IV. LA POLITIQUE DE LIBÉRALISATION DES MONOPOLES PUBLICS

La poursuite du processus de libéralisation des industries de réseau anciennement sous monopole public constitue un des principaux axes de la politique de la concurrence menée par les pouvoirs publics sous l'impulsion de la Commission européenne.

Pour la Commission européenne, l'ouverture des secteurs liés à la société de l'information ou à la production et distribution de l'énergie constituent des facteurs déterminants de la compétitivité de l'industrie européenne et, par voie de conséquence, du dynamisme du marché unique. Cette politique vise dans cette perspective à un développement de l'innovation technique et à la création de nouveaux emplois stables et durables.

Votre rapporteur pour avis estime que cet objectif ne peut être atteint que dans le respect des compétences des services d'intérêt économique général et de leur rôle pour la promotion de la cohésion sociale et territoriale.

a) Le secteur du gaz naturel

La préparation du dispositif législatif de transposition de la directive marché intérieur du 22 juin 1998 a marqué l'année. La DGCCRF a participé à l'élaboration d'un " Livre blanc ", intitulé " Vers la future organisation gazière française ", diffusé en juin 1999 et à partir duquel une large concertation avec les professionnels est intervenue.

Par ailleurs, les problématiques de concurrence étant différentes de celles relatives au secteur électrique, le Conseil de la concurrence, saisi par le Ministre chargé de l'économie, a rendu un avis le 5 octobre 1999 sur l'ouverture du marché du gaz.

Sur la base de ces consultations, le Gouvernement a adopté, le 17 mai 2000, un projet de loi de modernisation du service public du gaz et de développement des entreprises gazières.

Ce projet de loi définit, tout d'abord, le contenu du service public du gaz, ses missions, les clients qui en bénéficient, les opérateurs qui en sont chargés ainsi que les modalités de son financement. Il prévoit une ouverture maîtrisée du marché du gaz naturel à la concurrence qui repose sur la définition des " clients éligibles ", le contrôle des conditions d'accès au réseau et la préservation des contrats d'approvisionnement à long terme, lorsque celle-ci est justifiée.

Afin d'assurer la qualité de la fourniture de gaz et la sécurité des approvisionnements, le texte précité dispose que des autorisations seront délivrées aux fournisseurs de gaz par le ministre chargé de l'énergie et que les pouvoirs publics pourront assurer la diversification des approvisionnements, pour éviter toute dépendance excessive par rapport à un fournisseur.

La régulation transparente du marché du gaz suppose, selon le même projet de loi :

- que le Gouvernement déterminera les choix des politiques énergétiques et les missions de service public sous le contrôle du Parlement ;

- qu'une commission de régulation commune à l'électricité et au gaz sera chargée d'assurer le respect des règles de concurrence sur le marché;

- que les collectivités locales concédantes de la distribution joueront pleinement leur rôle.

La date de discussion au Sénat du projet de loi de transposition de la directive " gaz " n'est toujours pas arrêtée. Votre Commission des Affaires économiques souhaite que la directive gaz -dont le délai-limite de transposition était fixé au 10 août 2000- soit transposée le plus rapidement possible en droit français.

b) Le secteur de l'électricité

Le processus de libéralisation des monopoles nationaux s'est traduit l'année dernière dans le secteurs de l'électricité par la transposition de la directive du 16 décembre 1996 relative au marché intérieur de l'électricité et ainsi par l'ouverture du marché de l'électricité français à la concurrence.

Fruit de neuf années de négociations, qui ont permis aux partisans du maintien de l'obligation de service public -au premier rang desquels votre Haute Assemblée, par la voix de sa commission des affaires économiques- de corriger les propositions très libérales initialement émises par la Commission, la directive du 19 décembre 1996 se veut un texte de compromis.

Deux ans après l'entrée en vigueur de la directive (le 19 février 1999), la part du marché ouverte à la concurrence doit être au moins égale à la consommation communautaire moyenne des clients de plus de 40 Gwh par an (environ 25 à 26 % du marché européen, soit 400 sites éligibles en France). Trois ans après 1997 (2000), ce seuil est abaissé à 20 Gwh (environ 28 % du marché, soit 800 sites éligibles en France) et six ans plus tard (2003) à 9 Gwh (plus de 30 % du marché, soit 3.000 sites en France). La Commission est chargée d'examiner la possibilité d'une nouvelle ouverture du marché neuf ans (2006) après l'entrée en vigueur de la directive. Elle prévoit, en outre, que les Etats pourront bénéficier d'un régime transitoire afin de faire face aux « coûts échoués » correspondant aux engagements ou aux garanties d'exploitation accordées avant l'entrée en vigueur de la directive, lesquels risquent de n'être pas honorés, à cause de ce texte.

Chaque Etat membre est tenu d'atteindre les résultats que prescrit la directive, selon les modalités qu'il souhaite. Les critères qui permettent de définir les clients " éligibles " sont laissés à son appréciation (hormis pour les consommateurs de plus de 100 Gwh par an, qui sont automatiquement éligibles, dès le 19 février 1999). De même, le mode de régulation est laissé à l'appréciation des Etats, la directive prenant acte de la diversité des modèles nationaux en la matière et n'imposant que l'existence d'une autorité indépendante des parties pour régler les litiges.

La directive du 19 décembre 1996 prévoit que les Etats membres désignent ou demandent aux entreprises propriétaires de réseaux de désigner un gestionnaire du réseau de transport (GRT) qui doit s'abstenir de toute discrimination entre les utilisateurs, en particulier si ce gestionnaire dépend d'un opérateur ayant des activités de production. C'est pourquoi ce GRT doit être indépendant -au moins sur le plan de la gestion- des autres activités non liées au réseau de transport, s'il reste intégré au sein d'une entreprise qui produit de l'électricité.

La directive institue au profit des Etats un droit d'accès à la comptabilité des entreprises de production, de transport et de distribution et prévoit l'établissement de comptes séparés entre les diverses branches d'activité afin d'éviter les discriminations, les subventions croisées, et les distorsions de concurrence.

La transposition de la directive est effective depuis cet année, la loi relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité étant rentrée en vigueur le 10 février dernier. 10 ( * )

Votre commission des affaires économiques et son rapporteur, M. Henri Revol 11 ( * ) , ont, tout en souscrivant aux objectifs de la directive, regretté, lors de l'examen de ce projet de loi, une transposition a minima de la directive, sans réelle vision stratégique.

Votre commission a estimé que la directive était interprétée stricto sensu, contrairement à la stratégie adoptée par les plus importants de nos partenaires. Elle a considéré que le degré d'ouverture du marché proposé et le statut du GRT proposé reflétait une attitude protectionniste. Elle a également jugé que le projet de loi transmis au Sénat comportait des mesures de nature à entraver les échanges d'électricité, dans un esprit totalement contraire à la directive ainsi que des mesures anti-économiques telles que l'institution d'une taxation des autoproducteurs d'électricité.

Votre rapporteur pour avis estime quant à elle, à titre personnel, que ces dispositions ont ouvert la voie à une " marchandisation " de l'électricité et à la banalisation d'un bien de " première nécessité " et, donc, essentiel à la vie quotidienne des usagers-citoyens.

c) L'ouverture du marché des services postaux

Le mouvement d'ouverture du marché des services postaux, engagé à l'initiative des instances européennes, s'était traduit l'année dernière par la transposition en droit français de la directive du 15 décembre 1997 d'harmonisation du secteur postal.

Le texte de transposition abroge tout d'abord le périmètre traditionnel du monopole de La Poste. Le service universel postal est défini au nouvel article L. 1 du Code des Postes et Télécommunications. Il garantit, à tous les usagers, " de manière permanente et sur l'ensemble du territoire ", en application des principes de continuité et d'égalité, des services postaux " répondant à des normes de qualité déterminées ", à des " prix abordables " pour tous les utilisateurs.

Ce service universel postal comprend les envois postaux d'un poids inférieur ou égal à 2 kg, les colis postaux jusqu'à 20 kg, les envois recommandés, les envois à valeur déclarée.

Le service universel postal fait partie intégrante du service public des envois postaux, qui comprend également le service public du transport et de la distribution de la presse.

La Poste est désignée comme le prestataire du service universel. Elle est, en conséquence, soumise aux dispositions de l'article 14 de la directive relative à la comptabilité analytique des prestataires du service universel postal : comptabilités distinctes des secteurs réservés et non réservés d'une part et des services faisant ou non partie du service universel d'autre part ; règles de répartition des coûts, notamment communs, entre services réservés et non réservés ; notification à la Commission européenne et vérification des systèmes de comptabilité analytique employés.

Pour financer ses obligations de service universel, le texte attribue à La Poste, comme services réservés : les services nationaux et transfrontières d'envoi de correspondance, y compris le publipostage, d'un poids inférieur à 350 grammes et dont le prix est inférieur à cinq fois le tarif applicable à un envoi de correspondance du premier échelon de poids de la catégorie normalisée la plus rapide.

Le montant du chiffre d'affaires des services réservés s'élèverait, en conséquence, à environ 44,9 milliards de francs (soit les trois-quarts du chiffre d'affaires courrier) ; le courrier transporté par La Poste concerné par l'ouverture à la concurrence représenterait 1,3 milliard de francs, soit 2,2 % du chiffre d'affaire total des envois postaux, compte tenu des activités déjà soumises à la concurrence.

Votre commission observe que le " choc concurrentiel " subi par La Poste reste encore très limité et souligne que l'opérateur doit maintenant se préparer à celui -beaucoup plus sérieux- envisagé pour 2003. Votre rapporteur pour avis estime quant à elle que la mise en oeuvre de cette directive est lourde de danger pour l'avenir du service public de la Poste.

La Commission européenne a, en effet, proposé le 30 mai dernier des mesures visant à ouvrir à la concurrence, d'ici à 2003, un pan important du marché des services postaux. Sur la base de nouvelles propositions qui seraient discutée avant la fin 2004, une autre partie du marché serait également ouverte à la concurrence d'ici à 2007. Cette approche par étapes pour l'achèvement du marché intérieur des services postaux maintiendra les garanties existantes afin d'assurer un service postal universel dans toute l'Union.

Ces propositions sont présentées à la demande du Conseil européen de Lisbonne qui a invité la Commission à accélérer la libéralisation des services postaux dans le cadre des efforts déployés pour achever et rendre pleinement opérationnel le marché intérieur et pour développer "l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde". La Commission propose en particulier d'étendre l'éventail des services que les États membres doivent ouvrir à la concurrence aux lettres de plus de 50 grammes (la limite de poids actuelle est de 350 grammes), aux lettres de moins de 50 grammes dont le prix représente au moins deux fois et demie le coût d'une lettre ordinaire (la limite de prix actuelle est de cinq fois le coût d'une lettre ordinaire), à tout le courrier sortant destiné aux autres États membres et à tout le courrier exprès. La proposition présentée aura pour effet d'ouvrir quelque 20 % du marché postal de l'Union européenne à la concurrence, contre 3 % seulement en vertu de la directive postale en vigueur.

La proposition vise à faire en sorte que l'ouverture du marché, qui doit s'effectuer en 2003, soit suffisante pour générer la concurrence sans nuire au service universel ni à l'équilibre financier des prestataires du service universel. Pour y parvenir, l'ouverture du marché proposée touche tous les segments du marché postal (par la réduction des limites de poids et de prix pour les services qui peuvent être réservés), mais concerne en particulier les segments qui sont déjà ouverts, de fait, à la concurrence (c'est-à-dire le courrier transfrontière sortant).

La proposition imposerait aux États membres les obligations suivantes, pour le 1er janvier 2003 au plus tard :

- réduction des limites de prix et de poids, en les ramenant de 350 grammes et cinq fois le tarif de base normal pour les lettres à 50 grammes et deux fois et demie le tarif de base pour les lettres ;

- réduction des limites de prix et de poids, en les ramenant de 350 grammes et cinq fois le tarif de base normal à 50 grammes et deux fois et demie le tarif de base pour le publipostage (c'est-à-dire l'envoi de publicités) ;

- ouverture totale à la concurrence du courrier transfrontière sortant ;

- ouverture totale à la concurrence de tous les services de courrier exprès (sans limite de prix).

L'ouverture totale du marché qu'entraînerait cette proposition représenterait, d'après les estimations, environ 20 % des recettes que les prestataires du service universel tirent des services postaux.

Sur la base de cette proposition, les États membres pourraient encore maintenir un domaine réservé représentant, en moyenne, 50 % des recettes que les prestataires du service universel tirent des services postaux. Actuellement, une moyenne de 70 % de leurs recettes proviennent des services réservés. Toutefois, comme certains États membres ont déjà ouvert à la concurrence une part de leur marché postal plus grande que ce que propose la Commission, l'impact de cette proposition sur l'ouverture du marché devrait varier d'un État membre à l'autre.

Enfin, la proposition améliorerait la clarté et la sécurité juridiques du cadre réglementaire existant en définissant clairement les services spéciaux, qui ne peuvent être réservés, et en imposant l'application des principes de transparence et de non-discrimination aux tarifs spéciaux.

Une étape ultérieure est proposée pour ouvrir davantage le marché postal à la concurrence. Cette étape prendrait effet le 1er janvier 2007. Des propositions précises devront être présentées par la Commission avant le 31 décembre 2004. Elles s'appuieront sur un réexamen du secteur axé sur le maintien du service universel dans un cadre concurrentiel.

Les garanties déjà définies dans la directive postale en vigueur (97/67/CE) en ce qui concerne le service universel seraient renforcées. En particulier, les États membres conserveraient la possibilité d'appliquer un régime d'octroi de licences afin d'imposer des obligations de service universel aux concurrents, ainsi que la possibilité de constituer un fonds de compensation auquel contribueraient les opérateurs afin de compenser les éventuelles pertes de recettes sur les services réservés que pourrait subir le prestataire du service universel et qui pourraient l'empêcher de couvrir le coût de l'obligation qu'il assume. La nouvelle proposition renforce ces dispositions en y ajoutant la possibilité expresse pour les prestataires du service universel d'effectuer une péréquation entre les services non-réservés et les recettes des services réservés.

Votre rapporteur pour avis espère que le Gouvernement se montrera vigilant lors de l'élaboration de la nouvelle directive. Compte tenu du rôle essentiel de La Poste notamment pour l'aménagement du territoire, il convient de veiller à ce que ne soient pas remis en cause les principes qui fondent le service public postal et en particulier, l'égalité d'accès des usagers, la péréquation tarifaire, la qualité et la continuité des services ainsi que la maîtrise nationale des réseaux postaux.

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Alors que son rapporteur pour avis lui proposait d'émettre un avis favorable, la Commission des Affaires économiques, qui a examiné ce rapport le mercredi 8 novembre, s'en est remise à la sagesse du Sénat pour l'adoption des crédits consacrés à la consommation et à la concurrence, inscrits dans le projet de loi de finances pour 2001.

* 10 Loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité parue au JO n° 35 du 11 février 2000.

* 11 Rapport n°502 (1998-1999) de M. Henri Revol au nom de la Commission des Affaires économiques.

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