B. LA FRANCE FACE À L'EXPLOSION DU NOMBRE DES DEMANDES ET DU COÛT DE LEUR PRISE EN CHARGE

En France, l'effectivité du droit d'asile est remis en cause par l'explosion du nombre des demandes, des recours et du coût financier de leur prise en charge, provoquant l'engorgement des organismes qui en sont responsables.

La France, par la loi n°52-893 du 25 juillet 1952 , a confié à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et, en appel, à la Commission des recours des réfugiés (CRR), la compétence pour statuer sur la qualité de réfugié d'un demandeur. Depuis la loi n°98-349 du 11 mai 1998, l'OFPRA a compétence pour se prononcer sur l'attribution du statut de réfugié selon la Convention de Genève (asile conventionnel) et selon la Constitution (asile constitutionnel) . L'asile territorial , créé par cette même loi, relève en revanche principalement de la compétence du ministère de l'intérieur , après avis du ministère des affaires étrangères. Il est accordé de manière discrétionnaire à un étranger « si celui-ci établit que sa vie ou sa liberté est menacée dans son pays ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des les libertés fondamentales ».

102 200 réfugiés statutaires, auxquels s'ajouteraient 30 000 mineurs, vivraient en France fin 2002 .

1. L'augmentation très importante des demandes

L'augmentation du nombre des demandes a été très significative depuis 1999. Le nombre des demandes d'asile conventionnel est passé de 30 900 en 1999 à plus de 50 500 en 2002. Les demandes d'asile territorial sont, quant à elles, passées de 8 000 environ à quelque 45 000. Au total, entre 1999 et 2002, on estime que le nombre total des demandes est passé d'environ 39 000 à 95 000 6 ( * ) . Ces chiffres n'intègrent pas les mineurs accompagnant qui représentent 15 % du total des demandeurs.

La France est donc devenue le troisième pays de destination des demandeurs d'asile en Europe à un niveau proche de celui du Royaume-Uni ou de l'Allemagne.

Sur le long terme, on constate que la situation actuelle se rapproche de plus en plus de celle connue en 1989 où la France s'était vu adresser 62 000 demandes d'asile conventionnel. Depuis cette date, le nombre des demandes n'avait cessé, jusqu'en 1996, de décroître avec 17 000 demandes .

Par zone géographique , ensuite, les demandes adressées à l'OFPRA montrent des évolutions contrastées. Depuis cinq ans, les demandes originaires d'Afrique ont été multipliées par quatre et représentent plus de 24 000 demandes, en provenance notamment de la République démocratique du Congo, de la Mauritanie, du Mali et du Congo. Les demandes en provenance d'Europe ont doublé avec un total de 16 800, pour un tiers en provenance de l'ex-URSS. Les demandes en provenance d'Asie ont presque retrouvé leur niveau de 1999 après un pic en 1998, la Chine et le Sri Lanka représentant 70 % des demandes.

Nombre de dossiers de demandeurs d'asile (adultes)
déposés auprès de l'OFPRA depuis 1998, par année, hors réexamens

CONTINENTS

1998

1999

2000

2001

2002

2003**

Europe

7 997

8 450

10 407

14 378

16 864

11 362

Afrique

6 234

10 441

15 500

21 149

24 114

13 989

Amérique

517

751

2 161

3 036

2 339

1 004

Asie

7 501

11 158

10 590

8 622

7 639

6 435

Apatrides

126

107

89

106

131

96

TOTAL

22 375

30 907

38 747

47 291

51 087

32 886

** chiffres provisoires de janvier à août 2003, sans compter les réexamens (au nombre de 1 291)

En matière d'asile territorial , en revanche, la quasi totalité des demandes est déposée par des ressortissants algériens : 82,8 % en 2001 .

Demandes déposées en préfecture

Années

Nombre

Accords

1998

1 355

1999

7 683

383

2000

13 287

286

2001

28 953

181

2002

28 372

(source, ministère de l'Intérieur)

2. Le risque d'engorgement de l'OFPRA et de la CRR

L'augmentation très rapide du nombre de demandes a posé de graves problèmes administratifs dans le traitement des dossiers aussi bien dans les préfectures, à l'OFPRA qu'à la CRR. Dans les trois cas, malgré des moyens supplémentaires, elle s'est traduite par un allongement excessif des délais de traitement. En outre, le nombre très faible de demandes accordées tendrait à montrer un usage abusif des procédures.

Les préfectures sont les premières touchées. Elle doivent faire face, d'une part, aux demandes de titres de séjour provisoire de tous les demandeurs et, d'autre part, au traitement des demandes d'asile territorial. Selon les auditions faites par votre rapporteur, il semble que les délais de délivrance de l'autorisation provisoire de séjour (APS) soient extrêmement variables d'une préfecture à l'autre. Ils varieraient entre 8 jours et 8 mois . Durant cette période, les demandeurs résident sur le territoire mais n'ont pu débuter la procédure d'examen de leur dossier. En dehors de l'engorgement des services, aucune raison ne justifie de tels délais de traitement, la délivrance de l'APS ne nécessitant que peu de formalités, même avec l'application du règlement Dublin II et l'entrée des données dans la base EURODAC.

Devant l'OFPRA, la durée de la procédure a été en moyenne de 11 mois en 2002 . L'office a pris près de 53 000 décisions, soit une augmentation de 23 % par rapport à 2001. Pour la première fois depuis plusieurs années, l'OFPRA a pu faire face au flux des demandes sans réduire significativement son stock. A la fin de l'année 2002, le nombre total de dossiers en attente était de 34 600, dont 22 250 depuis plus de quatre mois .

L'augmentation du nombre des demandes se traduit mécaniquement, en bout de chaîne, par une augmentation du nombre des recours et de la charge de travail de la CRR . Le nombre des recours est en croissance continue depuis 1997. Il est passé de 13 600 à 3 500 en 2002. Mais ses capacités de jugement ne lui ont pas permis de faire face à cette augmentation. Depuis 1997, en effet, le nombre des décisions a toujours été inférieur au nombre des recours. Au 31 décembre 2002, 21 500 affaires étaient en instance . Le délai moyen de jugement est de 9 mois . En 2003, l'augmentation des capacités de traitement de l'OFPRA a provoqué une augmentation très importante du nombre des recours entraînant l'engorgement du greffe, entraînant de un à deux mois de retard, selon les informations recueillies par votre rapporteur lors de sa visite à la CRR.

Au total, il n'est pas rare qu'un demandeur d'asile ait besoin de 18 mois à deux ans pour être fixé sur son sort, situation inacceptable au regard du respect des personnes et des devoirs de la France en matière de droit d'asile, loin des objectifs fixés par le Président de la République, lors de son intervention du 14 juillet 2002 , qui déclarait : « Il faut, en France, réformer immédiatement le droit d'asile. (...) Il correspond à quelque chose d'essentiel qui est totalement dans notre culture et dans notre histoire. Mais aujourd'hui, quand quelqu'un demande le droit d'asile, la décision demande dix-huit mois, c'est absurde et cela ne sert à rien. C'est simplement parce que nous ne nous sommes pas donnés les moyens de le faire. Aujourd'hui, il faut mettre en oeuvre les moyens permettant de répondre au droit d'asile dans un temps très bref. Et un temps très bref pour moi, c'est un temps inférieur à un mois. Sauf des cas particuliers. Il y a des choses qui pourraient se faire beaucoup plus simplement. Il y a des pays dont beaucoup de ressortissants demandent le droit d'asile et dont on sait qu'il n'y a aucune espèce de raison politique ou de sécurité personnelle qui le justifie, que c'est simplement un transfert économique. Donc la réforme du droit d'asile est tout à fait essentielle ».

L'extrême allongement des délais, alors même que le nombre des acceptations tend à diminuer, conduit en effet à penser qu'un grand nombre des demandeurs n'utilisent la procédure d'asile que pour obtenir des documents de séjour valides pendant la plus longue durée possible . La procédure de demande d'asile deviendrait un vecteur d'immigration illégale et de séjour irrégulier sur le territoire. De fait, sur plus de 50 000 demandes, l'OFPRA a accordé moins de 8 500 certificats de réfugiés, soit 17 %, après recours devant la CRR. En 1982, le taux de reconnaissance était d'environ 80 %. En matière d'asile territorial, le ministère de l'intérieur a rejeté près de 99 % des demandes . On peut également relever qu'un nombre élevé de demandeurs ne se rendent pas aux convocations pour les entretiens de l'OFPRA (30 % environ). Enfin, plus de deux tiers des décisions négatives de l'OFPRA font l'objet d'un recours , pour partie en raison de son caractère suspensif.

Nombre de certificats de réfugiés délivrés par l'OFPRA depuis 1998

CONTINENTS

1998

1999

2000

2001

2002

Europe

1 056

1 469

2 107

2 041

2 771

Amérique/Afrique

1 076

1 338

1 494

2 789

4 039

Asie

2 185

1 817

1 516

2 431

1 630

Apatrides

25

35

68

62

55

TOTAL

4 342

4 659

5 185

7 323

8 495

3. L'explosion du coût de la prise en charge

La très forte augmentation du nombre des demandes n'est pas sans effets : les demandeurs ont droit à une prise en charge sociale et les moyens de l'OFPRA et de la CRR ont dû être accrus. Mais le coût global de cette prise en charge est très mal connu et votre rapporteur n'a pu l'approcher qu'en collationnant des éléments dispersés.

Ainsi, tous les demandeurs d'asile ont droit à l'allocation d'attente, d'un montant de 304,9 € par adulte et 106,7 € par enfant de moins de 16 ans. Elle fait l'objet d'un versement unique et est destinée à couvrir les premières dépenses des demandeurs d'asile, dans l'attente des autres prestations. Elle est versée, après l'obtention d'un certificat de dépôt de dossier à l'OFPRA et d'un titre de séjour provisoire de trois mois, par le Service social d'aide aux émigrants (SSAE). Son coût était de 13,2 millions d'euros en 2002 .

Les demandeurs d'asile dépourvus de revenus suffisants ayant à charge de très jeunes enfants peuvent prétendre aux allocations exceptionnelles ou temporaires de l'aide sociale à l'enfance délivrées par les services des conseil généraux . La scolarisation des enfants est à la charge de l'Etat et des collectivités locales. Ces coûts ne sont pas connus .

Ils ont également droit, pendant l'instruction de leur demande, soit à la sécurité sociale, soit à la couverture maladie universelle (CMU). N'étant pas identifiés en tant que tel, le coût de cette prise en charge n'est pas davantage évalué .

L'attribution des autres prestations diffère selon que les demandeurs d'asile sollicitent ou non un hébergement.

Ceux qui sont hébergés par des proches, des amis ou leur communauté, perçoivent pendant un an maximum l'allocation d'insertion d'un montant de 290,32 € par mois, sur une base de 9,55 € par jour durant l'instruction de leur demande . Son attribution, soumise à des conditions de revenus, est versée aux demandeurs en possession du certificat de dépôt d'un dossier à l'OFPRA. En 2002 , pour 32 200 bénéficiaires en moyenne sur un an, son coût a représenté 110,5 millions d'euros .

Les demandeurs peuvent demander à être logés dans des centres spécialisés, depuis la suppression, en 1991, de l'autorisation de travailler, les Centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) ou dans des hébergements d'urgence. Ils ne perçoivent alors pas l'allocation d'insertion.

Dans les CADA, les demandeurs sont admis du moment qu'ils sont en possession d'une autorisation provisoire de séjour (APS) délivrée par les préfectures. Ils y sont hébergés pendant la durée moyenne de l'instruction avec un délai supplémentaire de deux mois après la décision définitive pour préparer leur sortie. La durée moyenne de séjour dans les CADA est de 18 mois . Le coût journalier moyen de la prise en charge est de 24 € par personne et par jour . Ce coût inclut l'hébergement et certaines prestations sociales. Certains peuvent percevoir une allocation sociale globale (AGS) destinée à faire face aux dépenses de la vie quotidienne. Elle est calculée en fonction de la composition de la famille et versée sur un compte bancaire. Fin 2003, 12 480 places seront disponibles en CADA .

En dehors des CADA, limités en nombre de places, les demandeurs sont hébergés dans des centres de transit ou d'hébergement d'urgence.

Il existe deux centres de transit, comptant 146 places (80 à Créteil et 66 à Villeurbanne). Il s'agit de séjours de très courte durée .

L'hébergement d'urgence des demandeurs peut se faire en amont de l'obtention de l'APS. Les établissements concernés peuvent être des centres d'hébergement et de réinsertion sociale de droit commun (CHRS), des dispositifs d'urgence sous l'égide de la direction générale de l'action sociale (DGAS), des logements temporaires ou des hôtels. Ces types d'hébergement représentent 15 000 places . Leur coût journalier moyen est de 16,77 € par personne et par jour .

Enfin, depuis novembre 2000, un hébergement en accueil d'urgence des demandeurs d'asile (AUDA), géré par la Sonacotra et dont la capacité s'élève à 1 200 places, a été organisé .

Ces capacités sont notoirement insuffisantes, d'autant que les délais des procédures sont très longs. De trop nombreux demandeurs doivent être logés dans d'autres centres que les CADA. De plus, compte tenu de l'augmentation du nombre des demandes, on assiste à un phénomène d'éviction des bénéficiaires classiques des structures utilisées par les demandeurs d'asile et à un accroissement des hébergements à l'hôtel provoquant une hausse très important du coût des hébergements d'urgence . En 2003, le coût de l'hébergement devrait représenter près de 239 millions d'euros . A titre d'exemple, le seul coût de l'hébergement d'urgence dans la région Rhône-Alpes représente 12,5 millions d'euros.

Evolution du coût de l'hébergement depuis 1997

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

LFI

43,8

44,9

46,3

47,9

61,2

97,5

139,6

LFR

31,4

26,7

46,9

72,9

99

Total

43,8

44,9

77,7

74,6

108,1

170,4

238,6

Source ministère des affaires sociales.

Au coût de la prise en charge sociale au sens large des demandeurs d'asile s'ajoute le surcoût représenté par le traitement administratif des demandes . Pour le seul ministère des affaires étrangères exerçant la tutelle de l'établissement public de l'OFPRA, réunissant l'OFPRA et la CRR , le coût de fonctionnement de ces deux organismes a représenté 28,5 millions d'euros dans le projet de budget 2003 . En 2003, leurs moyens ont augmenté de 24,6 %. En 1998, leur budget était de 13,4 millions d'euros.

De 1998 à 2002, le personnel de l'OFPRA et de la CRR est passé de 262 à 483 emplois, dont 77 de catégorie C mis à disposition par le ministère des affaires étrangères. En 2003, 36 emplois ont été créés à l'OFPRA, 30 pour la CRR et 9 agents supplémentaires ont été mis à disposition. Les moyens nouveaux de l'Office ont été essentiellement employés à la création d'un nouvelle division chargée de la résorption du stock.

Au total donc, sans connaître le coût d'un certain nombre de prestations et du traitement de l'asile par les préfectures, on peut évaluer le coût global, en 2003, de la demande d'asile à environ 400 millions d'euros environ.

* 6 Cf. étude d'impact.

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