3. Les télévisions locales

83 % des personnes interrogées dans le cadre du sondage que votre commission avait fait réaliser à l'occasion de la journée thématique sur les nouvelles télévisions avaient exprimé le souhait « d'avoir le choix, comme à la radio, entre des télévisions locales et des télévisions nationales ». Et il est clair en effet que le développement des télévisions locales et « de proximité » est une des plus fortes attentes vis-à-vis de la TNT.

C'est aussi une préoccupation constante du CSA qui, sur les 33 canaux que permet d'utiliser la TNT, a voulu en réserver 3 aux télévisions locales (et un multiplexe sur la région parisienne), ce qui, compte tenu du nombre des zones de diffusion de la télévision numérique, correspond à un potentiel de quelque 340 programmes locaux.

Cependant, faute du cadre réglementaire indispensable, la situation est aujourd'hui au point mort et le CSA n'a pu encore lancer d'appel à candidatures pour la sélection de chaînes locales.

a) La place encore marginale des télévisions locales

Le rapport sur les télévisions locales remis en 1998 du ministre de la culture et de la communication par MM. Michel Françaix et Jacques Vistel soulignait le retard qu'accuse la France, par rapport aux autres pays développés, dans le domaine des télévisions locales.

Avec 96 chaînes locales sur le câble, 9 chaînes analogiques hertziennes en métropole, une chaîne thématique d'identité régionale (TVBreizh) et une cinquantaine de « décrochages » locaux de réseaux nationaux (40 pour France 3, 12 pour M6) le « retard français » est en effet patent : à titre de comparaison, l'Allemagne compte 8 télévisions régionales publiques, 37 télévisions commerciales et 77 chaînes locales associatives, l'Espagne 11 chaînes régionales publiques et plus de 700 chaînes locales.

• Des télévisions regardées et appréciées...

L'exemple des chaînes du câble montre cependant que les télévisions locales bénéficient d'un important taux de notoriété et sont très appréciés de leur public.

Une enquête réalisée par Médiamétrie/TLSP en novembre 2001 auprès de 1 300 abonnés au câble met ainsi en évidence l'intérêt que portent les téléspectateurs aux chaînes locales qui leur sont proposées. Ainsi, parmi les abonnés, 91 % connaissent la chaîne locale de leur réseau, 80 % la regardent, régulièrement (48 %) ou occasionnellement (32 %).

Les auteurs de l'enquête précisent que ce bon résultat est « obtenu dans un environnement très concurrentiel puisque les sondés reçoivent en moyenne une vingtaine de chaînes » .

Mais l'intérêt de cette étude ne réside pas seulement dans son aspect quantitatif. En effet, elle tend aussi à montrer le rôle joué par les télévisions dans le développement de la vie locale et du « lien social ».

La télévision locale permet aux abonnés de s'impliquer plus activement dans la vie communale. Leurs programmes ont ainsi incités leurs téléspectateurs à :

- assister/participer à des manifestations sportives (24 %) ;

- participer à la vie du quartier (24 %) ;

- participer à la vie associative ou culturelle (31 %) ;

- comprendre la vie politique locale (37 %) ;

- sortir/aller au cinéma, spectacle, expositions (45 %) ;

- découvrir leur région (53 %).

• ... qui manquent cependant de ressources propres

* Les chaînes locales du câble

A l'heure actuelle, le financement le plus important des télévisions locales du câble est public, et notamment municipal. Au cours des deux dernières années, on note un engagement financier croissant des régions et des départements dans certains projets et une plus grande professionnalisation des équipes. Le recours à l'aide de l'Etat, par le biais du dispositif des « emplois-jeunes » a également favorisé l'emploi au sein des télévisions locales. La moitié d'entre elles ont fait appel, dans ce cadre, à une centaine de jeunes.

La part de recettes propres dans l'économie des télévisions de proximité reste en revanche faible.

Lorsque leur bassin d'audience attire les annonceurs, les recettes publicitaires, de parrainage et de communication institutionnelle des télévisions locales représentent, dans le meilleur des cas, entre 25 et 35 % de leur budget, comme c'est le cas respectivement pour TV Rennes et pour TV Fil 78 . Il faut noter un cas exceptionnel, Canal Cholet , dont la stratégie commerciale lui permet de financer 50 % de ses dépenses (381 122 euros) grâce à la publicité.

Certes, pour certains services s'ouvre la perspective d'un accroissement de recettes provenant de la prestation de services audiovisuels (réalisation de fils institutionnels, correspondances pour les télévisions hertziennes nationales, etc.). Depuis plusieurs années, Canal 40 a ouvert cette voie et couvre aujourd'hui l'ensemble de ses dépenses (640 285 euros) grâce à ce type de prestations.

* Les télévisions locales hertziennes terrestres

Le jugement porté par le CSA sur la situation financière des télévisions hertziennes locales dans son rapport d'activité pour 2000 est sans appel : « Les télévisions locales hertziennes métropolitaines ont dû faire face, depuis l'origine, à des difficultés financières importantes en raison, principalement, de l'inadéquation entre leurs ressources et leurs charges. Elles sont en effet confrontées à des marchés publicitaires limités alors qu'elles doivent assurer quotidiennement la diffusion d'un programme dont le coût est important, même si elles font largement appel à la rediffusion. Leur situation économique est un sujet de préoccupation pour le Conseil.

Les charges annuelles varient, selon les stations, de 5 millions de francs à 25 millions de francs. En outre, les recettes provenant des institutionnels, pour certaines d'entre elles, ont d'ores et déjà atteint un seuil qui suscite des interrogations eu égard à leur vocation privée et commerciale. En 1999, les déficits continuaient à s'accumuler en raison de l'insuffisance du financement commercial. Il se confirme que les télévisions de ville ont des charges d'exploitation de deux à quatre fois supérieures à celles des télévisions de pays même si ces écarts se réduisent lorsqu'ils sont rapportés au nombre de téléspectateurs potentiels de la zone desservie ».

Le rapport d'activité du conseil pour 2002 confirme, une fois de plus, ses constats précédents : « Ces télévisions ont pour point commun de connaître des difficultés financières permanentes. Tel est le constat qui a été rappelé par le Conseil à l'occasion de l'établissement, en 2001, du bilan des chaînes locales métropolitaines. Le Conseil rappelle qu'à l'heure actuelle, les conditions financières de développement de ces télévisions et leur viabilité ne sont pas assurées ».

Les chaînes locales sont chroniquement déficitaires. Pour un certain nombre d'acteurs de la profession, cette situation se perpétuera tant que ces chaînes ne seront pas suffisamment nombreuses pour créer un réseau national commercialisable auprès des annonceurs nationaux. Pour d'autres, une modification réglementaire portant notamment sur l'ouverture des secteurs interdits à la publicité télévisée s'impose. Pour tous, en tout cas, la solution passe par l'augmentation des recettes commerciales.

b) Le problème de l'accès à la publicité télévisée des secteurs interdits

• La mise en question du maintien des « secteurs interdits »

Les perspectives de développement des télévisions locales ont reposé, avec une nouvelle acuité, compte tenu de l'insuffisance du marché de la publicité de proximité, et aussi de la conjoncture actuelle du marché publicitaire, la question de l'ouverture à la publicité télévisée des secteurs dits « interdits ».

Question également posée, et avec quelque insistance, par la Commission européenne, qui a ouvert en mai 2002 une procédure précontentieuse contre la France, estimant que l'interdiction d'accès de certains secteurs (alcools, cinéma, presse, édition, distribution) à la publicité télévisée, prévue par le décret du 27 mars 1992, serait un obstacle à la libre prestation de services à l'intérieur de l'Union européenne.

La France a invoqué à l'appui de cette interdiction des motifs d'intérêt général :

- la protection de la liberté d'expression et du pluralisme des médias (interdictions concernant la distribution et la presse) ;

- la préservation de la diversité culturelle (interdictions relatives au cinéma et à l'édition).

Tout en admettant la légitimité de ces motifs, la Commission considère que l'interdiction d'accès de ces secteurs à la publicité télévisée est disproportionnée au regard des objectifs poursuivis.

• Un maintien justifié

En dépit de ces objections, votre rapporteur estime que certaines des motivations de ces restrictions restent encore valables.

La raison principale de l'interdiction de la publicité pour la distribution à la télévision tient en effet au souci de sauvegarder le pluralisme des médias en réservant cette ressource à des supports à moins fort potentiel de collecte publicitaire, en particulier la presse écrite régionale et locale, mais aussi la radio.

- Protéger les recettes publicitaires de la PQR

Les investissements publicitaires en provenance de la distribution constituent aujourd'hui 28 % à 29 % des ressources publicitaires totales dont bénéficie la presse régionale et locale.

L'évolution de la situation économique de la presse régionale et locale confirme d'ailleurs que l'interdiction de la publicité pour la distribution à la télévision a contribué de manière décisive à soutenir le niveau global de ses ressources. A ce titre, une récente enquête de la Direction du Développement des Médias montre la forte dépendance à l'égard des recettes publicitaires de la presse locale d'information générale et politique. En effet, les ventes dans ce secteur n'ont augmenté que de 50 % (en francs courant) en 15 ans (de 6,9 milliards de francs en 1985 à 10,9 milliards de francs en 2000), alors que sur la même période les recettes publicitaires ont pratiquement doublé, passant de 4,5 milliards de francs en 1985 à 8,6 milliards de francs en 2000.

- Préserver les recettes publicitaires des radios locales et généralistes

Cette disposition permet également de préserver les recettes des radios locales et généralistes (dont 21 % proviennent de la distribution) et à limiter le risque de concentration des ressources publicitaires sur un seul média, bien plus puissant que les autres - la télévision.

• La procédure de consultation lancée par le gouvernement

Il ressort de ce qui précède qu'une levée immédiate et inconditionnelle des actuelles interdictions pourrait bouleverser les équilibres jusqu'alors établis en faveur du pluralisme et de la concurrence.

Dans ces conditions, votre rapporteur approuve pleinement la décision prise par le gouvernement de procéder à une large consultation, conduite par la direction du développement des médias, avec l'appui de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et de l'inspection générale des affaires culturelles, de l'ensemble des acteurs concernés (presse quotidienne nationale et régionale, radios locales, annonceurs, professionnels de la publicité, secteur de la distribution, professions du cinéma et de l'édition, ainsi que les autorités administratives indépendantes compétentes).

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