III. LES DIFFICULTÉS DE LA GESTION PATRIMONIALE

A. LA POLITIQUE DU PATRIMOINE EN QUESTION

Les crédits consacrés à la restauration du patrimoine ne progressent que dans une faible mesure en 2001 et ne permettent pas d'espérer une reprise de l'effort d'investissement de l'Etat en ce domaine, effort dont les intempéries de décembre 1999 ont pourtant souligné la nécessité.

Le tableau ci-dessous retrace l'évolution des crédits consacrés au patrimoine entre la loi de finances initiale pour 2000 et le projet de loi de finances pour 2001 en dépenses ordinaires et autorisations de programme.

CRÉDITS DU PATRIMOINE

Chapitre et article

Interventions

LFI 2000

PLF 2001

2001/2000
(en %)

35-20 art.20

Entretien monuments Etat

65,17

66,17

+ 1,53

43-30 art.40

Entretien monuments n'appartenant pas à l'Etat

69,06

69,06

-

Total entretien

134,23

135,23

+ 0,74

Titre IV

Maîtrise d'ouvrage par l'Etat

56-20 art.50

Investissements monuments appartenant à l'Etat

CP 731,24
AP 762,5

795,45
763,1

+7,9
+0,07

56-20 art.60

Investissements monuments n'appartenant pas à l'Etat

CP 367,4
AP 380

381,33
387,15

+3,79
+1,88

56-20 art.70

Archéologie

CP 19,57
AP 21

20,12
21

+2,6
-

56-20 art.90

Etudes

CP 6,23
AP 5,87

6,15
6

-1,2
+2,21

Total Titre V

CP 1 124,44
AP 1 169,37

1 203,05
1 177,25

+6,99
+0,67

Titre VI

Maîtrise d'ouvrages propriétaires

66-20 art.60

Opérations déconcentrées

CP 180,80
AP 238,88

219,12
240

+21,1
+0,46

66-20 art.90

Opérations d'intérêt national

CP 121,58
AP 155,3

124,9
183,95

+2,7
+1,8

66-20 art.20

Monuments non protégés

CP 35,15
AP 35,6

35
35

-0,4
-1,6

66-20 art.50

Archéologie

CP 55,4
AP 62

47,03
48,53

-15,1
-21,7

Total titre VI

CP 392,93
AP 491,78

426,05
507,48

-8,4
+3,19

Total CP

1 517,37

1 629,1

+7,36

Total AP

1 661,15

1 684,73

+1,4

1. Les conséquences de la tempête : un signal d'alarme non suivi d'effet

Les dommages considérables causés par la tempête de décembre 1999 ont fait l'objet d'évaluations par les services déconcentrés du ministère de la culture. Régulièrement actualisées, ces évaluations font apparaître les chiffres suivants 9 ( * ) :

- 600 millions de francs pour les monuments appartenant à l'Etat (dont près de 250 millions de francs pour le seul domaine de Versailles) ;

- 753 millions de francs pour les monuments protégés, inscrits ou classés, n'appartenant pas à l'Etat ;

- 360 millions de francs pour le patrimoine rural non protégé ;

Soit au total : 1 713 millions de francs.

Pour faire face à ces dégâts, la loi de finances rectificative a, comme nous l'avons indiqué plus haut, prévu des ouvertures de crédits exceptionnelles. Ces crédits s'élèvent à :

- 300 millions de francs pour les monuments historiques appartenant à l'Etat, dont 30 millions de francs de crédits d'entretien ;

- 200 millions de francs pour les monuments historiques n'appartenant pas à l'Etat, dont 30 millions de francs pour les crédits d'entretien et 20 millions de francs pour le patrimoine rural non protégé.

Pour les monuments de l'Etat, qui est son propre assureur, ces dotations couvrent la totalité des travaux envisagés ; pour les monuments n'appartenant pas à l'Etat, elles ont été calculées en fonction des remboursements attendus des compagnies d'assurances et des financements escomptés des propriétaires et d'autres collectivités territoriales, sur la base des taux de financements habituels pour chaque catégorie de patrimoine.

Dans l'attente de l'adoption de la loi de finances rectificative, la direction de l'architecture et du patrimoine a dû recourir à l'utilisation des crédits inscrits au budget du ministère de la culture et de la communication pour les monuments historiques. Le bon déroulement des programmes ordinaires ne devant toutefois pas être compromis, seule une part des crédits " tempête " a ainsi pu être " avancée ", tant pour les crédits centraux que pour les crédits déconcentrés, notamment afin de permettre la réouverture partielle au public des grands domaines nationaux. Dans un souci de plus grande rapidité des interventions, la totalité des crédits concernant les monuments n'appartenant pas à l'Etat, et la moitié des crédits consacrés aux monuments de l'Etat (hors Versailles) a été déconcentrée et mise à disposition des services régionaux dès la publication de la loi.

Les crédits " avancés " au niveau central correspondent notamment aux opérations suivantes :

- domaine national de Saint-Cloud : 20,05 MF

- domaines de Marly et Rambouillet : 20,6 MF

- domaine de Saint-Germain-en-Laye : 4,8 MF

- domaine de Rueil-Malmaison 2,5 MF

- tour nord de la cathédrale de Sens : 3 MF

Outre ces avances, des mesures de simplification administrative ont été prises pour le patrimoine n'appartenant pas à l'Etat afin d'accélérer le rythme des opérations, notamment grâce à la possibilité de déroger pour les dossiers déposés avant le 1 er avril 2000 à la règle de l'antériorité prévue à l'article 10 du décret du 10 mars 1972 portant réforme du régime des subventions d'investissement accordées par l'Etat, qui prévoit que la décision attributive de la subvention doit être antérieure au commencement de l'exécution de l'opération.

Cependant, force est de constater que ces mesures, si elles ont dans certains cas permis de faciliter la mise en oeuvre des travaux de restauration, ne se sont pas accompagnées d'une gestion plus dynamique des crédits.

Pour l'heure, seule une faible partie des crédits supplémentaires a pu être affectée à la réparation des dégâts constatés faute d'une accélération des procédures d'engagement des crédits. En effet, au 31 août 2000, apparaissait un taux de consommation des crédits relativement faible, soit :

- 29,67 % pour les crédits du chapitre 35-20 destinés à financer les réparations urgentes sur les bâtiments appartenant à l'Etat ;

- respectivement 29,97 % sur le chapitre 56-20 consacré aux travaux de restauration s'effectuant sous la maîtrise d'ouvrage de l'Etat et 31,83 % sur le chapitre 66-20 regroupant les subventions d'investissement accordées par l'Etat.

Les ouvertures exceptionnelles de juillet devraient être complétées par des mesures nouvelles figurant dans le collectif budgétaire de fin d'année. Il conviendra, en ce domaine, d'être vigilant pour s'assurer que le montant des dotations ainsi dégagées correspond à l'estimation actualisée des dégâts.

Si votre rapporteur se félicite que, pour l'heure, les sommes nécessaires pour remédier aux conséquences de la tempête sur les monuments historiques n'aient pas été prélevées sur les crédits " courants " du patrimoine, il regrettera toutefois que l'ampleur des dégâts n'ait pas été perçue par le ministère comme la conséquence manifeste de l'insuffisance des crédits consacrés au patrimoine. A l'évidence, un effort plus régulier et plus soutenu aurait sans doute permis d'en limiter l'étendue.

On se contentera ici de rappeler quelques chiffres. Au total, le nombre de monuments historiques classés considérés comme en péril, c'est-à-dire ceux qui, selon la terminologie utilisée par les architectes en chef des monuments historiques, se trouvent dans une situation où l'absence de mesures de sauvegarde risque d'entraîner leur disparition totale ou partielle, s'élevait à 491 en 1999 sur un total d'environ 4 500 monuments, soit plus du dixième. Le nombre de monuments en état très défectueux pour lesquels l'absence de travaux entraîne à court terme un risque élevé de dégradation totale ou partielle s'élevait quant à lui à 3 221. Ces chiffres se passent de commentaire.

2. Les crédits d'entretien : une insuffisance chronique

Consacrant la tendance constante à l'érosion des dépenses d'entretien des monuments historiques, pourtant maintes fois dénoncée par votre rapporteur, le projet de budget ne prévoit aucune revalorisation significative des crédits qui leur sont affectés.

En effet, les crédits d'entretien destinés aux monuments historiques appartenant à l'Etat ne bénéficient que d'une faible progression (soit +1,53 %) pour atteindre 66,17 millions de francs, montant notoirement insuffisant. On relèvera que la faiblesse traditionnelle de cette enveloppe contraint le ministère à réserver en cours d'année sur les crédits d'investissement de ses directions régionales des enveloppes dites d'interventions ponctuelles, afin de réaliser des travaux d'urgence ou de sécurité en cours d'année. En 1999, ces ponctions sur le chapitre 56-20 s'élevaient à 11,35 millions de francs pour les seuls crédits centraux ; aucune évaluation fiable n'est disponible s'agissant des crédits déconcentrés. Cette situation témoigne à l'évidence de l'insuffisance des dotations inscrites en loi de finances.

Le constat est le même pour les crédits d'entretien destinés aux monuments historiques n'appartenant pas à l'Etat. Le projet de budget prévoit leur reconduction à leur niveau de 2000, soit 69,06 millions de francs.

A l'évidence, la priorité donnée aux dépenses d'investissement dans les enveloppes budgétaires consacrées au patrimoine joue contre la raison. Pourtant, un accroissement des crédits d'entretien aurait au moins deux vertus. En premier lieu, une intervention préventive est généralement moins coûteuse qu'une restauration. En second lieu, les procédures applicables aux travaux d'entretien sont infiniment moins lourdes.

En définitive, l'érosion de ces crédits équivaut à contraindre les propriétaires à appliquer à des opérations de faible envergure des procédures prévues pour des interventions plus lourdes avec comme conséquence un allongement des délais mais également des risques de dérapages financiers.

Cette carence de l'Etat a été mise en valeur par l'ampleur des dégâts causés par la tempête de 1999, qui a contribué à mettre en évidence la gravité des insuffisances dans l'entretien des monuments historiques.

3. Les crédits d'investissement : une faible progression

Après avoir été reconduits en 2000 à leur niveau de 1999, les crédits d'investissement consacrés au patrimoine progressent en 2001 de 1,4 % pour atteindre 1 684,73 millions de francs en autorisations de programme.

Cette progression reste très en deçà du rythme de progression qui figurait dans la loi de programme relative au patrimoine monumental du 31 décembre 1993. Cette loi prévoyait, on le rappellera ici pour mémoire, une augmentation annuelle de 2 % en francs courants des autorisations de programme consacrées à la restauration du patrimoine, avec un dispositif d'actualisation des crédits sur la base de l'évolution de l'indice des prix de la formation brute de capital fixe.

En 2000, le recul des crédits consacrés aux " grandes opérations " avait permis de dégager des marges supplémentaires en faveur des monuments historiques n'appartenant pas à l'Etat.

Votre rapporteur avait alors souligné le caractère temporaire de ce rééquilibrage, estimant prévisible et inévitable la reprise des dépenses afférentes aux monuments appartenant à l'Etat.

Tel est, en effet, bien le cas en 2001. Les crédits consacrés aux grandes opérations progressent de 7 % pour s'élever à 205,55 millions de francs, contre 192 millions de francs en 2000, sous l'effet de l'augmentation des dotations consacrées au Grand Palais et au Palais de Chaillot qui accueillera la Cité de l'architecture et du patrimoine ainsi que de l'effort supplémentaire consenti en faveur du Louvre et du domaine de Versailles.

Les crédits consacrés au patrimoine de l'Etat en 2001 connaissent une progression comparable à celle des crédits destinés aux monuments historiques n'appartenant pas à l'Etat.

Si l'on considère les seuls crédits consacrés à la restauration, l'accroissement des autorisations de programme destinées aux monuments historiques est de 42 millions de francs. Cette augmentation bénéficie pour 15 millions de francs aux travaux sur des monuments n'appartenant pas à l'Etat, qu'ils soient effectués sous maîtrise d'ouvrage de l'Etat ou par les propriétaires (soit 694,15 millions de francs) et pour 27 millions de francs aux monuments appartenant à l'Etat (694,15 millions de francs).

S'agissant des monuments n'appartenant pas à l'Etat, figureront parmi les opérations les plus significatives les premiers travaux du programme de restauration du patrimoine antique de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et ceux destinés à la mise en valeur du patrimoine lillois, Lille devant être capitale européenne de la culture en 2004. On peut également mentionner les opérations sur les églises de Dieppe et Saint-Maclou à Rouen, sur les abbatiales de Saint-Riquier et Saint-Savin, la basilique de Vézelay, la bourse du travail à Bordeaux, les châteaux de Randan, Meaulnes, Ancy-le-France, Blois et Nantes.

Pour les monuments de l'Etat, la priorité sera donnée, comme au cours des exercices précédents, à la poursuite du programme de restauration des cathédrales et plus particulièrement celles de Bourges, Strasbourg et Beauvais.

Les grandes opérations concerneront le Grand Palais pour 40 millions de francs, le Palais de Chaillot pour 26 millions de francs, le Palais Garnier pour 22,6 millions de francs, le musée et le domaine de Versailles pour 100 millions de francs et le musée du Louvre pour 16,95 millions de francs.

Enfin, votre rapporteur déplorera une nouvelle fois la faiblesse des dotations consacrées au patrimoine rural non protégé qui s'élèvent à des montants très faibles, hors de proportion, avec les besoins constatés en ce domaine sur le terrain : soit pour 2001, 35 millions de francs en crédits de paiement et 35 millions de francs en autorisations de programme.

4. Une gestion des crédits perfectible

Les annulations de crédits qui avaient frappé le budget du patrimoine en 1997 avaient souligné une des caractéristiques traditionnelles de la gestion des dotations consacrées au patrimoine : l'importance du montant des autorisations de programme non engagées. Cette caractéristique avait été mise au demeurant à profit par le ministère de la culture pour atténuer l'effet des mesures de régulation budgétaire grâce à une gestion plus dynamique des crédits.

Le volume considérable de stock des autorisations de programme non consommées n'est pas, paradoxalement, l'indice du caractère surdimentionné des dotations par rapport au volume des opérations à financer mais reflète les difficultés de gestion des travaux entrepris sur les monuments historiques, difficultés qui persistent en dépit des efforts consentis au cours des exercices précédents pour améliorer les conditions de consommation des crédits.

En effet, en 1999, les crédits reports représentaient sur le chapitre 56-20 plus de 26 % du total des crédits ouverts, ce taux atteignant 16,3 % sur le chapitre 66-20. Le taux de consommation des crédits, cette même année, était de 65,5 % sur le chapitre 56-20 et de 83 % sur le chapitre 66-20.

Cette situation, qui s'avère particulièrement préoccupante pour les opérations relatives au patrimoine de l'Etat souligne les défauts de programmation des opérations, trop souvent marquées par d'importants retards et par de trop fréquentes modifications en cours de réalisation.

Les opérations entreprises sur le Grand Palais constituent, à cet égard, un cas d'école. Le coût prévisionnel total de la restauration de ce monument, initialement fixée à 1 115 millions de francs en 1995, a été revu au mois de mars 2000 pour être arrêté à 784 millions de francs. Dans l'intervalle, un marché de maîtrise d'oeuvre accordé en 1997 pour les travaux de consolidation des fondations s'est révélé fondé sur une estimation inexacte et a nécessité la passation d'un avenant, qui a été rejeté par la commission spécialisée des marchés et par le contrôle financier au motif qu'il bouleversait l'économie du marché initial. Ce dernier n'a pu être renégocié qu'en 1999, après arbitrage du Premier ministre. Conséquence de ces atermoiements, au 31 décembre 1999, sur les 349 millions de francs d'autorisations de programmes ouverts, seuls 45 millions de francs avaient été mandatés afin de mener à bien la première phase opérationnelle des travaux, qui ne commencera qu'au premier trimestre 2001.

S'agissant des monuments historiques n'appartenant pas à l'Etat, les difficultés de gestion des crédits ouverts en loi de finances trouvent leur origine dans les dérives d'un système de gestion marqué par l'importance des contributions de tiers via les rattachements de fonds de concours. Force est de constater que ce système atteint aujourd'hui ses limites comme le prouve l'accroissement du nombre d'opérations non réalisées : 10 182 en 1999 contre 8 161 en 1997.

Les fonds de concours qui sont constitués par les contributions des collectivités territoriales, de l'Union européenne, des autres services de l'Etat ou des particuliers sont particulièrement importants, par définition, sur le chapitre 56-20 regroupant les crédits destinés aux travaux de restauration sous maîtrise d'ouvrage de l'Etat ; ils représentent, en effet, 40,7 % des crédits initiaux de ce chapitre.

La complexité des procédures de rattachement des fonds de concours, conjugué à un éparpillement des opérations, est à l'origine d'une sous-consommation des crédits ouverts en loi de finances, qui se traduit dans les faits par un allongement des procédures, entraînant des retards dans la mise en oeuvre des opérations et... une exaspération croissante des partenaires de l'Etat.

Votre rapporteur relèvera que cette situation revient également à priver en grande partie de signification le montant des dotations votées en loi de finances initiale par le Parlement.

* 9 Ces chiffres incluent les dommages aux parcs et jardins.

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