2. Cavalier social et question pendante : l'allocation supplémentaire des travailleurs âgés (article 26 A)

Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 à l'Assemblée nationale, sollicité par sa majorité plurielle, le gouvernement a présenté un amendement, adopté par les députés, présenté par Mme Elisabeth Guigou comme une « premier pas décisif » dans la direction d'une solution à la question des salariés ayant cotisé assez d'annuités pour prendre leur retraite mais ne pouvant le faire faute d'avoir atteint 60 ans. L'exposé des motifs de l'amendement explique qu'il est destiné à « permettre à tous les demandeurs d'emploi qui n'ont plus droit aux allocations de l'assurance chômage et qui ont totalisé 40 années de cotisation dans le régime de base obligatoire d'assurance vieillesse, d'accéder dignement à la retraite à l'âge de 60 ans ».

a) Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale
(1) Une double garantie de ressources

La garantie de ressources, destinée aux chômeurs non couverts par l'assurance chômage et relevant donc du régime de solidarité, et aux allocataires de l'UNEDIC dont l'indemnisation est inférieure au niveau de ressources garanti, du moment qu'ils justifient de 160 trimestres de cotisation (ou équivalents), est ainsi fondée sur :

• une allocation de solidarité spécifique 63 ( * ) (ASS) majorée avec des conditions de ressources assouplies portées à 7.300 francs pour une personne seule et à 12.027 francs pour un couple ;

• une allocation spécifique d'attente 64 ( * ) (ASA) forfaitaire relevée de 13 % et portée à 2.000 francs.

Cette double garantie de ressources permettra d'assurer aux bénéficiaires un revenu compris entre 5.000 et 5.750 francs par mois d'après le gouvernement. Le plancher de ressources sera un plancher apprécié par personne et ne prendra pas en compte les ressources du conjoint. Par ailleurs, l'amendement lève la condition d'avoir exercé cinq années d'activité salariée dans les dix années précédant leur dernier contrat de travail.

(2) Un financement à la charge du Fonds de solidarité

La mesure adoptée par l'Assemblée nationale constitue en réalité une réforme du dispositif en faveur des chômeurs en fin de droits ayant moins de 60 ans et cotisé plus de 160 trimestres.

Cette mesure nouvelle d'un coût encore non déterminé, qui pourrait avoisiner les 54 millions d'euros en 2002 (le double en 2003) et concerner 50.000 personnes, sera à la charge du Fonds de solidarité, établissement public créé en 1982 et ayant pour mission de servir les différentes allocations de solidarité en matière d'indemnisation du chômage. Il reçoit à cet effet le produit de la contribution de solidarité et une subvention d'équilibre de l'Etat. Il rembourse à l'Unedic le coût de ces allocations par le biais d'avances mensuelles.

Le budget du Fonds de solidarité, en diminution en raison de l'amélioration de la situation de l'emploi, atteint 2,2 milliards d'euros en 2002.

Budget du Fonds de solidarité

(en millions d'euros)

2000

2001

2002 (*)

Ressources

Contribution de solidarité

2.595

1.076

2.332

1.077

2.201

1.130

Charges

Allocation de solidarité spécifique

Allocation d'insertion

Allocation spécifique d'attente

Allocation de solidarité spécifique pour les bénéficiaires de l'ACCRE

2.475

2.312

77

80


6

2.332

2.170

76

78


7

2.201

1.992

124

78


7

(*) Prévision hors mesure de l'article 26 A du projet de loi de financement de la sécurité sociale 2002.

Le coût de la mesure décidée par l'article 26 A pèsera donc directement sur le budget de l'Etat. Elle n'a en réalité aucun lien avec la loi de financement de la sécurité sociale.

b) Un tour de passe-passe scandaleux
(1) Une mesure en partie réglementaire figurant dans plusieurs textes

La mesure de revalorisation du dispositif en faveur des chômeurs de moins de 60 ans ayant cotisé plus de 40 ans revêt en réalité plusieurs dimensions.

S'agissant du mode d'appréciation des ressources des bénéficiaires potentiels, un débat oppose depuis la création du dispositif en 1998 le Parlement au gouvernement. Contre l'intention du législateur, le gouvernement a en effet décidé que les ressources prises en compte pour apprécier si une personne a le droit au dispositif comprendraient les ressources du conjoint. Cet article 26 A réaffirme très fermement que le dispositif correspond à un droit personnel et que les ressources du conjoint, qu'il soit marié, concubin ou partenaire de PACS, doivent être exclus. En la matière, il n'était pas nécessaire d'avoir recours à une mesure législative. Une simple circulaire aurait suffi pour réparer ce qui apparaît comme un excès de pouvoir manifeste de l'administration en matière d'interprétation - extensive - de la loi.

S'agissant de la garantie selon laquelle les ressources du bénéficiaire de l'allocation spécifique d'attente ne pourront être inférieures à 5.000 francs, la disposition figure déjà à l'article 66 bis du projet de loi de modernisation sociale actuellement en attente de nouvelle lecture à l'Assemblée nationale après l'échec de la commission mixte paritaire. Comme cet article a été adopté conforme par le Sénat en première lecture, et comme la procédure parlementaire ne permet pas de revenir, sauf pour coordination interne, sur un article adopté conforme, le gouvernement risque de se retrouver confronté à un problème technique : si la loi de financement est adoptée définitivement avant la loi sur la modernisation sociale, c'est la rédaction de cette dernière qui l'emportera. Or comme le gouvernement modifie dans l'un et l'autre texte le même membre de phrase de l'article L. 351-10-1 du code du travail, la disposition définitive, sauf amendement à l'article 26 A du présent projet de loi de financement de la sécurité sociale, risque d'être celle du projet de loi de modernisation sociale, soit une version en retrait par rapport à celle de l'article 26 A. Une solution sera certainement trouvée au cours de la navette, mais cela illustre bien les défauts d'une législation précipitée, motivée par d'autres soucis que celui de l'intérêt des Français et du respect du droit constitutionnel.

(2) Un « cavalier social »

Le coeur de la mesure proposée, l'augmentation du montant de l'ASS et de l'ASA, constitue un « cavalier social » placé dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale à dessein par le gouvernement, mais qui, pour ne pas être invalidé par le Conseil constitutionnel, a été également intégré par le gouvernement au projet de loi de finances pour 2002 lors de l'examen, le 6 novembre 2001, par l'Assemblée nationale, des crédits du ministère de l'emploi sous forme d'un article additionnel rattaché.

Le caractère de « cavalier social » ne fait aucun doute puisque la mesure n'affecte en rien les dépenses d'un régime obligatoire de base de sécurité sociale ou d'un organisme concourant à son financement, mais pèse sur un fonds financé par une imposition de toute nature affectée et une subvention budgétaire.

Il reste d'ailleurs à préciser le coût exact de cette mesure et son financement. Sera-t-il assuré sur des crédits budgétaires, par l'augmentation de la contribution de solidarité ou par la création d'une nouvelle tuyauterie ?

c) Une réflexion à mener sur les actifs âgés

Au delà des procédures, cette mesure en faveur des actifs de moins de 60 ans s'inscrit dans un contexte de vives réflexions sur le taux d'activité des Français de plus de 55 ans 65 ( * ) .

Sans vouloir remettre en cause le caractère injuste ou pénible de situations personnelles qui se verraient considérablement améliorées par l'adoption de cette mesure, votre rapporteur pour avis souhaite seulement rappeler que celle-ci va à l'encontre de la politique qu'il conviendrait de mener en faveur des actifs de plus de 55 ans. La France détient un record en matière d'inactivité des plus de 55 ans. Elle s'est engagée au Conseil européen de Lisbonne en 1999 à oeuvrer en faveur du retour à l'activité de ces derniers. Les réflexions en cours au Conseil d'orientation des retraites, s'appuyant sur de nombreuses études en la matière, tendent à montrer qu'il convient de mettre fin aux dispositifs d'incitation au retrait d'activité, et de les remplacer par des mesures d'incitations au retour à l'activité. Cette mesure apparaît donc comme quelque peu dissonante dans cet ensemble. Ceci ne signifie pas qu'elle est injuste ou inutile, mais simplement qu'elle ne peut se faire hors d'une réforme d'ensemble promouvant l'activité.

Au total, votre rapporteur pour avis ne peut que condamner fermement la proposition du gouvernement. D'une part, elle dénote ainsi sa parfaite mauvaise foi dans la mesure où :

• elle constitue un cavalier social ;

• elle figure pour partie dans un texte en cours d'examen devant le Parlement et déjà adopté conforme par les deux assemblées ;

• elle correspond pour une autre partie à la correction d'un excès de pouvoir de l'administration en matière d'interprétation de la loi ;

• elle relève pour l'essentiel du projet de loi de finances ;

• elle a été proposée sans aucune indication de coût ou de modalités de financement.

D'autre part, l'article 26 A apparaît en décalage avec les réflexions actuellement menées en matière d'incitation à l'activité des travailleurs âgés et vient donc au moins trop tôt - illustrant a contrario les méfaits de l'immobilisme en matière de réforme des retraites - au plus à contre-courant des efforts à déployer. Bref, il ne s'agit ni plus ni moins que d'une mesure destinée à « acheter » un vote en première lecture à l'Assemblée nationale, montrant combien les difficultés actuelles du gouvernement lui font perdre le sens des réalités.

* 63 Article L. 351-10 du code du travail.

* 64 Article L. 351-10-1 du code du travail.

* 65 Voir infra .

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