B. DE NÉCESSAIRES AMÉLIORATIONS

Chaque année, à l'occasion de son avis budgétaire, votre commission fait le point sur les principales questions relatives au monde combattant restant en suspens et insiste sur les réformes prioritaires à engager.

Cette année, votre commission ne manquera pas à cette tradition, même si ce travail tend à se révéler plus ingrat que stimulant dans la mesure où bien rares sont les propositions que le Gouvernement reprend à son compte.

1. Poursuivre avec célérité les réformes engagées

a) La " décristallisation "

Le présent budget, en abordant enfin -même si c'est par le petit bout de la lorgnette- la question de la " décristallisation " ne manquera pas de faire renaître l'espoir d'une avancée significative, après quatre années d'inaction du Gouvernement. Cet espoir ne doit pas être déçu.

La cristallisation

Au cours des deux guerres mondiales, plus de 1,4 million de soldats venus d'Afrique, du Maghreb, d'Indochine ou d'autres colonies, sont courageusement venus combattre sur le territoire national pour participer à la défense de la République.

Depuis 1959 pour l'Indochine et depuis 1960 pour les autres Etats anciennement placés sous souveraineté française, les pensions militaires d'invalidité et les retraites du combattant versées à ceux qui ont combattu pour le drapeau français sont " cristallisées " à la valeur atteinte lors de l'accession à l'indépendance de ces Etats.

Certes, c'est à l'honneur de la France d'avoir maintenu les pensions même en les cristallisant. D'autres pays, comme la Grande-Bretagne, ont choisi de les supprimer pour les ressortissants de leurs anciennes colonies.

Au 1er janvier 1999, 31.000 personnes bénéficiaient d'une pension " cristallisée " et 62.000 d'une retraite du combattant " cristallisée ". Le coût budgétaire de ces pensions et retraites était à cette date de 127 millions de francs.

Les conséquences d'une telle cristallisation sont aujourd'hui de deux ordres.

D'abord, la valeur actuelle du point d'indice est très disparate selon les pays. Cela tient aux différentes dates d'accession à l'indépendance, mais aussi aux revalorisations ponctuelles intervenues depuis lors de manière distincte selon les pays. Ainsi, alors que la valeur du point est actuellement de 81,46 francs en métropole, elle atteint 45,05 francs à Djibouti, 27,97 francs au Sénégal, mais seulement 9,02 francs en Algérie, 7,77 francs au Maroc et en Tunisie et 3,14 francs dans l'ex-Indochine.

Ensuite, une forclusion pèse de facto sur les nouvelles demandes, qu'il s'agisse d'obtenir l'attribution d'une retraite du combattant, de demander une réversion de la pension d'invalidité ou de reconnaître l'aggravation d'une invalidité.

Il reste certes possible de prévoir, par voie réglementaire, des revalorisations et des levées de forclusion. Celles-ci restent cependant très rares, la dernière remontant à 1995.

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1999, M. Jean-Pierre Masseret avait pourtant annoncé son souci d'engager un débat sur la décristallisation, reconnaissant notamment les retards en matière de pouvoir d'achat accumulés dans les pays du Maghreb et les conséquences souvent dramatiques liées à la forclusion des droits nouveaux.

Mais, le projet de loi de finances pour 2000 ne prévoyait cependant aucune mesure en ce sens. M. Jean-Pierre Masseret reconnaissait alors, devant le Sénat, une certaine amertume : " c'est un échec personnel que j'enregistre. Je ne peux pas en dire plus. Je me suis bagarré tout au long de l'année pour faire avancer ce dossier, sans résultat " 10 ( * ) .

Aussi, votre commission vous avait proposé l'an passé d'adopter un amendement portant article additionnel faisant un premier pas dans le sens d'une décristallisation. Elle justifiait alors sa démarche de la manière suivante.

" Votre commission a souligné les difficultés nées de la cristallisation et l'absence de toute mesure de décristallisation partielle depuis 1995.

" Considérant qu'une mesure générale de décristallisation serait très coûteuse, elle vous propose donc de cibler l'effort sur les difficultés les plus évidentes.

" Aussi, cet article additionnel, qu'elle propose d'insérer dans le projet de loi, prévoit deux types d'ajustements.

" Premièrement, il lève temporairement, pour l'année 2000, la forclusion pesant sur les demandes nouvelles.

" Deuxièmement, il revalorise les pensions d'invalidité et les retraites de combattants de 20 % dans les pays qui ont accumulé le plus grand retard : les pays du Maghreb et d'Indochine.

" Votre commission estime qu'une telle mesure constituerait un signe de reconnaissance tangible envers nos anciens combattants d'outre-mer pour les sacrifices consentis. Au moment où le Parlement reconnaît l'état de guerre en Algérie, un nouveau geste serait cohérent avec cette reconnaissance et serait à l'honneur de la France.

" Votre commission observe en outre que la mise en place d'un nouveau circuit de paiement des pensions dans les pays placés anciennement sous souveraineté française garantira le versement effectif des pensions d'invalidité et des retraites du combattant aux intéressés. A l'avenir, ce seront en effet les consulats qui verseront les pensions et les retraites.

" Il s'agit donc à la fois d'une mesure de justice et d'une mesure pragmatique.

" Une telle mesure pourrait bénéficier à quelque 30.000 pensionnés et à quelque 40.000 titulaires de la retraite du combattant. Le coût de la revalorisation de 20 % peut être estimé à environ 15 millions de francs. "

Le Gouvernement a cependant évoqué l'article 40 de la Constitution contre cet amendement.

Votre commission, dans ces conditions, ne proposera pas cette année d'amendement. Elle n'en continue pas moins à défendre la même position. Il est à la fois nécessaire de revaloriser les pensions et retraites les plus faibles et de lever la forclusion sur l'attribution de droits nouveaux ou sur la révision des droits existants.

Elle considère en outre que l'article additionnel adopté en première lecture à l'Assemblée nationale reste insuffisant. C'est pourquoi elle demande solennellement au Gouvernement de mettre un terme à l'interprétation délibérément restrictive qu'il a actuellement des textes régissant la cristallisation pour lever la forclusion de fait pesant sur l'attribution de droits nouveaux et sur la reconnaissance de toute aggravation d'un handicap reconnu, dans le respect de l'avis du Conseil d'Etat. Elle estime en effet que la stratégie de l'administration visant à engager systématiquement des recours contentieux contre les demandes pourtant légalement justifiées n'est pas digne de notre pays.

b) L'indemnisation des orphelins des déportés

A la suite des propositions formulées par le second rapport d'étape de la Mission Mattéoli, le Gouvernement a publié un décret prévoyant l'indemnisation des orphelins des personnes de confession israélite, déportées à partir de France et mortes en déportation.

Le décret n° 2000-657 du 13 juillet 2000
instituant une mesure de réparation
pour les orphelins dont les parents ont été victimes
de persécutions antisémites

Les bénéficiaires

La mesure concerne les orphelins de toute personne " qui a été déportée à partir de France dans le cadre des persécutions antisémites et a trouvé la mort en déportation ", si l'orphelin était mineur à la date du départ en déportation.

Toutefois, sont exclues de ce droit à réparation les personnes percevant une indemnité viagère versée par l'Allemagne ou l'Autriche.

L'indemnisation

Elle prend la forme :

- soit d'une indemnité en capital de 180.000 francs ;

- soit d'une rente viagère de 3.000 francs par mois.

Le financement

Le paiement des rentes viagères et des indemnités en capital est assuré par l'ONAC et est financé sur les crédits inscrits au chapitre 46-02 du budget des services généraux du Premier ministre. Le projet de budget pour 2001 prévoit ainsi une majoration de 200 millions de francs de ces crédits.

Votre commission ne peut que se féliciter d'une telle mesure permettant le nécessaire exercice de la réparation pour les orphelins de déportés juifs n'ayant jamais été indemnisés. Il était à l'évidence nécessaire de reconnaître leurs souffrances et de leur assurer enfin une juste indemnisation, eu égard aux failles encore existantes de notre réglementation en ce domaine.

Elle s'interroge toutefois sur le champ d'application restreint d'une telle mesure et sur la possibilité de son extension aux autres catégories d'orphelins de victimes du nazisme.

Certes, notre législation a déjà mis en place des mesures de réparation en faveur des déportés, qu'ils soient " résistants " ou " politiques " : droit à pension militaire d'invalidité, régime d'indemnisation en capital (mis en place en 1948 et 1953), indemnisation prévue par l'accord franco-allemand du 15 juillet 1960.

Toutefois, l'indemnisation des orphelins de déportés ne semble guère avoir été effective.

Ainsi, au 31 décembre 1999, seuls 92 orphelins de déportés perçoivent une pension de l'ordre de 40.000 francs par an.

De même, l'indemnisation des orphelins de déportés morts en Allemagne prévue par l'accord franco-allemand de 1960 n'a permis que l'indemnisation de 8.851 orphelins, l'indemnité n'ayant alors atteint qu'une valeur actualisée de l'ordre de 45.000 francs.

Dans ces conditions, et dans un souci d'équité, votre commission estime nécessaire d'étudier en détail les conditions d'une extension de la mesure de réparation prévue par le décret du 13 juillet 2000 à l'ensemble des orphelins des déportés morts en déportation.

2. Ouvrir enfin de nouveaux chantiers

a) Les veuves d'anciens combattants

Au 1 er janvier 1998, 1.750.000 veuves étaient ressortissantes de l'ONAC. Mais seules moins de 150.000 d'entre elles étaient " pensionnées " au 1 er janvier 2000, c'est-à-dire bénéficiaient de la réversion de la pension d'invalidité de leur mari décédé.

Votre commission tient ici à insister sur la situation souvent très préoccupante de ces veuves. Elles sont en effet confrontées de plus en plus régulièrement à de graves difficultés financières. Ainsi, en 1999, les services départementaux de l'ONAC ont dispensé une aide financière à 7.587 veuves d'anciens combattants, alors que seulement 4.500 en avaient bénéficiée en 1997.

Une telle situation est inacceptable.

L'an dernier, lors de l'examen du projet de loi de finances par le Sénat, M. Jean-Pierre Masseret avait indiqué que " le dossier des veuves est un de ceux que je souhaite remettre à plat l'an prochain " 12 ( * ) .

Force est de constater que cette remise à plat, pourtant d'une extrême urgence, tarde à se concrétiser même si le secrétaire d'Etat vient de lancer, au mois d'octobre, une concertation avec le monde combattant sur ce sujet.

Il semble que les propositions du secrétaire d'Etat s'orientent pour le moment dans deux directions :

- la possibilité, pour les veuves des plus grands invalides, qui bien souvent n'ont exercé aucune activité professionnelle, de pouvoir accéder à une retraite par le biais d'un système de cotisation dérogatoire ;

- le recyclage des ressources du fonds de solidarité afin de financer une aide spécifique pour les veuves d'anciens combattants sous la forme d'une allocation différentielle sous condition de ressources.

Sans préjuger de la concertation en cours, votre commission rappelle qu'elle a formulé voici deux ans une série de propositions. Elle ne les rappellera pas. Elles sont connues.

Rappel des propositions de votre commission
en faveur des veuves d'anciens combattants

Une première solution pourrait consister dans l'introduction d'une possibilité de réversion de la retraite du combattant.

Une seconde solution serait l'assouplissement des conditions de réversion des pensions d'invalidité. A cet égard, votre commission suggère que la valeur minimale du taux d'invalidité requis permettant une réversion automatique de la pension soit ramenée de 85 % à 60 %. Une telle mesure profiterait ainsi à 2.000 veuves pour un coût raisonnable de l'ordre de 50 millions de francs.

La dernière solution passerait par la revalorisation des pensions de veuves. Votre commission rappelle que la pension de veuve au taux normal est inférieur au minimum vieillesse.

Dans ces conditions, votre commission étudiera avec la plus extrême vigilance les propositions qui résulteront de la concertation en cours. Pour le moment, elle se contentera donc d'insister sur deux priorités :

- cette concertation doit déboucher rapidement sur des mesures concrètes ;

- les actions en faveur des veuves d'anciens combattants ne peuvent se résumer à une simple politique d'action sociale.

C'est à l'aune de ces exigences que votre commission évaluera les propositions à venir du secrétaire d'Etat.

b) La retraite du combattant

Votre commission juge nécessaire d'explorer plus avant -et non d'écarter d'un revers de la main- les conditions d'un versement anticipé, avant l'âge de 65 ans, de la retraite du combattant. Celle-ci ne peut en aucun cas être assimilée à une pension de vieillesse. Il s'agit ici d'une prestation de reconnaissance. Dès lors, on peut s'interroger sur l'âge d'ouverture des droits, et ce d'autant plus que c'est souvent à partir de 60 ans que les anciens combattants d'Afrique du Nord rencontrent le plus de difficultés.

Pour autant, un abaissement de l'âge d'attribution a un coût significatif : 1,5 milliard de francs s'il est ramené à 60 ans. Dans ces conditions, la voie est sans doute étroite, mais il reste souhaitable d'étudier la possibilité d'un abaissement progressif de l'âge d'attribution de la retraite du combattant parallèlement à l'extinction programmée du fonds de solidarité.

c) Les incorporés de force dans les formations paramilitaires allemandes

Votre commission estime urgent de clore au plus vite la question de l'indemnisation des incorporés de force dans des formations paramilitaires allemandes (RAD-KHD). Alors que les incorporés de force dans l'armée allemande ont bénéficié d'une indemnisation accordée par la fondation " Entente franco-allemande ", les incorporés de force dans les formations paramilitaires, non titulaires du certificat d'incorporé de force, attendent toujours une telle indemnisation.

Pourtant un accord est intervenu en juin 1998 au sein de l'" Entente franco-allemande " et le recensement des éventuels bénéficiaires a été clos le 31 mars 1999. Mais le projet de budget pour 2001 ne prévoit toujours aucune inscription des crédits budgétaires correspondants. Cette situation est profondément regrettable.

9.000 personnes, principalement les femmes, sont actuellement victimes d'un imbroglio juridique, le règlement intérieur de la Fondation ne permettant pas d'accorder la moindre indemnisation aux incorporés de force dans les formations paramilitaires et se limitant aux seuls incorporés de force dans l'armée allemande.

Votre commission ne peut que déplorer une telle situation et appelle en conséquence le Gouvernement à prendre enfin ses responsabilités dans ce dossier.

d) La commémoration des morts de la guerre d'Algérie

Votre commission ne saurait clore son avis budgétaire sans évoquer la délicate question de la date de commémoration des morts de la guerre d'Algérie.

Au moment où la France vient enfin de reconnaître officiellement la guerre d'Algérie, au moment où elle entame une réconciliation avec le peuple algérien, il serait regrettable que notre pays n'accompagne pas ce travail de mémoire et de réconciliation par un hommage solennel à ceux qui sont " morts pour la France " lors de cette guerre.

Il importe donc de fixer une date de commémoration, une date de recueillement qui ne serait ni fériée, ni chômée et qui constituerait une journée de souvenir.

Le Sénat a fait des propositions. Elles n'ont cependant pas recueilli le nécessaire consensus et ont été abandonnées.

Dès lors, il appartient, à son tour, au Gouvernement de prendre ses responsabilités, en accord avec les partenaires combattants, pour trouver une issue acceptable par tous à ce débat. Et votre commission ne peut que déplorer qu'un tel débat, pourtant nécessaire, ne se traduise aujourd'hui que par de nouvelles crispations.

*

* *

Constatant que le projet de budget restait bien en retrait par rapport aux attentes du monde combattant, votre commission a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits relatifs aux anciens combattants pour 2001.

Elle a en revanche émis un avis favorable à l'adoption des articles 51, 52, 53 et 53 quater (nouveau) du projet de loi de finances pour 2001 rattachés à ce budget. Et elle a proposé de s'en remettre à la sagesse du Sénat pour les articles 53 bis et 53 ter (nouveaux).

* 1011 Journal Officiel, Débats Sénat, séance du 11 décembre 1999, p. 7411.

* 12 Journal Officiel, Débats Sénat, séance du 11 décembre 1999, p. 7412.

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