III. L'EFFICACITÉ DES NOUVELLES MESURES PROPOSÉES EN MATIERE D'EMPLOI ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE RESTE À PROUVER

Avant de revenir sur les deux mesures les plus critiquables du programme du 14 décembre 1999, il est nécessaire de dresser le bilan du dispositif du pacte de relance pour la ville lancé par MM. Jean-Claude Gaudin et Eric Raoult , M. Alain Juppé étant Premier ministre.

A. LE BILAN DES ZONES FRANCHES URBAINES (ZFU) NE JUSTIFIE PAS LEUR DISPARITION PROGRAMMÉE

a) Le dispositif du pacte de relance pour la ville

La loi n° 96-987 du 14 novembre 1996 relative à la mise en oeuvre du pacte de relance pour la ville a prévu un dispositif fiscal spécifique dans les zones de redynamisation urbaine (ZRU) et les zones franches urbaines (ZFU) au sein de la liste de 750 zones urbaines sensibles (ZUS) correspondant aux grands ensembles et quartiers d'habitat dégradé souffrant d'un déséquilibre accentué entre l'habitat et l'emploi.

•  Les zones de redynamisation urbaine (ZRU) présentent des difficultés évaluées à partir de plusieurs critères à savoir, la population, le taux de chômage, la proportion de jeunes de moins de 25 ans, la proportion de jeunes sortis du système scolaire sans diplôme et le potentiel fiscal des communes de rattachement.

416 ZRU (dont 20 dans les DOM) ont été sélectionnées dans 343 communes et 76 départements parmi les 750 ZUS 3 ( * ) .

Le dispositif visant à conforter ou à recréer de l'activité économique dans ces quartiers très défavorisés, est constitué pour l'essentiel d'exonérations fiscales et sociales accordées aux entreprises.

Les mesures applicables en ZRU sont les suivantes :

- exonération, compensée par l'Etat, de taxe professionnelle, pour les établissements nouveaux, ou déjà existants, pendant cinq ans sur la totalité de la base imposable, plafonnée à 1 million de francs pour la création ou l'extension, et à 500.000 francs pour les établissements existants (art. 1466 A I ter, du code général des impôts),

- exonération d'impôt sur les bénéfices, totale les deux premières années puis dégressive les troisième, quatrième et cinquième années, sans plafonnement, pour les entreprises nouvelles (art. 44 sexies du code général des impôts),

- exonération de taxes foncières sur les propriétés bâties, pendant deux ans, pour les entreprises nouvelles ou les établissements créés ou repris à une entreprise en difficulté (art. 1383 du code général des impôts),

- exonération sur douze mois des charges sociales patronales du quatrième au cinquantième salarié pour les entreprises nouvelles ou existantes sur une fraction de salaire n'excédant pas 1,5 fois le SMIC.

Les zones franches urbaines (ZFU) ont été déterminées, après appel à projet, parmi les quartiers de plus de 10.000 habitants présentant les caractéristiques les plus dégradées en termes de chômage des jeunes, de qualification professionnelle ou de ressources des communes.

Les ZFU, qui bénéficient des exonérations fiscales et de charges sociales les plus importantes, sont au nombre de 44, dont 38 en métropole et 6 dans les départements d'outre-mer. Elles sont déterminées par le législateur qui en a fixé la liste en annexe à la loi n° 96-987 du 14 novembre 1996. La délimitation de ces zones a été fixée par deux décrets du 26 décembre 1996 4 ( * ) .

L'effort de l'Etat est particulièrement concentré et repose sur des mesures d'exonération fiscale et sociale renforcées :

- exonération compensée par l'Etat de taxe professionnelle pour les établissements nouveaux ou déjà existants ou étendus, pendant cinq ans, sur la totalité de la base imposable, plafonnée à 3 millions de francs (art. 1466 A I quater du code général des impôts),

- exonération d'impôt sur les bénéfices totale pendant cinq ans, avec plafonnement à 400.000 francs par an, pour les entreprises nouvelles ou existantes (art. 44 octies du code général des impôts),

- exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties pendant cinq ans (art. 1383 A du code général des impôts),

- exonération des charges sociales sur douze mois des charges sociales patronales du quatrième au cinquantième salarié pour les entreprises nouvelles ou existantes sur une fraction de salaire n'excédant pas 1,5 fois le SMIC.

b) Un bilan largement positif

Votre commission avait souligné qu'il importait de laisser du temps à l'évaluation d'un dispositif dont les effets ne pouvaient être mesurés trop rapidement.

Près de trois ans après le lancement du pacte de relance pour la ville, il est possible de se référer à des éléments plus pertinents, même si le changement de Gouvernement a pu parfois faire peser des doutes sur le maintien du dispositif pour les entreprises concernées.

Votre rapporteur souhaite formuler deux remarques liminaires :

Tout d'abord, les chiffres agrégés ci-après sont des moyennes qui ne doivent pas masquer que les résultats peuvent être différents entre les zones, suivant le dynamisme du bassin d'emploi et la qualité de l'environnement urbain et économique.

Ensuite, ces chiffres ne concernent que les ZFU, c'est-à-dire les zones pour lesquelles les exonérations étaient les plus importantes.

L'Association nationale des villes zones franches urbaines (ANVZFU), présidée par M. Yves Jego, maire de Montereau, a présenté au Président de la République un premier bilan quantitatif en mars 2000.

Au 1 er janvier 2000, les 44 ZFU avaient enregistré une progression de 31.000 emplois (+ 88 %) dont 13.950 étaient des créations nettes ; 9.100 entreprises supplémentaires, dont 5.000 sont des créations, se sont installées dans les ZFU. Plus de 35 % des emplois créés (4.900 embauches) ont été offerts aux habitants des quartiers.

Ces chiffres sont bien supérieurs à ceux qui avaient été envisagés dans le rapport au Parlement du 24 novembre 1996, commenté par votre rapporteur dans son avis de l'année dernière, qui faisait état de 9.000 embauches dans les ZFU et envisageait une progression de 5.0000 à 7.000 emplois par an.

De surcroît, l'ANVZFU a demandé à un cabinet de consultants indépendant de dresser un bilan plus qualitatif du dispositif.

Ce rapport, qui sera rendu public à la fin de l'année, propose des données encore plus récentes sur les résultats des ZFU et remet en perspective le dispositif.

Il souligne tout d'abord que l'objectif du pacte de relance pour la ville lancé par le Gouvernement de M. Alain Juppé en 1996 était de mettre un terme à " l'hémorragie " des emplois qui était constatée dans les quartiers sensibles, qui perdaient de 5 à 10 % d'emplois chaque année depuis le début des années 80. L'objectif était donc d'inverser cette tendance pour créer environ 5.000 à 7.000 emplois par an.

Cinq ans après, l'étude permettra de souligner que les zones franches ont relevé le défi qui leur était lancé. Le nombre d'emplois dans les ZFU est passé de 30.000 en 1996 à près de 70.000 emplois en 2000. Sur les 40.000 emplois créés, 50 % sont des créations et 50 % correspondent à des délocalisations. 10.000 entreprises, de toute taille, se sont installées dans les zones franches urbaines.

Par ailleurs, la condition d'un recrutement local obligatoire à hauteur de 20 % des effectifs a été largement tenue : selon l'étude, 35 à 40 % des emplois nouveaux seraient occupés par des personnes vivant dans les quartiers en difficulté.

Enfin, 75 à 80 % des emplois créés le sont dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée (CDI) : ces salariés sont donc sortis des contrats précaires auxquels ils étaient souvent habitués.

L'ANVZFU met donc en avant cinq conclusions plus qualitatives sur le dispositif des zones franches urbaines.

Tout d'abord, les élus locaux concernés soulignent que le dispositif a bien fonctionné, parce qu'il était le premier outil simple et efficace qui était mis en place depuis les origines de la politique de la ville pour relancer l'emploi et l'activité dans les quartiers sensibles.

S'il est exact que la reprise de la croissance, notamment depuis 1998, explique en partie la création des nouveaux emplois, il est également vrai qu'en l'absence d'une politique de territorialisation à travers les zones franches, la croissance se serait développée ailleurs que dans les zones sensibles : ceci conduit à relativiser le discours trop fréquemment soutenu selon lequel les zones franches entraîneraient surtout des transferts.

Les zones franches urbaines (ZFU) ont enregistré des résultats plus palpables que les zones de redynamisation urbaine (ZRU). A cet égard, il semble que la simplicité du dispositif d'exonération dans les zones franches urbaines a eu des effets très incitatifs , alors que le mécanisme d'exonération partielle des ZRU est apparu moins clair et qu'il a donc été moins efficace.

La réflexion devrait moins porter sur la critique des ZFU que sur les moyens de renforcer éventuellement le dispositif d'exonération dans les ZRU qui en ont le plus besoin.

Par ailleurs, l'aménagement des infrastructures commerciales a un effet favorable sur les résultats des zones franches : ce point a déjà été contesté et met en évidence la nécessité d'accompagner les zones franches d'un effort d'investissement, notamment pour assurer les restructurations commerciales et urbaines nécessaires.

Concernant le recrutement local, il semble qu'aujourd'hui un palier soit atteint et que les entreprises ont de plus en plus de mal à trouver des gens " employables " dans les quartiers . Votre rapporteur souligne que ce point montre qu'un effort d'accompagnement et de formation est nécessaire pour améliorer les résultats dans la lutte contre le chômage dans les quartiers sensibles.

c) Un dispositif condamné à disparaître

Suite à la mission d'enquête confiée en 1997 à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), l'Inspection générale des finances (IGF) et l'Inspection générale de l'administration (IGA), le Gouvernement a fait adopter dans le cadre du projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains (art. 35 ter) un dispositif modifiant la mise en oeuvre des exonérations de cotisations sociales dans les ZFU afin de favoriser l'emploi dans ces zones 5 ( * ) .

A l'occasion du débat en séance publique, le Sénat a adopté un amendement prolongeant le dispositif des ZFU jusqu'au 31 décembre 2004, soit trois ans de plus que l'échéance initialement prévue. L'Assemblée nationale a supprimé cet amendement en nouvelle lecture, le Gouvernement s'étant prononcé défavorablement sur cette démarche.

Le Gouvernement a indiqué qu'il proposerait un mécanisme de sortie progressive de sortie du dispositif des ZFU sur une période de 3 à 5 ans à compter du 1 er janvier janvier 2002.

Le compte rendu du CIV du 14 juin 2000 transmis à votre rapporteur précise les mesures envisagées qui n'ont pas été définitivement arbitrées.

Au 1 er janvier 2002, le dispositif des ZFU serait abandonné pour de nouvelles ouvertures de droits au profit d'un dispositif unique de ZRU " renforcé ", applicable aux 416 ZRU.

Par ailleurs, les droits ouverts avant le 1 er janvier 2002 seraient maintenus selon les régimes actuels et prolongés pour les exonérations fiscales de façon dégressive sur trois ans.

En matière fiscale, le régime demeurerait identique à celui en vigueur pour les ZRU. En matière sociale, il serait proposé :

- une incitation à la réduction du temps de travail, avec majoration de l'allégement des charges sociales au titre de la réduction du temps de travail,

- une prime forfaitaire pour l'embauche de demandeurs d'emploi résidents en ZUS,

- une extension aux ZRU et une prolongation jusqu'au 31 décembre 2004 du régime d'exonération de cotisation maladie personnelle des commerçants et artisans en vigueur dans les ZFU.

Votre rapporteur regrette que la solution de simplicité qui aurait été de maintenir le dispositif d'exonération des ZFU en élargissant son champ n'ait pas été retenu .

Il regrette également la lenteur du Gouvernement à mettre en place les mesures alternatives : les entreprises concernées ont besoin de se préparer dès 2001 aux mesures qui seront prises à partir du 1 er janvier 2002 pour assurer la sortie " en sifflet " du mécanisme du pacte de relance pour la ville.

Il aurait été utile que les communes concernées puissent informer et conseiller les entreprises concernées dans les meilleures conditions alors que l'incertitude règne toujours pour celles-ci.

* 3 Décrets n os 96-1157 et 96-1158 du 26 décembre 1996 fixant la liste des zones de redynamisation urbaine en métropole et dans les DOM et décret n° 96-1159 du 26 décembre 1996 définissant l'indice synthétique de sélection des zones de redynamisation urbaine en métrople.

* 4 Décret n° 96-1154 du 26 décembre 1996 portant délimitation de zones franches urbaines dans certaines communes et décret n° 96-115 du 26 décembre 1996 portant délimitation de zones franches urbaines dans certaines communes des départements d'outre-mer.

* 5 Votre commission renvoie sur ce point aux rapports au fond n° 304 (1999-2000) de votre collègue, Louis Althapé au nom de la commission des Affaires économiques et au rapport pour avis n° 306 (1999-2000) au nom de la commission des Affaires sociales, de notre collègue, Jacques Bimbenet.

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