III. LA RÉFORME DE L'AIDE JURIDICTIONNELLE EN MARCHE

Chacun s'accorde aujourd'hui sur l'inadaptation du régime actuel d'aide juridictionnelle régi par la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991. Faciliter l'accès du plus grand nombre à la justice constitue un impératif qui s'impose au Gouvernement. Cet objectif constitue d'ailleurs le quatrième axe de la loi d'orientation et de programmation pour la justice de septembre 2002, lequel a prévu d'améliorer par une série de retouches un système ayant atteint ses limites. Dans la continuité de la précédente loi de finances, le projet de budget pour 2004 tend à proposer des mesures ciblées destinées à en corriger les inégalités et les dysfonctionnements . Cette démarche diffère de celle du précédent Gouvernement qui avait déposé en février 2002 sur le bureau du Sénat un projet de loi tendant à bouleverser le système actuel (accès élargi à l'aide totale, simplification des procédures, suppression des bureaux d'aide juridictionnelle).

A. UN EFFORT SOUTENU DE L'ÉTAT EN FAVEUR DE L'AIDE JURIDICTIONNELLE

1. La reprise à la hausse des admissions

Après plusieurs années de baisse du nombre d'admissions au bénéfice de l'aide juridictionnelle -légère entre 1997 et 2002, plus forte en 2001 du fait de la diminution des détentions provisoires liée à la mise en oeuvre de la loi du 15 juin 2000 précitée et des mouvements sociaux des professionnels de la justice menés entre décembre 2000 et fin mars 2002-, l'année 2002 avec 688.637 admissions (contre 657.816 l'année précédente) marque une rupture . Cette tendance moyenne masque des contrastes, les admissions demeurant stables en matière civile, tandis qu'elles progressent fortement en matière pénale (+ 9 %), dans le domaine administratif (+ 21 %) et s'agissant des conditions de séjour des étrangers (+ 25 %).

2. Conjuguée à un accroissement constant du nombre des bénéficiaires

L'entrée en vigueur de réformes nouvelles visant à étendre le champ des bénéficiaires de l'aide juridictionnelle explique largement cette situation. Outre les élargissements prévus par la loi n° 98-1163 du 18 décembre 1998 relative à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits ou encore par la loi du 15 juin 2000 59 ( * ) dont l'impact commence à se faire sentir, on peut citer plus récemment :

- la loi d'orientation et de programmation pour la justice de septembre 2002 qui a, d'une part, ouvert sans condition de ressources le bénéfice de l'aide juridictionnelle aux victimes des crimes les plus graves -atteintes volontaires à la vie, viols- et à leurs ayants droit et, d'autre part, créé une possibilité pour les victimes d'infractions pénales souhaitant se constituer partie civile de demander la désignation d'un avocat dès le début de la procédure judiciaire ;

- la loi n° 2003-710 du 1 er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine qui a prévu une faculté pour certaines copropriétés en difficulté de se voir attribuer l'aide juridictionnelle (article 22).

D'autres dispositions vont induire de nouvelles demandes, et donc, de nouvelles admissions. Il s'agit de :

- l'extension à de nouvelles matières notamment sociale (qui représente 32 % du contentieux) du champ de la représentation obligatoire devant la Cour de cassation ; une provision de 500.000 euros est prévue pour financer l'assouplissement des conditions d'admission susceptible de résulter de cette mesure (qui n'est encore qu'envisagée) ;

- la mise en place de la nouvelle procédure judiciaire inspirée de la faillite civile destinée aux ménages surendettés dans une situation irrémédiablement compromise prévue par le titre III de la loi d'orientation pour la ville et la rénovation urbaine précitée. Afin de compenser l'augmentation de dossiers ouverts devant le juge de l'exécution et donc des admissions à l'aide juridictionnelle dans le cadre de ces procédures, le projet de budget pour 2004 prévoit une provision nouvelle de 3 millions d'euros.

Aux effets induits par les innovations législatives s'ajoute l'augmentation automatique du nombre de bénéficiaires résultant de la revalorisation annuelle des plafonds de ressources indexée sur l'évolution de la tranche la plus basse du barème de l'impôt sur le revenu en application de l'article 4 de la loi du 10 juillet 1991. Fixés en 1992 respectivement pour l'aide totale et l'aide partielle à 4.400 francs (670,78 euros) et 6.600 francs (1006,16 euros), ces seuils ont été relevés régulièrement. Entre 1992 et 2003, ces plafonds ont ainsi augmenté de 21,6 % pour s'établir à 816 euros pour l'aide totale et 1.223 euros pour l'aide partielle. En 2004, une revalorisation annuelle dans les limites prescrites par le cadre légal est prévue.

Le montant de la dépense pour 2003 (qui dépend de l'évolution des admissions en 2003 et 2004 et du rythme de montée en charge des réformes nouvelles) devrait être inférieur de 24 à 30 millions à la dotation prévue en 2003 (292 millions).

Une stabilisation de la dotation budgétaire est prévue pour 2004 . Fixée à 291,21 millions d'euros, cette somme résulte, d'une part, d'un ajustement négatif des crédits à hauteur de 7,8 millions d'euros lié notamment à la baisse des admissions constatée jusqu'en 2002 et, d'autre part, de mesures nouvelles correspondant aux deux provisions précédemment mentionnées destinées à financer l'application de réformes nouvelles auxquelles s'ajoute une enveloppe de 4,5 millions d'euros destinée à financer l'augmentation du montant de l'unité de valeur de référence de 2 %.

L'EFFORT DE L'ÉTAT EN FAVEUR DE L'AIDE JURIDICTIONNELLE

(1994 à 2004)

En millions d'euros
Source : ministère de la justice

Le poids croissant de l'aide juridictionnelle sur les finances publiques ne constitue pas un motif de critique en soi. Toutefois le souci de rationalisation de la dépense publique conduit à porter un regard nuancé sur le système actuel et à rechercher les solutions les plus efficaces pour remédier à des faiblesses susceptibles d'en fragiliser le bien-fondé.

B. UN SYSTÈME EN PROIE À DES FAIBLESSES, LES RÉPONSES DU GOUVERNEMENT POUR Y REMÉDIER

Les dysfonctionnements du système d'aide juridictionnelle ont été analysés avec justesse dans un rapport publié en mai 2001 par la commission de réforme de l'accès au droit et à la justice présidée par M. Paul Bouchet chargée de proposer des pistes de réforme.

1. Des mesures en faveur d'une amélioration de la rétribution des avocats

L'insuffisante rétribution des avocats constitue une première lacune .

Si une part substantielle de la dotation budgétaire (près de 90 %) est affectée à chaque barreau par l'intermédiaire de la caisse des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) 60 ( * ) , les modalités de leur rémunération ne donnent plus satisfaction. Calculées sur la base d'un forfait fixe pour chaque type de procédure obtenu à partir d'un coefficient d'unités de valeurs - une unité de valeur de référence équivalant en 2003 à 20,43 euros 61 ( * ) - les rétributions se sont révélées trop rigides et inadaptées à la qualité de la prestation intellectuelle fournie et au degré de difficulté des affaires, traitées sur un pied d'égalité.

Les professionnels supportent donc largement la charge de l'aide juridictionnelle, certains étant même réduits à travailler « à perte ». Outre que ce phénomène paraît difficilement admissible, il conduit à des situations parfois dramatiques (dans le cas d'avocats exclusivement ou principalement rémunérés grâce aux missions réalisées au titre de l'aide juridictionnelle), parfois perverses, certains étant incités à scinder artificiellement une affaire pour obtenir une rémunération décente. La qualité des prestations fournies dans ce cadre n'est pas sans soulever des interrogations au point qu'une des organisations représentatives de magistrats entendues par votre rapporteur pour avis s'est interrogée sur l'opportunité d'instaurer un mécanisme d'agrément des avocats pour l'aide juridictionnelle.

Face à un vaste mouvement de protestations émanant de l'ensemble de la profession soutenu par le milieu judiciaire organisé à l'automne 2000, un protocole d'accord conclu entre le ministère de la justice et les principales organisations représentant les avocats le 18 décembre 2000 a permis un premier pas en avant en faveur d'une revalorisation de la rémunération des missions d'aide juridictionnelle (d'un coût global de 56,25 millions d'euros) 62 ( * ) .

Ces mesures ne constituaient toutefois qu'une pierre d'attente. A la fin du mois de décembre 2002, l'ensemble des professionnels a demandé au Gouvernement un effort plus poussé en faveur d'une rémunération décente et acceptable que concrétise le présent projet de loi de finances à travers deux mesures .

Sensible aux revendications légitimes des avocats, le Gouvernement a publié un décret n° 2003-853 du 5 septembre 2003 visant à augmenter le barème de 15 procédures (instance au fond devant le tribunal de grande instance, le tribunal de commerce et les autres juridictions, assistance d'une partie civile ou d'un accusé devant la cour d'assises, la cour d'assises des mineurs ou le tribunal pour enfants statuant en matière criminelle, première comparution devant le juge d'instruction ou le juge des enfants...). L'impact budgétaire de cette mesure, évalué à 11,3 millions d'euros en année pleine, a été pris en compte dans le projet de budget pour 2004 au titre des mesures acquises.

L'article 79 rattaché du présent projet de budget propose également une majoration de 2 % du montant de l'unité de valeur porté de 20,43 à 20,84 euros . Financée par une enveloppe nouvelle de 4,5 millions d'euros , cette mesure devrait entraîner une hausse similaire des dotations versées aux CARPA. Le ministère de la justice a annoncé des revalorisations régulières de l'unité de valeur au cours des prochains exercices budgétaires .

Le Gouvernement a fait le choix respectable de préserver l'esprit d'un dispositif auquel il entend apporter progressivement de notables améliorations. Soucieuse d'aller plus loin, la profession appelle une avancée de plus grande ampleur. Les représentants du Conseil national des barreaux, du barreau de Paris et de la Conférence des bâtonniers entendus par votre rapporteur pour avis ont pris acte des progrès accomplis , le représentant du barreau de Paris, Maître Jérôme Cayol ayant toutefois souligné que la rémunération des avocats demeurait une « simple indemnité » .

Ils se sont unanimement déclaré déçus de l'état d'avancement trop modeste de la réflexion relative à l'assurance de protection juridique 63 ( * ) dont le développement avait été mis en avant tant par la commission Bouchet que par le garde des Sceaux lors de l'adoption de la loi de programmation de septembre 2002 comme un moyen d'assouplir le mécanisme de l'aide juridictionnelle. Comme l'a indiqué le ministère de la justice à votre rapporteur pour avis, cette réforme permettrait de « définir l'aide juridique dans un contexte élargi, plus global, qui devrait comporter à la fois une aide de l'Etat en faveur des personnes en situation de grande précarité économique dans le cadre de l'aide juridictionnelle et une voie plus responsabilisante pour d'autres, qui pourrait être recherchée dans le développement de l'assurance de protection juridique ».

Actuellement, les compagnies d'assurance et les mutuelles proposent des contrats de protection juridique permettant la prise en charge des frais et procédures dans certains domaines (consommation, habitat, droit du travail). Toutefois, leur couverture ne s'étend pas aux litiges de la vie quotidienne les plus courants (affaires familiales, droit des successions, droit fiscal). Souvent inclus dans les polices automobiles, les assurances contre les risques liés à l'habitation, voire les cartes de crédits, ces contrats sont de plus largement ignorés des particuliers.

Jusqu'à présent, les barreaux et les assureurs n'ont pas réussi à trouver un accord sur la rémunération et le rôle de l'avocat, ne permettant pas aux sociétés d'assurance d'évaluer véritablement leur risque financier, les conduisant ainsi à rechercher un règlement amiable des conflits pour éviter des recours contentieux. De sa propre initiative, le barreau de Paris avec deux associations de consommateurs a tenté un rapprochement avec les assureurs en lançant en mai dernier le prix de l'accès au droit qui devait être décerné le 17 septembre. Faute de candidats 64 ( * ) , cette opération n'a pas rencontré le succès escompté.

Les représentants de la profession se sont déclarés prêts à engager un dialogue avec les sociétés d'assurance sous l'égide du ministère de la justice. Dans ce contexte, v otre rapporteur pour avis souhaite qu'une étroite concertation entre le ministère de la justice et les avocats ait lieu afin que soient définies des mesures permettant une extension du champ d'application de l'assurance de protection juridique qui, au demeurant, mériterait d'être mieux connue des justiciables. Il paraît primordial de ne pas décourager les acteurs sur lesquels le système d'aide juridictionnelle repose .

2. Des réponses aux disparités de traitement des demandes au titre de l'aide juridictionnelle

La commission Bouchet a mis en évidence la diversité des pratiques constatées dans l'application de la réglementation applicable au traitement des demandes au titre de l'aide juridictionnelle. Selon une enquête réalisée à la demande de cette commission auprès d'un échantillon de juridictions, la prise en compte des ressources des demandeurs diffère largement, 33 % des bureaux intégrant les avantages en nature comme l'hébergement gratuit, 53 % l'aide personnalisée au logement.

Le ministère de la justice a décidé de rétablir une égalité de traitement entre les demandeurs en  publiant une circulaire 65 ( * ) visant à simplifier et harmoniser l'instruction des demandes d'aide juridictionnelle en excluant de l'évaluation des ressources l'hébergement à titre gratuit ou dans le cas des mineurs les ressources des parents. Le financement de cette mesure (1,1 million d'euros) a été prévu par le précédent budget.

Le projet de loi de finances pour 2004 prolonge cette démarche en finançant l'impact d'une réforme nouvelle relative à l'exclusion de l'appréciation des ressources de l'aide personnalisée au logement et de l'allocation de logement sociale 66 ( * ) qui représente un coût de 2,8 millions d'euros (inscrits au titre des mesures acquises) 67 ( * ) . Le décret du 5 septembre 2003 précité en complétant la liste des prestations exclues de l'appréciation des ressources a permis l'entrée en vigueur de cette réforme. Le ministère de la justice a évalué à 2,5 % les admissions supplémentaires (soit environ 17.150 admissions supplémentaires) susceptibles de résulter de cette disposition.

*

* *

Au bénéfice de l'ensemble de ces observations, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du ministère de la justice consacrés aux services généraux inscrits dans le projet de loi de finances pour 2004.

* 59 Voir avis n° 73-Tome IV (Sénat, 2002-2003) de M. Christian Cointat au nom de la commission des Lois sur les crédits consacrés aux services généraux de la justice par la loi de finances pour 2003.

* 60 La part restante finance les honoraires des avoués, des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, des huissiers, des experts, des enquêteurs et des médiateurs.

* 61 Ce montant est toutefois susceptible d'être majoré pour chaque barreau en fonction du volume des missions effectuées au titre de l'aide juridictionnelle l'année précédente au regard du nombre d'avocats inscrits. En 2003, le montant prévisionnel moyen de l'unité de valeur s'élève à 21,95 euros.

* 62 Qui comprenait une revalorisation du barème des procédures concernant sept domaines contentieux particulièrement importants (divorce et autres instances devant le juge aux affaires familiales, assistance éducative, reconduite à la frontière, baux d'habitation, difficultés d'exécution devant le juge de l'exécution, contentieux devant les conseils de prud'hommes, procédure correctionnelle de première instance).

* 63 Apparue au milieu des années 70, la protection d'assurance juridique consiste en la prise en charge par un assureur des frais de procédure susceptibles de résulter d'un contentieux supportés par le particulier, moyennant le versement d'une prime.

* 64 Bien que 450 dossiers aient été envoyés à différentes sociétés d'assurance, seules deux compagnies dont les contrats ne répondaient pas de manière satisfaisante aux critères de qualité exigés par le barreau de Paris (étendue de la couverture, respect du principe du libre choix de l'avocat, respect du secret professionnel) ont concouru.

* 65 Circulaire du 6 juin 2003.

* 66 L'exclusion de cette prestation résulte d'un arrêt du Conseil d'Etat du 18 décembre 2002 (Mme Duvignières) qui a considéré que l'attribution à une famille de l'aide personnalisée au logement ou de l'allocation de logement familiale dépendait essentiellement du régime de propriété du logement et qu'une différence de traitement entre les deux régimes paraissait manifestement disproportionnée méconnaissant le principe d'égalité entre les allocataires de l'aide personnalisée au logement.

* 67 En année pleine, il devrait avoisiner 4,5 millions d'euros.

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