INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Lors de l'absorption du ministère de la coopération par le Quai d'Orsay en 1998, votre rapporteur s'était fait l'écho de certaines interrogations : les moyens propres de la coopération pourraient-ils être préservés au sein de l'enveloppe globale du ministère des affaires étrangères ? Au fil des exercices budgétaires, ces interrogations sont devenues de véritables appréhensions. Aujourd'hui le doute n'est malheureusement plus de mise : le Quai d'Orsay ne peut sauvegarder ses dotations qu'au prix d'une réduction de l'aide au développement. Les changements récurrents de nomenclature depuis 1999 ne permettent désormais plus de prendre la juste mesure de ces redéploiements qui s'opèrent ainsi à l'insu du contrôle parlementaire .

Sans doute est-il essentiel de donner à notre diplomatie les moyens de ses ambitions. Mais en aucun cas, cette priorité ne doit se faire au détriment de notre action de coopération qui participe directement à notre rayonnement international.

Ce rapport tentera de le démontrer une fois encore dans un contexte de tension internationale où l'impératif de solidarité du Nord vis-à-vis du Sud s'impose avec une acuité encore plus grande.

I. L'IMPÉRIEUSE NÉCESSITÉ DE PRÉSERVER LES FLUX FINANCIERS EN FAVEUR DES PAYS EN DÉVELOPPEMENT

A. UNE CROISSANCE ÉCONOMIQUE DÉSORMAIS TRÈS FRAGILISÉE

Les pays en développement ont connu une forte croissance en 2000 (+ 5 %). Les risques d'une récession américaine pèseront cependant sur leurs évolutions économiques. Avant même les événements du 11 septembre dernier, le ralentissement de la conjoncture aux Etats-Unis et les conséquences négatives induites pour les exportations des pays du sud avaient conduit à ramener les projections de croissance pour les pays en développement à 3 % en 2001. Parallèlement cependant, la demande intérieure bénéficie d'un redressement de la consommation privée sous l'effet d'une inflation durablement maîtrisée et de la reprise de l'investissement productif encouragé par la baisse des taux d'intérêt.

Ces données générales jouent de manière très différente en fonction de l'évolution du cours des matières premières dont le rôle reste encore déterminant pour les pays en développement. Si l'orientation des prix pétroliers (25 dollars le baril en moyenne en 2001) bénéficie aux pays producteurs, la chute du cours des autres produits de base représente un facteur potentiel de crise. Les prix ont en effet atteint, pour de nombreux produits, leur niveau le plus bas depuis dix ans ; les stocks accumulés et une production souvent excédentaire ne laissent guère présager une reprise à prochaine échéance.

Ainsi les pays en développement apparaissent de plus en plus comme une zone hétérogène .

En Asie du sud-est , les perspectives de croissance -autour de 3 % en 2001- devraient être moins favorables pour les pays comme Singapour ou la Malaisie dont les exportations représentent 100 % du PIB, en raison notamment du ralentissement cyclique dans le secteur de l'électronique. Moins dépendant des exportations, le Cambodge, le Vietnam et le Laos devraient, pour leur part, connaître une amélioration de la production agricole après les effets sévères des inondations et de la sécheresse en 2000, ainsi que d'une progression des investissements étrangers (en particulier au Vietnam) et de la mise en place de réformes économiques.

Au Moyen-Orient et au Maghreb , la reprise de l'activité amorcée en 2000, demeure freinée par l'aggravation des tensions dans la région, et en particulier l'acuité du conflit israélo-palestinien. Cependant, la conjoncture se présente sous des auspices plus favorables pour les Etats du Maghreb. L'Algérie continue de tirer parti de recettes pétrolières substantielles. Au Maroc, après deux années de stagnation dues à la sécheresse, la croissance devrait s'élever à 6 % en 2001 (contre 0,3 % en 2000) en raison de l'amélioration de la production agricole à la faveur de meilleures conditions climatiques. En Tunisie, l'activité reste soutenue (+ 5 %) dans un environnement macroéconomique plutôt équilibré.

L'Afrique subsaharienne qui compte 41 pays sur les 61 de la zone de solidarité prioritaire - ZSP- regroupant les bénéficiaires de l'aide française, devrait être moins touchée que les autres régions du monde en développement, par le ralentissement de l'activité industrielle mondiale en raison de sa faible intégration au commerce international des produits manufacturés. Même si les cours des produits de base (à l'exception du pétrole) demeurent déprimés, la croissance devrait atteindre 3 % en 2001 contre 2,7 % en 2000.

Les deux géants de l'économie africaine -l'Afrique du Sud et le Nigeria- connaissent des évolutions contrastées. Soutenue par la demande intérieure, la croissance de l'Afrique du Sud (40 % du PIB de la zone) devrait s'élever à 3,2 %. Parallèlement, l'amélioration des termes de l'échange -en particulier grâce à la stabilisation du prix de l'or- permettra sans doute le retour à des comptes extérieurs excédentaires. Quant au Nigeria (12 % du PIB de la zone), la hausse des recettes pétrolières ne semble pas s'être diffusée aux revenus des ménages qui ont plutôt pâti d'une recrudescence de l'inflation (liée à la hausse des dépenses publiques et au renchérissement des coûts du transport). L'atonie de la consommation intérieure, conjuguée au moindre dynamisme des échanges extérieurs, pèsera sur la croissance, ramenée de 2,8 % en 2000 à 2 % en 2001.

Les partenaires traditionnels de la France en Afrique subsaharienne -les pays de la zone franc - qui sont aussi les principaux bénéficiaires de notre aide, ont connu une embellie en 2001. Le taux de croissance devrait en effet s'élever à 4,4 % contre 2 % en 2000, mais il recouvre en fait de fortes disparités entre l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique centrale.

La conjoncture au sein de l'Union économique et monétaire de l'Afrique de l'Ouest (UEMOA) a connu un net ralentissement en 2000. Après avoir atteint 4 % en 1999, la croissance ne devrait pas dépasser 1,3 % en 2001, en raison, principalement, de la profonde récession ivoirienne. La Côte d'Ivoire, en effet, pèse de manière déterminante dans son environnement régional (22 % de la population, 40 % du PIB, 50 % des exportations). Indépendamment des répercussions économiques de la crise politique ivoirienne, la zone dans son ensemble, souffre de la faiblesse des cours des cultures de rente (café, cacao, coton).

L'orientation défavorable des prix conjuguée à la baisse de la production, en particulier dans les Etats sahéliens particulièrement touchés par la sécheresse, a pesé sur les revenus ruraux et, par conséquent, sur la consommation intérieure. Le pouvoir d'achat pâtit par ailleurs de certaines tensions inflationnistes (hausse des prix de 3,7 % au terme du premier trimestre 2001 contre 0,5 % pour la même période de l'année précédente) liée aux augmentations successives du prix du pétrole, ainsi qu'à la hausse des prix des denrées alimentaires induites par les mauvaises récoltes.

La contraction de la production agricole s'est traduite par une réduction des exportations de produits primaires (- 9,6 % en 2001 contre 7,1 % en 2000), sauf pour le Sénégal qui a, au contraire, bénéficié d'une progression de ses exportations (+ 5,6 %) -notamment pour le coton, l'arachide et les phosphates. Le solde de la balance commerciale de la zone UEMOA, légèrement excédentaire en 2000, s'est ainsi dégradée en 2001 (- 1,7 %).

Dans ce contexte défavorable, les finances publiques, tributaires de la réduction des recettes fiscales, se dégradent (le solde budgétaire des Etats de la zone devrait représenter 0,8 % du PIB contre 2,1 % en 2001). Enfin, l'investissement public recule, singulièrement en Côte d'Ivoire et au Togo.

Les perspectives économiques demeurent largement subordonnées à l'évolution de la conjoncture en Côte d'Ivoire et en particulier au retour espéré des financements internationaux consécutifs à la normalisation des relations entre Abidjan et les institutions de Bretton Woods.

Bénéficiaires de la hausse du cours du pétrole, les Etats de la Communauté économique et monétaire en Afrique centrale devraient connaître une croissance de 6 % contre 3,2 % en 2000. Outre l'évolution très favorable des prix, la production de pétrole brut devrait progresser en raison de l'exploitation de nouveaux gisements au Congo et de l'extension des puits en activité en Guinée équatoriale (ainsi, dans ce dernier pays, la croissance pourrait atteindre 70 %).

Les recettes budgétaires bénéficieront de l'augmentation des revenus pétroliers mais aussi, dans le cadre d'une politique budgétaire devenue plus rigoureuse , des mesures engagées par les régies financières pour améliorer le recouvrement des impôts et des taxes.

L'excédent extérieur courant devrait, quant à lui, se contracter sous l'effet du dynamisme des importations lié à la croissance.

Après la récession des années 80, les pays africains ont montré leur capacité à renouer durablement avec la croissance. Cette évolution dément l' « afropessimisme » trop souvent répandu dans notre pays. Il n'en reste pas moins que l'augmentation du PIB n'est pas à la mesure d'une progression démographique très rapide . Certes, la Banque mondiale projette une hausse annuelle de 1,3 % du revenu par habitant pendant les dix prochaines années, soit un renversement significatif des tendances observées au cours de la dernière décennie, mais cette évolution ne représente encore que le tiers des résultats enregistrés en moyenne pour l'Asie.

L'accélération de la croissance dépend pour une large part de la mobilisation de l'épargne intérieure mais aussi d'une hausse des financements extérieurs.

B. LES ENJEUX CONSIDÉRABLES DE L'ALLÉGEMENT DE LA DETTE POUR LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT

Si le fléchissement ininterrompu de l'aide publique au développement depuis dix ans ne devrait malheureusement pas être durablement enrayé, l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés représente, pour les pays créanciers, un effort considérable dont les implications soulèvent cependant encore beaucoup d'inconnues.

. L'aide publique au développement

AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT COMPARATIVE DE
LA FRANCE ET DES PAYS DU G7

(Montants en millions d'euros)

 

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000*

 

Montant

% du

PIB

Montant

% du PIB

Montant

% du PIB

Montant

% du PIB

Montan

% du PIB

Montant

% du PIB

Montant

% du PIB

France

7.159

0.64

6.533

0.55

5.950

0.48

5.584

0.45

5.122

0.40

5.291

0.39

4.454

0.32

Royaume Uni

2.703

0.31

2.443

0.28

2.555

0.27

2.985

0.26

3.447

0.27

3.238

0.24

4.837

0.31

Japon

95.757

0.29

11.211

0.28

7.537

0.20

8.286

0.22

9.491

0.28

14.382

0.35

14.174

0.27

Allemagne

5.765

0.34

5.822

0.31

6.070

0.33

5.236

0.28

4.978

0.26

5.176

0.26

5.462

0.27

Canada

1.903

0.43

1.599

0.38

1.433

0.32

1.900

0.36

1.508

0.29

1.595

0.28

1.869

0.25

Italie

2.287

0.27

1.256

0.15

1.929

0.20

1.090

0.11

2.032

0.20

1.695

0.15

1.484

0.13

Etats-Unis

8.394

0.14

5.700

0.01

7.488

0.12

5.461

0.08

7.837

0.10

8.583

0.10

10.396

0.10

Total CAD

50.023

0.30

45.559

0.27

44.270

0.25

42.129

0.22

46.444

0.23

52.975

0.24

57.573

0.22

* chiffres provisoires

Les comparaisons précédentes le montrent, la position éminente de la France parmi les autres grands bailleurs bilatéraux tend à s'estomper. Or l'effort financier de notre pays lui donnait un crédit certain pour peser sur les grandes orientations retenues de la communauté internationale dans le domaine du développement.

L'érosion régulière de notre aide permettra-t-elle encore à notre pays de faire entendre sa voix à l'avenir ?

D'après les données du comité d'aide au développement de l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), l'aide publique au développement versée par la France s'est élevée en 2000 à 30,043 milliards de francs, représentant 0,33 % du PIB, soit une réduction de 13,9 % par rapport à l'année précédente.

Cette réduction s'explique pour partie, il est vrai, par le retrait des montants destinés aux territoires d'outre-mer qui n'ont en effet que peu de rapport avec l'aide au développement. A structure constante (hors territoires d'outre-mer), la réduction est ainsi ramenée à 2,1 %.

Toutefois, cette nouvelle diminution apparaît à rebours des choix de deux de nos partenaires européens qui, à l'instar de la France, entendent conduire une vraie diplomatie mondiale : le Royaume-Uni (+ 35,6 % -hausse qui s'explique par la rapide montée en puissance du nouveau ministère de la coopération) et l'Allemagne (+ 6 %).

La diminution de la contribution française s'explique par trois séries de facteurs : la baisse des aides financières (les concours d'ajustements structurels sont ainsi passés de 2,6 milliards de francs en 1994 à 0,6 milliard de francs en 1999) ; la diminution du volume des annulations de dettes de 8,7 milliards de francs en 1994 à 5,2 milliards de francs en 1999 ; la contraction drastique de nos effectifs d'assistance technique au cours des dix dernières années.

D'après les informations transmises par le gouvernement, les perspectives pour 2001 devraient se présenter sous des auspices plus favorables en raison des mesures prises en faveur du traitement de la dette extérieure. Ainsi l'aide publique pourrait croître de 3 milliards de francs tandis que sa part au sein du PIB passerait de 0,33 % à 0,35 %

. la dette

Lancée au sommet du groupe de sept pays les plus industrialisés à Lyon en 1996, l'initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE) cherche à rétablir la solvabilité des pays bénéficiaires en annulant, par des mesures de caractère exceptionnel, la part de leur dette extérieure jugée incompatible avec leur développement économique. Cette initiative a été renforcée en juin 1999 afin d'accroître le montant des créances annulées et d'étendre le champ des pays bénéficiaires.

Les créances concernées représentent les créances commerciales éligibles à un traitement en Club de Paris (qui regroupe les créanciers publics). Sont exclus : les crédits accordés dans le cadre de l'aide au développement, les crédits à court terme ou à vue, les crédits au secteur public ne bénéficiant pas de la garantie de l'Etat et les crédits au secteur privé.

La mise en oeuvre se déroulera en deux étapes :

- le « point de décision », date à laquelle le pays est déclaré éligible à l'initiative par les conseils d'administration du FMI et de la Banque mondiale ;

- deux ou trois ans plus tard, le « point d'achèvement », date d'application effective des mesures de réduction de dette.

Toutefois, pour ne pas pénaliser les pays déclarés éligibles, des mesures dites « intérimaires » seront prises dès le point de décision pour alléger le service de la dette jusqu'au point d'achèvement.

Quel bilan peut-on aujourd'hui dresser de l'effort ainsi consenti par les créanciers ?

En juin 2001, 23 pays 1( * ) avaient atteint leur « point de décision » qui leur permet de bénéficier d'allègements intérimaires du service de la dette sous la forme d'accords de rééchelonnement au sein du Club de Paris ou de refinancement par dons du service de la dette due aux institutions financières internationales. Ils bénéficient d'ores et déjà d'un allégement du service de leur dette (20 milliards de dollars en valeur actuelle nette et 34 milliards de dollars en valeur nominale) correspondant aux deux tiers de l'allégement total qui sera accordé dans le cadre de l'initiative PPTE et à près de la moitié de l'encours total de la dette extérieure de ces pays.

Les ressources dégagées par l'allégement de dette ont vocation à réduire la pauvreté dans les pays bénéficiaires. D'après certaines estimations, les dépenses à caractère social devraient augmenter dans ces pays d'environ 1,7 milliard de dollars pendant les années 2001-2002 -à raison de 40 % pour l'éducation, 25 % pour la santé, le solde se répartissant principalement entre la lutte contre le sida, le développement rural, l'approvisionnement en eau, la bonne gouvernance, la construction d'infrastructures routières.

Deux pays ont aujourd'hui atteint leur point d'achèvement -qui permet l'annulation définitive de la partie du stock de dette concernée par l'initiative PPTE : l'Ouganda et la Bolivie. Sept autres pourraient l'atteindre d'ici à la fin de l'année 2001 et 12 en 2002.

L'initiative PPTE devrait représenter un coût global de 29,3 milliards de dollars en valeur actuelle (53 milliards de dollars en valeur nominale) dont la moitié à la charge des créanciers multilatéraux (2,4 milliards de dollars pour le FMI, 7 milliards de dollars pour la Banque Mondiale, 6 milliards de dollars pour les banques régionales de développement) 2( * ) .

Parallèlement, de nombreux pays créanciers annulent la dette au titre de l'aide publique et certains d'entre eux -dont la France- réduisent également la dette commerciale au-delà du niveau requis dans le cadre de l'initiative PPTE.

L'allégement global de la dette issue de la conjonction de l'initiative PPTE et des mécanismes traditionnels s'élèvera à plus de 53 milliards de dollars sur la base d'un stock de dette initial de 74 milliards de dollars ;

Le service de la dette devrait ainsi passer de 27 % des recette publiques des pays pauvres à moins de 10 % d'ici 2005.

. Une forte implication de la France

Notre pays supportera environ 2 milliards d'euros en valeur nominale du coût global de l'initiative PPTE.

La France qui a joué un rôle moteur dans le lancement de l'initiative PPTE à Lyon en 1996, s'est engagée en outre, comme la plupart des créanciers bilatéraux, à annuler la totalité des créances d'aide publique au développement (Cologne, juin 1999), soit 3,5 milliards d'euros, ainsi que la totalité des créances commerciales éligibles au Club de Paris, et non la seule partie de ces créances considérée comme non « soutenable » par les pays endettés (Tokyo, janvier 2000), soit 1 milliard d'euros.

Par ailleurs, lors de la clôture du sommet Afrique-France à Yaoundé le 19 janvier 2001, le Président de la République a annoncé la décision de la France d'accélérer une partie des allégements pour les pays bénéficiaires à l'initiative PPTE : le taux d'annulation des créances commerciales sera porté de 90 à 100 % dès qu'un pays sera reconnu éligible par le FMI et la Banque Mondiale. Cette mesure devrait conduire à annuler plus tôt environ 500 millions d'euros de créances.

Compte tenu de l'effort additionnel bilatéral français dans le cadre de la mise en oeuvre de l'initiative PPTE (plus de 5 milliards d'euros) ainsi que des mesures liées aux décisions du Club de Paris indépendantes de l'initiative PPTE (3,5 milliards d'euros), le coût total des allégements et annulations de dettes devrait donc dépasser pour la France 10 milliards d'euros .

L'utilisation des capacités financières dégagées par les annulations de dettes représentent un enjeu essentiel au regard de la politique de développement.

A la différence de l'aide-projet affectée à une opération précise dans un objectif en principe bien déterminé, l'annulation de la dette laisse une marge de manoeuvre complète aux pays bénéficiaires. Par le passé, certaines dérives ont été observées (laxisme de la gestion publique , accaparement de la marge dégagée par une poignée de privilégiés) qui ne doivent pas se renouveler. Ce serait en effet donner une prime aux mauvais payeurs aux dépens des Etats qui se sont scrupuleusement acquittés de leurs obligations au prix, souvent, de lourds sacrifices pour leur population.

Sans doute, depuis plusieurs années, les conditions posées par la communauté internationale se sont multipliées. Mais elles ont tendu davantage à enserrer les pays bénéficiaires dans un formalisme consommateur de temps et de personnels, qu'à assurer un contrôle vraiment efficace.

L'équilibre entre un contrôle légitime des ressources libérées par les annulations de créance et la nécessaire souplesse de gestion -qui seule peut responsabiliser les Etats bénéficiaires- représente l'un des principaux défis de la mise en oeuvre de l'initiative PPTE.

Notre pays a, pour sa part, conçu pour le volet bilatéral d'annulation de la dette, un système original sous la forme du contrat de désendettement et de développement (C2D).

Plutôt que des annulations au sens strict, ce mécanisme permettra le refinancement par dons des échéances dues au titre des créances. Il ne s'appliquera qu'au service de la dette contractée dans le cadre de l'aide publique au développement. Les autres créances seront simplement annulées.

Le contrat sera conclu entre le gouvernement français et les autorités de l'Etat bénéficiaire de l'initiative PPTE lorsque ce pays aura atteint son point d'achèvement. Il devra, d'une part, poser le principe de refinancement par dons des remboursements dus au titre de la dette, d'autre part, définir les modalités d'utilisation des sommes budgétaires ainsi libérées. Il faut souligner, pour s'en féliciter, que Bercy ne sera pas le seul maître d'oeuvre de cette négociation : le Quai d'Orsay y sera en effet étroitement associé.

Au reste, la mise en oeuvre du contrat relèvera d'un comité d'orientation et de suivi coprésidé par l'ambassadeur et le gouvernement local. L'instruction des opérations financées par les contrats de désendettement et de développement sera répartie entre l'Agence française de développement et le service de coopération et d'action culturelle selon leurs compétences respectives.

Les priorités définies par les contrats de désendettement et de développement -conclu en principe pour une durée de trois ans- varieront naturellement d'un pays à l'autre. Elles devront toutefois tenir compte des quatre grands domaines d'affectation retenus par le comité interministériel de la coopération et du développement (CICID) : l'éducation de base et la formation professionnelle, les soins de santé primaires et la lutte contre les grandes endémies, les équipements et infrastructures des collectivités locales, l'aménagement du territoire et la gestion des ressources naturelles.

La mise en oeuvre de l'initiative pour les pays pauvres très endettés, soulève trois séries d'interrogations :

- d'une part, alors que le ralentissement de la croissance pèsera inévitablement sur les enveloppes budgétaires des Etats industrialisés, l'effort consenti pour la réduction de la dette n'aura-t-il pas, pour contrepartie, la contraction de l'aide-projet ? Les principaux bailleurs et, en particulier la France, se sont engagés sur le principe d'additionnalité : l'allégement de la dette ne se substituera pas aux versements de l'aide-projet, mais la complètera ;

- d'autre part, les pays bénéficiaires de l'initiative PPTE pourront-ils obtenir de nouveaux prêts ? La question n'a pas encore été tranchée mais les instances multilatérales inclinent vers l'exclusion de nouveaux crédits, même concessionnels. Une telle position aurait cependant pour conséquence un tarissement des transferts financiers en particulier vers certains pays à revenu intermédiaire comme la Côte d'Ivoire, le Cameroun ou le Congo qui verraient dès lors leurs capacités de développement sérieusement entravées ;

- compte tenu de l'implication de nombreux intervenants dans des cadres différents -multilatéral, bilatéral- les modalités de contrôle de l'affectation des ressources dégagées par l'initiative PPTE devraient faire l'objet d'une concertation afin d'harmoniser, dans la mesure du possible, les procédures et les objectifs.

Enfin, compte tenu des sommes en jeu, votre rapporteur juge indispensable que les conditions d'affectation des ressources fassent l'objet d'une information régulière et précise des commissions intéressées du Parlement .

C. UNE ACTION TOUJOURS EN QUÊTE DE RÉELLES PRIORITÉS

La réduction de l'aide devrait contraindre à une plus grande sélectivité. Or, la réforme de la coopération française a conduit à privilégier une tout autre voie : le nombre de bénéficiaires théoriques de l'aide a été élargi dans le cadre de la zone de solidarité prioritaire tandis que les domaines d'action qu'entend privilégier notre pays n'apparaissent pas clairement.

. A quoi sert le CICID ?

La définition de vraies priorités géographiques et sectorielles relève de l'autorité politique. Or, il faut le reconnaître, le comité interministériel de la coopération et du développement (CICID) chargé précisément par la réforme d'assumer cette mission, ne joue absolument pas son rôle.

La rareté et l'irrégularité de ses réunions (le CICID s'est tenu deux fois depuis 1998 - le ministre délégué à la coopération et à la francophonie a indiqué qu'il se réunirait avant la fin de l'année...), la composition inadaptée de cette instance : aucune condition n'est réunie pour permettre à cette instance de donner à notre politique de coopération l'impulsion indispensable.

. La zone de solidarité prioritaire est-elle vraiment prioritaire ?

La zone de solidarité prioritaire réunit 61 pays alors que l'ancien champ de notre politique de coopération, avant 1998, se limitait à 37 pays.

L'extension du cadre d'action ne s'est pourtant accompagnée d'aucun moyen supplémentaire. Au contraire, la part de la ZSP au sein de l'aide totale a tendu à décliner depuis la réforme de la coopération, passant de 50 % à 44 %.

Parallèlement, la part de l'Afrique au sein de l'aide bilatérale totale n'a cessé de se réduire : de 56,5 % en 1995 à 50,2 % en 1999, et pour l'Afrique subsaharienne sur la même période, de 38,7 % à 34,2 %.

Aide publique au développement

reçue par les pays de la zone de solidarité prioritaire

(en millions de dollars)

 

1995

1996

1997

1998

1999

APD française reçue

3 037

2 775

2 378

1 861

1 821

APD globale reçue

19 003

17 608

15 727

16 107

14 195

La mise en oeuvre de moyens réduits dans un cadre géographique élargi constitue la principale incohérence de la réforme . Incohérence dont nous devrons payer le prix dans les années à venir si le champ d'action de notre coopération n'est pas révisé.

En effet, ce décalage entre les ambitions et les moyens ne met pas seulement en cause la cohérence interne de la réforme. Il soulève un double risque. Risque d'inefficacité d'abord : l'application de moyens réduits à un plus grand nombre de pays entraîne la multiplication d'opérations peu significatives, l'éparpillement, la dispersion et finalement la dilution de notre aide. Risque politique ensuite ; en effet, l'espoir suscité dans certains pays par leur incorporation dans la zone de solidarité prioritaire peut être déçu et nourrir une certaine amertume vis-à-vis de la France tandis que certains des anciens pays du « champ » appréhendent la banalisation de nos relations bilatérales. A vouloir être présent partout, ne risque-t-on pas de ne compter nulle part ? L'influence de la France n'a rien à gagner à cette dispersion.

D. UNE INFORMATION TRÈS LACUNAIRE SUR NOTRE AIDE

La réforme de la coopération a privilégié davantage les modifications de structures qu'une réflexion de fond sur le développement. Votre rapporteur regrette que notre politique de coopération conduite sur plusieurs décennies n'ait pas donné lieu à une analyse rétrospective des faiblesses mais aussi des succès. Un tel travail aurait contribué à mieux éclairer les choix actuels des gouvernants.

Aujourd'hui encore, les données relatives à notre aide apparaissent fragmentaires et disparates. Elles ne rendent pas justice à certains résultats remarquables et ne permettent pas en tout cas de porter un regard d'ensemble sur notre politique.

Il est ainsi impossible de disposer de données complètes permettant d'établir des comparaisons de secteur à secteur, de pays à pays où les interventions des autres bailleurs seraient également prises en compte. Tout ou presque reste à faire pour établir un « tableau de bord » de la coopération. Or un tel instrument constitue une condition indispensable pour permettre aux pouvoirs publics de fixer des priorités réelles.

Pourquoi la coopération ne disposerait-elle pas, à l'instar d'autres administrations ou ministères, d'un « observatoire » ? Il y a là aujourd'hui une lacune considérable dont le brouillage actuel de nos actions apparaît une conséquence directe.

E. L'INDISPENSABLE RÉFORME DE L'AIDE EUROPÉENNE

L'aide communautaire a plus que doublé au cours de la dernière décennie, passant d'un total de 4,2 milliards d'euros engagés en 1988 à 8,6 milliards d'euros en 1998 (soit 6,8 milliards d'euros pour les pays en développement et 1,8 milliard pour les autres pays). Elle est financée, d'une part, par le budget communautaire (6,5 milliards d'euros en 1999 gérés par la voie de programmes géographiques 3( * ) ou thématiques), d'autre part, par le Fonds européen de développement (FED) créé par la convention de Lomé. Ce fonds destiné exclusivement aux 71 pays ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique) est alimenté par des contributions spécifiques de la part des Etats membres.

L'aide européenne souffre d'une faiblesse majeure : l' excessive lenteur des décaissements . Le montant des reliquats sur le FED s'élève à près de dix milliards d'euros -que les Quinze ont décidé d'engager au cours des sept prochaines années, en complément des fonds accordés au titre du neuvième FED (13,5 milliards d'euros). Le volume des crédits engagés mais non décaissés apparaît encore plus élevé pour les zones non couvertes par le FED -principalement l'Amérique latine et la Méditerranée. Il atteignait en effet, fin 1999, plus de 20 milliards d'euros. Les délais de mise en oeuvre des projets peuvent dans certains cas excéder 8 ans.

En fait, 35 à 40 % seulement des ressources disponibles ont été à ce jour dépensés.

La Commission avait admis elle-même que la « gestion est devenue extrêmement complexe et onéreuse en raison de l'hétérogénéité des procédures et l'éclatement ou l'inadéquation des systèmes de communication ».

Ces dérives ont jeté un discrédit certain sur l'aide extérieure communautaire. Une réorientation s'imposait. Les Etats membres et la Commission en ont récemment pris conscience. Ils ont souhaité, en novembre 2000, à l'initiative de la présidence française , jeter les nouveaux fondements d'une politique européenne de développement. Parallèlement, la Commission a engagé un réel effort de rénovation et de rationalisation de la gestion de l'aide extérieure sur lequel vos rapporteurs ont pu recueillir certains éclaircissements lors de leur déplacement à Bruxelles.

Une déclaration commune du Conseil et de la Commission, adoptée lors du Conseil « développement » du 10 novembre 2000, a permis de fixer en quelque sorte la charte de l'action de l'Union en matière de développement. Deux orientations majeures se dégagent de ce texte. En premier lieu, il pose pour principe une division du travail entre la Commission et les Etats membres en fonction de leurs avantages comparatifs . Il recentre l'activité de la Communauté sur dix domaines d'intervention prioritaires : le lien entre le commerce et de développement 4( * ) , la promotion de l'intégration et des coopérations régionales, l'appui aux politiques macroéconomiques et l'accès équitable aux services sociaux, le développement des moyens de transport, la sécurité alimentaire et le développement rural durable, le renforcement des capacités institutionnelles et de la démocratie. Au vu de cette liste, la Communauté continue d'embrasser, il est vrai, un champ très large d'activités. La définition de vraies priorités représente décidément un exercice difficile. Ce constat appliqué à la politique nationale vaut aussi, on le voit, à l'échelle européenne.

Ce « recentrage » doit, en second lieu, s'accompagner d'un changement de méthode : la recherche d'une coordination et d'une complémentarité accrues entre les opérations des Etats membres et celles de la Communauté, d'une part, entre la Communauté et les autres donateurs internationaux, d'autre part. La déclaration prévoit notamment la « possibilité de déléguer la gestion des crédits communautaires aux Etats membres ou à leurs agences d'exécution en cas de cofinancements, comme le prévoit l'accord interne sur le 9 ème FED ».

Les Quinze ont apporté par ailleurs leur soutien au processus de refonte de la gestion de l'aide extérieure engagé par la Commission. Celle-ci a, en effet, décidé d'engager en 2000 une réforme de la gestion de son aide extérieure visant trois objectifs principaux :

- réduire de manière significative le temps nécessaire à la mise en oeuvre des projets approuvés ;

- améliorer la qualité de gestion des projets et leur condition de contrôle ;

- renforcer l'impact et la visibilité de la coopération européenne.

Le plan d'action envisagé par la Commission repose sur trois grands volets :

- l'unification de la programmation de l'aide extérieure conformément aux objectifs des politiques de l'Union européenne ;

- le développement d'une culture administrative commune au sein des services de la direction des relations extérieures ;

- la création d'un organe unique, Europeaid , chargé de la gestion du projet depuis l'identification jusqu'à l'exécution et, parallèlement, une plus grande déconcentration de l'aide (tout ce qui peut être mieux géré et décidé sur place, près du terrain, ne devrait pas l'être à Bruxelles). A la fin 2003, les 128 délégations de la Commission dans le monde devraient gérer les programmes d'aide extérieure dans les pays relevant de leur compétence.

La mise en place, en janvier 2001, d'Europeaid constitue incontestablement la pièce maîtresse de cette réforme.

Europeaid a pris la place du Service commun des relations extérieures institué en 1998 pour assurer une exécution plus efficace du programme d'aide aux pays tiers. Le nouvel organisme s'est vu chargé de la mise en oeuvre de 80 % de l'aide extérieure de l'Union (les exceptions concernent les instruments de pré-adhésion tels que Phare, la politique étrangère et de sécurité commune et l'aide d'urgence). Il assure en conséquence la responsabilité de toutes les phases du cycle d'opérations décidées dans le cadre des programmations établies par la direction générale du développement et par la direction générale des relations extérieures : identification et instruction des projets, préparation des décisions de financement, mise en oeuvre, évaluation.

L'Office disposera d'un effectif total de 1 200 personnes. Lorsque le transfert des responsabilités et des personnels vers les délégations sera achevé, la moitié environ de ces personnels sera redéployé vers les délégations.

Europeaid est placé sous la double autorité des commissaires en charge des relations extérieures d'une part, du développement et de l'aide humanitaire d'autre part, l'un et l'autre membres du Comité de direction (respectivement avec le titre de président et d'administrateur général).

Votre rapporteur, à l'issue d'une mission accomplie à Bruxelles, destinée à réunir les informations complémentaires sur la réforme engagée de l'aide communautaire, souhaiterait présenter ses réflexions sous la forme de trois observations.

. Le chantier de la simplification

L'efficacité de l'aide communautaire dépendra, dans une large mesure, de la simplification des procédures. Or, le chantier est immense : 27 000 contrats en cours dans 132 pays avec 2 000 appels d'offre par an ; 70 lignes budgétaires sur quelque 87 bases juridiques différentes. Plusieurs de ces lignes ont été créées sous la pression du Parlement européen. Cette multiplicité est source de lourdeurs bureaucratiques et de nombreux délais. Quelques progrès ont d'ores et déjà été accomplis ; ainsi le nombre de procédures de passation de marché est passé en deux ans de 80 à 8... Mais c'est, aujourd'hui, l'architecture d'ensemble des lignes budgétaires qui doit être revue.

Un effort de simplification et de rationalisation particulier doit porter sur les relations nouées entre la Commission et les ONG . L'aide versée à ces dernières dépasse 200 millions d'euros par an. Cependant, le nombre des dossiers traités par les services de la Commission -de l'ordre du millier- ne leur permet pas toujours d'assurer un contrôle rigoureux des fonds.

En outre, les conditions d'éligibilité d'une ONG à l'aide communautaire restent très ouvertes -une ONG doit être légalement enregistrée et bénéficier d'une certaine notoriété. Cette dernière condition se prête à une marge d'appréciation très large. Lié à la diversité des droits nationaux en matière d'association, ce cadre souple conduit parfois à accorder une aide à des organisations dont la vocation ne correspond pas aux objectifs poursuivis par l'Union.

. Les interrogations soulevées par l'augmentation des effectifs et le renforcement du rôle des délégations de l'Union.

La réforme de l'aide communautaire reposera sur une déconcentration, sous la responsabilité d'Europeaid.

Le renforcement du rôle des délégations de l'Union représente, on l'a vu, un axe fort de la réforme. Il reposera sur une déconcentration, organisée sous les auspices d'Europeaid, vers les délégations de l'ensemble des opérations qui peuvent être mieux gérées sur place, ainsi que sur une augmentation progressive de leurs effectifs . En effet, la Commission procédera à la création de 400 postes supplémentaires dont 250 pour la direction des relations extérieures -en raison de la mise en place d'Europeaid. Dans un deuxième temps, sur une période de 3 ans, 600 fonctionnaires seront redéployés vers les délégations. Jusqu'à présent, le manque de moyens humains sur le terrain pouvait constituer pour l'Union une incitation assez forte à recourir aux services des Etats membres, favorisant ainsi la recherche des complémentarités. Désormais dotée de ressources nécessaires, ne sera-t-elle pas conduite à mener seuls les projets qu'elle finance ?

Le Conseil « affaires générales » du 22 janvier 2001 a certes fixé des lignes directrices pour le renforcement de la coordination sur le terrain entre les Etats membres de la Commission -réunions régulières, coordination appliquée à toutes les étapes non seulement de la programmation mais aussi des projets, désignation, le cas échéant, d'un « chef de file » pour suivre la coordination dans un secteur particulier. Le Conseil avait déjà adopté en 1998, des orientations sur le renforcement de la coordination opérationnelle. La réitération, trois ans plus tard, des mêmes principes montre la difficulté de l'exercice.

La volonté de recentrer l'activité de l'Union sur les six domaines où elle offre une valeur ajoutée permettra-t-elle d'avancer dans cette voie ? Incontestablement elle marque une prise de conscience par les Etats membres et la Commission des risques d'un éparpillement excessif. On l'a vu cependant, le champ ouvert à la Communauté demeure très large. En outre, il recoupe sur plusieurs aspects les priorités que la France a assigné à sa politique de développement, qu'il s'agisse de l'intégration et de la coopération régionale, de l'accès équitable aux services sociaux ou encore du développement rural durable. Enfin, comme l'a souligné le commissaire européen devant votre rapporteur, l'Union n'entend pas se laisser enfermer dans le rôle de simple payeur, voué aux projets les plus dispendieux. Elle souhaite faire prévaloir une démarche plus exigeante : « On ne veut pas payer des coûts récurrents ».

L'accroissement des moyens des délégations concourra à cette nouvelle ambition. Une fois encore, la perspective de transformation des délégations en véritables missions de coopération, loin de favoriser les complémentarités, risque d'aiguiser la concurrence avec les représentations nationales. Trop souvent, l'Union européenne est perçue par les bénéficiaires comme un seizième Etat membre. L'action communautaire doit être encore plus sélective. Compte tenu des compétences reconnues à la Commission dans le domaine des négociations commerciales, elle pourrait concentrer son action sur l'intégration des pays en développement dans l'économie mondiale (coopération dans les domaines liés au commerce et à la préparation aux négociations multilatérales).

. Quel rôle pour la France ?

La participation française à l'aide européenne représente actuellement 14 % du montant total de notre aide publique au développement contre 11 % en 1994. Cette évolution s'explique principalement par l'importance de la quote-part française -24,3 %- au Fonds européen de développement qui place notre pays au premier rang des contributeurs européens.

A l'occasion des discussions relatives au financement du neuvième FED dans le cadre des accords de Cotonou signés le 23 juin 2000, notre pays aurait souhaité un rééquilibrage de sa clé de contribution dans un sens plus conforme à sa part dans le budget communautaire.

Pour préserver l'enveloppe destinée aux pays ACP, contestée par une partie de nos partenaires européens, la France a cependant dû consentir, à l'heure où elle prenait la présidence de l'Union, au maintien des clés de répartition.

Toutefois, la Commission a récemment fait part de son intention de soumettre au Conseil avant 2003 un examen des avantages et des inconvénients d'une budgétisation du FED. L'intégration de l'aide aux pays ACP au sein du budget communautaire permettrait un partage des charges proportionnel aux participations des Etats membres au budget et donc une répartition plus équitable que celle retenue dans le cadre d'un fonds dont les dotations doivent régulièrement être renégociées.

La relative inefficacité de l'aide communautaire dont témoigne la part considérable des engagements non liquidés a conduit certains à se demander s'il était opportun pour la France de maintenir son effort financier et s'il ne serait pas plus efficace de privilégier le canal bilatéral. Le rapport de M. Yves Tavernier au Premier ministre 5( * ) s'est fait l'écho de cette interrogation : « l'Europe n'est pas à la hauteur de ses engagements et de ses responsabilités. Son cadre fonctionnel, sa bureaucratie centralisée, ses lourdeurs procédurières et ses contradictions limitent son influence dans le débat sur les valeurs, les objectifs et les moyens. La France, premier contributeur au FED, est en droit de s'interroger sur la lisibilité et l'efficacité de sa dotation ».

Le renforcement de l'influence française peut prendre différentes formes. Il est possible et souhaitable en premier lieu d'étendre les délégations de crédit comme le permet le neuvième FED sur la base de procédures qu'a encouragées, comme on l'a vu, la déclaration commune du Conseil et de la Commission de novembre 2000. L'AFD a déjà participé à des dispositifs de ce type : elle a signé deux accords financiers lui déléguant la gestion de crédits multilatéraux : ligne de financement de projets PME/PMI pour le compte de la société financière internationale (20 millions de dollars), facilités de refinancement PROPARCO pour le compte de la Banque européenne d'investissement (20 millions d'euros). En juin 1999, l'AFD et la Commission ont signé un protocole d'accord relatif au cofinancement, à la gestion de projets, d'échanges de personnels, de rapprochement des procédures et d'évaluation conjointe des projets. La généralisation de ce dispositif peut toutefois rencontrer certains obstacles : on a déjà dit la réticence de la Commission à jouer le rôle de simple guichet ; en outre, nos autres partenaires européens dont beaucoup restent faiblement représentés dans les pays de la zone ACP soupçonnent parfois la France de privilégier ses intérêts diplomatiques et économiques. Les services de la Communauté leur apparaissent comme une garantie utile de neutralité. C'est pourquoi, la voie des délégations de crédit, qu'il convient de développer, doit être utilisée avec un souci constant d'explication et de transparence tant vis à vis de la Commission que des autres Etats membres.

Aussi conviendrait-il de ne pas négliger l' influence indirecte qui peut s'exercer en amont du processus de décision auprès des cadres de la Commission. Le Royaume-Uni est passé maître dans un exercice destiné à influer sur les « décideurs » communautaires, à les convaincre si bien de la pertinence de ses positions qu'ils les font leurs. Cet exemple devrait être médité par la France. Les Britanniques procurent aux services communautaires des dossiers d'information très documentés et des analyses qui contribuent à nourrir leur réflexion. Plus encore, au cours de 2001, ils ont adressé à une cinquantaine de fonctionnaires de la Commission un document intitulé « Comment influencer l'aide communautaire ? » et organisé par la suite des réunions individuelles avec chacun des destinataires. Les interlocuteurs de votre rapporteur ont reconnu que ces efforts, conduits intelligemment, avaient pour résultat une certaine imprégnation des choix communautaires par les idées britanniques. La France ne semble pas avoir suffisamment pris la mesure de l'intérêt de ce type de démarche.

F. LE RÔLE MAJEUR DES OPÉRATEURS PRIVÉS ENCORE TROP MÉCONNU PAR LES POUVOIRS PUBLICS

Dans un contexte de tarissement de l'aide publique, la progression des flux financiers privés représente un enjeu absolument capital pour le ponde en développement.

Or, l'attention accordée par les pouvoirs publics au secteur privé n'est pas à la mesure du rôle primordial que nos investisseurs jouent dans le développement.

Non seulement les investissements des entreprises génèrent des ressources nouvelles, mais ils sont aussi un aiguillon de la modernisation économique et juridique des pays bénéficiaires.

Cependant les pays en développement et, parmi eux, les pays les moins avancés restent très largement à l'écart des flux mondiaux d'investissements : ils reçoivent chaque année moins du quart des investissements directs étrangers.

La part des flux de capitaux privés tend, il est vrai, à progresser par rapport à l'aide publique au développement : ils représentent en effet 60 % des financements externes à long terme destinés aux pays en développement, alors que l'APD n'en assure plus que 16 %. En 1991 la répartition apparaissait quasiment inverse : la moitié des financements destinés aux PED provenait de l'aide publique et 29 % seulement des investissements directs étrangers.

Nos entreprises, il faut le souligner, ont joué un rôle important dans ces évolutions positives. 1 300 filiales de sociétés françaises sont établies en Afrique subsaharienne ; elles représentent à elles seules 65 % du secteur privé. Cette présence contribue d'une manière décisive à la création de richesses, d'emplois, à l'amélioration des conditions de vie, ainsi qu'à l'émergence d'une classe moyenne. En outre, elle participe à la diffusion d'un modèle d'organisation -souci de la rentabilité, respect du droit du travail, de la fiscalité- dont les mérites peuvent se diffuser progressivement au sein de la société.

De son côté, la France, il faut le souligner, bénéficie de ces liens économiques privilégiés : elle a ainsi réalisé en 2000 9,2 milliards de francs d'excédent avec les seuls pays de la zone franc, soit 15,7 % de l'excédent commercial total.

Si le rôle de certains grands groupes doit être salué, le dynamisme de notre présence économique repose aussi, pour une très large part, sur les petites et moyennes entreprises.

Or les pouvoirs publics quels qu'ils soient, n'ont pas su prendre la juste mesure des enjeux importants que représente ce réseau dense d'entrepreneurs pour le développement de l'Afrique comme pour l'économie française. En particulier ils n'apportent pas à nos compatriotes, qui prennent le risque de s'expatrier et de parier sur le continent, les garanties nécessaires. Aux yeux de votre rapporteur, une double initiative s'impose aujourd'hui.

- Il convient d'abord de favoriser la mise en place d'un dispositif d'indemnisation lorsque les ressortissants français subissent des dommages à l'occasion de crises ou d'événements dans lesquels ils n'ont évidemment aucune part. Pourquoi la solidarité nationale ne s'exercerait-elle pas aussi en faveur des Français expatriés ? Aujourd'hui l'absence de toute mesure réparatrice peut laisser nos compatriotes, victimes d'exactions sur leurs biens ou sur leur personne, ruinés et désespérés.

- Il faut ensuite agir de manière beaucoup plus déterminée en faveur des ressortissants qui ont régulièrement cotisé auprès des systèmes sociaux africains et ne peuvent bénéficier des prestations correspondantes compte tenu de la faillite financière de beaucoup de ces structures. La mise en place des contrats de désendettement et de développement dans le cadre des annulations de dette doit impérativement être utilisée pour exiger de nos partenaires que leurs organisations sociales honorent leurs obligations vis-à-vis de leurs populations et de nos ressortissants.

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