéité des situations.

Je crois qu'il aurait mieux valu qu'un échange s'instaure avec les parlementaires. J'ai le plus profond respect pour le Parlement et pour les mutualistes. Notre fédération aurait souhaité pouvoir en discuter dans les assemblées générales des mutuelles de base. Une voix mutualiste en vaut bien une autre.

Je répète par ailleurs que nous souhaitons une dissociation entre la transposition des directives et la réforme du code de la mutualité. Cette dernière est fondamentale pour la mutualité et pour la démocratie sociale que nous représentons. La dissociation des deux parties doit permettre l'instauration d'un véritable débat au Parlement.

M. Gilles MARCHANDON - Si vous le permettez, Monsieur le président, je ne reviendrai pas sur les points de principe mais je souhaite répondre à quelques-unes des questions posées, en ce qui concerne les délais.

Vous avez tenté de comparer les délais qui seraient nécessaire selon que l'on adopte la procédure parlementaire ou celle de l'ordonnance. D'après ce que je crois comprendre, une nouvelle rédaction des textes est nécessaire et le Conseil d'Etat doit les examiner. Cela implique des délais certains.

La difficulté essentielle à laquelle il faut faire face dans l'élaboration de ce futur texte réside dans sa définition même. De quel texte parlons-nous, alors qu'il n'existe aucune version officielle puisqu'il n'a jamais été approuvé par le Conseil des ministres ?Certaines versions ont certes été adressées à des commissions ou à des conseils consultatifs officiels, comme le Conseil supérieur de la mutualité ou le Conseil national des assurances, qui ont pu disposer de la dernière version en date. Il n'y aura pas de texte officiel avant parution du texte officiel de l'ordonnance au Journal Officiel.

Il est par ailleurs nécessaire d'éviter les astreintes et les condamnations et de se comporter en bon élève européen. L'avis des experts diffère cependant sur des textes au demeurant non officiels lorsqu'il s'agit de décider si les solutions de transposition qu'ils recèlent seront ou non jugées conformes par Bruxelles.

M. Descours a posé la question des raisons d'un tel changement d'attitude à une autre fédération, aussi n'y répondrai-je pas directement. Je crois que figure désormais dans ces textes un grand principe qui établit qu'une mutuelle peut créer une mutuelle sÏur, appelée à gérer les oeuvres sociales. La mutuelle d'assurance pourra opérer des transferts financiers destinés à la mutuelle sÏur tant que la marge de solvabilité et la règle prudentielle ne sont pas atteintes. Je ne sais pas si Bruxelles acceptera ou non ce point de vue, même si je l'espère. Les experts en doutent.

Par conséquent, le fait de passer par la procédure de l'ordonnance ne garantit aucunement que le dossier soit juridiquement súr. Il en est de même pour une autre voie juridique envisagée, qui prévoit que la mutuelle peut poursuivre ses activités hors assurances si ces dernières sont accessoires. La définition de cet adjectif est renvoyée au décret. Je ne sais pas si Bruxelles s'en satisfera.

Nous nous trouvons face à un grand nombre d'incertitudes et il est difficile d'évoquer ici le fond du problème.

Je souhaite, avant d'en finir, revenir sur la question des petites mutuelles, qui nous tient à cÏur. Les directives européennes avaient prévu d'exonérer d'un certain nombre d'obligations les petites entreprises d'assurance. L'obligation de disposer de fonds propres minimum était notamment supprimée, car elle est assez lourde pour aboutir à la disparition des petites mutuelles. De façon très étrange, la dernière version du texte que nous avons sous les yeux ne prévoit rien en la matière, alors même que l'Europe avait en l'occurrence prévu des mesures permettant d'épargner les petites mutuellesÉ

Cela fait partie des sujets que nous aurions souhaité voir évoqués devant la représentation nationale et devant le Sénat en particulier.

M. Jean DELANEAU, président - Je vous remercie. Monsieur Bancel ?

M. Jean-Louis BANCEL - Je souhaite simplement préciser deux points destinés à informer les sénateurs présents.

Jusqu'à la deuxième quinzaine de juillet, nous pensions que le processus législatif classique allait commencer. Nous avions pour cette raison entamé depuis deux ans un vaste débat avec l'ensemble des responsables mutualistes dans toutes les mutuelles et dans les unions départementales et régionales, débat qui a culminé au cours du Congrès national de la Fédération en juin dernier. Nous avons donc une bonne connaissance de l'opinion des responsables mutualistes qui ont eu l'occasion de se déterminer sur les versions antérieures du texte actuel.

Nous avons eu connaissance d'un document qui est un avant-projet de loi et nous avons eu l'occasion de préciser le point de vue des responsables mutualistes, qui ont approuvé à quelques réserves près les propositions du Gouvernement.

Le Conseil d'Etat a été consulté et le processus classique a donc été stoppé juste avant d'arriver en Conseil des ministres. Nous ne connaissons pas le détail de l'avis rendu par le Conseil d'Etat, mais nous savons qu'aucune objection n'a été retenue quant à la conformité aux normes européennes de ce texte établi par le Gouvernement et que avions donc pu consulter.

Je reviens sur le point de vue de l'Union européenne. Bruxelles se réserve toujours le droit de donner ou non son aval à une procédure de transposition, quelle que soit la voie choisie par le pays concerné. Il suffit de noter que la réforme du code des assurances, passée par la voie parlementaire classique, n'en a pas moins été contestée sur certains points par l'Union européenne. La voie législative ne nous aurait, dans tous les cas, pas permis d'éviter un examen minutieux des instances européennes.

Je reviens à présent à la question de la modernisation. Je souhaite à cet égard exposer deux éléments.

En premier lieu, le rapport de Michel Rocard, établi après qu'il eut rencontré le commissaire européen Mario Monti, alors en charge des questions de marché intérieur, avait instauré un cadre juridique. L'application dite " sèche " de la directive pose un réel problème dans le cadre d'un code qui remonte à 1945. Tout ajout au sein de cette architecture ancienne le ferait littéralement exploser.

En second lieu, les corollaires de la transposition sont multiples et importants. Le volet modernisation ne concerne pas uniquement des points purement français. J'en veux pour preuve le problème déjà évoqué des mutuelles sÏurs, innovation juridique rendue nécessaire par le respect du principe de spécialité. L'obligation de respecter la marge de solvabilité contraint à une modernisation du code pour permettre aux mutuelles de se doter de fonds propres : titres participatifs, emprunts subordonnésÉ Cette modernisation est donc le corollaire de la transposition des directives.

Il est néanmoins exact que la discussion peut s'envisager sur certains points. L'insertion du Gouvernement d'entreprise dans le monde mutualiste en fait partie. L'injection " sèche " dans le code de directives relevant d'une logique prudentielle sans que des conséquences en soient tirées en ce qui concerne le Gouvernement d'entreprise, reviendrait à banaliser et inhiber les mutuelles et à leur rendre impossible la modernisation.

Enfin, certains points ne relèvent pas de la transposition des directives : par exemple, le fonds national de garantie en cas de défaillance d'une mutuelle. L'Europe ne réclame aucune disposition en la matière : c'est la Haute Assemblée qui a demandé, par un amendement de M. Marini, la création d'un fonds de garantie en cas de faillite dans le secteur des assurances. Il nous avait été demandé d'imaginer un système comparable dans le cadre de la mutualité. Or, nous sommes déjà dotés d'un système fédéral de garantie, système qui relève du volontariat. Cette modernisation nous semble néanmoins positive puisqu'elle est bonne pour nos adhérents. Le Gouvernement envisage de le rendre obligatoire et nous approuvons cette position.

Il est à notre sens peu judicieux de dissocier ce qui nous para»t garantir un équilibre et un consensus entre le mouvement mutualiste et l'exécutif français.

M. Philippe DELEMARRE - Le débat lancé par Jean-Louis Bancel est certes un débat de qualitéÉ Il démontre précisément qu'il fallait débattre avec le Sénat. Toutes les questions qu'il vient d'évoquer soulèvent différents problèmes. Celui des principes mutualistes face à la fiscalité et celui de la transparence du Conseil supérieur de la mutualité en sont une illustration.

La position du Conseil d'Etat évoquée n'est pas connue de tous. Tout le monde n'a pas bénéficié des informations obtenues par certainsÉ Quelle est cette position ? Sur quel texte porte-t-elle ? Tout cela m'évoque une histoire dr™le que je me permets de vous raconterÉUne jeune maman offre une cravate jaune et une autre verte à son fils. Le lendemain, il met la verte. Elle lui dit alors " eh bien, tu n'aimes pas la jaune ? ".

M. Jean DELANEAU, président - Je donne la parole au rapporteur.

M. André JOURDAIN, rapporteur pour avis de la commission des Affaires sociales - J'avais proposé que nous procédions en deux étapes, la procédure puis le contenu. Ce deuxième point a déjà été largement abordé.

Je souhaite réagir aux réponses exprimés en ce qui concerne le sujet de la procédure. Personne ne doute que ce débat intéresse des millions de Français et qu'il y ait urgence en la matière, Monsieur Davant. Cependant l'urgence ne tient pas à une modernisation, le texte évoquant une refonte. Le terme me semble plus vaste que celui de modernisation. Il y a par ailleurs un lien entre la transposition des directives et le futur code. Nous nous posons seulement la question de savoir s'il n'est pas possible d'étudier dans l'urgence le transposition des directives tout en prenant le temps d'étudier cette refonte du code. Le Gouvernement nous a fait une proposition différente. Je ne peux exprimer le point de vue de la commission tant que son avis n'est pas officiel.

Il y a un lien certain entre la transposition et la réforme du code, en termes de contenu. Le principe de spécialité a déjà été évoqué. Il me semble très important : n'aura-t-il pas comme conséquence une concentration du mouvement mutualiste ? Les mutuelles seront-elles soumises à un dispositif d'agrément ? La version dont vous disposez est-elle bien la bonne ? Quelle est votre position sur la proposition de création de mutuelles sÏurs ? Quelle est votre position sur la question de la réassurance ? Les obligations des mutuelles (non-sélection à l'entrée, non-discrimination en fonction des risques, absence de questionnaire médical) devraient être réaffirmées par le nouveau code. Dispensent-elles d'une réforme du statut fiscal ? Quel sera le r™le des unions et des fédérations ?

Voilà la série de questions concernant le contenu de ce projet.

M. Jean-Pierre DAVANT - Cela fait beaucoup de questionsÉ Avant de laisser la parole à M. Jean-Louis Bancel, je reviens une dernière fois sur la procédure, en examinant la situation de façon objective. Nous entrons dans une période de multiplication des échéances électorales : les élections municipales, législatives et présidentielles vont se succéder dans les deux années qui viennent. Si ce texte se voyait inscrit à l'ordre du jour parlementaire selon la procédure ordinaire, qui peut ici garantir que la discussion parviendrait à terme dans ce contexte ?

M. Jean DELANEAU, président - J'abonde dans votre sens. Depuis un an environ, j'insiste auprès du Gouvernement pour que la procédure s'accélère pour les textes relevant du domaine social, dont l'accumulation devient impressionnante.

M. Jean-Pierre DAVANT - Objectivement, nous ne pouvons rester dans cette situation. Je veux revenir sur le dernier point évoqué par M. Jourdain : le r™le des fédérations. Je répondrai par la même occasion à mon collègue de la FNIM. Nous pensons en effet qu'il faut clarifier l'appellation de Fédération mutualiste. Au Sénat, un groupe parlementaire doit être composé d'un nombre minimum de membres. Je souhaiterais que ce type de règles, instaurant une barre minimale, existe dans notre cas. Deux mutuelles forment une union et trois constituent une fédération. Nous avions souhaité que cette situation soit clarifiée et que soient définies de façon claire ces différentes catégories. Ce problème n'est pas capital et a, somme toute, permis à M. Delemarre de prendre part à la réunion d'aujourd'hui, ce qui est fort sympathiqueÉ

Nous avons procédé au retrait de ce problème de la discussion, étant donné l'absence probable de débat parlementaire, mais nous vous demanderons probablement de régler cette question à l'avenir. Nous avons accepté que la proportionnelle intégrale s'applique au Conseil supérieur de la mutualité, ce qui marque bien notre respect de l'ensemble des fédérations mutualistes.

Cette question, que je ne crois pourtant pas fondamentale pour l'avenir du mouvement mutualiste, a été extraite de la discussion, alors que rien ne nous y obligeait. J'ajoute, pour conclure, que M. Delemarre a des contacts nettement plus chaleureux avec Martine Aubry que les miens. Il a été le premier à donner son accord en ce qui concerne la CMU, ce qui n'est pas mon cas.

M. Philippe DELEMARRE - Ce n'était pas la même conception de la CMU.

M. Jean-Pierre DAVANT - Monsieur Descours, je vous prends à témoin, connaissant votre objectivité.

M. Philippe DELEMARRE - Précisez bien dans le procès-verbal qu'il n'y a rien entre Martine Aubry et moiÉ

M. Jean DELANEAU, président - Je vous rappelle que vous êtes filmésÉ Je donne la parole à M. Jean-Louis Bancel.

M. Jean-Louis BANCEL - Je répondrai brièvement à chacune des questions du rapporteur.

Je commencerai sur la question de l'aspect définitif ou non du texte dont nous disposons. Je répondrai ce que répond la Constitution. Jusqu'à ce que le Conseil des ministres ne l'adopte, nous ne pouvons affirmer que le texte est définitivement établi. Nous sommes néanmoins associés à sa conception, jusqu'à ce qu'il soit examiné en Conseil d'Etat. Par la suite, ce dernier expose son point de vue, que le Gouvernement choisit de suivre ou non en Conseil des ministres. Il existe donc un laps de temps dans lequel nous ne disposons d'aucune visibilité sur la question. Je tiens à dire sur ce point que le Gouvernement a en permanence associé le mouvement mutualiste à la préparation du texte qui le concerne.

En ce qui concerne la concentration du mouvement mutualiste, il est certain que la modification du code renforcera ce processus déjà en cours depuis fort longtemps. Le rapport de la commission des Finances mentionné par M. Denis Badré, l'évoquait au demeurant longuement. Le processus de concentration des mutuelles repose sur l'évolution de nos métiers. L'informatisation du système de santé joue un bien plus grand r™le dans cette évolution que le seul cadre juridique. Le processus technique de concentration ne doit pas gêner la sauvegarde du débat démocratique. Le texte devrait notamment contenir différents articles portant sur la question de la substitution. Les petites mutuelles, dont la surface financière ne pourra permettre d'assumer ce statut d'assureur au sens européen, continueront à exister en se voyant réassurées à 100 %. Leurs engagements seront portés par une autre structure mutualiste.

Un nouvel agrément est à notre sens entièrement nécessaire, ce qui pose la question des dispositions et des procédures transitoires. Si tout se déroule dans un service unique de l'avenue de Ségur, nous risquons quelques mauvaises surprises. Le document que nous avons pu consulter prévoit manifestement une déconcentration des procédures. Les textes européens sont clairs : le contr™le doit être un contr™le de légalité, portant sur des critères parfaitement objectifs et fixés par des textes européens transposés en droit français. Nous pensons que cela garantit aux mutuelles de ne subir aucun préjudice. Certaines seront en revanche contraintes à une restructuration.

Nous sommes favorables à la constitution des mutuelles sÏurs. Michel Rocard a repris cette proposition qui est la n™treÉ Il a également repris le rapport de M. Alain Bacquet, ancien président de la section sociale du Conseil d'Etat. La seule innovation tient à ce que les mutuelles sÏurs évoquées dans le rapport Rocard sont en réalité des siamoises : une seule assemblée générale réunit les adhérents mutualistes. La dissociation concerne les conseils d'administration. Nous respectons en l'occurrence la norme européenne de spécialité, qui repose sur l'élément patrimonial et non sur le processus décisionnel.

Le problème de la réassurance a fait l'objet d'un long débat. Un cadre s'est établi. Les interrogations portaient essentiellement sur une question complexe : la directive européenne obligeait-elle les mutuelles à se réassurer hors du monde mutualiste ? Nous constatons qu'il existe encore, dans le cadre du droit des assurances, certains opérateurs autorisés à se réassurer auprès de catégories exclusives. Je pense notamment à nos collègues de Groupama : le code des assurances leur garantit le droit de ne se réassurer qu'auprès d'un système mutualiste agricole. Nous pensions qu'il en serait de même en ce qui nous concerne. Cela n'est pas possible, mais nous avons réussi à faire clairement identifier un point fondamental. La réassurance sera libre, mais les mutuelles devront préciser à leurs adhérents le nom du réassureur. Dans le cas d'une réassurance intégrale, l'organisme concerné pourra-t-il conserver le nom de mutuelle ? Si nous n'avons pas jugé judicieux d'utiliser la souplesse du texte européen concernant les petites structures, c'est parce que nous craignons que l'effet combiné de la réassurance intégrale et le maintien de petites structures ne permettent à un certain nombre d'opérateurs commerciaux de les utiliser pour s'affubler du nom de mutuelle.

Pour ce qui relève de la non-sélection à l'entrée, je rappelle que le rapport Rocard est très clair et que nous sommes convaincus de l'aspect fondamental de ce principe. Il relève d'une telle évidence que le code actuel ne le précise même pas ! Le rapport Rocard préconise la mise en conformité de nos textes fondamentaux avec nos pratiques.

Je reviens sur le statut fiscal : je rappelle que le Parlement dispose de sa pleine souveraineté à chaque loi de finances. Nous souhaitons que la réforme du code et l'adaptation du cadre fiscal régissant les mutuelles aillent de concert. La discussion avec les pouvoirs publics sur ce sujet remonte loin dans le temps. Nous étions opposés à toute réforme du régime fiscal dissociée d'une réforme du code de la mutualité. Celle-ci étant programmée, nous considérons que la réforme fiscale doit l'accompagner en passant par la voie législative traditionnelle.

Le r™le des unions et des fédérations ne nous semble pas radicalement modifié. Nous avons plaidé pour la création d'un cadre légal pour les groupes mutualistes. L'un de vos collègues, M.  Marini, est fort attaché à l'institution d'un cadre législatif encadrant les droits des groupes. Nous pensons que les groupes mutualistes doivent faire l'objet d'une même évolution. Le système des unions et celui des mutuelles sÏurs constituent à cet égard une avancée prometteuse. Nous avions proposé le concept de groupement d'intérêt mutualiste pour prendre en compte cette réalité. J'ajouterai un élément important à ce que vous a répondu M. Davant sur les fédérations. Nous n'avons rien retenu de nos requêtes concernant le problème de la dénomination. Une fédération n'est pas uniquement un syndicat professionnel ou un groupe de défense de nos intérêts : elle doit apporter des éléments positifs aux adhérents mutualistes. L'avant-projet de document prévoit par conséquent que les fédérations puissent créer un système fédéral de garantie destiné aux mutuelles en mauvaise santé financière. Nous pensons que c'est sur ce point que l'on devra distinguer, au sein des fédérations, celles qui garantissent aux mutualistes une aide en cas de malheur et les autres.

M. Jean DELANEAU, président - La limite de temps que nous nous étions fixée est atteinte. Y a-t-il d'autres réponses ?

M. Philippe DELEMARRE - Je souhaite répondre brièvement à la série d'arguments alignés par M. Bancel, qui ne sont pas sans fondementÉ

La question de l'agrément aurait pu être discutée avec le Parlement : il nous para»t curieux qu'une procédure de réagrément soit prévue pour des structures qui peuvent avoir plus d'un siècle d'existence. Cette disposition aurait pu être aménagée.

Un autre débat aurait pu avoir lieu en ce qui concerne la tenue du registre des mutuelles.

Ces points montrent assez qu'il aurait été souhaitable de procéder à un dialogue avec le Sénat.

M. Gilles MARCHANDON - L'exhaustivité de l'intervention de M. Bancel laisse peu de temps aux autres intervenants pour s'exprimerÉ

Je reviens sur le seul point des systèmes fédéraux de garantie qu'il a mis en exergue. Il s'agit de poser la question de la combinaison de ce système avec celui du fonds de garantie obligatoire. Si ce dernier apporte une sécurité absolue à chaque mutualiste, à quoi sert ce second fonds ? Les textes dont nous disposons évoquent ces systèmes fédéraux de garantie, que l'on peut considérer comme des fonds privés. Ils héritent de tous les pouvoirs détenus actuellement par la Commission de contr™le des institutions de prévoyance et des mutuelles. Il y a là une dévolution d'un pouvoir régalien à une institution de droit privé, qui nous semble poser un redoutable problème.

M. Philippe DELEMARRE - Vous avez évoqué la question de l'embouteillage législatif. Or, un texte portant sur le travail de nuit des femmes a été repoussé par votre AssembléeÉ

M. Jean DELANEAU, président - En effet, mais nous n'allons pas engager à nouveau une discussion avec notre collègue socialiste ici présenteÉ Ce projet a en effet été repoussé de façon assez particulière. J'avais suggéré à la ministre présente de rajouter une autre ordonnance au texte d'habilitation de façon à aller plus vite en ce domaine, qui relève également d'une directive européenne.

Je vous remercie. L'objectif était aujourd'hui de vous entendre avant que nous ne nous engagions dans le débat nécessaire à un éclairage démocratique.

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