N° 96

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 23 novembre 2000

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi de finances pour 2001 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME I

SOLIDARITÉ

Par M. Jean CHÉRIOUX,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean Delaneau, président ; Jacques Bimbenet, Louis Boyer, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Guy Fischer, Jean-Louis Lorrain, Louis Souvet, vice-présidents ; Mme Annick Bocandé, MM. Charles Descours, Alain Gournac, Roland Huguet, secrétaires ; Henri d'Attilio, François Autain, Jean-Yves Autexier, Paul Blanc, Claire-Lise Campion, Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Gilbert Chabroux, Jean Chérioux, Philippe Darniche, Claude Domeizel, Jacques Dominati, Michel Esneu, Alfred Foy, Serge Franchis, Francis Giraud, Alain Hethener, Claude Huriet, André Jourdain, Roger Lagorsse, Dominique Larifla, Henri Le Breton, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jacques Machet, Max Marest, Georges Mouly, Roland Muzeau, Lucien Neuwirth, Philippe Nogrix, Mme Nelly Olin, MM. Lylian Payet, André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Bernard Seillier, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vezinhet, Guy Vissac.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 2585 , 2624 à 2629 et T.A. 570

Sénat : 91 et 92 (annexe n° 18 ) (2000-2001)

Lois de finances .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

A structure constante, les crédits relatifs à la solidarité examinés dans cet avis, qui s'élèvent à 85 milliards de francs, augmentent de 3,1 %.

Comme les années précédentes, votre commission a estimé que les évolutions quantitatives des crédits ne pouvaient constituer le seul critère d'appréciation de ce budget.

Comme votre rapporteur l'a perçu au cours de ses auditions, les acteurs et intervenants du secteur social demandent de plus en plus de progrès qualitatifs de l'action de l'Etat dans la conduite de la politique de solidarité.

Votre commission a tout d'abord constaté que les dépenses liées aux minima sociaux que sont le RMI, l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et l'allocation de parent isolé (API), absorbaient la quasi-totalité de la marge de manoeuvre en mesures nouvelles des actions relatives à la lutte contre les exclusions et au développement social.

Concernant la lutte contre les exclusions, votre commission s'est inquiétée de la faiblesse de l'effort d'investissement sur les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) qui leur permettrait d'assurer dans de meilleures conditions le droit à l'accueil familial groupé reconnu par la loi d'orientation du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions. Elle a tenu de surcroît à alerter le Gouvernement sur les difficultés des gestionnaires des établissements à remplir leur mission vis-à-vis de personnes de nationalité étrangère en situation précaire qui sont de plus en plus nombreuses.

S'agissant des travailleurs sociaux, qui jouent un rôle pivot dans la lutte quotidienne contre les exclusions, votre commission a regretté les retards pris dans la mise en oeuvre dans les nouvelles procédures de financement des établissements de formation dont les principes ont été posés par la loi du 29 juillet 1998 mais que le présent budget ne prépare toujours pas.

Enfin, votre commission a souligné que l'importance des reports de crédits sur la couverture maladie universelle (CMU) confirmait l'inadaptation des choix retenus pour fixer le plafond de ressources qui pénalise les titulaires du minimum vieillesse et de l'AAH.

Evoquant le secteur des handicapés, votre commission a pris acte du nouveau plan triennal annoncé par le Premier ministre devant le conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) le 25 janvier 2000. Elle a accueilli avec satisfaction les résultats du plan exceptionnel en faveur de l'emploi adossé à une mobilisation des fonds de l'association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés (AGEFIPH).

En revanche, elle ne peut que réclamer à nouveau une réforme en profondeur des commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) qui aille au-delà d'une simple modernisation déjà trop tardive et qui permette de renforcer leur dimension médico-sociale dans une logique de réseau.

Elle a constaté par ailleurs l'absence de décision sur la reconnaissance des spécificités des personnes handicapées vieillissantes qui ne peuvent plus longtemps demeurer dans un flou juridique qui s'exerce souvent à leur détriment.

Elle a souligné que la politique d'accessibilité du domaine public aux personnes physiquement handicapées méritait une prise de conscience plus ferme, tout en constatant, comme le Conseil économique et social, les négligences en matière de contrôle des constructions des logements collectifs aidés par l'Etat.

Enfin, elle a réclamé un effort plus substantiel pour l'accueil en établissement des enfants polyhandicapés.

Enfin, votre commission s'est inquiétée du risque d'une forte reprise à la hausse des dépenses du secteur social et médico-social à partir de 2001.

La mise en oeuvre de la réduction du temps de travail conjuguée aux dysfonctionnements de la procédure d'agrément des avenants salariaux aux conventions collectives fait peser un risque croissant sur les établissements.

En outre, les problèmes juridiques que soulèvent des jurisprudences de 1999 concernant les foyers à double tarification (FDT) et la mise en oeuvre de l'amendement " Creton ", qui peuvent alourdir les charges des départements, ne sont toujours pas résolus.

Enfin, la remise en cause par la jurisprudence de certaines cours d'appel de la validation législative, prévue à l'article 29 de la loi du 19 janvier 2000, sur la question des heures de permanence nocturne en chambre de veille fait à nouveau courir le risque d'un " étranglement financier " des associations.

Parce que ce budget laisse subsister des risques d'aggravation des dépenses et que l'attentisme en matière d'action sociale et médico-sociale semble porteur de dérapages dangereux, votre commission a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits relatifs à la solidarité dans le projet de budget pour 2001.

I. LA PRISE EN CHARGE DES MINIMA SOCIAUX CONTINUE D'ABSORBER LA PLUS GRANDE PARTIE DE LA MARGE DE MANOEUVRE DU MINISTÈRE EN FAVEUR DE LA LUTTE CONTRE L'EXCLUSION ET LE DÉVELOPPEMENT SOCIAL

Le budget de l'emploi et de la solidarité représente au total 208 milliards de francs dont 41 % sont consacrés aux deux agrégats qui relèvent de cet avis budgétaire, à savoir le développement social , d'une part, et l'intégration et la lutte contre les exclusions , d'autre part.

L'agrégat relatif au développement social , soit 37,9 milliards de francs , assez hétérogène, regroupe notamment les dépenses relatives aux interventions en faveur des droits des femmes, aux rapatriés, à la formation des travailleurs sociaux, au financement des centres d'aide par le travail (CAT), ainsi que les dépenses d'action sociale de l'Etat destinées aux personnes handicapées et aux personnes âgées, y compris les prestations obligatoires telles que l'allocation aux adultes handicapés (AAH).

Au total, les crédits relatifs à la solidarité dans le budget de l'Etat représentent donc 85 milliards de francs , soit 4,8 % des dépenses nettes du budget général qui s'établissent à 1.705,3 milliards de francs.

A structure constante, le budget de la solidarité augmente de 3,1 % en 2001. Une modification intervient du fait de la budgétisation du Fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrés et leur famille (FASTIF). Le rattachement de ce fonds fait l'objet de l'article 56 du projet de loi de finances (cf. examen des articles rattachés, infra) . Il en résulte un transfert de 1,1 milliard de francs sur les crédits relatifs à la solidarité.

Il convient de rappeler que la budgétisation du FASTIF a été annoncée l'année dernière comme la contrepartie de la pérennisation de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire (ARS) annoncée par le Premier ministre à la Conférence de la famille du 7 juillet 1999.

Votre commission a déjà dénoncé le caractère déséquilibré de cette soi-disant contrepartie 1 ( * ) . Alors que l'Etat va en définitive transférer 4,5 milliards de francs de dépenses à la branche famille en 2001, pour financer la majoration d'ARS, le FASTIF ne représente qu'un milliard de dépenses sur le budget du ministère de l'Emploi et de la Solidarité.

Avant d'examiner les principales observations qu'appelle, de la part de votre commission, le contenu des deux agrégats relevant de ce budget, votre rapporteur a tenu à regrouper de manière globale l'évolution des minima sociaux financés par ce budget. Cette démarche conduit à rassembler les crédits relatifs au revenu minimum d'insertion (RMI) et à l'allocation de parent isolé (API) (chapitre 46-83) d'une part et les crédits relatifs à l'AAH d'autre part (chapitre 46-33, article 10).

En effet, même si ces crédits relèvent de deux agrégats différents, ils répondent à une même logique et leur évolution est conditionnée par des besoins plus que par un choix volontariste, en l'absence de réforme du cadre réglementaire par le Gouvernement.

A. LES DÉPENSES LIÉES AUX MINIMA SOCIAUX CONNAISSENT TOUJOURS UNE ÉVOLUTION SOUTENUE

Les crédits relatifs à la solidarité prennent en charge la participation de l'Etat au financement du RMI (29,6 milliards de francs), de l'API (4,7 milliards de francs) et de l'AAH (26,5 milliards de francs).

Ces trois minima sociaux " aspirent " 2,27 milliards de francs sur les 2,6 milliards de francs de mesures nouvelles prévues en 2001 à périmètre constant.

C'est dire que même dans une période favorable sur le plan conjoncturel, le ministère de l'Emploi et de la Solidarité ne parvient pas à améliorer sa marge de manoeuvre pour redéployer les crédits en faveur des plus démunis .

Part des minima sociaux dans les crédits relatifs à la solidarité

(en milliards de francs)

Dotations 2000

Moyens nouveaux

PLF 2001

Progression

Développement social

36,53

1,37

37,90

+ 3,75 %

Intégration et lutte contre l'exclusion

44,76

2,25

47,01

+ 5,03 %

(impact mesures de périmètre)

(- 1)

+ 2,79 %

Total à structure constante

81,29

2,62

83,91

+ 3,22 %

RMI

28,70

0,95

29,65

+ 3,31 %

AAH

25,55

0,99

26,54

+ 3,87 %

API

4,35

0,33

4,683

+ 7,66 %

Total minima sociaux

58,6

2,27

60,87

+ 3,87 %

1. La diminution récente des titulaires du RMI ne permet toujours pas d'alléger la charge budgétaire

Le retour de la croissance aurait pu laisser espérer une baisse plus rapide des effectifs du RMI. En réalité, la diminution de ces effectifs ne s'observe qu'à partir du premier semestre 2000 et encore sur le seul territoire de la métropole ; le dispositif fait preuve d'une forte " inélasticité au retour de la croissance ", en partie en raison de certaines mesures décidées par le Gouvernement.

Peuvent bénéficier du RMI tous les résidents en France, sans condition de nationalité -une condition de résidence de trois ans étant toutefois requise pour les ressortissants de pays étrangers- à condition qu'ils soient âgés de plus de 25 ans et qu'ils ne soient pas étudiants, ou s'ils ont moins de 25 ans, qu'ils aient au moins un enfant à charge. L'allocation versée complète les ressources des intéressés de façon à leur garantir un revenu minimum fixé à 2.552,35 francs par mois au 1 er janvier 1999 pour une personne isolée sans enfant à charge et à 3.828,52 francs par mois 1 pour un couple (ce montant est majoré de 765,70 francs par mois pour chaque enfant à charge). L'allocation est conditionnée à un engagement du bénéficiaire à participer aux actions ou activités définies avec lui et nécessaires à son insertion sociale ou professionnelle. Cet engagement peut être formalisé dans un contrat d'insertion.

a) Le dispositif du RMI tarde à enregistrer le retour de la croissance

Au 31 décembre 1999, la France comptait toujours plus d'un million de titulaires du RMI sur l'ensemble de son territoire (1.145.023 foyers) mais également, pour la première fois, en métropole même (1.017.847 foyers).

Evolution des effectifs et des crédits afférents au RMI


Métropole


Evolution


DOM


Evolution


France


Evolution

Crédits budgétaires en MF (1)


Evolution

Décembre 1989

335.514

71.567

407.081

6.000

Décembre 1990

422.101

25,8 %

88.044

23,0 %

510.145

25,3 %

8.668

+ 45 %

Décembre 1991

488.422

15,7 %

93.939

6,7 %

582.361

14,2 %

14.325

+ 65 %

Décembre 1992

575.034

17,7%

96.208

2,4 %

671.242

15,3 %

13.168

- 8 %

Décembre 1993

696.589

21,1 %

96.355

0,2 %

792.944

18,1 %

16.631

+ 26 %

Décembre 1994

803.303

15,3 %

105.033

9,0 %

908.336

14,6 %

19.217

+ 16 %

Décembre 1995

840.839

4,7 %

105.171

0,1 %

946.010

4,1%

22.022

+ 15 %

Décembre 1996

903.804

7,5 %

106.668

1,4 %

1.010.472

+ 6,8 %

23.179

+ 5 %

Décembre 1997

956.596

5,8 %

111.305

4,3 %

1.067.901

+ 5,7 %

24.230

+ 4,5 %

Décembre 1998

993.286

3,8 %

118.822

6,8 %

1.112.108

+ 4,1 %

26.227

+ 8,24 %

Décembre 1999

1.017.847

2,5 %

127.176

7 %

1.145.023

+ 3 %

31.900 (2)

+ 21,63 %

(1) En millions de francs, compte tenu des lois de finances rectificatives

(2) Dont 1,82 milliard de francs pour couvrir les insuffisances de la dotation 1998 (l'augmentation budgétaire nette de 1999 sur 1998 s'élèverait donc à 7,25 %).

L'évolution des effectifs du RMI en métropole a été forte jusqu'en 1994, avec une croissance annuelle moyenne de 15 % par an, liée d'abord à la montée en charge initiale du RMI puis à la réforme de l'assurance chômage en 1992 qui a conduit à une diminution du nombre de chômeurs indemnisés. L'évolution du RMI est en effet largement conditionnée par le nombre de chômeurs non bénéficiaires des régimes d'assurance chômage et solidarité, pour qui cette prestation offre une couverture financière minimum.

Depuis 1995, le rythme d'évolution du RMI a fortement diminué, mais s'est maintenu à un niveau proche ou supérieur à 5 %, et globalement plus élevé que celui du chômage. La précarisation du marché du travail et le développement d'emplois à temps partiel et de courte durée, qui n'ouvrent pas de droit ou des droits moindres à l'ASSEDIC expliquent cette évolution plus soutenue. Le durcissement des conditions d'accès à l'allocation spécifique de solidarité (ASS) en décembre 1996 a contribué également à accroître le stock d'allocataires.

Depuis trois ans, le RMI augmente à un rythme ralenti : + 5,8 % en 1997 et + 3,8 % en 1998, + 2,5 % en 1999.

Pour la première fois au premier semestre 2000, le nombre de bénéficiaires du RMI serait globalement stable (- 0,9 % en métropole et dans les DOM) avec une baisse de 1,2 % du nombre d'allocataires en métropole . Le Gouvernement estime que la baisse pourrait atteindre 1,7 % en métropole à la fin de l'année 2000.

Cette évolution plus favorable reflète l'amélioration de la conjoncture économique et plus particulièrement, la baisse du chômage non indemnisé qui a débuté au second trimestre 1999. L'évolution du RMI est en effet largement conditionnée par le nombre de chômeurs non bénéficiaires des régimes d'assurance chômage et solidarité, pour qui cette prestation offre une couverture financière minimum.

Votre rapporteur souligne néanmoins que l'effort de création d'emplois devra être constant et soutenu pour juguler la tendance à l'augmentation de la population bénéficiant du RMI .

Selon une analyse récemment publiée par la Direction de la recherche, des études de l'évaluation et des statistiques (DREES) du ministère de l'Emploi et de la Solidarité, 2 ( * ) , une hausse de 100.000 emplois est nécessaire pour conduire à une baisse de 13.000 allocataires du RMI. Mais surtout la croissance autonome du nombre d'allocataires, liée à la pression démographique, étant estimée à environ 50.000 par an, il faut en conséquence une augmentation de l'ordre de 400.000 emplois par an pour stabiliser le nombre d'allocataires du RMI si les autres variables sont constantes (barème, taux de couverture du régime d'assurance chômage et du régime de solidarité).

Pour abaisser la population des allocataires du RMI, il faut donc non seulement une croissance riche en emploi mais aussi une croissance durable . De fait, le coût du RMI demeure encore à un niveau très élevé.

* 1 Rapport Sénat n° 67 (2000-001) au nom de la commission des Affaires sociales sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 - Tome II : Famille par M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur.

* 2 DARES, Etudes et Résultats, n° 86 - octobre 2000.

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