EXAMEN DES ARTICLES

ARTICLE PREMIER

Habilitation à transposer par voie d'ordonnances cinquante directives ou parties de directives

Commentaire : le présent article tend à transposer par ordonnances 50 directives communautaires.

I. RAPPEL DU CONTEXTE DE CET ARTICLE

Afin de soumettre les Etats membres à un ensemble de règles communes, la commission européenne édicte des actes juridiques obligatoires : il s'agit des règlements, des directives et des décisions.

Les directives lient tout Etat-membre destinataire quant au résultat, mais laissent aux instances nationales le choix de la forme et des moyens pour l'atteindre.

Selon l'exposé du présent projet de loi, la France aurait pris un retard très important dans la transposition des directives : à la date du 1 er juin 2000, 117 directives n'avaient pas été transposées dans les délais requis, suscitant un contentieux non négligeable.

II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Votre commission est consciente de la nécessité de transposer dans les plus brefs délais les directives communautaires. En conséquence, elle n'est pas opposée par principe à habiliter le gouvernement à effectuer cette transposition par ordonnances.

Elle rappelle toutefois que le gouvernement est bien souvent responsable du retard accumulé et émet deux conditions.

D'une part, l'habilitation ne doit porter que sur des directives de nature technique, afin de ne pas priver le Parlement de ses prérogatives constitutionnelles.

D'autre part, l'habilitation doit être strictement limitée à la transpositions desdites directives.

Concernant le présent article, la commission s'en est tenue aux transpositions de directives qu'elle estime relever de sa compétence, à savoir :

- directive 92/49/CEE du Conseil du 18 juin 1992 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie et modifiant les directives 73/239/CEE et 88/357/CEE (troisième directive " assurance non vie ") ;

- directive 92/96/CEE du Conseil du 10 novembre 1992 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe sur la vie, et modifiant les directives 79/267/CEE et 90/619/CEE (troisième directive " assurance vie ") ;

- directive 1999/62/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 1999 relative à la taxation des poids lourds pour l'utilisation de certaines infrastructures ;

- directive 92/12/CEE du Conseil du 25 février 1992 relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise ;

- directive 92/83/CEE du Conseil du 19 octobre 1992 concernant l'harmonisation des structures des droits d'accises sur l'alcool et les boissons alcooliques ;

- directive 98/26/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres ;

- directive 98/78/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 octobre 1998 sur la surveillance complémentaire des entreprises d'assurance faisant partie d'un groupe d'assurance.

Dans la mesure où ces transpositions sont indispensables pour respecter nos engagements européens, et sans préjuger des autres transpositions contenues dans le présent article, votre commission n'est pas défavorable à leur adoption.

Décision de la commission : sous les réserves ainsi exprimées par votre rapporteur et les propositions des autres commissions, votre commission a émis un avis favorable à l'adoption de cet article.

ARTICLE 3

Habilitation du gouvernement à procéder par ordonnance à la refonte du code de la mutualité

Commentaire : le présent article propose d'autoriser le gouvernement à procéder, par ordonnances, à la refonte du code de la mutualité, à supprimer dans le cadre de l'assurance complémentaire la période de stage de deux ans pendant laquelle l'assureur peut modifier le contrat ou y mettre un terme, à renforcer les pouvoirs de contrôle de la commission de contrôle des mutuelles et des institutions de prévoyance et à créer un fonds paritaire de garantie des institutions de prévoyance.

I. RAPPEL DU CONTEXTE DE CET ARTICLE

1. L'obligation de transposer les 3èmes directives aux mutuelles

Les troisièmes directives européennes 92/49 du 18 juin 1992 sur l'assurance non vie et 92/96/CEE du 10 novembre 1992 sur l'assurance vie visent à mettre en place un véritable marché unique de l'assurance reposant pour l'essentiel sur l'existence d'une licence unique permettant à toute entreprise agréée dans un Etat de s'établir ou de prêter ses services dans l'ensemble du territoire communautaire, sous le seul contrôle de l'autorité compétente de son pays d'origine. Ce mécanisme entraîne la suppression de l'approbation préalable et de la communication systématique des conditions et des tarifs d'assurance aux autorités chargées du contrôle, sauf pour les assurances obligatoires.

Les directives précitées ont été transcrites dans le code des assurances et dans le code de la sécurité sociale respectivement par la loi n° 93-1944 du 31 décembre 1993 et la loi n° 94-5 du 4 janvier 1994.

Par ailleurs, compte tenu de l'inclusion des mutuelles dans le champ d'application des directives 3 ( * ) , celles-ci auraient également dues être transcrites dans le code de la mutualité avant le 31 décembre 1993.

Leur non transposition dans le code de la mutualité a entraîné une lettre de mise en demeure (31 janvier 1996) puis un avis motivé (5 mars 1997). La commission a ensuite saisi la Cour de Justice des Communautés Européennes le 8 mai 1998 pour transposition incomplète. La France a été condamnée le 16 décembre 1999. Depuis le 4 avril dernier, la commission européenne a engagé une procédure d'astreinte sur le fondement de l'article 228 du Traité.

2. La réaction du gouvernement

Afin d'analyser les difficultés soulevées par la transposition des deux directives précitées aux mutuelles régies par le code de mutualité, un premier rapport a été remis en mai 1994 au ministre des affaires sociales de l'époque par M. Alain Bacquet, président de la section sociale du Conseil d'Etat.

Ce rapport préconisait la transposition des directives européennes dans le code de la mutualité et estimait que cette dernière ne serait pas nécessairement contraire aux intérêts des groupements mutualistes si elle s'accompagnait d'un certain nombre d'aménagements. Ce rapport ne fut pas suivi d'effet.

Il faut ensuite attendre l'introduction par la commission européenne d'un recours en manquement auprès de la Cour de Justice des Communautés Européennes pour que, quatre mois après, l'actuel Premier ministre confie à M. Michel Rocard la direction d'une mission visant à faire des propositions concrètes afin de concilier le respect des règles prudentielles édictées par les directives européennes et la préservation de la spécificité du mouvement mutualiste.

Il convient de souligner que la lettre de mission fixait des objectifs qui dépassaient largement la transposition des directives. Ainsi, les réflexions s'inscrivaient " dans le cadre plus large d'une modernisation du code de la mutualité . ".

Il est indiqué que le projet de loi qui en résulterait " pourra, par ailleurs, intégrer, le cas échéant, le nouveau cadre juridique de l'assurance maladie complémentaire qui sera entre-temps défini dans le cadre du projet de loi sur la couverture maladie universelle.

Il devra enfin comporter des règles précises et directement applicables pour assurer la sécurité juridique et financière des engagements pris par les caisses autonomes mutualistes créées avant le 31 juillet 1998 réalisant des opérations de retraite supplémentaire facultatives en semi-répartition. ".

Suite à ce rapport, les services du ministère de l'emploi et de la solidarité élaborèrent un projet de loi qui, tout en transposant les directives 92/49 et 92/96/CEE aux mutuelles, visait non seulement à refondre le code de la mutualité, mais également proposait toute une série de modifications législatives qui tendent à :

- supprimer dans le cadre de l'assurance complémentaire la période de stage de deux ans pendant laquelle l'assureur peut modifier le contrat ou y mettre un terme ;

- renforcer les pouvoirs de contrôle de la commission de contrôle des mutuelles et des institutions de prévoyance ;

- créer un fonds paritaire de garantie des institutions de prévoyance.

Ce projet de loi devait être examiné en conseil des ministres le 26 juillet dernier.

Finalement, le gouvernement a décidé de le présenter par ordonnance.

Historique du traitement des dernières transpositions

Procédures internes

Procédures communautaires

09/12/93

Demande de Mme Veil à M. Bacquet d'établir un rapport sur les difficultés soulevées par la transposition de ces directives aux mutuelles

31/12/93

Date limite de transposition

04/01/94

Modification partie législative du Code des assurances

12/02/94

Lettre de la commission demandant des observations à la France en raison de l'absence de transposition de deux directives

05/94

Remise du rapport Bacquet

08/08/94

Modification partie législative Code sécurité sociale (institutions de prévoyance)

31/05/95

Deuxième lettre d'observations de la Commission

08/06/95

Annonce par le Gouvernement français à la Commission du dépôt prochain d'un projet de loi.

31/01/96

Lettre de mise en demeure

02/07/96

Réponse d'attente à la mise en demeure

05/07/96

Avis motivé de la Commission

02/05/97

La France demande un délai supplémentaire d'attente à la Commission jusqu'en octobre 1997

19/11/97

Envoi d'un avant-projet de transposition

28/11/97

Réponse Commission qui annonce que l'avant-projet n'est pas conforme aux directives

17/12/97

La Commission réitère ses remarques de fond

06/07/98

Introduction d'un recours en manquement

11/08/98

Note des ministres de l'Emploi et de la Solidarité, de l'Economie, des Finances et de l'Industrie proposant des principes de transposition et un avant-projet

06/11/98

Demande de mission à M. Rocard

Source : Michel Rocard : " Mutualité et droit communautaire, rapport au Premier ministre ; mai 1999 ; p.19

II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Votre commission émet trois critiques à l'égard du présent article :

- le champ d'application de l'habilitation demandée par le gouvernement au Parlement est beaucoup trop large et constitue une atteinte aux prérogatives de la représentation nationale ;

- ce projet de loi véhicule une conception erronée et dangereuse de la construction européenne ;

- l'argument de l'urgence brandi par le gouvernement pour faire accepter ce projet de loi au Parlement n'est pas acceptable.

1. Une atteinte aux prérogatives de la représentation nationale

Dans son exposé des motifs, le gouvernement se veut rassurant à l'égard du Parlement et rappelle que, " dans la plupart des cas, les dispositions en cause [...] présentent un caractère très technique et dont la teneur est fortement contrainte par les dispositions communautaires . ".

Il ajoute : " est, en revanche, écartée du champ de l'habilitation la possibilité de prendre par ordonnances des mesures de grande ampleur, dépourvues de tout lien avec les dispositions transposées et de pure opportunité politique ".

Concernant plus précisément le présent article, le gouvernement présente l'habilitation comme " limitée strictement à la transposition des directives précédemment mentionnées, ainsi qu'aux adaptations qui lui sont liées ".

En réalité, le champ d'application de l'habilitation dépasse largement les mesures nécessaires à la transposition des directives 92/49 et 92/96 puisque le gouvernement procède notamment " à la refonte du code de la mutualité ".

En conséquence, il apparaît que contrairement à l'exposé des motifs du gouvernement, celui-ci ne transpose pas deux directives dans le code de la mutualité et en profite pour moderniser ce dernier, mais plutôt réécrit le code de la mutualité et, à cette occasion, transpose lesdites directives.

De même, on peut s'interroger sur l'interdiction imposée par le gouvernement aux entreprises d'assurances, quels que soient leurs statuts de pouvoir modifier un contrat d'assurance maladie ou même de le dénoncer dans une période de deux ans suivant la signature de ce dernier. Cette interdiction mériterait un débat au Parlement.

Par ailleurs, le gouvernement propose de renforcer les pouvoirs de contrôle et de sanctions de la commission de contrôle des mutuelles et des institutions de prévoyance (CCMIP). A cet égard, il convient de rappeler que le gouvernement avait annoncé l'introduction, dans le projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques, d'une disposition visant à rapprocher la commission bancaire et la commission de contrôle des assurances. Finalement, cette initiative a été abandonnée mais le gouvernement s'est engagé à proposer un projet de loi sur ce sujet avant juin prochain. Il serait plus judicieux que la réforme de la CCMIP soit incluse dans de dernier, notamment en vue de la fusionner avec la commission de contrôle des assurances.

Selon le gouvernement, la refonte du code de la mutualité proposée par voie d'ordonnances aurait été élaborée en étroite coopération avec le milieu mutualiste : doit on en déduire que le consensus qui se dégagerait sur ce projet serait une garantie suffisante et que le Parlement n'aurait donc pas besoin d'être consulté ?

Votre commission estime qu'il s'agit d'une curieuse interprétation de la démocratie. Certes, les secteurs concernés par ce projet de loi doivent être entendus, mais il revient au Peuple français, à travers la représentation nationale, de statuer sur l'évolution de la mutualité. Faut-il rappeler au gouvernement que les intérêts des professionnels, aussi respectables que soient ces derniers, ne sont pas forcément ceux de la société, et que le Parlement a justement comme mission de dépasser les intérêts catégoriels pour rechercher l'intérêt général ? Procéder par voie d'ordonnance dans un domaine aussi sensible pour les Français constituerait donc une dérive de la procédure d'ordonnance et une atteinte à la démocratie.

Votre commission tient en outre à rappeler qu'elle a eu l'occasion, il y a déjà deux ans, de s'intéresser à la transposition des troisièmes directives aux mutuelles régies par le code de la mutualité et qu'elle avait émis des propositions concrètes à travers le rapport remis par un groupe de travail présidé par le président de la commission des finances, M. Alain Lambert 4 ( * ) . Elle souhaitait, à l'époque, le dépôt rapide d'un projet de loi.

Les conclusions du groupe de travail : une transposition réaliste

Précisons d'emblée que si le groupe de travail s'est prononcé pour la transposition des directives européennes dans le code de la mutualité, c'est en ayant pleinement conscience et en respectant les spécificités de la mutualité française. Il considère cependant qu'une transposition ne serait pas nécessairement contraire aux intérêts des groupements mutualistes si elle s'accompagne d'un certain nombre d'aménagements.

Au demeurant, comme le rappelle M. Bacquet, les directives ont elles-mêmes prévu d'exclure du champ de la transposition un certain nombre de mutuelles :

en non vie (directive 92/49) :

- les mutuelles dont le statut prévoit la possibilité de procéder à des rappels de cotisations (ou réduction des prestations), ne couvrant pas les risques responsabilité civile, crédit et caution, percevant moins d'un million d'Euros (6,5 MF de cotisations annuelles) et dont la moitié au moins des cotisations provient des membres affiliés ;

- les mutuelles ne versant que des prestations d'assistance en nature et percevant moins de 200 000 Euros par an (1,3 MF) ;

- les mutuelles intégralement réassurées auprès d'une entreprise d'assurance de même nature ou pour lesquelles le cessionnaire se substitue à la cédante pour l'exécution des engagements ;

en vie (directive 92/96) :

- les mutuelles dont le statut prévoit la possibilité de procéder à des rappels de cotisations (ou réduction des prestations ou de faire appel au concours d'autres personnes ayant souscrit un engagement à cette fin) et ayant perçu moins de 0,5 million d'Euros (3,2 MF) de cotisations annuelles pendant au moins 3 années consécutives ;

- les mutuelles ne versant que des allocations pour frais d'obsèques.

En pratique, ces dispositions pourraient permettre d'exclure de très nombreuses petites mutuelles maladie dans la mesure où :

- soit le code de la mutualité serait modifié pour leur permettre de procéder à des rappels de cotisations ;

- soit elles se réassureraient intégralement auprès d'une union de mutuelles, qui elle-même pourrait se réassurer auprès de toute société de réassurance.

Bien qu'elles n'affichent pas un front uni, les mutuelles se montrent d'ailleurs disposées à évoluer. Elles se disent ainsi prêtes à séparer dans une comptabilité analytique leurs activités d'assurance complémentaire santé et celles de gestionnaire d'oeuvres sociales auxquelles pourrait être étendu le champ de la surveillance de leurs commissaires contrôleurs. Elles proposent de filialiser toutes les activités commerciales qui n'ont pas de lien avec l'assurance santé à l'image notamment des centres de vacances et de loisirs.

Elles considèrent enfin comme légitime leur assujettissement aux mêmes règles prudentielles que les sociétés du code des assurances.

Il convient néanmoins d'aller plus loin et, comme le préconisait M. Bacquet, " de modifier les dispositions du code de la mutualité afin de séparer juridiquement la gestion des oeuvres sociales de celles des activités d'assurance et de prévoyance des mutuelles. "

En effet, bien que la filialisation juridique ne soit pas une condition de la transparence comme le rappelle très justement le Commissariat Général du Plan, la prohibition du cumul d'activité doit néanmoins empêcher que les résultats éventuellement négatifs d'une activité non soumise aux disciplines rigoureuses des règles prudentielles viennent " polluer " les résultats de la gestion de l'activité d'assurance, et le cas échéant, réduire l'efficacité du système spécifique de sécurité financière que constitue l'ensemble des règles prudentielles.

Mais pour permettre que les établissements gérés par les groupements mutualistes continuent à jouer leur rôle de régulateur sur le marché de la santé en incitant au respect des tarifs conventionnels et à la modération des prix en général, il convient de préserver un mécanisme de transfert de fonds, pourvu qu'il s'opère en toute transparence et en conformité avec les règles prudentielles. Le code de la mutualité doit donc permettre à une mutuelle de subventionner sa filiale chargée de gérer ses oeuvres sociales, étant observé que la mutuelle exerçant l'activité de protection sociale complémentaire aura dû préalablement satisfaire à toutes les règles de sécurité financière qui s'imposent à elle.

S'agissant des transferts de portefeuille, outre que rien n'obligera un organisme mutualiste à transférer tout ou partie de son portefeuille à une société du secteur lucratif, il sera toujours loisible à l'autorité de tutelle des mutuelles de s'opposer au transfert de portefeuille de mutuelles à des organismes non mutualistes si elle estime qu'il en va de l'intérêt des assurés et des créanciers. En tout état de cause, il paraît souhaitable que toute cession soit subordonnée à une décision prise par l'assemblée générale de la mutuelle dans des conditions particulières de quorum et de vote, et que le prix du transfert vienne abonder les réserves de la mutuelle.

Enfin, l'application des directives au secteur mutualiste ne devrait pas porter atteinte au principe de la réassurance interne obligatoire pour les mutuelles auprès des fédérations mutualistes, pourvu que les fédérations nationales aient la liberté de se réassurer à l'extérieur de la mutualité, auprès de tout organisme pratiquant la réassurance.

Au total, comme la FNIM, le groupe de travail estime que la spécificité mutualiste n'est pas incompatible avec les règles européennes de l'assurance. La transposition aux mutuelles " 45 " des directives européennes n'empêcherait nullement la préservation d'une certaine spécificité réglementaire et fiscale liée, soit aux modalités de fonctionnement propres à une société de personnes, soit aux contraintes sociales spécifiques qu'elles peuvent choisir d'assumer en liaison avec leur caractère non lucratif.

Votre commission demande donc que la refonte du code de la mutualité fasse l'objet d'un projet de loi distinct, comme le gouvernement l'avait d'ailleurs envisagé jusqu'à cet été.

2. Une présentation erronée et dangereuse de la construction européenne

Ce projet de loi contribue à véhiculer une vision fausse et dangereuse de la construction européenne. En effet, il présente l'Europe non seulement comme celle qui sanctionne notre pays, mais également comme celle qui nous oblige à " mal légiférer " : pour mettre un terme aux procédures d'astreinte présentes ou à venir engagées par la Commission européenne, le Parlement devrait se dessaisir de ses pouvoirs constitutionnels d'examen et de vote de la loi au profit du gouvernement.

En réalité, la situation actuelle relève de l'entière responsabilité des gouvernements qui n'ont pas été diligents alors que leur transposition était déjà urgente et ont laissé s'accumuler un retard qui apparaît aujourd'hui difficile à combler.

En outre, comment défendre l'idée de l'Europe des citoyens auprès des Français s'il revient au gouvernement le soin de négocier les directives puis de les transposer dans le droit interne ? Il apparaît au contraire indispensable que les citoyens, à travers la représentation nationale, puissent se prononcer sur la construction européenne à travers l'examen des directives élaborées par la Commission européenne.

3. L'urgence, quelle urgence ?

Dans son exposé des motifs, le gouvernement rappelle la situation préoccupante de la France en matière de transposition des directives : à la date du 1 er juin 2000, 117 directives n'auraient pas été transposées dans les délais requis, dont près de la moitié nécessiterait des dispositions législatives. Cette situation serait source d'un important contentieux. En outre, " la charge de travail qui pèse sur le Parlement rend difficile, voire impossible, l'adoption dans les mois qui viennent des mesures législatives nécessaires à la transposition des directives ", ce qui justifierait le présent projet de loi qui habilite le gouvernement à transposer par ordonnance certaines directives.

Votre commission ne peut que réfuter cet argument.

D'abord, elle tient à rappeler que le gouvernement est maître de l'ordre du jour des assemblées. En conséquence, il aurait eu toute liberté pour présenter un projet de loi transposant les directives 92/49 et 92/96 qui datent de 1992. A cet égard, votre commission tient à souligner que dans d'autres domaines, le gouvernement n'hésite pas à utiliser l'urgence.

Il convient cependant de remarquer qu'en proposant l'adoption de l'article 1 er du présent projet de loi 5 ( * ) , l'urgence communautaire tombe puisque la France respecte désormais ses engagements européens. Le rejet du présent article obligerait uniquement le gouvernement à proposer rapidement un projet de loi sur le code de la mutualité et sur les autres dispositions qu'il compte prendre par ordonnances, alors même qu'elles n'ont aucun rapport avec la transposition des troisièmes directives aux mutuelles régies par le code de la mutualité.

Ensuite, l'examen desdites dispositions par la représentation nationale pourrait intervenir rapidement puisque ces dernières faisaient à l'origine l'objet d'un projet de loi qui aurait dû être adopté en conseil des ministres le 26 juillet dernier.

Enfin, la procédure choisie ne devrait pas être si rapide puisque le gouvernement disposera d'un délai de 6 mois pour prendre les ordonnances.

Votre commission a plutôt le sentiment que l'obligation de transposition sert de prétexte au gouvernement pour introduire dans notre droit interne des dispositions qui ne font pas l'objet de directives. C'est notamment le cas des mesures visant à créer un fonds de garantie paritaire des institutions de prévoyance ou à renforcer les pouvoirs de la CCMIP.

Pour toutes ces raisons, votre commission ne peut donc accepter l'adoption du présent article.

Décision de la commission : votre commission a émis un avis défavorable à l'adoption de cet article.

ARTICLE 4

Habilitation du gouvernement à prendre certaines mesures législatives concernant les autoroutes et les péages

Commentaire : le présent article a pour objet d'habiliter le gouvernement à prendre par ordonnances des mesures relatives aux sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes et des dispositions concernant les péages routiers et autoroutiers.

I. LES DISPOSITIONS DU PRESENT ARTICLE

L'article 4 du projet de loi vise à habiliter le gouvernement à prendre des ordonnances dans les domaines suivants :

- suppression de la garantie de reprise de passif accordée par l'Etat aux sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes (SEMCA) et prorogation des durées des conventions de concessions conclues entre l'Etat et certaines sociétés concessionnaires ;

- modification des diverses dispositions relatives aux péages pouvant être institués pour l'usage des autoroutes et des ouvrages d'art.

Selon le gouvernement, ces mesures " visent à faciliter la mise en oeuvre " des objectifs fixés par la directive 93/37/CEE du Conseil du 14 juin 1993 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux et par ses textes de transposition. Il ne s'agit donc pas, à l'inverse d'autres dispositions, de simples mesures de transposition de textes communautaires.

Dans ces conditions, et s'agissant d'une réforme aussi importante que celle du financement autoroutier, on peut légitimement s'interroger sur la pertinence de l'utilisation d'un projet de loi d'habilitation, qui consiste en fait à dessaisir le Parlement de ses prérogatives.

II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

1. Un sujet qui ne justifie pas de débat par la représentation nationale ?

L'exposé des motifs du projet de loi d'habilitation néglige complètement l'importance du financement routier et autoroutier : " En l'espèce, l'habilitation demandée au Parlement est définie de manière précise, limitée dans le temps et porte principalement sur des directives de nature essentiellement technique " indique-t-il. Il ajoute, fort mal à propos, " on note enfin que l'habilitation n'est pas demandée pour des directives dont l'objet et la portée politiques justifient un débat par la représentation nationale ".

Considérer que le financement du système autoroutier ne justifie par de débat par la représentation nationale est pour le moins surprenant.

Le ministre de l'équipement, des transports et du logement pensait lui-même que ce débat se justifiait pleinement, puisqu'il avait annoncé à plusieurs reprises, et notamment devant votre commission des finances en décembre 1999, le dépôt d'un projet de loi. Dans leur lettre au commissaire européen en charge du marché intérieur, M. Frédérik Bolkestein, en date du 27 octobre 1999, les ministres de l'équipement, des transports et du logement, de l'économie, des finances et de l'industrie et le secrétaire d'Etat au budget écrivaient également : " afin de mettre en oeuvre la réforme dès le premier trimestre 2000, le Gouvernement entend déposer au Parlement, avant la fin de l'année, un projet de loi portant réforme du secteur autoroutier, dont une disposition essentielle est l'allongement de la durée des concessions des SEMCA ".

De fait, votre rapporteur a pu prendre connaissance d'un avant-projet d'ordonnance qui, selon les informations du ministère de l'équipement, des transports et du logement, reprend exactement les termes du projet de loi que celui-ci avait préparé.

Malgré ces informations, votre rapporteur note que le projet de loi d'habilitation constitue un dessaisissement du Parlement et qu'en tout état de cause, le débat sera tronqué. Le fait que le ministre chargé des transports participe au présent débat dans l'hémicycle ne justifie en rien de n'accorder qu'une place si limitée au débat parlementaire.

L'argument opposé par le gouvernement est que le choix de légiférer par ordonnance a été contraint par la surcharge du calendrier parlementaire et la nécessité de légiférer rapidement. Toutefois, votre rapporteur se permet de rappeler que le gouvernement est maître de l'ordre du jour du Parlement et qu'il lui appartient entièrement de définir ses priorités et par conséquent d'inscrire en urgence les textes législatifs dont l'adoption lui paraît indispensable.

D'autant que, en constituant une commission d'enquête sur les transports en 1998 6 ( * ) , le Sénat avait préparé le débat en amont, et il poursuit ses investigations par l'intermédiaire d'un groupe de travail sur le financement des infrastructures de transport. Une des conclusions de la commission d'enquête était d'ailleurs la nécessité d'associer davantage le Parlement à la définition des projets d'infrastructure.

2. La volonté de relancer l'investissement autoroutier ?

Le gouvernement fait valoir que le refus d'habiliter le gouvernement à prendre par ordonnances des mesures relatives au financement du système autoroutier entraînerait un ralentissement du programme autoroutier.

Votre rapporteur fait observer que ce ralentissement est d'ores et déjà à l'oeuvre, sans qu'il soit possible d'en imputer la cause à une autre raison qu'au souhait du gouvernement de limiter les investissements routiers.

L'avant-projet d'ordonnance qui a été soumis à votre rapporteur confirme cette analyse puisqu'il fait état, dans son exposé général au Président de la République, de considérations qui relèvent de choix politiques et en aucune façon de considérations juridiques d'application du droit communautaire.

Il énonce notamment que la politique autoroutière " doit évoluer pour mieux tenir compte des préoccupations environnementales de nos concitoyens, qui acceptent de moins en moins le " tout routier " comme le " tout autoroutier ". Cette affirmation, démentie par la hausse constante des trafics routiers, n'est étayée par aucun élément. Pour bien signifier qu'il s'agit de pénaliser un mode de transport par rapport à un autre, l'exposé met en parallèle la politique du " tout routier " avec " la politique des transports conduite depuis 1997 en faveur du développement du mode ferroviaire, notamment pour le transport de marchandises ". Contrairement à ce que le gouvernement indique, la réforme ne viserait pas à faciliter le financement des futures liaisons autoroutières, mais à poursuivre une politique dite de rééquilibrage, visant en fait à freiner massivement les investissements routiers sans qu'aucune certitude n'existe pour les autres modes de transport.

De fait, le gouvernement conduit une attaque en règle contre le système de la concession autoroutière, au motif que celui-ci aurait favorisé la construction indue d'autoroutes : " il avait conduit dans certains cas, à privilégier l'autoroute concédée alors que l'optimum économique et environnemental pouvait conduire à retenir des aménagements plus limités ".

Ainsi, il est tout de même hautement paradoxal que le gouvernement tire argument d'une volonté de relancer rapidement l'investissement autoroutier pour faire adopter sa réforme par voie d'ordonnances alors que, dans le même temps, il réaffirme sans cesse son souhait de construire moins de routes et d'autoroutes.

3. Une réforme indispensable ?

Le Sénat s'est, à plusieurs reprises, interrogé sur le point de savoir si la réforme du financement autoroutier, telle qu'elle est présentée par le gouvernement, était véritablement indispensable.

Il est vrai que la directive européenne n°93/37/CEE du Conseil du 14 juin 1993 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux impose une mise en concurrence : celle-ci est d'ailleurs mise en oeuvre depuis l'annulation par le Conseil d'Etat en février 1998 de la procédure d'attribution de la concession de l'autoroute A 86 ouest pour manquement aux règles de publicité. L'attribution de l'autoroute A 28 entre Rouen et Alençon a fait l'objet de la nouvelle procédure.

En revanche, la conclusion selon laquelle cette directive, en ce qu'elle exige de mettre en oeuvre le principe de l'égalité de traitement des candidats, conduit à renoncer à l'adossement et à externaliser la subvention publique quand celle-ci est nécessaire à l'équilibre de la concession lui paraissait pour le moins hasardeuse.

Le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur les grandes infrastructures de transport indiquait ainsi " la suppression du mécanisme de l'adossement n'apparaît nullement comme une conséquence certaine " de la directive travaux.

A la suite d'entretiens à la Commission européenne, les rapporteurs de la commission d'enquête et le président avaient acquis les certitudes suivantes :

- une attribution de concession doit être précédée d'un appel d'offres européen ;

- s'agissant des attributions de concession pour réaliser des travaux comme dans le cas des autoroutes, la mise en concurrence doit se faire au stade de la concession, et pas seulement en aval de celle-ci, au stade des travaux ;

- une aide publique est possible, à condition d'être égale pour tous les concurrents ;

- si l'attribution porte à la fois sur un ouvrage rentable et un ouvrage non rentable, l'un et l'autre peuvent faire l'objet d'une mutualisation.

La définition de l'aide publique, sous forme de subventions ou d'allongement de concessions n'était pas, à cette époque, déterminée par l'Union européenne.

Toutefois, le 16 septembre 1999, le Conseil d'Etat a rendu un avis au ministre de l'équipement, des transports et du logement sur la légalité du procédé, dit de l'adossement , consistant à financer le déficit de la concession d'une nouvelle section d'autoroute non rentable par la prolongation d'une concession existante, au-delà de la durée nécessaire à l'amortissement des ouvrages.

L'avis conclut que les règles applicables à l'attribution des concessions font désormais obstacle à ce que la réalisation d'une nouvelle section d'autoroute soit confiée à une société dont l'offre prévoit que l'équilibre financier de l'opération sera assuré par la prolongation de la durée d'une concession en cours concernant un autre ouvrage , la passation d'un nouveau contrat s'accompagnant alors de la conclusion d'un avenant au contrat en cause.

L'avis du Conseil d'Etat du 16 septembre 1999

Le Conseil d'Etat indique que " si, en vue de la concession de la construction et de l'exploitation d'un tronçon d'autoroute dont le trafic envisagé ne permet pas d'assurer la rentabilité, un candidat, déjà titulaire d'une concession, était admis à présenter une offre dont l'équilibre financier serait assuré par la prolongation de la durée de la concession initiale, alors que les autres candidats ne pourraient que réclamer une subvention de la part de l'autorité concédante, l'égalité entre candidats serait rompue, et seraient méconnues les dispositions susmentionnées (art 38 et 40 de la loi du 29 janvier 1993) , ainsi que l'article 3 de la directive n°93/37 CEE du Conseil du 14 juin 1993. "

D'autre part, le Conseil d'Etat note que les dispositions de la loi n°93-122 du 29 janvier 1993 modifiée relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques ne permettent pas d'allonger la durée d'une concession pour des raisons étrangères à la durée normale d'amortissement des installations mises en oeuvre.

La conclusion est donc que " la pratique actuelle de l'adossement consistant à financer le déficit d'une concession d'une section non rentable d'autoroute par la conclusion d'un avenant portant prolongation de la durée initiale d'une concession déjà attribuée et exploitée contrevient à un double titre aux dispositions précitées . "

Cependant, le Conseil d'Etat note qu'en application de l'article 40 de la loi du 29 janvier 1993, la prolongation de la durée de la concession pour assurer la réalisation d'un équipement routier nouveau par la pratique de l'adossement peut avoir un caractère exceptionnel. Il faut que les investissements complémentaires non prévus au contrat constituent un accessoire de l'ouvrage initial, c'est-à-dire aient une dimension et un coût limités en comparaison avec ceux de l'ouvrage principal, et ne disposent pas d'une autonomie fonctionnelle propre.

Votre rapporteur prend acte des conclusions de cet avis, qui de fait, condamne le recours à l'adossement, sauf " cas exceptionnel ".

Il note toutefois qu'il appartient au législateur de se prononcer sur la procédure de l'adossement, et d'avoir un débat sur ce sujet. On ne peut en effet s'en remettre à un simple avis lorsqu'aucune norme nationale ou supranationale n'implique clairement la fin de l'adossement, et alors même que la commission européenne n'a engagé aucune procédure d'infraction contre la France sur la pratique de l'adossement.

Cependant, au-delà de ces interrogations, on peut remarquer que la procédure d'adossement a déjà été interrompue par la France et que la réforme qui devra être mise en oeuvre par voie d'ordonnances consiste exclusivement en une prolongation des concessions des SEMCA et en la suppression de leur garantie de passif, c'est-à-dire des mesures entièrement distinctes de la procédure d'adossement. La commission européenne n'est pas, à l'origine de la réforme, qui a été impulsée unilatéralement par le gouvernement français.

4. Les dispositions prévisibles de l'ordonnance : des dispositions en apparence simples et étonnamment limitées

L'avant-projet d'ordonnance qui a été soumis à votre rapporteur comporte seulement six articles, dont deux seulement relatifs aux SEMCA et quatre relatifs aux péages routiers et autoroutiers.

Les dispositions prévisibles de l'ordonnance

L'ordonnance comprendrait deux chapitres distincts, l'un consacré à la réforme des SEMCA et l'autre à l'adaptation de certaines dispositions du code de la voirie routière et à la modification du régime juridique des ouvrages d'art à péage.

Dans le chapitre I, l'article 1er préciserait les dates de fin des concessions pour chacune des SEMCA, entre le 31 décembre 2026 et le 31 décembre 2032 selon la société.

L'article 2 supprimerait la garantie de reprise de passif figurant aux articles 37 (effets de l'expiration de la concession), 38 (retrait de la concession) et 40 (déchéance du concessionnaire) du cahier des charges de ces sociétés.

Dans le chapitre II, l'article 3 inscrirait dans le code de la voirie routière les principes de non discrimination et de modulation des péages. L'article 4 supprimerait le principe de gratuité de l'usage des autoroutes. L'article 5 supprimerait également le principe de gratuité pour les ouvrages d'art et confierait à la collectivité maître d'ouvrage la responsabilité de fixer seule les principes de tarification. L'Etat pourrait également percevoir un péage en régie sur ses ouvrages d'art. Enfin, l'article 6 supprime le régime d'autorisation des communes pour l'instauration du péage sur leurs ouvrages d'art.

L'ordonnance aurait deux objets très distincts, qui sont d'ailleurs précisés dans le projet de loi d'habilitation : d'une part la réforme des SEMCA, d'autre part un aménagement du régime des péages.

Les conditions de gestion des SEMCA seraient rapprochées de celles des sociétés privées afin de les mettre en mesure de présenter, le cas échéant, des offres comparables pour les nouveaux projets autoroutiers. Les avantages dont elles bénéficient seraient supprimés. En contrepartie, les SEMCA bénéficieraient d'un allongement de la durée de leurs concessions entre 12 et 15 ans.

Votre rapporteur approuve bien évidemment l'idée de modifier le régime des sociétés publiques concessionnaires d'autoroutes pour les mettre à égalité avec leurs concurrentes.

Cependant, l'ordonnance viserait seulement la garantie de reprise de passif par l'Etat en fin de concession, et non explicitement les pratiques comptables spécifiques en matière d'amortissement et de report de passif, et l'absence de rémunération des capitaux investis, comme pourtant le gouvernement l'indique. On ne sait pas encore sous quelle forme seront prises ces autres mesures (certaines sans doute par voie réglementaire).

Dans ces conditions, il ne semble pas qu'une simple mesure visant à supprimer la garantie de l'Etat, même assortie d'un allongement des concessions soit d'une urgence absolue pour permettre aux sociétés de se présenter à des appels d'offre. Selon le gouvernement, l'égalité entre les concurrents nécessiterait de réformer le fonctionnement interne des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes, sans quoi il n'y aurait pas de mise en concurrence possible. Mais cette réforme va essentiellement se faire par d'autres voies que l'ordonnance.

Aussi l'urgence de cette réforme peut être mise en doute , puisque des mises en concurrence ont déjà eu lieu, notamment pour l'A86 et l'A 28, sans qu'il ait été besoin de retirer la garantie de l'Etat à certaines sociétés. On peut légitimement se demander pourquoi il devient soudain impératif de procéder à ces modifications, en tirant très tardivement les conclusions d'une directive qui date de 1993, et alors même qu'aucun contentieux communautaire n'existe actuellement sur ce sujet.

Plus fondamentalement, on peut se demander si la garantie de reprise de passif par l'Etat représente bien l'élément clef de la rupture de concurrence entre les sociétés publiques concessionnaires d'autoroutes et les autres sociétés . Si ce raisonnement était poussé plus loin, on pourrait considérer que toute société publique disposant, implicitement, d'une garantie de l'Etat, ne peut concourir à un appel d'offres.

En fait, la suppression de la garantie de reprise de passif est la contrepartie explicite pour la prolongation des durées de concessions des sociétés publiques, suivant l'accord de la commission européenne, accord que le gouvernement a sollicité, et non résultat d'une procédure menée par la Commission européenne elle-même 7 ( * ) .

Le gouvernement, qui souhaitait, en octobre 1999, un allongement des concessions d'une vingtaine d'années, soit jusqu'en 2040, a obtenu l'accord de la commission pour des allongements allant de 12 à 15 ans seulement, en échange de la fin de la garantie de reprise de passif.

Dans cette négociation, qui engage de fait les ressources de l'Etat (l'allongement des concessions étant l'équivalent d'une aide d'Etat), le Parlement n'a jamais eu son mot à dire. Or, la commission d'enquête du Sénat, qui s'était prononcée en faveur de l'allongement des concessions, avait fortement contribué à faire naître le débat sur l'allongement des concessions autoroutières.

L'accord de la Commission européenne : le respect du principe de proportionnalité

Dans un communiqué de presse en date du 4 octobre 2000, la Commission européenne indique qu'elle " a décidé d'autoriser l'allongement entre 12 et 15 ans des durées de 6  concessions :

- jusqu'en 2026 pour la société des autoroutes Esterel-Côte d'Azur, Provence, Alpes (ESCOTA),

- jusqu'en 2026 pour les sociétés d'autoroutes du Nord et de l'Est de la France (SANEF) et Paris-Normandie (SAPN),

- jusqu'en 2032 pour les sociétés des autoroutes du sud de la France (ASF), Paris-Rhin-Rhône (SAPRR) et Rhône-Alpes (AREA).

Ces allongements, qui entraînent un avantage financier pour les sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes constituent la contrepartie des autres mesures de la réforme, notamment :

- la suppression des engagements de reprise de passif par l'Etat inscrits dans les contrats de concessions des SEMCA,

- la suppression du régime des charges différées et de l'alignement de leurs pratiques comptables sur le droit commun.

(...) La commission considère que les nouveaux avantages sont équivalents à ceux qui seront désormais supprimés. "

5. Un premier pas vers un nouveau système moins favorable de financement des autoroutes ?

L'objectif véritable du gouvernement est de prendre appui sur la réforme des SEMCA pour obtenir de ces sociétés des résultats d'exploitation bénéficiaires constituant de nouvelles ressources pour l'Etat et permettre, notamment, de financer le développement du réseau autoroutier.

Il s'agit donc bien, par le biais d'une simple réforme financière et comptable des SEMCA, qui apparaît effectivement souhaitable, de mettre en place une nouvelle forme de financement du réseau autoroutier, dont les contours sont encore trop flous.

D'après l'exposé des motifs de l'avant-projet d'ordonnance qui a été soumis à votre rapporteur, les dividendes " constitueront une ressource nouvelle affectée au financement des infrastructures de transport et pourront participer ainsi au rééquilibrage intermodal : ils permettront de contribuer au versement des subventions publiques éventuellement nécessaires à de nouvelles sections autoroutières concédées ; ils pourront aussi financer une programme prioritaire de réhabilitation du patrimoine routier national, notamment en agglomération et en zone périurbaine ; ils pourront enfin être affectés à la politique intermodale des transports. "

Ainsi, l'utilisation des dividendes des sociétés d'autoroutes au financement du développement de la politique autoroutière ne devrait être qu'une possibilité parmi d'autres, et sans doute pas, d'après l'exposé général de l'avant-projet d'ordonnance du gouvernement, la priorité.

Dans ces conditions, il apparaît que les dispositions que le gouvernement envisage de prendre sont tronquées et ne reflètent pas l'ensemble de ses intentions en matière de réforme du financement autoroutier .

En outre, l'avant-projet d'ordonnance ne comprend aucune disposition sur les comptes des sociétés d'autoroutes, alors que de telles dispositions entreraient dans le champ de l'habilitation. Renseignement pris, la direction du Trésor du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie travaillerait sur ce sujet et l'avant-projet d'ordonnance pourrait bien être remanié.

Votre rapporteur constate donc que l'avant-projet d'ordonnance qui lui a été soumis n'est pas aussi exhaustif qu'il est prétendu.

De nombreuses dispositions doivent encore être prises

Outre les mesures relatives aux comptes des sociétés, celles concernant la suppression du mécanisme des charges différées, la mise en place d'un nouveau mécanisme d'octroi de dividendes et donc de financement autoroutier, le gouvernement français s'est engagé devant la Commission européenne à prendre de nombreuses mesures de réforme du secteur autoroutier. Dans un courrier du 28 janvier 2000, les autorités françaises ont formalisé leurs engagements vis-à-vis de la commission, notamment quant à l'externalisation de certaines activités des SEMCA, mais aussi à la révision des procédures de passation des marchés, à la fois en ce qui concerne les règles internes aux SEMCA et la mise en place d'un contrôle externe. Un groupe de travail devrait être mis en place sous la présidence d'un contrôleur d'Etat et rendre ses conclusions au plus tard à la fin du premier trimestre 2001.

Pourtant, il s'avère que, à la lecture de la lettre du commissaire européen Frits Bolkestein, les difficultés subsistant quant à l'externalisation des activités économiques et techniques des SEMCA et le fait que les SEMCA, bien qu'étant des organismes de droit public au sens des directives relatives aux marchés publics, passent leurs marchés de travaux, de fournitures et de services sans respecter ces mêmes directives, constituent en l'espèce des infractions au droit communautaire.

6. La réforme des péages routiers et autoroutiers

Votre rapporteur note que, outre les mesures relatives aux sociétés concessionnaires d'autoroutes, le projet d'ordonnance comprend des dispositions relatives aux péages, notamment pour les ouvrages d'art, qui concernent aussi bien l'Etat que les collectivités locales, et qui mériteraient un examen approfondi que les délais de présentation du présent projet de loi ne permettent pas de mener.

Ces dispositions vont en effet au-delà de la transposition de la directive 1999/62/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 1999 relative à la taxation des poids lourds pour l'utilisation de certaines infrastructures, qui est autorisée par l'article 1er du présent projet de loi.

Votre rapporteur ne les critique pas sur le fond, dans la mesure où certaines d'entre elles, relatives notamment à la réforme de la loi de 1955 et à la suppression du principe de gratuité des autoroutes, sont des préconisations développées depuis longtemps par le Sénat.

Mais, encore une fois, s'agissant de mesures de portée nationale, et engageant notamment les collectivités locales, le Parlement doit être amené à adopter lui-même ces mesures législatives.

La réforme des péages par ordonnance ne présente aucune urgence, d'autant que le seul sujet sur lequel la France a été vraiment condamnée en matière de péages, le 12 septembre dernier, par la Cour de justice des communautés européennes, à savoir l'application de la TVA aux péages autoroutiers, et qui présente donc un vrai caractère d'urgence, n'est en aucune manière mentionné dans le présent projet de loi.

En conclusion, votre rapporteur estime que les dispositions prévues à l'article 4 ne sont pas des dispositions de transposition du droit communautaire, n'ont pas le caractère d'urgence que le gouvernement veut bien leur donner, et concernent des sujets qui méritent un débat devant la représentation nationale.

En conséquence, il vous propose de supprimer le présent article.

Décision de la commission : votre commission a émis un avis défavorable à l'adoption de cet article.

* 3 Il convient de rappeler que les mutuelles avaient demandé en 1991 à être incluses dans le champ d'application des directives afin de bénéficier de la liberté d'établissement et de liberté de prestations de services.

* 4 Alain Lambert : Assurons l'avenir de l'assurance, rapport d'information sur la situation et les perspectives du secteur des assurances en France, n ° 45, 1998-1999, pages 91 à 94.

* 5 Cet article autorise le gouvernement à prendre, par ordonnances, les dispositions législatives nécessaires à la transposition des directives mentionnées précédemment ainsi que les mesures d'adaptation de la législation qui lui sont liées.

* 6 " Fleuve, rail, route : pour des choix nationaux ouverts sur l'Europe ", par M. Jean François- Poncet, président et M. Gérard Larcher, rapporteur, au nom de la commission d'enquête chargée d'examiner le devenir des grands projets d'infrastructures. Rapport n°479, session ordinaire de 1997-1998.

* 7 Dans sa note à la commission européenne du 11 août 2000, le gouvernement français fait état de dysfonctionnements dans le système autoroutier français et explique que " le gouvernement a décidé de faire évoluer le secteur autoroutier ". Il s'agit donc bien d'une initiative unilatérale.

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