CHAPITRE III -

VERS UNE RÉFORME DE LA POLITIQUE
DE LA CONCURRENCE

Cette année aura été marquée par une accélération de la prise de conscience de l'importance du droit de la concurrence comme mode de régulation de la vie économique.

Ainsi, de nouveaux secteurs se sont vu appliquer le droit de la concurrence tels l'audiovisuel et les télévisions par satellite, illustrant la nécessité d'une bonne application des principes concurrentiels dans l'intérêt de l'ensemble des opérateurs, entreprises et consommateurs. Le contrôle des concentrations, très sollicité, s'est exercé en prenant en compte les nécessités de croissance externe des entreprises ainsi que les exigences d'une saine concurrence, qu'il s'agisse d'opérations de dimension nationale ou communautaire.

Les événements les plus marquants ont cependant été, d'une part, la vague de concentrations dans la distribution et, d'autre part, la volonté des pouvoirs publics, tant au niveau national qu'au niveau communautaire, de moderniser le droit de la concurrence.

I. UNE POLITIQUE DE LA CONCURRENCE QUI DOIT FAIRE FACE À UN IMPORTANT MOUVEMENT DE CONCENTRATION

Cette année a été marquée par la poursuite à un rythme soutenu du mouvement de concentration des entreprises, entraînant une activité de contrôle accrue et une coopération plus étroite des autorités françaises avec la Commission européenne.

a) Un important mouvement de concentration

La fusion de Carrefour et de Promodès est le fait marquant de l'année ; elle en fait le groupe de distribution le plus internationalisé au monde, qui se place en termes de capacités financières au second rang, après le groupe américain Wal-Mart.

La Commission européenne a donné son accord à la fusion Carrefour-Promodès le 25 janvier 2000, tout en renvoyant à l'autorité publique nationale l'examen des points litigieux sur les problèmes de concurrence. Cette autorisation a été assortie d'un certain nombre de conditions. La Commission a notamment imposé la cession de la participation de Carrefour dans le capital de Cora et a demandé à Carrefour de ne pas rompre unilatéralement ses relations commerciales avec certains fournisseurs communs avec Promodès.

En ce qui concerne la France, le Conseil de la concurrence, saisi par le Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, avait identifié 27 zones de chalandise où la concentration était susceptible de fausser la concurrence, parmi les 48 agglomérations où le groupe Carrefour-Promodès détient plus de 33% de superficies de grandes surfaces. Le 24 mai, sur la base de cet avis, le Ministre a annoncé sa décision de voir Carrefour céder 8 hypermarchés et 26 supermarchés. Cinq des huit hypermarchés que Carrefour devra céder sont situés en région parisienne : il s'agit des Champion d'Aubervilliers (2800 m²) et de Corbeil (3500 m²) et des Continent de Villepinte (3300 m²), de Villetaneuse (7200 m²), de Brie-Comte-Robert (5400 m²). Deux sont en situés en Isère (à Chasse-sur-Rhône et à Salaise-sur-Sanne), le dernier dans le Cher, à Bourges-Saint-Doulchard.

De son côté, le gouvernement espagnol s'est également assuré que la fusion Pryca-Continente ne créera pas de position dominante sur les marchés locaux dans ce pays. En se conformant aux recommandations du Tribunal de la Concurrence, le gouvernement espagnol a recensé 15 grands magasins que Carrefour devra céder, sans indiquer précisément lesquels.

Au cours des derniers mois, le nouveau groupe a passé d'autres accords de coopération. En 1999, Carrefour a finalisé l'accord de partenariat avec la société belge GIB dont le capital lui a été ouvert à concurrence de 27,5%. En mars 2000, Carrefour déjà détenteur de 36% du capital de Gruppo GS, a consolidé sa prise de contrôle de la société italienne. L'acquisition des 64% restant avoisinerait 17 milliards de francs.

De son coté, le groupe Casino 2000 a notamment lancé une OPA-OPE en accord avec le groupe Galeries Lafayette qui lui permettra de contrôler près de 50 % de Monoprix.

Aux termes de ces opérations de concentration les cinq principales centrales de grande distribution possèdent près de 94 % des parts de marché.

LES PARTS DE MARCHÉ EN VALEUR DES CENTRALES D'ACHATS
DANS LE DOMAINE ALIMENTAIRE EN FRANCE

1999

Groupe Carrefour-Promodès

28,0%

Lucie

21,1%

dont

E.Leclerc

14,8%

Système U

6,3%

Opéra

16,9%

dont

Casino

10,0%

Monoprix et Prisunic

2,8%

Cora-Match

4,1%

Intermarché

15,0%

Auchan (Schiever inclus)

12,9%

Total des cinq principales centrales

93,9%

(1) La grande distribution regroupe les hypermarchés, supermarchés et les magasins hard discount.

Source : AC Nielsen

b) Une activité de contrôle accru au niveau national

En 1999, 67 concentrations ont fait l'objet d'un examen détaillé . Parmi celles-ci, 27 ont donné lieu à une notification formelle. En France, la notification n'est en effet pas obligatoire, mais elle accroît la sécurité juridique des entreprises en leur permettant de disposer d'une réponse officielle dans de brefs délais.

Le ministre a saisi pour avis le Conseil de la concurrence de 6 opérations. Ces saisines ont débouché sur une interdiction (Coca-Cola/Orangina) et sur une autorisation soumise à des injonctions de cessions d'actifs dans le secteur de la production de briques. Une opération a été abandonnée à la suite de la saisine. Les trois autres opérations étaient, à la fin de l'année, encore en cours d'examen devant le Conseil de la concurrence.

Sept opérations ont été autorisées sous réserve de l'exécution par les parties d'engagements de nature à rétablir une concurrence effective sur les marchés concernés. Ces engagements sont en général structurels, et complétés le cas échéant par des engagements comportementaux. Les engagements structurels ont consisté en des cessions d'actifs (usines, panneaux d'affichage, marques...). Ont également été souscrits des engagements de recomposition du capital de la nouvelle entité, pour supprimer tout lien structurel entre une entreprise et ses clients, par exemple. Les engagements comportementaux ont porté sur des absences de mise en commun ou de couplage des offres des entreprises fusionnantes, sur des limitations de dépenses publicitaires, sur des engagements d'ouverture de dépôts de stockage ou de stocks de sécurité à des concurrents.

Ces engagements, souscrits lors de la phase initiale d'examen d'une concentration, sont particulièrement utiles car ils préservent la concurrence tout en permettant aux entreprises de bénéficier d'une autorisation dans un délai très bref de deux mois.

Trois opérations ont été renvoyées aux autorités françaises par la Commission européenne, sur le fondement de l'article 9 du règlement 4064/89 du Conseil, pour ce qui concerne leurs aspects locaux. Ces opérations ont donné lieu à des autorisations sous réserve de l'exécution d'engagements de la part des parties.

Enfin, le Conseil d'Etat s'est prononcé sur deux décisions du Ministre en matière de concentration. Il a confirmé la légalité de l'une d'entre elles (Coca-Cola/Orangina) et a annulé la seconde pour défaut de respect du principe du contradictoire,

c) Une coopération étroite avec la commission européenne

Les autorités de concurrence, nationales et communautaires, ont approfondi la réflexion sur le contrôle des concentrations et utilisé l'ensemble des voies de droit à leur disposition pour traiter les conséquences de ces rapprochements, tant pour la concurrence entre enseignes vis-à-vis du consommateur que sur le marché aval où se confrontent l'offre des producteurs et la demande des distributeurs.

Le nombre d'opérations examiné par la Commission européenne en application du règlement " concentration " a de nouveau fortement progressé en 1999 pour atteindre 292 notifications, en hausse de 24 % par rapport à 1998 et de 77 % par rapport à 1997. En 1999, la Commission a pris 280 décisions dont 12 décisions de retrait.

De nombreux secteurs d'activités ont été concernés parmi lesquels les services (38 décisions), les équipements industriels (38 décisions), l'automobile et les équipementiers (25 décisions) les télécommunications (22 décisions), la chimie (20 décisions), les activités bancaires (20 décisions) et la grande distribution (11 décisions).

L'année 1999 s'inscrit ainsi dans la continuité du processus de concentration des entreprises et de globalisation de l'économie européenne avec, à nouveau, des opérations de grande ampleur, qualifiées de méga-fusions. Le secteur pétrolier s'est encore concentré avec la prise de contrôle de Mobil par Exxon et de AtlanticRichfield par Bpamoco, le secteur des télécommunications a donné lieu au rapprochement de BritishTelecom et d'ATT et la Commission a autorisé sous condition l'opération Hoechst/Rhône Poulenc dans la chimie/pharmacie.

Dans de nombreux cas, les autorités françaises de concurrence sont intervenues auprès de la Commission européenne pour faire préciser certaines définitions de marchés, analyser les propositions d'engagements des parties, veiller au respect du principe de proportionnalité et plus généralement faire valoir la position française lors des comités consultatifs.

La Commission a, par ailleurs, autorisé après examen approfondi 8 opérations de concentration, assorties de conditions et charges. Plusieurs opérations sont intervenues dans le secteur de la défense, avec la décision d'autorisation après engagements de AlliedSignal/Honeywell en seconde phase, et de Matra/Aérospatiale en première phase. Dans cette opération, les autorités françaises de concurrence ont demandé à la Commission l'application des dispositions de l'article 296 du Traité pour les aspects concernant la protection des intérêts essentiels de sécurité.

1999 se caractérise également par un durcissement de la Commission en matière d'amendes puisque quatre décisions, contre une seule en 1998, sont venues sanctionner des entreprises ayant fourni des informations inexactes ou erronées ou ayant omis de notifier une opération. Parmi ces cas et pour la première fois, une amende a été infligée à des entreprises françaises.

Enfin, quatre opérations notifiées à la Commission européenne ont fait l'objet d'un renvoi total ou partiel à des autorités nationales de la concurrence, dont deux cas concernaient des entreprises françaises. La France a ainsi obtenu le renvoi de la totalité du dossier de concentration CSME/MSCA/ROCK dans le secteur des minéraux fondants qui a été autorisé par le Ministre après engagements des parties et le renvoi partiel du dossier TOTAL/FINA, également autorisé par le Ministre, après engagements des parties sur le marché local du stockage de produits pétroliers.

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