CHAPITRE II -

LA LIBÉRALISATION DES MARCHÉS
ÉNERGÉTIQUES EN EUROPE

2003 restera une année spécialement importante en matière de libéralisation des marchés de l'électricité et du gaz, tant en France, où la loi du 3 janvier 2003 est entrée en vigueur, qu'à l'échelon européen, où deux importantes directives électriques et gazières ont été publiées.

I. LA MISE EN oeUVRE DES TEXTES EN VIGUEUR

A l'évidence, l'appréciation des effets économiques de l'ouverture des marchés énergétiques est bien loin d'être tranchée : alors que selon certaines études, les entreprises plébiscitent la libéralisation, il s'avère qu'elle pourrait aussi aboutir à une hausse des prix voire même entraîner, après des gains de court terme, des difficultés à long terme comme l'ont indiqué certains intervenant au dernier congrès de l'Association française du Gaz 2 ( * ) .

A. LE MARCHÉ DE L'ÉLECTRICITÉ

L'ouverture en Europe

L'ouverture du marché de l'électricité entraîne, selon la CRE dont le Rapport annuel , très complet, a servi de base aux développements suivants, une recomposition du paysage industriel européen marqué par :

- le retrait des opérateurs américains notamment du fait des difficultés enregistrées sur leur marché domestique ;

- la fusion d'E.On et de Ruhrgas , le deuxième groupe électrique et le deuxième groupe gazier allemand, complétée par divers achats tant en Allemagne qu'à l'étranger ;

- le rachat de sociétés de distribution d'électricité par RWE , le premier producteur allemand, notamment en Slovaquie , en Pologne et en République tchèque ;

- les acquisitions par EDF du distributeur d'électricité et de gaz Seeboard, et d'une société de distribution d'électricité en Slovaquie ainsi que d'opérateurs espagnols et allemands.

Votre Commission des Affaires économiques s'interroge toutefois sur le taux d'ouverture réelle des marchés de l'électricité en Europe . Elle constate que si plusieurs Etats affichent, depuis trois ans, des taux d'ouverture théoriques très élevés, des données quantitatives et qualitatives sur le taux réel d'ouverture des marchés font encore défaut , alors même que la France respecte désormais à la lettre les normes européennes.

L'ouverture en France est bien réelle

Comme l'observe la CRE, 17 % des clients éligibles ont changé de fournisseurs sur le marché de l'électricité français , tandis que la quasi-totalité des clients qui consomment plus de 16 GWh par an (30 % du marché français total soit plus de 80 % du marché ouvert) ont mis un terme à leur ancien contrat unique, au bénéfice de deux nouveaux contrats (accès au réseau et fourniture). Ainsi, selon la même source, seuls le Royaume-Uni, la Suède et l'Italie se trouvent mieux placés sous cet angle. En pratique, 350 sites sur les 3.500 éligibles au marché ouvert auraient changé de fournisseur.

Les relations des opérateurs du secteur électrique rentrent peu à peu dans le droit commun . C'est ainsi que le contrat d'achat de courant dans des conditions spécifiques signé en 1996 par la SNET et EDF a été renégocié pour être adapté au cadre libéralisé. Faute d'accord amiable, ses signataires ont eu recours à l'instance arbitrale prévue par l'article 50 alinéa 3 de la loi du 10 février 2000, laquelle, prenant acte du déséquilibre de ce contrat en faveur de la SNET, a exigé qu'il soit modifié, décision confirmée par le Conseil d'Etat.

La CRE note que le marché de gros se développe plus vite que les ventes aux éligibles du fait de l'amélioration des fonctions d'intermédiation, bien que la bourse de l'électricité joue un rôle modeste en volume . Alors que le marché « Nord pool », créé en 1993 dans la péninsule scandinave, enregistre des volumes quotidiens d'échanges sur le marché spot de 317 GWh (32 % de la consommation de cette zone), ceux de la bourse française de l'électricité Powernext, créée voici deux ans étaient de 17 GWh au premier semestre 2003. Dans l'ensemble de l'Union, les volumes de transaction sur les bourses de l'électricité ne dépasseraient pas 10 % de la consommation nationale, l'essentiel des échanges en gros d'électricité s'effectuant de gré à gré.

La question de l'effet de la libéralisation sur les prix demeure toujours aussi controversée . Selon le régulateur français, les industriels français auraient, d'ores et déjà, bénéficié d'une diminution de 10 à 15 % de leur facture électrique, du fait de la libéralisation 3 ( * ) . D'autres sources considèrent, en revanche, que l'« Ouverture des marchés n'empêche pas les prix de monter », comme l'indiquait un article des Echos du 23 juillet dernier, fondé sur une étude internationale. C'est ainsi que sur 14 Etats étudiés, 10 connaîtraient des hausses de prix allant de 0,9 pour le Canada à 33 % pour la Finlande. En Allemagne, les prix auraient crû de façon consécutive de 8,6, 16,5 et 3,2 % entre 2001 et 2003 et, selon l'étude précitée, « la domination des grands fournisseurs sur le marché ne s'est pas démentie », les fournisseurs de moindre envergure et les fournisseurs étrangers « rencontrant de plus en plus de difficultés à entrer sur le marché » .

Une autorité de régulation active, dotée de moyens limités

La Commission de régulation de l'énergie a succédé, en vertu de la loi du 3 janvier 2003 précitée, à la Commission de régulation de l'électricité. Alors que selon les estimations réalisées en 2000, ses effectifs devaient atteindre 150 emplois, ils s'élèvent, en 2003, à 96 emplois budgétaires correspondants à un effectif réel de 89 personnes , pour une masse salariale de 6,57 millions d'euros et des moyens de fonctionnement de 5,6 millions d'euros, soit un budget total de 12,17 millions d'euros.

Les réformes résultant de la loi du 3 février 2003

La loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l'électricité et au service public de l'énergie a apporté des modifications importantes au dispositif institué trois ans plus tôt par la loi relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité. S'agissant de l'électricité, cette loi a :

- modifié le mécanisme de financement du fonds de péréquation de l'électricité (cf. ci-dessous) ;

- supprimé l'obligation faite à un producteur désirant bénéficier de l'obligation d'achat de faire la preuve qu'il ne pouvait trouver de client éligible pour vendre son électricité dans des conditions économiques raisonnables ;

- permis de bénéficier de la compensation des surcoûts enregistrés par EDF et les distributeurs non nationalisés (DNN) qui exploitent leurs propres installations de moins de 12 MW dans les mêmes conditions que celles qui bénéficient de l'obligation d'achat ;

- établi le principe d'une distance minimale entre deux sites d'une même société bénéficiant de l'obligation d'achat afin d'éviter le « saucissonnage » des projets ;

- obligé EDF à racheter à un DNN le surplus de production des installations bénéficiant de l'obligation d'achat raccordées au réseau exploité par ce distributeur ;

- institué un régime spécifique pour la construction de nouvelles éoliennes.

Votre Commission des Affaires économiques s'interroge sur le coût du financement de la filière éolienne que votre rapporteur considère cependant, à titre personnel, comme tout à fait justifié par la nécessité de développer cette énergie « propre ». Le tarif d'achat se situe à 70 €/MWh sur quinze ans, contre un prix moyen d'électricité entre 25 et 30 €, ce qui, selon la CRE « valorise exagérément le bénéfice environnemental de la filière ».

Le financement du service public

L'article 37 de la loi du 3 janvier 2003 précitée a également modifié le mode de financement du service public de l'électricité. Il a notamment :

- intégré dans l'assiette de compensation les coûts supportés par les distributeurs d'électricité en raison de la mise en oeuvre des mécanismes d'aide à la fourniture d'électricité aux clients en situation sociale précaire prévus par la loi (coûts résultant de la mise en oeuvre du tarif « produit de première nécessité » et coûts en partie supportés par les fournisseurs d'électricité en raison de leur participation financière au dispositif institué en faveur des personnes en situation de précarité) ;

- simplifié le recouvrement des contributions par la substitution à un système déclaratif complexe d'un prélèvement additionnel aux tarifs d'utilisation des réseaux pour les premiers clients éligibles et d'un prélèvement additionnel sur la facture d'électricité pour les non éligibles ;

- plafonné la contribution unitaire par kilowattheure fixée à 7 % du « tarif bleu 6 kVA », soit à 0,528 centime d'euro par kilowattheure), et plafonné la contribution par site de consommation à 500.000 euros (afin de ne pas peser sur la compétitivité des industries électro-intensives).

Selon la CRE, les charges de service public s'élèveraient, en 2003 , à 1.461,5 millions d'euros ( + 12 % ) qui se décomposent en 1 052 millions d'euros (en hausse de 233 millions d'euros à cause du développement de la cogénération , et, dans une moindre mesure, des parcs éoliens et hydrauliques) d'une part, et, d'autre part, 398 millions d'euros correspondant aux charges supportées par EDF dans les zones non interconnectées au réseau .

Le financement du service public de la production d'électricité nécessite, en conséquence, une contribution unitaire de 3,3 euros par MW/h . Selon les évaluations de la CRE, à l'horizon 2006, les charges de service public devraient être comprises entre 1,7 et 2,5 milliards d'euros, correspondant à une contribution unitaire comprise entre 4,3 et 6,2 euros /MWh. Celle-ci représenterait alors, en moyenne, 5 % de la facture d'un particulier et 12 % de celle d'un client industriel éligible qui ne bénéficierait pas du plafond de 500.000 euros. La Commission constate que « la contribution unitaire pourrait, dès 2005, en l'absence de mouvement tarifaire à la hausse d'ici là, excéder le plafond fixé par la loi qui est de 7 % du tarif de vente du kilowattheure, hors abonnement et hors taxes (soit actuellement un plafond de 5,28 euros/MWh). Si ces estimations sont exactes, la question de la révision du seuil de 7 % par le Parlement pourrait se poser dès 2005, pour permettre le financement complet du service public de l'électricité ». Votre Commission des Affaires économiques souhaiterait savoir si le Gouvernement confirme les prévisions de la CRE.

B. LE MARCHÉ GAZIER

La loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 précitée a transposé la directive 98/30/CE du 22 juin 1998. Son adoption a permis de mettre un terme, dès le mois de février suivant, aux mesures de rétorsion édictées par l'Espagne, à l'encontre de la France pour non transposition des normes européennes. Elle aboutit à ouvrir le marché gazier à hauteur de 28 %, en permettant de choisir librement leurs fournisseurs :

- aux consommateurs éligibles (qui achètent 237 GWh de gaz par an, correspondant aux 25 millions de m 3 figurant dans la directive de 1998) ;

- aux producteurs d'électricité pour leur consommation de gaz en vue de la production d'électricité ou de vapeur (soit 1200 sites au total) ;

- à la majorité des 17 distributeurs non nationalisés et les 5 nouvelles entreprises agréées de distribution de gaz naturel depuis 2001 qui fournissent aujourd'hui 4 % de la consommation nationale ;

- aux distributions de Gaz de France pour leurs clients éligibles jusqu'au 1 er juillet 2004, et pour tous leurs clients après cette date ;

- à tous les fournisseurs en vue de fournir des clients éligibles ou des distributeurs.

Parmi les textes d'application déjà publiés, insistons sur les décrets n° 2003-302 du 1 er avril 2003 sur l'éligibilité des consommateurs de gaz et n° 2003-405 du 24 avril 2003 relatif aux procédures applicables devant la CRE.

La CRE a, quant à elle, activement travaillé à l'ouverture du marché gazier, procédant à deux consultations publiques, la première sur la transparence des capacités disponibles sur les réseaux publics de transport de gaz et les terminaux et la seconde sur les principes et les dispositions tarifaires pour l'accès au réseau . Sur la base de leurs résultats, la Commission a demandé aux opérateurs de transport de publier, dès le 1 er juillet 2003, les données relatives à la capacité des réseaux et au flux quotidien. Elle a également examiné les mesures susceptibles de faciliter l'accès à des capacités disponibles. En matière de tarification de l'utilisation des réseaux , la CRE a obtenu l'abandon, à compter du 1 er janvier 2003, d'un système de tarification en fonction de la distance, devenu obsolète, pour éviter que les consommateurs de la moitié sud de la France ne soient pénalisés et faciliter la création de hubs gaziers. On notera, à titre de comparaison, que le régulateur italien se préoccupe, lui aussi, de la constitution d'un hub gazier pour accroître la concurrence 4 ( * ) .

La nécessité de réaliser des investissements tant en matière de transport que par la construction de terminaux destinés aux nouveaux entrants qui souhaiteraient notamment recevoir des cargaisons spots constitue aussi un objectif de la CRE. Dans son rapport annuel, l'autorité de régulation souligne qu'elle est « très favorable » à la réalisation des nouvelles infrastructures telles que les terminaux méthaniers de Fos 2 (GDF), Fos 3 (Exxon-Mobil), le Verdon (Total) et aux interconnexions avec l'Espagne (Perpignan-Barcelone et Lacq-Bilbao). S'agissant du développement des places de marché , la CRE se déclare favorable au développement de hubs gaziers et à celui de « places de marché » qui offriraient, à côté de produits commerciaux adaptés, des instruments financiers de couverture des risques pour faciliter les échanges. Elle considère qu'un hub pourrait être créé, dans des délais rapprochés, dans le Sud de la France.

La CRE a également publié, en mai 2003, un avis sur la structure tarifaire de GDF qui met en lumière la complexité de celle-ci et souligne que le mouvement des prix qui lui était soumis ne lui permettait pas de procéder à une analyse détaillée des coûts, observant que si la situation en vertu de laquelle certains tarifs pratiqués pour les clients domestiques et pour des installations industrielles non encore éligibles ne permettent pas de couvrir les coûts perdurait après le 1 er juillet 2004, elle constituerait une subvention croisée entre les clients devenus éligibles et les non éligibles. Elle constate enfin qu'elle ne dispose pas des informations nécessaires pour porter un jugement d'ensemble sur le niveau et la structure des tarifs de vente du gaz en distribution publique.

Malgré ces réserves, le marché français du gaz est désormais ouvert conformément aux directives européennes -soit à 37 % depuis le 10 août-, alors que d'autres marchés européens -citons derechef le cas allemand !- ne le sont pas. Selon la presse d'Outre-Rhin 5 ( * ) , les pouvoirs publics eux mêmes ont conscience de l'absence de concurrence sur le marché. Votre Commission des Affaires économiques souhaiterait connaître les initiatives prises par le Gouvernement pour obtenir l'ouverture du marché allemand du gaz .

* 2 Cf. l'étude de Cap Gemini, Ernst & Young, citée par Les Echos du 23 janvier 2003 et le Bulletin de l'industrie pétrolière du 25 septembre 2003, p. 1.

* 3 Cf. La Tribune du 4 juillet 2003.

* 4 Cf. Bulletin de l'industrie pétrolière, 14 août 2003.

* 5 Cf. Le Handelsblatt du 27 août 2003.

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