Avis n° 353 (2003-2004) de M. Jean BIZET , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 16 juin 2004

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N° 353

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2003-2004

Annexe au procès-verbal de la séance du 16 juin 2004

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) sur le projet de loi constitutionnelle, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relatif à la Charte de l'environnement ,

Par M. Jean BIZET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Paul Emorine, président ; MM. Marcel Deneux, Gérard César, Pierre Hérisson, Bernard Piras, Mme Odette Terrade, M. Francis Grignon, vice-présidents ; MM. Bernard Joly, Jean-Paul Émin, Gérard Cornu, Jean-Marc Pastor, secrétaires ; MM. Jean-Paul Alduy, Pierre André, Philippe Arnaud, Gérard Bailly, Bernard Barraux, Mme Marie-France Beaufils, MM. Michel Bécot, Jean-Pierre Bel, Jacques Bellanger, Jean Besson, Claude Biwer, Jean Bizet, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Dominique Braye, Gérard Claudel, Marcel-Pierre Cléach, Yves Coquelle, Gérard Cornu, Roland Courtaud, Philippe Darniche, Gérard Delfau, Rodolphe Désiré, Yves Détraigne, Mme Evelyne Didier, MM. Michel Doublet, Bernard Dussaut, André Ferrand, Hilaire Flandre, François Fortassin, Alain Fouché, Christian Gaudin, Mme Gisèle Gautier, MM. Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Odette Herviaux, MM. Alain Journet, Joseph Kergueris, Gérard Le Cam, Jean-François Le Grand, André Lejeune, Philippe Leroy, Jean-Yves Mano, Max Marest, René Monory, Jacques Moulinier, Paul Natali, Jean Pépin, Daniel Percheron, Ladislas Poniatowski, Daniel Raoul, Paul Raoult, Daniel Reiner, Charles Revet, Henri Revol, Henri de Richemont, Roger Rinchet, Claude Saunier, Bruno Sido, Daniel Soulage, Michel Teston, Yannick Texier, Pierre-Yvon Trémel, André Trillard, Jean-Pierre Vial.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 12 e législ.) : 992 , 1595 , 1593 et T.A. 353

Sénat : 329 et 352 (2003-2004)

Environnement.

SOMMAIRE

Pages

INTRODUCTION 5

EXAMEN DES ARTICLES 11

• Article 1 er - Modification du Préambule de la Constitution 11

• Article 2 - Définition de la Charte de l'environnement 14

I. LES CONSIDÉRANTS 15

II. LES ARTICLES DE LA CHARTE 20

• Article 1 er de la Charte de l'environnement - Droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé 20

• Article 2 de la Charte de l'environnement - Participation à la préservation et à l'amélioration de l'environnement 22

• Article 3 de la Charte de l'environnement - Devoir de prévention et de limitation des atteintes à l'environnement 23

• Article 4 de la Charte de l'environnement - Réparation des dommages causés à l'environnement 25

• Article 5 de la Charte de l'environnement- Principe de précaution 28

• Article 6 de la Charte de l'environnement - Promotion du développement durable 37

• Article 7 de la Charte de l'environnement - Droits d'accès aux informations relatives à l'environnement et participation à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement 39

• Article 8 de la Charte de l'environnement - Education et formation à l'environnement 43

• Article 9 de la Charte de l'environnement - Rôle de la recherche et de l'innovation en matière de préservation et de mise en valeur de l'environnement 43

• Article 10 de la Charte de l'environnement - Action européenne et internationale de la France 45

• Article additionnel après l'article 3 - (article 34 de la Constitution) Extension du champ de compétences du domaine de la loi 46

ANNEXE I - AUDITION EN COMMISSION DE M. ERNEST-ANTOINE SEILLIÈRE, PRÉSIDENT DU MOUVEMENT DES ENTREPRISES DE FRANCE (MEDEF) ET DE M. JEAN-PIERRE RODIER, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION « ENVIRONNEMENT » DU MEDEF (9 JUIN 2004) 49

ANNEXE II - EXAMEN DU RAPPORT POUR AVIS EN COMMISSION 55

ANNEXE III - LISTES DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS DES COMMISSIONS DES LOIS ET DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES 65

INTRODUCTION

Mesdames,

Messieurs,

Pour la première fois dans l'histoire du Sénat de la V ème République, une commission permanente demande à se saisir pour avis d'un projet de loi constitutionnelle qui relève, au fond, de la compétence de la commission des Lois. La raison en est que le thème abordé par cette révision constitutionnelle dépasse largement le cadre même de l'organisation des pouvoirs publics pour, à travers la réforme du Préambule de la Constitution, donner valeur constitutionnelle à « des principes fondamentaux relatifs au droit à un environnement protégé et au développement durable ».

La prise en compte de l'environnement, et sa nécessaire articulation avec le développement économique, relève à l'évidence de la compétence de votre commission des Affaires économiques, ce qui justifie sa saisine.

Il convient de rappeler qu'il s'agit, à travers cette révision constitutionnelle, de transcrire au plus haut niveau de nos normes juridiques, l'initiative du Président de la République, annoncée lors de son discours à Orléans, le 3 mai 2001, et à Avranches, le 18 mars 2002.

Ayant explicité les enjeux planétaires d'une prise de conscience et d'une mobilisation de tous pour une meilleure prise en compte de l'environnement, il a proposé aux Français une Charte adossée à la Constitution. Elle fonde une nouvelle relation entre l'homme, la nature et l'économie pour permettre de conjuguer développement économique et respect d'un équilibre harmonieux.

« L'heure n'est plus à la prise de conscience. L'heure est à l'action. Tout est une question de volonté, placée au service d'une philosophie pour l'homme : l'écologie humaniste. Une écologie qui reconnaît la place centrale de l'homme sur la planète, et l'étendue de ses responsabilités. Une écologie concrète qui cherche à améliorer notre quotidien, tout en préservant les grands équilibres planétaires. Une écologie ouverte, qui inspire des règles rigoureuses, lorsque c'est nécessaire, dans le respect des libertés individuelles. Il s'agit d'inventer un nouveau mode de développement, un nouvel art de vivre où la qualité l'emporte sur la quantité, où l'environnement, l'économie et le social sont placés sur un pied d'égalité. Il s'agit de conduire le développement durable et de lui donner un contenu concret : c'est la mission historique de nos générations en ce début du XXI e siècle que de protéger l'environnement, bien commun de l'humanité ».

Source : Discours du Président de la République. Avranches. 18 mars 2002 .

Le choix s'est donc porté sur une Charte de l'environnement, auquel va se référer le préambule de la Constitution, de la même manière qu'à la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946.

Le parallélisme intentionnel des intitulés, traduit de façon symbolique la troisième étape ainsi franchie dans la construction de l'édifice constitutionnel français, à savoir la reconnaissance d'une écologie humaniste, qui consacre un droit de l'homme à l'environnement mais le place aussi face à ses responsabilités et à ses devoirs s'agissant de sa préservation.

Le caractère novateur de la procédure d'élaboration de ce projet de révision constitutionnelle mérite d'être souligné car il s'appuie sur une démarche participative originale, en raison des enjeux de société induits par le texte. Il en est résulté une intense mobilisation de toutes les composantes de la société à travers plusieurs structures et un processus ainsi identifiés :

- la composition de la commission Coppens, installée en juin 2002 et chargée de faire des propositions au Président de la République, reflétait la diversité des secteurs concernés par la problématique de l'environnement. Composée d'élus, d'experts juridiques et scientifiques, de représentants des partenaires sociaux, des associations et des entreprises, on peut considérer qu'elle a permis à toutes les sensibilités de s'y exprimer. Ayant pour mission d'éclairer les enjeux notamment juridiques, environnementaux, sociaux de la Charte de l'environnement, elle s'est entourée d'un comité juridique, d'un comité scientifique, ainsi que d'un groupe éthique et d'un groupe de consultation ;

- ses réflexions se sont également enrichies des contributions recueillies lors des consultations, nationale et locale, conduites auprès de la société civile et des citoyens qui ont fait ressortir la très large adhésion de ceux-ci au projet.

L'organisation d'un débat participatif

- L'organisation de la consultation nationale a été fixée par le Conseil des ministres, et elle a été organisée pour entendre le plus grand nombre de citoyens.

- Un questionnaire centré sur les attentes concernant la future Charte a été adressé au niveau national à 700 élus et personnalités politiques, associations, organisations professionnelles et syndicales, experts et autorités administratives de niveau national. 356 contributions en réponse ont été reçues, dépouillées et synthétisées. Le même questionnaire mis en ligne a été rempli par près de 1 500 internautes. Il a été également largement diffusé par l'intermédiaire des préfectures à 55 000 acteurs régionaux, dont 11 000 ont répondu ; une synthèse de ces réponses a également été faite lors des assises territoriales. Un sondage réalisé mi-janvier 2003 sur les attentes des Français en matière d'environnement et de cadre de vie a complété le recueil des opinions.

- Il a également été décidé d'organiser un débat contradictoire sur les enjeux de la Charte à travers quatorze assises territoriales organisées par le ministère de l'Ecologie et du développement durable et préparées tant par des réunions restreintes en ateliers que par une documentation fournie aux participants. La première assise a été ouverte à Nantes le 29 janvier 2003 par le chef de l'Etat, tandis que le Premier ministre a clos la dernière tenue en métropole le 25 février 2003 à Cergy-Pontoise. Quatre assises se sont également déroulées dans chaque département d'outre-mer. Au total, environ 8 000 participants ont pu s'exprimer au cours de ces assises, confrontant ainsi les points de vue, les principes envisageables, leur pertinence et leurs limites.

- Enfin, un colloque national a réuni, en mars 2003, plus de 400 experts pour débattre des principales options de la commission Coppens, notamment sur l'opportunité d'élever au niveau constitutionnel le principe de précaution.

La consultation nationale a mis en avant certaines orientations claires :

le souhait d'un acte politique fort pour une meilleure protection de l'environnement et son inscription dans la Constitution ;

l'importance des devoirs de chacun pour protéger l'environnement et réparer les atteintes qui y sont portées ;

l'importance des modes d'actions incitatifs dans les politiques d'environnement, qui doivent avoir pour objet de prévenir et réduire ce qui est dangereux ou nuisible pour la santé et de préserver la biodiversité et la qualité du patrimoine naturel ;

la nécessité de redéfinir les principes placés en tête du code de l'environnement afin de les rendre plus compréhensibles et d'éviter les effets de blocages qu'ils pourraient avoir, particulièrement s'agissant du principe de précaution ;

la nécessité de solidarité entre les hommes et entre les territoires dans une perspective de développement durable ;

l'importance de l'éducation, de la participation, de la recherche et de l'évaluation des politiques publiques conduites en matière d'environnement ou l'affectant.

Source : Réponse au questionnaire budgétaire du ministère de l'Ecologie et du développement durable pour 2004.

La commission Coppens a tenu sa réunion de conclusion en mars 2003, pour adopter à l'unanimité un texte élaborant une Charte de l'environnement. Mais compte tenu des objections de certains membres représentatifs de la sensibilité « environnementaliste » absents lors du vote, la commission s'est réunie une nouvelle fois, pour adopter par consensus, un texte de douze articles, dont deux, relatifs au principe pollueur-payeur et au principe de précaution, comportaient deux variantes.

Ce texte, remis au Gouvernement et revu dans sa formulation pour être plus concis a été adopté en Conseil des ministres le 25 juin 2003.

L'originalité de ce projet de loi constitutionnelle réside également dans son contenu.

- Le choix a été fait d'insérer dans le Préambule, une affirmation de principe se référant à la Charte de l'environnement et à adosser à la Constitution, une loi constitutionnelle séparée, contenant la Charte. Ceci signifie, comme le souligne M. Bertrand Mathieu, « que la protection de l'environnement est une dimension nouvelle et autonome de la protection des droits fondamentaux . La protection de l'environnement est mise à la même place que les droits de l'homme et la souveraineté nationale » 1 ( * ) .

- Il convient également de souligner que la démarche choisie pour intégrer la protection de l'environnement dans la Constitution est très novatrice au regard de ce qui a été fait, à ce sujet, dans la plupart des constitutions européennes.

Dans un grand nombre des Etats européens, la protection de l'environnement est considérée comme un objectif constitutionnel, mis en oeuvre par la loi.

Certains textes sont plus étoffés, comme la Constitution grecque qui prévoit des dispositions spécifiques à la protection de la forêt et à l'urbanisation en rapport avec la protection de l'environnement.

Parmi les Constitutions qui contiennent des dispositions d'une importance équivalente à celle du projet de Charte français, on peut signaler celle de la Suisse qui associe la protection de l'environnement à celle de l'être humain. Sont reconnus en tant qu'objectif constitutionnel le développement durable, le principe de prévention et de réparation renvoyant implicitement au principe pollueur-payeur. On peut enfin indiquer que l'Italie, dont la Constitution mentionne déjà la protection de l'environnement, a engagé une procédure de révision constitutionnelle, dans laquelle plusieurs dispositions relatives à la protection des écosystèmes, la reconnaissance de droits subjectifs de l'individu en matière d'environnement, voire la reconnaissance de la protection de l'animal en tant que sujet de droit, sont en cours d'examen.

En définitive et de manière très novatrice en droit constitutionnel français, cette Charte intègre dans le champ des droits fondamentaux des éléments tout à fait nouveaux comme les générations futures, l'écosystème ou la biodiversité.

Mais il faut rappeler que le droit européen, à l'instar du droit international, a déjà largement pris en compte la protection de l'environnement, à travers la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui se réfère à la protection de l'environnement dans le cadre des objectifs du développement durable, ou encore l'article 174 du traité européen qui stipule que la politique communautaire se fonde sur le principe de précaution et le principe de prévention.

Comme le suggère M. Bertrand Mathieu, « c'est ainsi à une réception du droit international et du droit communautaire qu'est invité à se livrer le constituant français » 2 ( * ) . C'est aussi donner valeur constitutionnelle à des grands principes qui ont été définis en droit national, pour l'essentiel, par la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement.

Au-delà de la valeur symbolique forte et du geste politique témoignant de l'intérêt porté à la préservation de l'environnement dans une démarche de développement durable, l'impact de la Charte de l'environnement s'imposera au législateur, sous le contrôle éventuel du Conseil Constitutionnel, dans toutes les lois susceptibles d'affecter l'environnement, à l'administration, tant nationale que locale et régionale mais aussi aux différents ordres judiciaires.

*

* *

EXAMEN DES ARTICLES

Le projet de loi constitutionnelle soumis à votre examen comprenait dans sa version initiale deux articles, le premier modifiant le Préambule de la Constitution pour faire référence à la Charte de l'environnement et, le second proposant une rédaction de cette Charte composée de sept considérants et de dix articles.

L'Assemblée nationale a ajouté un troisième article, modifiant l'article 34 de la Constitution, qui définit le champ d'intervention de la loi pour y faire figurer la détermination des principes fondamentaux relatifs à la préservation de l'environnement,

Article 1er -

Modification du Préambule de la Constitution

Cet article modifie le Préambule de la Constitution pour faire expressément référence à la Charte de l'environnement, à la suite de « la Déclaration des droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le Préambule de la Constitution de 1946 ».

Comme le relève l'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle, ce parti pris permet de consacrer une « nouvelle étape du pacte républicain » et de mettre sur un pied d'égalité les droits et principes fondamentaux énoncés dans la Charte de l'environnement avec ceux déjà exposés dans la Déclaration des droits de l'homme et le Préambule de la Constitution de 1946.

L'Assemblée nationale a actualisé l'intitulé de la Charte, pour substituer 2004 à 2003, préférant que soit mentionnée l'année de son adoption plutôt que celle de son élaboration, ce qui confirme le rôle essentiel du législateur, en matière constitutionnelle.

Comme le souligne M. Michel Prieur dans l'étude établie à la demande de la commission des Affaires économiques, « la réforme constitutionnelle, sur le plan formel, aligne purement et simplement la nouvelle Charte sur les deux autres textes précédents, et on peut en déduire juridiquement qu'elle leur donne, de ce fait, la même valeur juridique 3 ( * ) ».

On peut également rappeler que le Conseil Constitutionnel reconnaît la valeur constitutionnelle du Préambule et des textes auxquels il renvoie 4 ( * ) , ce qui permet d'affirmer que la Charte de l'environnement aura pleine valeur constitutionnelle.

Compte tenu également de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel et de la doctrine, il est également admis que toutes les dispositions de la déclaration de 1789 et du Préambule de 1946 ont la même valeur juridique constitutionnelle, sans avoir à distinguer selon leur formulation ou leur degré de précision. Il en sera de même pour les dispositions de la Charte de l'environnement, qu'il s'agisse des considérants ou des articles eux-mêmes.

En définitive, du fait de son intégration dans le bloc de constitutionnalité, le respect de la Charte, comme des autres éléments de ce bloc, s'impose à tous, c'est-à-dire à l'ensemble des autorités publiques, des juridictions, des entreprises et des particuliers.

Au-delà de la valeur juridique constitutionnelle uniforme reconnue, sans ambiguïté, à l'ensemble des dispositions inscrites dans la Charte, se pose la question de la portée juridique de la Charte, et de la nécessaire conciliation des principes qu'elle contient avec d'autres principes ou règles de valeur constitutionnelle.

Là encore, la jurisprudence du Conseil Constitutionnel est désormais bien établie et place celui-ci dans une « position d'arbitre considérablement renforcée » 5 ( * ) .

Il est intéressant de rappeler ici quels sont les critères employés par le Conseil Constitutionnel pour opérer cette conciliation :

- il n'y a pas de prééminence d'un droit sur l'autre, ni de hiérarchisation formelle, mais en cas de conflits entre deux droits fondamentaux, d'une valeur normative équivalente, l'examen au cas d'espèce conduisant à faire prévaloir un droit sur l'autre induira inévitablement à une limitation occasionnelle de l'un d'entre eux ;

- certains droits seront mieux protégés que d'autres, ce qui introduit une hiérarchie matérielle, construite à partir des éléments suivants : degré de précision du principe, principe assorti ou non d'exceptions ou de tempéraments, degré d'attachement de l'opinion dominante à ce principe, besoins essentiels du pays, contraintes d'ordre technique, étendue du contrôle du juge sur les décisions qui mettent en oeuvre ce principe ;

- le juge a la volonté d'actualiser le contenu des droits garantis ;

- le juge fera application de la jurisprudence dite de « l'effet cliquet », qui interdit au législateur de régresser dans la protection des libertés fondamentales ;

- certains principes considérés par la doctrine comme engendrant d'autres principes et qualifiés de « principes matriciels » seront plus pris en compte par le juge ;

- les droits-créances, terminologie doctrinale utilisée pour définir les droits modernes économiques et sociaux définis en 1946 par opposition aux droits individuels classiques de 1789, nécessitent l'intervention de l'Etat pour leur mise en oeuvre, ce qui conduira le Conseil Constitutionnel à laisser une plus grande marge d'appréciation au Parlement.

Selon l'analyse de M. Michel Prieur, une éventuelle prééminence du droit à l'environnement, tel que décliné par la Charte sur d'autres droits peut se déduire, en raison des caractères spécifiques de ce droit, qui est à la fois universel et transversal, individuel et collectif, voire « matriciel » et protégeant un intérêt général. Mais l'auteur précise immédiatement qu'il ne s'agirait que « d'une prééminence ponctuelle et circonstancielle ».

M. Bertrand Mathieu aboutit à la même conclusion en évoquant d'éventuels conflits entre le droit à l'environnement et les droits constitutionnels relatifs aux droits économiques, notamment la liberté d'entreprendre, à l'aide d'exemples étrangers.

La Cour d'arbitrage belge a jugé que c'est au législateur qu'il revient d'apprécier si et dans quelle mesure le souci de protéger l'environnement justifie d'imposer des sacrifices aux opérateurs économiques (décis 7/95 du 2 février 1995). La poursuite d'un objectif de protection de l'environnement pourra ainsi justifier des dérogations au principe d'égalité. C'est ainsi que la Cour d'arbitrage belge admet une différence de traitement fiscal entre certaines entreprises en fonction de leur responsabilité supposée dans la pollution par des engrais chimiques (Arrêt 70/2001). A contrario, la prise en compte d'un intérêt environnemental ne justifie pas que ne soient pas prises en compte d'autres exigences. La Cour constitutionnelle autrichienne a jugé qu'une loi de protection de la nature, adoptée par le législateur d'un Land, qui ne prévoit pas une mise en balance d'intérêts divergents, et qui, partant, empêche la construction ou l'élargissement de toute voie ferrée, y compris de voies ferrées revêtant une importance particulière pour l'économie nationale est contraire à la Constitution (décis. 256/98 du 25 juin 1999). On relèvera que la prise en compte des objectifs de protection de l'environnement peut conduire le juge à apprécier des décisions qui ne concernent pas directement l'environnement. La Cour constitutionnelle slovaque a été amenée à apprécier la constitutionnalité de la décision d'autoriser le survol du territoire national par des appareils militaires participant aux opérations aériennes de l'OTAN au regard des exigences constitutionnelles relatives à la protection de l'environnement. Ce n'est qu'au regard des limitations prévues en vertu desquelles les opérations de survol autorisées des appareils militaires ne doivent pas dépasser la charge maximale qu'il est permis d'imposer à l'environnement en matière de bruit ou autres modifications que la décision a été jugée conforme à la Constitution (décis. U-I- 87/99 du 8 juillet 1999).

Source : M. Bertrand Mathieu. Les conséquences juridiques de l'intégration de la Charte de l'environnement au niveau constitutionnel. Etude pour la commission des Affaires économiques du Sénat (mai 2004).

Le même auteur souligne, par ailleurs, que dans l'exercice du contrôle de constitutionnalité des lois, le Conseil Constitutionnel prend d'ores et déjà en compte des considérations environnementales.

Ainsi, considère-t-il que la décision 2000-441-DC sur la taxe générale sur les activités polluantes « marque une prise en compte, au titre de l'intérêt général, de la protection de l'environnement. Le Conseil n'avait pas, alors considéré que l'objectif de renforcement de la lutte contre l'effet de serre ne justifiait pas une restriction au principe d'égalité devant les charges publiques, mais que les dispositions contestées, du fait qu'elles ne prenaient pas en compte la réalité de l'atteinte à l'environnement opérée par les entreprises redevables, n'étaient pas adaptées à l'objectif environnemental poursuivi par le législateur ».

Dans le même sens, dans la décision 2002-464 DC, le Conseil a jugé que s'il « est loisible au législateur, dans le but d'intérêt général qui s'attache à la protection de l'environnement, de faire prendre en charge par les personnes mettant des imprimés à la disposition du public le coût de collecte et de recyclage desdits imprimés. Toutefois, en prévoyant, comme il l'a fait en l'espèce, d'exclure du champ d'application de l'article 88 de la loi de finances pour 2003 un grand nombre d'imprimés susceptibles d'accroître le volume des déchets, le législateur a institué une différence de traitement sans rapport direct avec l'objectif qu'il s'était assigné ».

Force est donc de conclure que par les précisions qu'elle apporte, et l'autorité dont elle est symboliquement et juridiquement revêtue, la Charte conduira nécessairement à un renforcement du poids spécifique accordé aux préoccupations environnementales dans le contrôle opéré par le Conseil Constitutionnel sur la conciliation réalisée par le législateur entre différentes exigences constitutionnelles .

Votre commission vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption de cet article sans modification.

Article 2 -

Définition de la Charte de l'environnement

L'article 2 du projet de loi constitutionnelle définit le contenu de la Charte composée de deux parties : d'une part, l'énumération de sept considérants, d'autre part, les dix articles de la Charte.

Comme à l'article 1 er du projet de loi, l'Assemblée nationale a corrigé la date de la Charte de l'environnement pour viser l'année 2004.

La Charte est introduite par les termes : « Le peuple français considérant » ... puis « proclame », ce qui laisserait entendre, selon certains, que l'adoption de la Charte de l'environnement doit passer par la voie du référendum, puisque le Préambule de la Constitution de 1958 et celui de la Constitution de 1946 se référant également au « peuple français » ont été adoptés par référendum. On rappellera seulement que la Constitution de 1958 autorise deux procédures d'adoption d'égale valeur et qu'aucune distinction ne peut être établie entre les textes constitutionnels selon leur mode d'adoption.

I. LES CONSIDÉRANTS

Les considérants qui introduisent la Charte de l'environnement résument, en quelque sorte, les constats ayant motivé son adoption et son contenu. Il ne s'agit cependant pas d'un simple exposé des motifs, puisque ces considérants ont valeur constitutionnelle comme les articles de la Charte. Ces principes ayant valeur déclarative vont contribuer à l'interprétation du dispositif de la Charte de l'environnement , mais comme le souligne Bertrand Mathieu, dans son étude précitée 6 ( * ) , « il n'en reste pas moins que l'on peut considérer ce texte comme un vivier potentiellement considérable pour un juge constitutionnel confronté à des situations que l'on ne peut aujourd'hui imaginer, selon un processus identique à celui qui a conduit le Conseil Constitutionnel à découvrir le principe de dignité dans la condamnation de pratiques dégradant la personne humaine. »

L'éclairage porté par ces considérants est imprégné de l'interprétation scientifique actuelle de l'évolution de l'humanité et du monde en général, et il est de ce fait un peu alarmiste.

En effet, le rapport de la commission Coppens rappelle que les relations entre l'homme et son environnement naturel apparaissent différentes de celles ayant existé au cours des époques précédentes. Elles donnent à l'homme une responsabilité nouvelle pour protéger l'environnement.

Ainsi, le premier considérant rappelle le lien indissociable entre l'homme et son milieu, depuis l'origine de l'humanité. Comme le souligne le rapport de la commission Coppens, « les recherches en paléontologie permettent de penser que c'est l'évolution même du milieu naturel des premiers hominidés qui a conditionné directement l'émergence de l'humanité, et qui l'a façonnée » 7 ( * ) .

Le deuxième considérant rappelle que si l'homme a cru, grâce aux progrès scientifiques et technologiques, s'affranchir de ce lien de dépendance avec le milieu naturel, il n'en est rien, et « au faîte de sa maîtrise technologique, l'homme d'aujourd'hui éprouve l'étendue de sa faiblesse d'être biologique ».

Comme le soulignait encore la commission Coppens : « on peut discuter de la plus ou moins grande intensité de cette dépendance de l'homme à l'égard de son milieu. On peut s'interroger sur ce que deviendront ces liens avec le progrès des sciences et des technologies. Certains membres de la Commission ont souligné d'ailleurs que l'action humaine a façonné la nature autant que celle-ci a conditionné l'homme, comme le montre la transformation des paysages par l'agriculture. Mais « l'humanisation » de la nature a ses propres limites. Il a été soutenu que si l'activité humaine a une incidence positive sur le développement de l'homme, on ne peut prétendre qu'il en soit nécessairement de même pour la biosphère dans sa globalité» 8 ( * ) .

Le troisième considérant affirme que « l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains » en s'inspirant du droit international, qui a recours à la notion de « patrimoine commun de l'humanité ».

Il s'inspire également de la formulation retenue par le I de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, qui énumère les différentes composantes de l'environnement pour indiquer qu'ils font partie « du patrimoine commun de la nation ».

La terminologie retenue pour le troisième considérant, à savoir « patrimoine commun des êtres humains », met l'accent sur l'universalité de l'environnement et la nécessité d'adopter des solutions pour le préserver et le mettre en valeur, non seulement au niveau national, mais bien plus sûrement au niveau communautaire, voire international.

Le quatrième considérant résume un constat largement développé par la commission Coppens, à savoir l'impact grandissant des activités humaines sur l'environnement, du fait de la croissance rapide de la puissance des technologies disponibles. Sont ainsi cités l'impact des biotechnologies ainsi que le changement d'échelle des activités agricoles, industrielles ou commerciales, dans un contexte de croissance de la population mondiale et d'allongement de la durée de la vie.

Après avoir énuméré toute une série d'exemples d'évolutions défavorables de telle ou telle composante de l'environnement, la commission Coppens indique, heureusement, que « le progrès des sciences et des techniques augmente les chances de trouver des solutions novatrices à la crise écologique lorsque les hommes en ont la volonté ».

On peut en effet souligner que l'interdiction et le remplacement, grâce à l'innovation technologique, de certains produits à base de composés chlorés par des substituts moins nocifs, illustrent la synergie possible, et même souhaitable, entre science et préservation de l'environnement, puisque, après avoir identifié les causes et les mécanismes de l'appauvrissement de la couche d'ozone, les solutions ont été trouvées par la mise sur le marché de solutions alternatives.

Le cinquième considérant , comme le souligne M. Bertrand Mathieu « met sur le même plan la protection de la biodiversité, de l'épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines » en soulignant qu'ils peuvent être affectés par certains modes de production ou de consommation et l'exploitation excessive des ressources naturelles.

Cette affirmation repose sur le lien indissociable et indiscutable établit par les deux premiers considérants en soulignant que tant l'homme que son environnement sont menacés par certains types d'activités, et que l'exploitation sans discernement de ressources naturelles non renouvelables peut avoir des conséquences négatives pour l'humanité et l'environnement.

Dans cet ordre d'idée, on peut évoquer la définition depuis quelques années d'un indicateur synthétique, dénommé « empreinte écologique » afin de mesurer les conséquences des différents modes de développement, les comparer afin d'aider à faire les choix nécessaires pour atténuer les impacts environnementaux des activités humaines.

Le sixième considérant affirme que la préservation de l'environnement fait partie des intérêts fondamentaux de la Nation avec lesquels elle doit se concilier. Il reprend ainsi le contenu de l'article 410-1 du Code pénal qui énumère ces intérêts, parmi lesquels se trouve « l'équilibre de son milieu naturel et de son environnement » et il donne ainsi valeur constitutionnelle à la notion d'intérêts fondamentaux de la République.

En outre, ce considérant énonce l'obligation de concilier l'objectif de préservation de l'environnement avec les autres objectifs énoncés par l'article 410-1 du code pénal, à savoir l'intégrité du territoire, la sécurité, la forme républicaine de ses institutions, les moyens de sa défense et de sa diplomatie, la sauvegarde de sa population en France et à l'étranger, et les éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel.

Cette affirmation amorce la définition du développement durable, consacré par le dernier considérant qui reprend une définition, désormais classique en droit international depuis le Sommet de la Terre, réuni par l'ONU à Rio en 1992, à savoir que « les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».

Le premier texte de portée internationale qui promeut explicitement une politique de développement durable est la Stratégie mondiale de Conservation de la Nature, préparée par l'Union mondiale pour la Nature (UICN). Quelques années après, la Commission mondiale pour l'Environnement et le Développement (CMED), constituée en 1983 et présidée par le Premier ministre de Norvège, Madame Gro Harlem Brundltand , a introduit la notion de développement durable dans les débats de politique internationale.

Le rapport reconnaît l'existence de limites environnementales, mais considère qu'elles varient en fonction du milieu mais aussi de la technologie, d'où la nécessité de mettre l'accent sur un développement technologique permettant de pousser plus loin les limites et de créer ainsi les conditions pour la satisfaction des besoins fondamentaux de tous les être humains présents et à venir. La croissance économique est considérée non seulement compatible, mais aussi nécessaire, pour pouvoir sauver la planète .

LES SEPT OBJECTIFS DU RAPPORT BRUNDTLAND

Le rapport Brundtland précise sept objectifs critiques relatifs aux politiques de développement :

- la reprise et le maintien de la croissance ;

- la modification de la qualité de la croissance ;

- la satisfaction des besoins essentiels en ce qui concerne l'emploi, l'alimentation, l'énergie, l'eau, la salubrité ;

- la maîtrise de la démographie ;

- la préservation et la mise en valeur de la base de ressources ;

- la réorientation des techniques et la gestion des risques ;

- l'intégration des considérations relatives à l'économie et à l'environnement dans la prise de décision.

Dix ans après le Sommet de Stockholm, la Conférence de Rio en 1992 réunissant 172 Etats , et dont l'ambition était de proposer un projet de développement cohérent et plus équitable, tenant compte des dimensions planétaires, a adopté notamment la Déclaration sur l'Environnement et le Développement.

Cette déclaration affirme vingt-sept grands principes du développement durable, s'inspirant largement du rapport Brundtland qui sont : les ressources, le développement et l'environnement placés au même niveau, les questions d'équité inter et intra-générationnelle, l'intégration de l'environnement dans les politiques, la nécessité de modifier les modes de consommation et de production, l'investissement dans les progrès scientifiques et techniques, et la participation. Par ailleurs, l'emploi d'instruments économiques ou volontaires et le recours à des évaluations sont préconisés avec, à l'esprit, la participation des différents groupes sociaux.

LES VINGT-SEPT PRINCIPES DE RIO

« L'homme est au centre des préoccupations (1) dans le respect des générations présentes et futures (3). Les Etats, qui doivent coopérer de bonne foi (27), ont le droit souverain d'exploiter leurs ressources sans nuire aux autres Etats (2) qu'ils doivent avertir de toute catastrophe (18) ou activités dangereuses pouvant les affecter (19). La protection de l'environnement est partie intégrante du processus de développement (4) elle est conditionnée par la lutte contre la pauvreté (5) et concerne tous les pays (6) selon des responsabilités communes mais différenciées (7). Les modes de production et de consommation non viables (non durables) doivent être éliminés (8) au profit de ceux qui seraient viables et dont la diffusion doit être favorisée (9). Le public doit être impliqué dans les décisions (10) dans le cadre de mesures législatives efficaces (11), économiques en internalisant les coûts grâce au principe pollueur payeur (16), par des études d'impact (17), toutes mesures qui ne doivent pas constituer des barrières injustifiées au commerce (12) tout en assurant la responsabilité de ceux qui causent les dommages (13) et en évitant le transfert d'activités polluantes (14). Le principe de précaution (15) doit être mis en oeuvre. Un certain nombre de groupes majeurs ont un rôle particulier à jouer : les femmes (20), les jeunes (21), les communautés locales et autochtones (22). La paix, le développement et la protection de l'environnement sont interdépendants et indissociables (25) les règles d'environnement doivent être respectées en temps de guerre (24) et pour les populations occupées ou opprimées (23). Les différents d'environnement doivent être résolus pacifiquement (26). »

La philosophie du développement durable a profondément changé le statut du droit de l'environnement qui, de droit sectoriel des pollutions, devient une composante essentielle des politiques publiques. Mais à l'inverse, elle permet d'affirmer que la réponse aux exigences environnementales n'implique ni une régression économique ni le retour hypothétique à un passé révolu.

En outre, la philosophie du développement durable repose sur des impératifs de solidarité, entre générations et entre les territoires, comme le relève la commission Coppens. Il est évident que l'environnement ne connaît pas de frontière administrative ou géopolitique, qu'il s'agisse de la lutte contre les pollutions ou de l'accès aux ressources naturelles.

L'insertion de ce considérant justifie l'adoption de l'article 6 de la Charte relatif au développement durable mais aussi de l'article 10, sur l'action européenne internationale de la France en matière d'environnement.

II. LES ARTICLES DE LA CHARTE

Article 1er de la Charte de l'environnement -

Droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré
et respectueux de la santé

L'article 1 er du projet de loi constitutionnelle consacre, dans sa version initiale, le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé. Comme l'indique l'exposé des motifs, il s'agit d'un nouveau droit, de valeur constitutionnelle reconnu à toute personne physique, celui de vivre dans un environnement qui répond à certains critères qualitatifs. Il répond en cela à l'engagement du Président de la République, pris dans son discours prononcé à Orléans le 3 mai 2001 : « l'écologie, le droit à un environnement protégé et préservé doivent être considérés à l'égal des libertés publiques. Il revient à l'Etat d'en affirmer le principe et d'en assurer la garantie ».

Le Garde des Sceaux, ministre de la Justice et le ministre de l'Ecologie et du développement durable relèvent que ni le droit communautaire, ni le droit européen, ne connaissent de disposition équivalente à l'article 1 er de la Charte.

Cet article constitue donc un article fondateur pour la Charte de l'environnement, puisqu'il en constitue l'assise, permettant ensuite de décliner les mesures et dispositions permettant de garantir la reconnaissance de ce droit à l'environnement.

C'est pourquoi, dans leur grande majorité, les commentateurs de la Charte identifient ce droit à l'environnement comme un droit-créance, exigeant une action positive de l'Etat, au même titre que la plupart des droits inscrits dans le préambule de 1946, notamment les droits à la protection de la santé, à la protection sociale ou encore à la solidarité nationale.

Ainsi, lors de son audition devant la commission des Lois du Sénat, M. Louis Favoreu, professeur d'Université, « a considéré que le droit à l'environnement se rattachait plutôt à la catégorie des droits créances, qui nécessitaient pour être pleinement applicables, une intervention de l'Etat ».

S'agissant de l'environnement, reconnu en tant que « patrimoine commun des être humains », il incombe à l'Etat, et au premier chef au législateur, de garantir pour chacun, la préservation de ce bien collectif et sa qualité, car il contribue à la santé de tous.

La construction actuelle de notre droit de l'environnement fait application de ce principe, en intervenant sur chacun des éléments constitutifs de l'environnement, tels que rappelés par l'article L. 110-1 du code de l'environnement, à savoir, « les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l'air, les espèces animales et végétales » qui participent de la diversité et des équilibres biologiques.

Ainsi, retrouve-t-on, dans plusieurs textes particuliers, une invocation du lien entre environnement et santé comme fondement des mesures qu'ils proposent :

- l'article L. 211-1 du code de l'environnement, indique que la gestion équilibrée de la ressource en eau doit permettre de satisfaire ou concilier, notamment, les exigences de la santé et de la salubrité publique ;

- l'article L. 220-1 du code précité affirme que la politique mise en oeuvre par les autorités publiques doit avoir pour « objectif la mise en oeuvre du droit reconnu à chacun de respirer un air qui ne nuise pas à sa santé » ;

- l'article L. 511-1 du code précité soumet à un ensemble de mesures d'autorisation ou de déclaration, toute activité pouvant présenter des dangers ou des inconvénients pour la santé ou la salubrité publique ;

- l'article L. 521-1 du même code introduit le contrôle des substances et préparations chimiques afin de protéger l'homme et l'environnement des risques que celles-ci peuvent induire ;

- l'article L. 541-2 du même code impose à toute personne qui produit ou détient des déchets, dans des conditions de nature à porter atteinte à la santé de l'homme et à l'environnement, d'en assurer l'élimination dans les conditions prévues par les textes ;

- l'article L. 571-1 du même code entend réglementer les émissions des bruits ou des vibrations de nature à nuire à la santé des personnes.

La reconnaissance, au niveau constitutionnel de ce droit à un environnement équilibré et favorable à la santé renforce les obligations du législateur et surtout lui impose de prendre en compte ce principe, dans tous les domaines qui, indirectement, concernent l'environnement tels l'urbanisme, l'aménagement du territoire ou encore les transports .

S'agissant précisément du droit à vivre dans un « environnement équilibré », le qualificatif employé renvoie sans qu'il soit besoin de le préciser, aux « équilibres naturels », cités dans le premier considérant de la Charte ou encore à « la diversité biologique » mentionnée dans le cinquième considérant. Cette mention permet de caractériser le bon état des milieux de vie, un faible niveau de pollution ou de dégradation artificielle, ainsi que le maintien tant de la biodiversité que de la diversité des espaces et paysages naturels comme l'indique la commission Coppens. Il appartiendra aux autorités compétentes de fixer des objectifs et des critères adéquats pour atteindre les résultats escomptés.

En ce qui concerne l'affirmation du droit à vivre dans un environnement favorable à sa santé, il faut relever les très nombreuses réticences à l'encontre de la rédaction retenue par le projet de loi initial, alors même que chacun reconnaît le lien indiscutable entre environnement et santé. En particulier, l'emploi du terme « favorable » qui sous-entend que l'environnement aurait un effet thérapeutique sur la santé d'un individu, ce qui est sans doute vrai pour certains d'entre eux ou dans certains cas particuliers, peut néanmoins difficilement être élevé au rang de principe à valeur constitutionnelle.

Par ailleurs, il a été jugé que le terme « sa » santé semblait laisser croire que l'article 1 er établissait une protection de la santé de chaque individu, alors même que l'effet de l'environnement sur la santé doit être envisagé dans sa dimension épidémiologique et non individuelle.

C'est pourquoi l'Assemblée nationale a adopté, sur proposition de la commission des Affaires économiques, un amendement substituant le mot « respectueux » au terme « favorable », et sur proposition de la commission des Lois, un amendement transformant le terme « sa santé » en « la santé », afin de conforter la dimension globale et non individuelle de l'impact de l'environnement sur la santé.

Article 2 de la Charte de l'environnement -

Participation à la préservation et à l'amélioration de l'environnement

Cet article constitue le pendant de l'article 1 er de la Charte de l'environnement, qui affirme le droit à un environnement équilibré pour chacun, en énonçant pour toute personne, un devoir fondamental de participer à la préservation et à l'amélioration de l'environnement.

Comme le souligne M. Michel Prieur, « l'énoncé d'un devoir dans une déclaration des droits, n'est pas fréquente en France ». La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 rappelle « à tous les membres du corps social leurs droits et leurs devoirs » et le Préambule de la Constitution de 1946 proclame que « chacun a le devoir de travailler et le devoir d'obtenir un emploi » 9 ( * ) .

L'article 2 traduit le souhait du Président de la République, exprimé dans son discours du 18 mars 2002 à Avranches, que la Charte « rappelle les droits et les devoirs de chacun à l'égard de l'environnement et vis-à-vis des générations futures ».

Comme le souligne également la commission Coppens, « la qualité du patrimoine commun du milieu naturel et les atteintes que chacun y porte par ses modes de consommation, de production et par ses comportements, fondent les devoirs envers l'environnement » . Il s'agit d'une responsabilité tant individuelle que collective et le choix du terme « toute personne » renvoie tant aux personnes physiques que morales, publiques ou privées. Il est bien entendu que la participation des personnes peut varier selon leurs capacités, leurs ressources et surtout leurs responsabilités.

Cet article élargit les devoirs inscrits au deuxième alinéa de l'article L. 110-2 du code de l'environnement, qui dispose « qu'il est du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde et de contribuer à la protection de l'environnement », en s'inscrivant dans une démarche plus dynamique recherchant l'amélioration de l'environnement.

En tout état de cause et comme l'article 1 er , l'article 2 de la Charte a la portée d'un objectif de valeur constitutionnelle et il doit être mis en oeuvre par la loi et le règlement. En particulier, et comme le souhaite M. Michel Prieur, « ce devoir de préservation à l'égard de l'environnement » pourrait servir de fondement constitutionnel à un renforcement législatif du droit pénal de l'environnement en complément de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 sur le caractère évidemment nécessaire des peines. La sanction du non-respect de ce devoir devrait, en effet, être prévue par le Parlement et pourrait être l'occasion d'instituer enfin une incrimination pénale autonome et générale de destruction de l'environnement » 10 ( * ) . Il est bien entendu que cette évolution dépend de la volonté politique du législateur.

Article 3 de la Charte de l'environnement -

Devoir de prévention et de limitation des atteintes à l'environnement

Cet article se propose de constitutionnaliser le principe de prévention qui fonde d'ores et déjà tout le régime de police administrative déjà existant, à partir de la définition qu'en donne l'article L. 110-1 du code de l'environnement qui le retient parmi les principes généraux du droit.

Selon cet article, il s'agit d'un principe d'action préventive et de correction par priorité, à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable.

Comme le souligne le rapport de la commission Coppens, la prévention doit constituer le fondement et l'essentiel de l'action en faveur de l'environnement, afin d'éviter la survenance de dommages ou la réalisation de risques connus. La prévention doit être au coeur de l'action quotidienne face à un risque avéré, pour chercher à en minimiser l'impact sur l'environnement.

C'est en cela que la prévention diffère de la précaution, qui ne trouve à s'appliquer que dans des circonstances rares, face à un risque potentiel, mais dont l'impact sur l'environnement pourrait être grave et irréversible.

Le Conseil économique et social préconise que le principe de prévention soit plus strictement redéfini autour « des situations de risques, dont l'existence est scientifiquement établie et pour lesquelles la probabilité du risque peut être objectivement évaluée par l'analyse statistique ou par le raisonnement logique à travers un calcul de probabilités ».

Comme le souligne le dossier d'information du ministère de l'Ecologie et du développement durable sur la Charte de l'environnement, l'application du principe de prévention se traduit d'ores et déjà par la mise en oeuvre de plusieurs instruments parmi lesquels on peut citer :

- les études d'impact : elles sont prévues par la loi sur la protection de la nature du 10 juillet 1976. Il en existe de différentes catégories, couvrant des domaines plus ou moins larges : les « mini-notices d'impact » (consistant dans l'obligation de « respecter les préoccupations d'eau »), les notices d'impact (incidences sur l'eau à évaluer pour douze catégories de travaux et d'ouvrages qui échappent au régime de l'étude d'impact) ou encore les études d'impact (qui évaluent les conséquences des projets de travaux et ouvrages pour l'environnement mais aussi pour la santé) ;

- les autorisations préalables : système soumettant un certain nombre d'activités polluantes à des autorisations préalables à travers la réglementation sur les installations classées pour la protection de l'environnement ;

- la correction à la source pour réduire l'émission de pollution ou éviter la réalisation de dommages ;

- les éco-audits et le management environnemental auxquels les entreprises procèdent de leur propre chef pour améliorer, d'un point de vue environnemental, leurs installations ;

- les plans de prévention des risques tendant à la maîtrise de l'urbanisation conçus tout d'abord pour faire face aux risques naturels et que la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels étend aux risques technologiques.

On peut à l'inverse relever que le principe de prévention en tant que tel n'est pas effectivement intégré dans des textes internationaux auxquels la France a souscrit. La prévention relève en fait d'autres formulations, comme par exemple celle de la Convention de Paris pour la protection du milieu marin de l'Atlantique du Nord-Est de 1992, qui retient que les parties contractantes « tiennent pleinement compte de la mise en oeuvre des derniers progrès techniques réalisés et des méthodes conçues afin de prévenir et de supprimer intégralement la pollution » et qu'elles font en sorte « de faire appliquer les meilleures techniques disponibles et la meilleure pratique environnementale ». La prévention s'illustre donc par la mise en oeuvre de normes. Ainsi, la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement de 1992 prévoit que « les Etats doivent promulguer des mesures législatives efficaces en matière d'environnement ».

Le droit communautaire retient également ce principe puisque l'article 174 du traité de Maastricht énonce que « la politique de la Communauté dans le domaine de l'environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de la Communauté. Elle est fondée sur le principe de précaution et d'action préventive, sur les principes de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement et sur les principes du pollueur-payeur ».

La Charte de l'environnement n'introduit donc pas de notion nouvelle, mais en conférant une valeur constitutionnelle au principe de prévention, elle en impose le respect par toutes les normes de droit, quelque soit leur domaine d'application, d'autant plus que la formulation retenue expose que « toute personne doit dans les conditions, définies par la loi, prévenir ou, à défaut, limiter les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ». Toutes les personnes -physiques ou morales, publiques ou privées- sont donc concernées.

Comme le souligne l'exposé des motifs, l'expression « dans les conditions définies par la loi » montre la volonté du Constituant de doter le législateur d'un véritable pouvoir d'appréciation pour la mise en oeuvre du dispositif, ce qui confirme le travail législatif déjà réalisé .

Ainsi, la loi pourra avoir à préciser qui doit supporter le coût des mesures de prévention, de l'Etat, des collectivités territoriales ou des entreprises, ou encore définir des instruments fiscaux, dérogeant au principe d'égalité devant l'impôt pour encourager des mesures de prévention ou de correction de la pollution à la source.

L'Assemblée nationale a adopté cet article, assorti d'un amendement déposé par le groupe communiste, qualifié « d'essentiellement stylistique ».

Article 4 de la Charte de l'environnement -

Réparation des dommages causés à l'environnement

Comme le relève l'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle, cet article s'inscrit dans la suite logique de l'article 3 de la Charte de l'environnement, puisqu'il prévoit, en cas d'échec ou d'insuffisances des politiques de prévention mises en oeuvre, que la réparation incombe à l'auteur du dommage, dans les conditions définies par la loi.

A travers cet article, le principe de la réparation des dommages causés à l'environnement devient un principe constitutionnel et élargit, de ce fait, le champ d'application de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel qui avait admis, en 1999, que l'obligation de réparer les dommages causés à autrui était une exigence constitutionnelle 11 ( * ) . En effet, comme le souligne M. Michel Prieur, la Charte ne consacre pas l'obligation de réparer les dommages causés à autrui, mais de réparer les dommages causés à l'environnement, c'est-à-dire à des biens dont la plupart ne sont pas appropriés .

« L'obligation de réparer les dommages à l'environnement proclamée par l'article 4 s'impose à l'auteur d'un dommage et fonde juridiquement la mise en place d'un régime spécial de responsabilité applicable en matière d'environnement que le législateur est invité à mettre en place. Cette disposition qui ne remet en cause ni le droit commun de la responsabilité civile, ni le droit commun de la responsabilité administrative a pour but de permettre la réparation des dommages qui affectent l'environnement en lui-même, c'est-à-dire les éléments de l'environnement tels que la flore et la faune sauvage, l'eau ou l'air, les sites et paysages ou encore le sol » 12 ( * ) .

L'exemple très fréquemment utilisé renvoie aux conséquences écologiques des marées noires. Jusqu'à présent les coûts de traitement des oiseaux mazoutés ne pouvaient être imputés aux auteurs du dommage, ils le seront désormais du fait de la prise en compte de l'environnement, dans toutes ses composantes.

Lors des auditions tenues par votre rapporteur pour avis, deux critiques ont été principalement formulées à l'encontre de cet article, qui ne peuvent cependant pas être retenues.

D'une part, cet article serait en retrait par rapport à l'affirmation du principe pollueur-payeur inscrit à l'article L. 110-1 du code de l'environnement. Selon ce principe, « les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celles-ci doivent être supportés par le pollueur ». Comme le relève l'exposé des motifs, les auteurs du projet de loi n'ont pas voulu reprendre l'intitulé du principe pollueur-payeur », dont la formulation ambiguë et surtout la compréhension qui en est faite par l'opinion publique semblent laisser entendre que son application reconnaît, schématiquement, à celui qui paye, le droit de polluer.

Sur le fond, cette appréciation est trop réductrice, puisque l'article L. 110-1 du code de l'environnement met à la charge du pollueur les coûts de prévention contre une pollution, les coûts exposés pour la réduire ou lutter contre elle. En réalité, l'application du principe pollueur-payeur découlera, pour la partie prévention, de la mise en oeuvre de l'article 3 de la Charte de l'environnement.

Il s'intègre également dans le mécanisme de réparation des dommages, tel qu'énoncé par l'article 4 de la Charte, par la mise en oeuvre du droit de la responsabilité, qui met à la charge de l'auteur d'un dommage, le coût de la réparation du fait dommageable.

Mais, votre rapporteur pour avis considère, avec M. Michel Prieur, que la rédaction proposée pour l'article 4 va au-delà de la seule application du principe pollueur-payeur, en posant la question « de l'application ou non d'un système généralisé de responsabilité sans faute, ou responsabilité objective, pour les dommages directs ou indirects à l'environnement » 13 ( * ) .

Dans ces conditions, et pour répondre à la seconde série de critiques, il apparaît indispensable que l'article 4 de la Charte n'impose pas systématiquement la prise en charge intégrale de la réparation du dommage par le pollueur et que la mise en oeuvre de ce principe soit définie par la loi .

En effet, dans le cas de pollutions ponctuelles et délimitées, le responsable du dommage étant identifié, il sera possible de mettre à la charge de celui-ci la totalité du coût de la réparation.

En revanche, lorsqu'il s'agit de pollution diffuse des eaux souterraines par les nitrates, ou de sols pollués du fait d'exploitations industrielles successives, il n'est pas équitable de faire supporter par le « dernier » exploitant connu l'intégralité de la réparation du dommage.

En outre, un régime particulier de responsabilité devra être défini pour un dommage résultant d'une activité, soumise à autorisation et ayant respecté toutes les obligations liées à cette autorisation.

Il faut d'ailleurs relever que la directive n° 2004-35 du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux ne met pas en place un régime unique de responsabilité couvrant l'ensemble des dégâts environnementaux .

A l'évidence, c'est en application de l'article 4 de la Charte que le législateur devra assurer la transposition de cette directive en droit interne, et votre rapporteur pour avis avait d'ailleurs, au nom de la commission des Affaires économiques, présenté une proposition de résolution sur le sujet en mai 2003, dans laquelle il faisait plusieurs recommandations, notamment sur la responsabilité subsidiaire de l'Etat et l'étendue du champ d'application de la proposition de directive, afin de ne pas remettre en cause la compétitivité des entreprises au sein de l'Union européenne 14 ( * ) .

En définitive, le texte adopté instaure un système novateur, en matière environnementale, mais relativement bien encadré, et qui prévoit des marges de modulation significatives qu'il appartiendra au législateur de définir .

- Définition du dommage couvert par la directive :

Il doit s'agit d'un dommage « mesurable », induisant une modification négative d'une gravité significative d'une ressource naturelle ou d'une détérioration d'un service lié à des ressources naturelles et survenant de manière directe ou indirecte ; a priori, les pollutions à caractère diffus sont exclues.

- Trois catégories de domaines composant l'environnement sont concernées :

les espèces et les habitats protégés par le réseau Natura 2000 ;

les eaux entendues au sens de la directive du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour la politique communautaire dans le domaine de l'eau ;

les sols contaminés du fait de l'introduction directe ou indirecte de substances, préparations, organismes ou micro-organismes ;

- Lorsqu'il sera possible de prévenir ou limiter le dommage, l'autorité publique établira des prescriptions, et elle pourra, de manière facultative, se substituer à l'exploitant ;

- Mise en place d'un régime hybride de responsabilité objective (pour les activités jugées dangereuses, relevant du régime des installations classées) et pour faute, pour les autres activités et seulement en cas de dommages aux espèces et habitats naturels protégés ;

- La réparation du dommage n'incombe pas, systématiquement, de manière intégrale, à l'auteur du dommage et les Etats-membres peuvent décider d'exonérations :

en cas d'émission expressément autorisée et respectant toutes les conditions liées à une autorisation accordée au titre de la réglementation ;

lorsque l'exploitant établit la preuve que l'émission à l'origine du dommage n'était pas considérée comme susceptible de le causer, au regard des connaissances scientifiques et techniques au moment où elle a lieu.

Article 5 de la Charte de l'environnement-

Principe de précaution

L'article 5 de la Charte de l'environnement, qui confère une valeur constitutionnelle au principe de précaution, a focalisé sur lui les critiques les plus sévères. Nombre des personnes auditionnées par votre rapporteur pour avis ont émis des réserves sur le bien fondé de ce dispositif et son impact direct ou indirect non seulement sur le plan contentieux, mais plus généralement sur les activités de recherche, voire sur l'activité économique elle-même.

Ont été ainsi fréquemment invoqués les risques de judiciarisation de la vie économique, à travers la multiplication des recours, la tentation de l'immobilisme pour l'administration, afin d'éviter tout risque de mise en cause, le durcissement, par contagion, des exigences imposées par application du principe de prévention, ou encore la recherche à tout prix du risque zéro, se traduisant par un principe d'abstention systématique.

Votre rapporteur pour avis a été très à l'écoute de ces préoccupations, qu'il juge légitimes, si on fait une lecture rapide de cet article, qui se doit, de par sa nature constitutionnelle, d'être concis. Mais l'examen approfondi de son contenu, étayé par les très nombreuses études qui existent sur le principe de précaution lui font considérer que le dispositif tel qu'il est proposé par l'article 5 de la Charte doit permettre, au contraire, de clarifier le contenu de ce principe et d'encadrer sa procédure de mise en oeuvre.

A ce sujet, les amendements adoptés par l'Assemblée nationale, adoptés tant sur cet article 5 de la Charte que pour modifier l'article 34 de la Constitution, contribuent très largement à cet encadrement.

Il est, en outre, essentiel d'avoir à l'esprit que quoique cet article étant d'application directe, ses procédures de mise en oeuvre devront être précisées par une ou plusieurs lois.

1. Un principe préexistant mais mal encadré

Historiquement on peut rappeler que le principe de précaution a été formellement explicité en 1987, dans la Déclaration ministérielle de la Deuxième Conférence internationale sur la protection de la mer du Nord, et il est ainsi énoncé : « Une approche de précaution s'impose afin de protéger la mer du Nord des effets dommageables éventuels des substances les plus dangereuses. Elle peut requérir l'adoption de mesures de contrôle des émissions de ces substances avant même qu'un lien de cause à effet soit formellement établi au plan scientifique ».

Cette nouvelle approche s'inspire très directement du « Vorsorge prinzip » apparu en Allemagne dès 1971, qui trouve son acception en français et en anglais à travers, respectivement, le principe de précaution et le « precautionary principle ».

Le principe de précaution a ensuite été consacré par de nombreux textes internationaux d'inégale valeur juridique, sans qu'il soit possible d'en dégager une définition unique. On peut citer, à titre d'exemple, la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement (1992), la Convention-cadre sur le changement climatique (1992) ou encore le Protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques (2000).

En matière de commerce international, il faut citer également l'Accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) de l'Organisation mondiale du commerce (OMCE) destiné à encadrer l'utilisation de normes sanitaires phytosanitaires. Cet accord reconnaît aux membres de l'OMC la possibilité de protéger la santé et la vie des personnes et des animaux, ainsi que la protection des végétaux, sans pour autant que les mesures de protection puissent « constituer un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les membres de l'OMC » ou soient « une restriction déguisée au commerce international » 15 ( * ) . Ces dispositions admettent une application du principe de précaution strictement encadrée notamment par l'article 5.7 de l'Accord SPS, sans que le terme soit explicitement utilisé.

En droit communautaire, la reconnaissance du principe de précaution est récente et il figure dans le traité de l'Union européenne de Maastricht à l'article 130-R devenu l'article 174 du Traité d'Amsterdam, qui dispose que : « La politique de la Communauté dans le domaine de l'environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de la Communauté. Elle est fondée sur les principes de précaution et d'action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement et sur le principe du pollueur-payeur. »

On peut noter qu'il est fait référence au principe de précaution, sans qu'il en soit donné une définition précise.

La Commission européenne a adopté, le 2 février 2000, une communication sur le principe de précaution, dépourvu de valeur juridique, mais qui constitue un guide très complet de sa définition et de ses conditions de mise en oeuvre au plan communautaire.

Enfin, le Conseil européen de Nice, qui s'est tenu en décembre 2000, a adopté une résolution sur le principe de précaution, à travers laquelle il s'engage à mettre en oeuvre ce principe et invite la Commission à « appliquer de façon systématique ses lignes directrices sur les conditions du recours au principe de précaution, en tenant compte des spécificités des différents secteurs où elles sont susceptibles d'être mises en oeuvre. »

La Cour de justice des communautés européennes a invoqué ce principe pour la première fois en 1998 pour justifier le bien-fondé des mesures restrictives imposées par la Commission aux exportations de viande bovine à partir du territoire britannique 16 ( * ) .

Il convient donc de relever qu'en droit communautaire, l'application du principe de précaution qualifié de principe général du droit communautaire par la jurisprudence, dépasse le strict cadre de l'environnement pour s'appliquer à celui de la santé.

Dans notre droit national, la reconnaissance du principe de précaution résulte de la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement et figure désormais à l'article L. 110-1 du code de l'environnement. Celui-ci dispose que les politiques environnementales doivent notamment s'inspirer, « dans le cadre des lois qui en définissent la portée », « du principe de précaution, selon lequel l'absence de certitude, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ». Mais il faut bien noter qu'aucune loi n'est intervenue pour définir ce principe.

Comme le relève M. Michel Prieur 17 ( * ) , « s'agissant d'un principe nouveau, la jurisprudence est déjà substantielle. Elle limite clairement le champ d'application et l'enferme dans des règles procédurales maîtrisables ». Le principe est ainsi invoqué à l'occasion du contrôle de la légalité interne d'un acte administratif relatif à l'environnement ou encore dans le contrôle de l'utilité publique, à travers le bilan coût-avantage d'un projet. Dans son rapport annuel 2000, le Conseil d'Etat confirme l'intégration du principe de précaution dans la théorie du bilan, dans le domaine de l'environnement.

Force est de constater, en outre, que le Conseil d'Etat tend à faire application de ce principe dans le domaine de la santé publique en se référant notamment « aux mesures de précaution qui s'imposent en matière de santé publique » 18 ( * ) , ce qui revient quasiment au même.

En revanche, le rapport Kourilsky-Viney note que « les juridictions judiciaires paraissent jusqu'à présent, ignorer à peu près complètement le principe de précaution. » 19 ( * ) .

Au-delà de l'analyse de la jurisprudence, force est de constater que le principe de précaution tend à être pris dans un sens large. Comme le souligne le rapport Kourilsky-Viney, le principe de précaution a connu un succès d'opinion si notable que son usage en est devenu parfois « incantatoire ». Son invocation « s'explique aujourd'hui autant par les défaillances de la prévention que par l'émergence de nouveaux risques potentiels » 20 ( * ) .

Cet état de fait traduit indéniablement un manque de confiance des citoyens envers leurs institutions en charge de la prévention mais aussi les différents acteurs sociaux concernés, qu'il s'agisse des chercheurs, des experts, des industriels, des médias ou des administrateurs.

Il apparaît donc nécessaire de clarifier cette situation juridique en recadrant l'application du principe de précaution dans le domaine de l'environnement.

2. Le contenu du principe de précaution

Plusieurs éléments cumulatifs sont exigés pour justifier son déclenchement :

- La prise en compte à un stade précoce d'un dommage incertain en l'état des connaissances scientifiques . Cette expérience fonde la différence entre le champ de la prévention qui doit intervenir en cas de risque avéré et celui de la précaution, qui prend en compte un risque potentiel . L'incertitude porte sur le ou les effets d'une activité ou d'un produit sur un ou plusieurs mécanismes naturels, et donc sur l'hypothèse même du risque. Elle doit néanmoins s'appuyer sur des données scientifiques les plus réalistes.

Il est à noter que l'article 5 de la Charte ne prend en compte que les seules connaissances scientifiques, et non les connaissances techniques également visées par l'article L. 110-1 du code de l'environnement, ce qui limite le champ potentiel de mise en oeuvre du principe de précaution.

La prise en compte précoce de ce type de risques doit rester exceptionnelle, car dans la plupart des cas, les risques à envisager sont des risques avérés, ce qui entraîne la mise en oeuvre de mesures de prévention.

Il en est ainsi des risques industriels, dans leur très grande majorité, de l'impact des infrastructures, sur la faune ou la flore, de la pollution de l'eau par les nitrates ou le déversement de certaines substances.

De même, la gestion des déchets radioactifs relève désormais de la prévention car les risques sont clairement identifiés.

En revanche, la conduite à l'égard des organismes génétiquement modifiés (OGM) doit être guidée au cas par cas, et par catégorie d'OGM, par la mise en oeuvre du principe de précaution.

A notre sens, il en est de même à l'égard du réchauffement climatique. En effet, s'il existe une corrélation remarquable entre climat et gaz carbonique, il subsiste de nombreuses incertitudes, notamment sur l'effet des molécules de dioxyde de carbone issues des activités humaines et surtout sur le rythme du réchauffement attendu.

L'adoption et la mise en oeuvre du protocole de Kyoto traduit l'engagement des Etats signataires pour des actions volontaires, sans moratoire ni interdiction généralisée.

- L'exigence d'un dommage grave et irréversible . Ce caractère cumulatif entre les deux qualificatifs se trouve déjà dans la rédaction de l'article L. 110-1 du code de l'environnement et il convient qu'il soit maintenu afin d'éviter tout risque de blocage en matière d'innovation. En matière d'environnement, il faut reconnaître que le caractère irréversible d'un dommage incite à reconnaître sa gravité.

- L'exigence du caractère environnemental du dommage . L'article 5 de la Charte limite très clairement le champ d'application du principe de précaution aux cas de dommages à l'environnement, sans mentionner la santé. La combinaison de l'article 1 er et de l'article 5 de la Charte ne permet pas de dire que l'article 5 pourrait également concerner un dommage en matière de santé. En revanche, de manière indirecte, la santé pourra être prise en compte si outre un dommage grave et irréversible à l'environnement, on envisage un risque potentiel en matière de santé publique.

L'article 5 de la Charte désigne ensuite précisément les acteurs de la procédure et définit leur rôle.

- Le déclenchement de la procédure incombe aux autorités publiques , c'est-à-dire aux personnes morales publiques dotées d'un pouvoir normatif. Il s'agit de l'Etat et des collectivités territoriales, et au niveau de l'Etat, les autorités administratives, mais aussi le juge ou le législateur. Cette rédaction est plus restrictive que celle retenue pour l'article L. 110-1 du code de l'environnement, qui concerne également les personnes privées.

L'Assemblée nationale a fort heureusement précisé que les autorités publiques interviennent « dans leurs domaines d'attributions » quant à l'application du principe de précaution. Ceci contribue à rassurer les élus locaux, notamment des petites communes qui craignaient de se voir contraints sur tous les sujets.

- La mise en oeuvre du principe de précaution doit être conduite selon deux axes distincts liés dans leur application . Selon l'ordre adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, on citera d'abord :

la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques. Comme le souligne Olivier Godard, « l'expertise scientifique est l'un des deux piliers de la mise en oeuvre du principe de précaution ». Il s'agit d'éclairer les décideurs publics sur les mesures de précaution à prendre en l'absence de certitudes scientifiques. Il faut noter que la Résolution sur le principe de précaution adoptée par le Conseil européen de Nice en décembre 2000 invite la commission et les Etats membres à attacher une importance toute particulière au développement de l'expertise scientifique. Selon les termes employés, il est recommandé « une expertise pluridisciplinaire, contradictoire, indépendante et transparente » ;

l'adoption de mesures provisoires et proportionnées. Il ne s'agit pas d'exiger en toute circonstance l'adoption des mesures les plus extrêmes, mais bien au contraire de choisir des mesures proportionnées et inscrites dans une logique de révision en fonction de l'avancement des connaissances scientifiques et empiriques des risques. Le qualificatif « proportionné » impose de prendre en compte le niveau de gravité des dommages possibles, l'objectif de sécurité poursuivi, le coût direct et d'opportunité des mesures de précaution et le niveau de consistance des hypothèses de danger.

Les mesures adoptées peuvent aller d'une simple préconisation, à la recherche de solutions alternatives, ou encore un moratoire.

L'exigence de proportionnalité écarte donc la recherche du risque zéro, à travers l'application du principe de précaution ;

- dans le texte initial du projet de loi constitutionnel, l'objectif assigné à ces mesures était d'éviter la réalisation du dommage , ce qui avait fait l'objet de nombreuses critiques. Les autorités publiques se voyaient fixer une obligation de résultat dans un état des connaissances scientifiques incertaines, ce qui contribuait à l'évidence à encourager la recherche du risque zéro. L'Assemblée nationale a substitué les termes « parer à » au verbe « éviter », pour signifier que tout ce qui pouvait être fait devait être mis en place, sans pour autant qu'il en résulte une obligation de réussir. Il s'agit d'un principe relativement proche du principe ALARA utilisé dans le domaine nucléaire qui exige en définitive que tout soit mis en oeuvre pour parvenir à un risque « aussi faible qu'il soit possible de le concevoir ».

De cette analyse détaillée de la mise en oeuvre du principe de précaution, on peut donc confirmer qu'il s'agit bien d'un principe d'action précoce, qui pour être efficient devra s'appuyer sur la recherche et l'expertise.

3. Les conséquences de la constitutionnalisation du principe de précaution

A l'exclusion de tous les autres, seul l'article 5 de la Charte de l'environnement constitue un principe constitutionnel d'application directe, en raison de l'usage des termes « par application du principe de précaution », selon les explications du Garde des Sceaux, ministre de la Justice.

Ceci est justifié par le fait que l'usage du principe de précaution doit permettre d'appliquer des procédures pour répondre à des situations d'incertitude grave, et par conséquent l'adoption d'une loi tendant par exemple à énumérer les cas de déclenchement du principe de précaution serait par nature incomplète et source de critiques.

En revanche, et comme le rappelle fort justement M. Michel Prieur, dans son étude précitée 21 ( * ) , « l'invitation du constituant n'est pas nécessaire pour que le législateur intervienne. Il peut le faire de lui-même, sous la réserve évidente de ne pas dénaturer le principe constitutionnel, sous le contrôle du juge constitutionnel ». C'est ainsi que le Conseil Constitutionnel a considéré que c'était au législateur de déterminer les conditions de mise en oeuvre du 8 e alinéa du Préambule de 1946 alors même que ce dernier ne renvoyait aucunement à la loi.

« Considérant, d'autre part, que, si le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 , confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, dispose en son huitième alinéa que « tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises », l'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical ; qu'ainsi c'est au législateur qu'il revient de déterminer , dans le respect des principes qui sont énoncés au huitième alinéa du Préambule, les conditions de leur mise en oeuvre , ce qu'il a fait dans le cas de l'espèce.

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'article 4 de la loi soumise à l'examen du Conseil Constitutionnel n'est contraire à aucune disposition de la Constitution non plus qu'à aucune autre disposition ayant valeur constitutionnelle, à laquelle la Constitution se réfère dans son Préambule » 22 ( * ) .

Le libellé de cette décision tranche dans un sens positif l'interrogation essentielle soulevée par beaucoup de nos interlocuteurs à propos de la possibilité ou non pour le législateur d'intervenir pour préciser les conditions de mise en oeuvre de l'article 5 de la Charte de l'environnement, car elle lui est pleinement transposable.

Tel qu'adopté par l'Assemblée nationale, le projet de loi constitutionnelle, à travers un article additionnel, modifie en effet l'article 34 de la Constitution, en rangeant dans le domaine de la loi la détermination des droits fondamentaux en matière de préservation de l'environnement. A ce titre, il revient au législateur de déterminer dans le respect des principes qui sont énoncés à l'article 5 de la Charte, les conditions de leur mise en oeuvre .

Nul n'est donc besoin de prévoir expressément l'intervention d'une loi et il convient surtout de solliciter un engagement solennel du Gouvernement sur le dépôt d'un ou plusieurs textes de lois pour faciliter la mise en oeuvre de cet article.

Il conviendrait ainsi de préciser les conditions d'organisation de l'expertise, de définir sans doute le statut de l'expert, ou encore les standards à utiliser pour établir des mesures proportionnées. Il pourrait être également envisagé de légiférer sur certaines catégories de risques.

On peut ainsi considérer que la transposition à venir de la directive 2001/18/CE sur la dissémination des OGM devra être l'occasion de déterminer les mesures appropriées nécessaires pour garantir la ségrégation, seule à même d'assurer le respect des cultures traditionnelles et biologiques.

En ce qui concerne les pouvoirs du juge s'agissant de l'appréciation de décisions prises par les pouvoirs publics sur le fondement du principe de précaution, la constitutionnalisation de celui-ci ne devrait pas entraîner de modification substantielle. Le Conseil d'Etat s'est prononcé en faveur d'un contrôle restreint 23 ( * ) , celui de l'erreur manifeste d'appréciation, le contrôle exercé par le juge étant essentiellement procédural. Au titre de ses obligations procédurales figure une obligation d'information qui incombe à l'administration.

S'agissant de l'intervention du juge en cas d'urgence, on peut considérer, comme M. Bertrand Mathieu, que « c'est peut-être dans le domaine du référé-suspension que le principe de précaution est susceptible de connaître ses plus importants développements » 24 ( * ) . En effet, les mesures prises par le juge dans le cadre du référé-suspension prévu par l'article L. 521-1 alinéa du code de justice administrative s'inscrivent dans la logique du principe de précaution : les mesures sont provisoires, elles sont motivées par l'urgence et il y a une incertitude quant à la légalité de l'acte.

Mais en revanche, il convient de citer également Mme Cécile Castaing qui considère qu'à l'inverse du sursis à exécution, le nouveau référé-suspension ne confirme pas le rôle primordial du principe de précaution dans le contentieux de l'urgence. Selon elle, l'immédiateté requise exigée pour qualifier le préjudice porté par la décision attaquée interdit au juge de prendre en compte des effets à long terme caractérisant le principe de précaution 25 ( * ) .

Enfin, une affirmation mérite très clairement d'être combattue, s'agissant de l'éventuelle mise en cause de la responsabilité pénale des autorités publiques du fait de la constitutionnalisation du principe de précaution 26 ( * ) .

- D'une part, il convient de rappeler que le droit pénal ne connaît le risque que si celui-ci est avéré. L'article L. 121-3 du code pénal sanctionne une imprudence ou un manquement à une obligation de prudence et de sécurité face à un risque connu ou susceptible d'être connu par l'auteur de la faute.

- De plus, le délit non intentionnel ou délit d'imprudence prévu par cet article du code pénal doit être établi spécialement par la loi, entendue au sens strict. Il faudrait que le législateur intervienne pour créer une nouvelle incrimination pénale délictuelle ou criminelle fondée sur un manquement au principe de précaution.

- En outre, l'application de l'article 223-1 du code pénal réprimant le délit de mise en danger délibérée d'autrui réprime le manquement à un risque réel.

Ainsi, en ce qui concerne la responsabilité pénale des élus et des fonctionnaires, on peut affirmer avec M. Michel Prieur qu'« il résulte des lois du 13 mai 1996 et du 10 juillet 2000 qu'elle ne pourrait être engagée pour faute de non précaution dans la mesure où, parmi les conditions posées par la loi, figure l'exigence d'une faute caractérisée exposant autrui à un risque qu'on ne pouvait ignorer. Le risque incertain est donc exclu.

En conclusion de cette analyse détaillée de l'article 5 de la Charte de l'environnement, justifiée par l'ampleur des inquiétudes légitimes que sa rédaction initiale soulevait, votre rapporteur pour avis considère que tel qu'issu du vote de l'Assemblée nationale, il définit « une version pondérée, réservée et délibérative du principe de précaution ». Votre commission des Affaires économiques s'est en effet préoccupée de vérifier que la reconnaissance de ce principe au niveau constitutionnel n'induise pas d'entrave supplémentaire aux capacités d'innovation de nos entreprises.

A la suite de MM. Dominique Bourg et Kerry H. Whiteside, on est en droit d'espérer que « cette version est susceptible de rassembler un maximum d'acteurs autour d'une nouvelle idée de la façon d'assumer nos responsabilités face aux risques majeurs, notamment globaux, dans un contexte d'incertitude » 27 ( * ) .

En outre, votre rapporteur pour avis est convaincu que les entreprises qui auront su intégrer la prise en compte de l'environnement dans une stratégie de développement durable y gagneront un crédit et des marchés supplémentaires, ce qui constitue autant d'atouts dans le contexte actuel d'une concurrence économique exacerbée.

Enfin, il réitère le souhait, à l'instar de la très grande majorité de votre commission des Affaires économiques, de l'intervention rapide d'une loi permettant de lever toutes les équivoques.

Article 6 de la Charte de l'environnement -

Promotion du développement durable

L'article 6 de la Charte de l'environnement définit le développement durable comme un objectif constitutionnel devant guider l'ensemble des politiques publiques.

Il consacre de façon explicite la philosophie de la Charte résumée dans les considérants eux-mêmes, qui mettent en avant le lien indissociable entre l'homme et l'environnement, l'influence croissante des activités humaines, la nécessité de préservation de l'environnement et le devoir de solidarité entre les peuples et avec les générations à venir.

D'une part, l'article 6 de la Charte affirme que les politiques publiques doivent promouvoir le développement durable, ce qui répond au principe d'intégration consacré par le principe 4 de la Déclaration de Rio selon lequel pour parvenir au développement durable, il faut intégrer l'environnement dans le processus de développement.

Cette obligation correspond aussi à des exigences d'intégration figurant à l'article 6 du traité instituant la communauté européenne, selon lequel : « les exigences de la protection de l'environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en oeuvre des politiques et actions de la Communauté (...), en particulier afin de promouvoir un développement durable ».

Elle s'inspire également de l'article 37 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui dispose qu'« un niveau élevé de protection de l'environnement et l'amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l'Union et assurés conformément au principe du développement durable.

Par rapport à l'une et l'autre de ces formulations, on peut relever que l'article 6 de la Charte de l'environnement est plus exigeant puisqu'il vise non seulement la protection mais aussi la mise en valeur de l'environnement.

En droit interne, la constitutionnalisation du principe d'intégration ainsi réalisée par cet article, élargit les obligations inscrites à l'article L. 110-1 du code de l'environnement, à l'ensemble des politiques publiques, puisque cet article n'assignait un objectif de développement durable qu'aux seules politiques environnementales.

La commission Coppens a explicité dans son rapport les modalités de prise en compte du principe d'intégration dans les politiques économiques et sectorielles, afin de contribuer à modifier les comportements de production et de consommation :

- la prise en compte, par les politiques économiques et sectorielles, des considérations environnementales dans les instruments de régulation des marchés concernés ;

- l'évaluation des impacts sur l'environnement, sur l'usage des milieux ou sur la santé des politiques et décisions publiques, pour améliorer l'efficacité et la transparence des choix publics ;

- l'attribution d'une valeur aux ressources naturelles en accès libre ou d'un coût à la vie humaine ou une « valeur d'option » au maintien de choix possible lorsqu'on est en présence d'irréversibilités afin que l'analyse coûts-avantages intègre les impacts sur l'environnement ;

- la définition, par la puissance publique, du niveau de qualité de l'environnement jugé acceptable par la société.

Source : Rapport de la commission Coppens de préparation de la Charte de l'environnement (page 24).

D'autre part, l'article 6 de la Charte explicite la nécessaire conciliation entre les trois piliers du développement durable, à savoir le développement économique, le progrès social et la qualité de l'environnement.

La formulation de cet article dans la version initiale du projet de loi constitutionnelle, à savoir « les politiques publiques prennent en compte la protection et la mise en valeur de l'environnement et les concilient avec le développement économique et social » a fait l'objet de nombreuses critiques fondées d'ailleurs sur des interprétations qui divergeaient sur le sens à donner à cette rédaction .

Pour les uns, la protection et la mise en valeur de l'environnement se trouvaient subordonnées aux exigences du développement économique et social, trahissant ainsi l'esprit du développement durable. Pour d'autres, au contraire, l'environnement étant cité en premier lieu et faisant l'objet d'une consécration constitutionnelle à travers la Charte, cet impératif risquait systématiquement d'être privilégié au détriment du développement économique et social.

Or, l'objet de l'article est bien d'assurer la conciliation de ces trois piliers, sans établir de hiérarchie, même si l'un d'entre eux vient seulement de recevoir une consécration constitutionnelle.

Pour appuyer cette interprétation, l'Assemblée nationale a judicieusement, sur proposition de la commission des Lois, modifié la rédaction de l'article 6 pour préciser que les politiques publiques « concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social ».

Votre commission des Affaires économiques réaffirme l'importance qu'elle accorde au concept de développement durable dans lequel doit s'inscrire une politique ambitieuse de protection et de mise en valeur de l'environnement .

En effet, de l'ensemble des auditions tenues par votre rapporteur pour avis, il apparaît qu'une grande partie des inquiétudes et des objections exprimées pourraient être levées, si on veut bien observer que toute l'articulation de la Charte de l'environnement découle de l'affirmation de l'impérieuse nécessité du développement durable, pour en décliner les différents outils.

Article 7 de la Charte de l'environnement -

Droits d'accès aux informations relatives à l'environnement
et participation à l'élaboration des décisions publiques
ayant une incidence sur l'environnement

L'article 7 de la Charte de l'environnement consacre un droit constitutionnel d'accès aux informations relatives à l'environnement détenues par les personnes publiques et de participation à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement.

Comme le soulignent, tant le rapport de la commission Coppens, que l'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle, il s'agit de répondre à une demande forte émanant de nos concitoyens, s'agissant d'une meilleure information sur les conséquences de leurs comportements et sur les impacts des politiques publiques sur l'environnement .

Ces dispositions sont la concrétisation et la mise en oeuvre directe du droit à l'environnement inscrit à l'article 1 er et de la Charte et du devoir de veiller à la préservation et à l'amélioration de l'environnement prévu par l'article 2.

Il convient de faire valoir que ce droit à l'information et à la participation en matière d'environnement est déjà largement reconnu tant en droit international que communautaire que par le corpus juridique national.

- Ainsi le principe 10 de la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement, adoptée le 13 juin 1992 expose que « la meilleure façon de traiter les questions d'environnement est d'assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient. Au niveau national, chaque individu doit avoir dûment accès aux informations relatives aux substances dangereuses dans leurs collectivités et avoir la possibilité de participer aux processus de prise de décision... ».

- Plus récemment, la Convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement a été signée à Aarhus le 25 juin 1998. Elle est entrée en vigueur en France le 6 octobre 2002, après la promulgation de la loi en autorisant la ratification le 1 er mars 2002.

PRÉSENTATION DE LA CONVENTION D'AARHUS

Cet instrument international fait expressément obligation aux parties d'associer davantage le public au règlement des questions relatives à l'environnement et de veiller à ce qu'il puisse facilement saisir la justice si ces droits ne sont pas reconnus. Il prévoit une diffusion efficace de l'information relative à l'environnement et plus de transparence au niveau des procédures de prise de décisions. Ces mesures se traduiront par une augmentation de la masse d'informations mises à la disposition du public, ce qui ne pourra que contribuer à l'amélioration du processus décisionnel et à la création d'un environnement plus sain. Avec cette convention, la CEE-ONU a fait un grand pas en avant dans l'optique non seulement de la préservation de l'environnement mais aussi du renforcement de la démocratie.

1) Le droit de savoir

Dans une démocratie, la population a le droit de savoir et devrait avoir facilement accès à l'information. Il est nécessaire de faire un effort de sensibilisation auprès du public et de veiller à ce qu'il participe réellement au règlement des questions qui le concernent. Longtemps, l'information sur l'état de l'environnement ou les effets de certaines activités sur l'environnement a été recouverte du voile du secret. Dorénavant, la Convention demande à toutes les parties de lever ce voile et d'informer clairement le public.

2) Le droit de participer

La participation du public contribue à responsabiliser davantage les décideurs et à rendre plus transparent le processus de prise décisions en matière d'environnement. Dans le passé, elle a souvent été refusée ou évitée pour des motifs économiques, politiques et quelquefois sociaux. Désormais, la Convention demande à toutes les parties de prendre des dispositions pour assurer la participation du public et ainsi de mieux tenir compte des considérations environnementales dans les processus décisionnels gouvernementaux. On sait bien que la participation du public à ces processus permet de prendre de meilleures décisions et en facilite l'application. Chacun devrait avoir la possibilité de faire part de ses préoccupations et d'exprimer son avis et les pouvoirs publics devraient en tenir dûment compte.

3) Le droit d'accès à la justice

Pour que l'accès à l'information et la participation du public à la prise de décisions soient effectifs, il est nécessaire de prévoir des recours administratifs ou judiciaires. Seul un mécanisme de recours permet de contester la validité des décisions des autorités et d'assurer la bonne application de la Convention. Toutes les parties doivent donc faire en sorte que chacun ait facilement et librement accès à une procédure de recours devant une instance judiciaire ou un autre organe indépendant et impartial.

Source : Commission économique des Nations unies pour l'Europe (CEE-ONU).

En droit national, ce principe a été progressivement introduit :

- la loi du 2 février 1995 définissait un principe de participation, codifié à l'article L. 110-11 du code de l'environnement, selon lequel « chacun doit avoir accès aux informations relatives à l'environnement, y compris celles relatives aux substances et activités dangereuse s » ;

- l'article 4 de la loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l'air et l'utilisation de l'énergie codifié à l'article L. 221-6 du code de l'environnement fait application de ce droit à l'information en organisant la publication d'un certain nombre de documents relatifs à la pollution atmosphérique et à la qualité de l'air ;

- l'article 132 de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité modifie l'article L. 110-1 du code de l'environnement pour compléter le contenu du principe d'information par « et le public est associé au processus d'élaboration des projets ayant une incidence importante sur l'environnement ou l'aménagement du territoire » ;

- les dispositions relatives à la Commission nationale du débat public ont été également considérablement renforcées par l'article 134 de la loi du 27 février 2002 précitée.

Tel qu'il est libellé par l'article 7 de la Charte de l'environnement, le principe de participation est entendu tout à la fois plus largement mais également dans des conditions plus strictes que celles posées par l'article L. 110-1 du code de l'environnement.

- le terme « toute personne » comme cela a déjà été expliqué à l'article 2 de la Charte renvoie expressément à toute personne physique ou morale, publique ou privée et il est donc plus large que le terme « chacun » et plus précis que le mot « public », s'agissant du volet participation. En tout état de cause, les collectivités territoriales sont déjà largement concernées par l'application de ce principe, s'agissant notamment de tout projet d'infrastructure ou d'aménagement ayant une incidence sur l'environnement ;

- l'accès aux informations est strictement limité aux informations détenues par les « autorités publiques » contrairement à l'article L. 110-1 du code de l'environnement qui ne précisait rien, ce qui paraît plus compatible avec le respect d'autres dispositions, notamment le secret industriel et commercial. Néanmoins, comme le souligne l'exposé des motifs du projet de loi, cette restriction du droit d'accès aux informations détenues par certaines entreprises privées, notamment afin de tirer les conséquences de conventions internationales ;

- l'application du principe de participation porte sur l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement et non plus seulement sur le processus d'élaboration des projets ayant une incidence importante sur l'environnement ou l'aménagement du territoire. Mais il convient de relever que la reconnaissance de ce droit n'a pas d'effet direct, puisque l'article 7 de la Charte précise que ce droit s'exerce « dans les conditions et limites définies par la loi ».

S'agissant des décisions ponctuelles ayant une incidence sur l'environnement, l'arsenal juridique national est déjà conséquent, si on veut bien prendre en compte les moyens et le champ d'intervention de la Commission nationale du débat public, ou encore les modalités de participation du public notamment pour l'élaboration et la révision des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux.

M. Michel Prieur, dans son étude précitée, va plus loin en considérant que l'article 7 de la Charte conduira le législateur à introduire un mécanisme de participation à l'élaboration des actes réglementaires, afin de renforcer la démocratie participative à ce niveau de prise de décisions.

En tout état de cause, l'inscription du principe de participation dans la Charte de l'environnement pourrait concerner progressivement l'ensemble des politiques sectorielles, voire, comme le suggère le dossier d'information du ministère de l'Ecologie et du développement durable, la politique économique elle-même, dès lors qu'une décision a un impact sur l'environnement.

Article 8 de la Charte de l'environnement -

Education et formation à l'environnement

L'article 8 de la Charte de l'environnement consacre le lien entre éducation et formation à l'environnement et la faculté pour chacun d'assumer les devoirs et de bénéficier des droits contenus dans la Charte.

Comme le souligne la commission Coppens, « chacun a besoin, pour adopter un comportement qui ne porte pas atteinte à l'environnement, voire y soit favorable, de connaître les conséquences de ses gestes et choix. L'homme bien informé peut prendre des mesures pour modifier ses comportements, ses modes de consommation et de production de manière à assurer la sauvegarde et l'amélioration de la qualité de son cadre de vie et de celui des générations futures» 28 ( * ) .

Sont concernées par l'article 8 de la Charte l'éducation et la formation, ce qui couvre l'ensemble du cycle de la formation initiale, du scolaire à l'universitaire, mais également la formation continue.

Cette inscription d'une obligation en matière d'éducation à l'environnement dans la Charte n'aboutit pas à une définition autoritaire du contenu des programmes, mais elle garantit une offre minimale et surtout elle donne un cadre aux nombreuses initiatives prises dans ce domaine. Ainsi, une telle disposition devrait favoriser la cohérence entre les politiques territoriales conduites par les régions, les départements voire les communes et les politiques nationales.

Article 9 de la Charte de l'environnement -

Rôle de la recherche et de l'innovation en matière de préservation
et de mise en valeur de l'environnement

Cet article, qui peut s'apparenter également à une déclaration de principe, complète l'article précédent en indiquant que la recherche et l'innovation doivent apporter leur concours à la préservation de l'environnement et à sa mise en valeur.

L'une des applications les plus directes de cette déclaration de principe concerne la mise en oeuvre de l'article 5 de la Charte, à travers l'obligation d'évaluation des risques potentiels encourus, par application du principe de précaution.

Comme le souligne la commission Coppens, il est bon de rappeler le rôle indispensable de la recherche et de l'innovation en matière de préservation de l'environnement et du développement durable :

- en premier lieu, la démarche scientifique doit apporter un éclairage indispensable à la prise de conscience des populations et à la prise de décisions par les autorités publiques. Pour y parvenir, il convient notamment de favoriser le décloisonnement des disciplines scientifiques entre elles, car « la caractéristique de toute recherche sur les problèmes économiques réside dans sa complexité qui exige une approche faisant appel à de nombreuses disciplines scientifiques, devant apprendre à dépasser leurs cloisonnements habituels pour produire collectivement des représentations au plus proche des phénomènes réels », parfois à partir « d'une construction scientifique théorique reposant sur un vaste ensemble conceptuel » 29 ( * ) ;

- deuxièmement, la recherche et la technologie peuvent contribuer à la définition de solutions innovantes permettant de définir des modes de production et de consommation qui économisent les ressources, réduisent les atteintes à l'environnement et préservent la biodiversité. Ceci concerne notamment l'énergie, les transports, les industries de grande consommation et la santé.

Curieusement, parmi les personnes auditionnées par votre rapporteur pour avis, beaucoup d'entre elles se sont inquiétées d'un « risque d'asservissement » de la recherche et de l'innovation aux seuls impératifs de l'environnement et de sa protection.

Il n'en est rien et la volonté du constituant est bien de reconnaître, au plus haut niveau des normes juridiques nationales, l'importance de la recherche et de l'innovation dans le cadre du développement durable .

Les textes législatifs qui seront pris par la suite sur le fondement de la Charte de l'environnement ne devraient d'ailleurs pas, selon votre rapporteur pour avis, manquer de le souligner.

La rédaction retenue par l'article 9 de la Charte, qui vise « la recherche et l'innovation », en tant que termes génériques, permet donc d'affirmer qu'il ne s'agit pas, à travers cet article, de définir le contenu des programmes de recherche.

Ceci serait d'ailleurs incompatible avec le principe constitutionnel de liberté de la recherche établi par la jurisprudence du Conseil Constitutionnel. Dans sa décision 83-165 DC, il a considéré que la libre expression et l'indépendance des professeurs d'université constituait un principe fondamental reconnu par les lois de la République et constitutionnellement protégé.

Enfin, le choix des termes « doivent contribuer » implique que soient adoptées des mesures d'application, notamment par voie législative. Il ne s'agit en aucun cas d'une injonction impérative à valeur normative autonome.

Article 10 de la Charte de l'environnement -

Action européenne et internationale de la France

L'article 10 de la Charte de l'environnement dispose que celle-ci « inspire l'action européenne et internationale de la France ».

Comme le rappelle la Commission Coppens, « la science, la technique et le développement économique donnent à l'humanité, pour la première fois dans son histoire, les moyens d'influer durablement sur les milieux naturels, de façon positive ou négative, et d'en altérer les équilibres à l'échelle non plus seulement locale mais aussi planétaire » 30 ( * ) .

Il est donc logique que la Charte de l'environnement prenne en compte la dimension européenne et internationale des actions à mener en matière d'environnement et de développement durable.

L'impact international de la Charte apparaît déjà à travers les références faites dans les considérants à « l'humanité », « au patrimoine commun des êtres humains », « aux sociétés humaines » et « aux autres peuples », et il trouve son aboutissement à l'article 10 de la Charte qui définit un principe d'action.

Il est clair en effet que l'environnement est déjà largement pris en compte au niveau international, non seulement à travers des déclarations universelles non contraignantes, telle que la déclaration de Stockholm de 1972 sur l'environnement, mais également aujourd'hui la France est également partie à plus de 120 accords internationaux en matière d'environnement, tant bilatéraux que régionaux ou multilatéraux au niveau de l'ONU.

Au niveau communautaire, et même si la compétence de l'Union européenne a été progressivement reconnue en matière d'environnement, celle-ci dispose désormais de pouvoirs étendus qui lui permettent d'être à l'origine de l'essentiel des dispositions nationales en ce domaine.

Tel que rédigé, l'article 10 invite à ce que les principes de celle-ci guident les négociateurs français afin de promouvoir tant au niveau communautaire qu'international les exigences en matière de préservation et de mise en valeur de l'environnement dans une approche de développement durable .

Au-delà de ce principe d'action, il convient de souligner que l'article 10 de la Charte ne remet pas en cause les relations juridiques existantes entre le droit international et le droit français telles qu'elles résultent du titre VI de la Constitution et de la jurisprudence, notamment l'article 55 qui ne reconnaît la supériorité des traités que par rapport à la loi et non par rapport à la Constitution elle-même.

Néanmoins, les risques de conflits entre les nouvelles normes constitutionnelles françaises et le droit communautaire ayant une valeur normative sont extrêmement peu probables, comme le souligne le rapport d'information de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne sur la Charte de l'environnement et le droit européen 31 ( * ) après une analyse minutieuse des différentes hypothèses envisageables.

D'une part, le projet constitutionnel de la Charte de l'environnement reprend les grands principes directeurs du droit de l'environnement inscrits dans le traité et mis en oeuvre par le droit dérivé.

D'autre part, en cas d'évolution ultérieure du droit communautaire, on ne peut exclure que certaines dispositions de la Charte ne soient plus conformes aux normes communautaires. Mais on peut considérer que le système juridique français dispose de procédures de prévention des conflits, permettant, a priori, d'exclure ou de limiter fortement les possibilités d'introduction en droit français de normes communautaires incompatibles avec les dispositions constitutionnelles de la Charte de l'environnement.

Votre commission vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de cet article sans modification.

Article additionnel après l'article 3 -
(article 34 de la Constitution)

Extension du champ de compétences du domaine de la loi

L'Assemblée nationale a adopté un amendement présenté par M. Francis Delattre et Mme Valérie Pécresse complétant la liste des matières relevant du domaine de la loi défini par l'article 34 de la Constitution.

En application de cet article, la loi détermine les principes fondamentaux de la préservation de l'environnement.

Il convient de souligner que l'absence de cette mention n'a pas empêché le législateur d'intervenir en matière environnementale et le Conseil Constitutionnel n'a jamais censuré de telles initiatives.

A travers sa jurisprudence, la compétence législative en matière d'environnement a été « rattachée » à diverses rubriques de l'article 34, et principalement les principes fondamentaux du régime de la propriété et des droits réels, ou encore les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales.

Néanmoins, l'introduction de cette disposition à l'article 34 de la Constitution conforte le rôle du Parlement, en lui reconnaissant une compétence générale en matière d'environnement.

On peut rappeler que plusieurs initiatives parlementaires proposaient d'assurer une base explicite à la compétence du législateur 32 ( * ) . La commission Coppens recommandait également de modifier l'article 34 de la Constitution, pour consacrer l'émergence du droit de l'environnement.

S'agissant plus particulièrement de la mise en oeuvre de l'article 5 de la Charte, la modification de l'article 34 de la Constitution l'autorise à adopter, par voie législative, des textes précisant les procédures à mettre en oeuvre, les modalités de l'évaluation à respecter, comme cela a été exposé à l'occasion de l'examen de cet article.

En indiquant que la loi fixe les principes généraux en matière de « préservation de l'environnement », ceci laisse un espace nécessaire au pouvoir réglementaire autonome pour intervenir en matière d'environnement.

Votre rapporteur pour avis voit également un autre avantage à cette reconnaissance constitutionnelle du législateur en matière d'environnement. A travers les saisines du Conseil Constitutionnel qui pourraient en résulter, se dessineront les contours d'une jurisprudence qui, en application de l'article 62 de la Constitution, s'imposeront à toutes les autorités juridictionnelles.

Votre commission vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de cet article sans modification.

*

* *

La commission a, conformément aux conclusions de son rapporteur, émis un avis favorable à l'adoption sans modification du projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement.

ANNEXE I -

AUDITION EN COMMISSION DE
M. ERNEST-ANTOINE SEILLIÈRE, PRÉSIDENT DU MOUVEMENT DES ENTREPRISES DE FRANCE (MEDEF) ET DE M. JEAN-PIERRE RODIER, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION « ENVIRONNEMENT » DU MEDEF (9 JUIN 2004)

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a, tout d'abord, procédé à l'audition de M. Ernest-Antoine Seillière, président, et de M. Jean-Pierre Rodier, président de la commission « environnement » du MEDEF , sur le projet de loi constitutionnelle , adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la Charte de l'environnement .

Se disant très heureux d'accueillir les deux responsables du MEDEF dans le cadre de l'examen de ce texte, M. Jean-Paul Emorine, président , a rappelé que celui-ci était soutenu par le Président de la République et qu'il avait déjà fait l'objet de modifications en première lecture par l'Assemblée nationale. Rappelant que la commission des lois était saisie au fond, il a indiqué que M. Jean Bizet avait été désigné rapporteur pour avis par la commission des Affaires économiques.

Souhaitant s'exprimer au nom des quelque 700.000 adhérents qui composent le MEDEF, M. Ernest-Antoine Seillière a fait part de son inquiétude au sujet de l'inscription du principe de précaution à l'article 5 du projet de loi constitutionnelle et a indiqué que ses craintes étaient partagées par de nombreux experts, intellectuels, professeurs et institutions, telles que l'Académie des Sciences ou l'Académie de Médecine. Précisant qu'il fallait écarter toute vision manichéenne, selon laquelle le MEDEF chercherait uniquement à préserver un hypothétique droit à polluer, il a souligné que les entreprises avaient intégré, depuis des décennies, la prise en compte de l'environnement.

Soulignant que les réticences de son mouvement étaient motivées par la volonté de mieux encadrer un principe de précaution nulle part défini, afin d'éviter que ses extensions jurisprudentielles ne risquent d'entraver tout développement économique, il a indiqué que le MEDEF était favorable à l'élaboration d'une Charte du développement durable, qui aurait l'avantage de faire référence à une notion internationalement reconnue, qui prendrait en compte les aspects non seulement environnementaux, mais aussi économiques et sociaux du développement.

Insistant sur le fait que les entreprises n'étaient pas, en elles-mêmes, hostiles à l'idée de précaution, il a estimé que le refus de toute prise de risque ne pouvait cependant être érigé en principe d'action économique et il a plaidé pour que l'équilibre gains/coût soit réintroduit dans la définition du principe, proposée à l'article 5.

Il a ensuite fait état de quatre éléments étayant la réticence de son organisation envers le principe de précaution :

- l'incitation au développement d'une culture du « risque zéro », qui s'étendrait à tous les pans de l'activité humaine, entrave considérable au développement économique et scientifique ;

- la crainte d'un affaiblissement de notre compétitivité économique, d'autant plus grand que notre pays est déjà en retard en matière de recherche et d'innovation ;

- l'introduction d'une nouvelle contrainte de nature asymétrique, la France étant le seul pays, avec l'Équateur, à inscrire dans sa constitution un principe de précaution que l'Union européenne tente simplement à l'heure actuelle de définir ;

- l'absence de sécurité juridique, du fait tant de l'indéfinition du principe de précaution que de son invocabilité directe et de l'acception très large de l'intérêt à agir, qui auront pour effet, sous la pression des médias et de l'opinion publique, d'accroître très sensiblement le nombre des contentieux.

Après avoir estimé que l'amendement à l'article 1er de la Charte de l'Environnement, qui fait référence au droit pour chacun de vivre dans un environnement « respectueux de » - et non plus « favorable à » - sa santé, allait dans le bon sens, M. Jean-Pierre Rodier a expliqué que ce n'était qu'en approfondissant l'examen du projet de loi constitutionnelle qu'il s'était alarmé, après s'être aperçu qu'on ne maîtrisait pas les conséquences juridiques de la reconnaissance constitutionnelle du principe de précaution.

D'un point de vue juridique, il s'est inquiété également du caractère directement applicable de l'article 5, ce qui contribue à donner au juge le pouvoir de fixer le contenu du principe, sachant que son extension à la santé n'est pas évaluée à l'heure actuelle. Rapportant avoir constaté sur le terrain un durcissement des mesures administratives envers les entreprises au nom du principe de précaution, il a craint que ce climat d'incertitude juridique ne soit pas levé avant une dizaine d'années, délai nécessaire à la jurisprudence pour être en mesure de donner une interprétation suffisamment homogène du principe, mais délai trop long en termes de sécurité juridique pour les entreprises.

D'un point de vue plus culturel, il s'est inquiété de voir se développer, à côté d'une bonne application du principe, consistant à évaluer objectivement chaque risque et à décider ou non de l'assumer en fonction de sa gravité et de la potentialité de sa réalisation, une mauvaise application tendant à ériger en règle ultime la maxime « Dans le doute, abstiens toi » et à encourager la recherche du risque zéro.

Considérant que l'agitation médiatique constatée autour du principe de précaution avait eu pour effet d'en dévoyer le sens, il s'est dit interloqué des déclarations du rapporteur du texte de la commission des lois de l'Assemblée nationale, selon lesquelles la mise en oeuvre de ce principe permettrait d'éviter de transformer le monde pour l'épargner, et de celles du président de l'Union syndicale des magistrats (USM) à propos de l'affaire d'Outreau, pour qui la présomption d'innocence doit progressivement s'effacer devant le principe de précaution.

S'interrogeant rétrospectivement sur le point de savoir si certaines inventions ou innovations comme l'aspirine, les tunnels ferroviaires, ou encore les téléphones portables auraient eu lieu s'il avait été fait application du principe de précaution, il a craint que ce dernier ne retarde la prise de décisions opportunes et n'encourage les délocalisations, sachant que ce qui ne se fait pas en France peut se faire à l'étranger, même en matière de recherche qui se délocalise à l'heure actuelle vers la Chine et même en Inde.

En vue d'améliorer le projet de loi, il a proposé que le Parlement puisse encadrer la définition et le caractère directement applicable du principe de précaution, en renvoyant à la loi le soin d'en détailler le processus d'application suivant les différents secteurs d'activité, et de préciser notamment sur qui reposerait la responsabilité de décider du niveau de risque acceptable, ainsi que les procédures correspondantes.

M. Jean-Paul Emorine, président , a souligné que le texte était de nature constitutionnelle et qu'il serait, en tant que tel, complété par l'élaboration de dispositions législatives.

Reconnaissant avoir eu à l'origine les mêmes appréhensions vis-à-vis du projet de loi constitutionnelle que les deux responsables du MEDEF, à travers le dossier des organismes génétiquement modifiés (OGM) où le principe de précaution était assimilé à un principe d'inaction, M. Jean Bizet, rapporteur pour avis , s'est toutefois voulu rassurant en expliquant que le projet de loi clarifiait le contenu d'un principe, dont l'absence de définition dans la loi du 2 février 1995 le consacrant en droit positif avait rendu son utilisation excessive et inadéquate.

Ainsi, il a tout d'abord distingué le principe de précaution du principe de prévention, expliquant que le premier avait pour objet les risques inconnus, incertains ou éventuels, tandis que le second ne s'appliquait qu'aux risques connus et quantifiés. Il a ajouté que, seul, le dossier des pesticides et des OGM relevait, à l'heure actuelle, du principe de précaution en tant que tel. D'autre part, il a précisé qu'il revenait aux pouvoirs publics, et non aux entreprises, de définir et de mettre en oeuvre les mesures rendues nécessaires par l'application du principe. Enfin, il a indiqué avoir demandé au garde des sceaux que le Parlement puisse se saisir d'office d'un projet de loi d'application, afin d'être certain que ce soit bien aux assemblées parlementaires, et non aux juges et aux experts, de débattre du sujet.

Estimant que le principe de précaution aurait dû conduire à ne pas examiner un texte de cette nature, mais reconnaissant qu'il fallait à présent chercher à l'améliorer, M. Philippe Leroy a souhaité obtenir du MEDEF des informations sur l'actualité du principe au niveau mondial, que ce soit dans les législations, institutions ou colloques internationaux. Faisant état de l'inquiétude des élus locaux, qui gèrent des équipements sources de grands risques, il a exprimé le désir que soit élargi le principe de précaution aux collectivités territoriales.

Disant partager entièrement les propos du président du MEDEF, M. Jean-Paul Emin a toutefois nuancé sa position en estimant que le projet de loi permettrait de définir un principe qui ne l'avait jusqu'ici jamais été. Rappelant que la Constitution européenne en cours de finalisation faisait référence à ce principe, il a insisté sur le fait qu'il ne pourrait, en aucune manière, paralyser une entreprise, car sa mise en oeuvre reposerait sur les seules autorités administratives. Il a cependant exprimé ses craintes quant aux possibles divergences d'interprétation qu'en donneraient ces autorités.

Considérant par ailleurs que la notion de développement durable, présente dans le texte, était très fréquemment mise en avant par les entreprises, et que la très grande majorité des mesures en la matière relevaient du domaine règlementaire, il s'est félicité que l'examen des textes législatifs pris en application de ce texte donne, au Parlement, l'opportunité de les encadrer davantage.

M. Henri de Richemont s'est demandé dans quelle mesure l'industrie française avait besoin, à travers ce texte, d'une protection constitutionnelle pour ne plus craindre le pouvoir des juridictions quant à l'application du principe de précaution. Il s'est également demandé si un glissement du principe de précaution vers un droit de protection n'était pas à l'oeuvre. Il s'est aussi interrogé sur l'utilité d'une loi qui viendrait préciser les conditions d'application d'une disposition censée être d'effet direct, suggérant que plusieurs lois viennent plutôt les préciser dans chacun des secteurs économiques concernés.

Se référant à son expérience personnelle de responsable d'une entreprise de taille moyenne intervenant en matière d'innovation, M. Michel Bécot s'est inquiété de ce que le principe de précaution empêche ce type d'entreprises de se développer.

Se réjouissant de la proximité entre le point de vue qu'il avait développé et celui de plusieurs des intervenants, M. Ernest-Antoine Seillière a regretté que les responsables politiques nationaux, en voulant anticiper et donner au monde une image positive de la France, ne risquent d'y paralyser l'activité économique et d'inciter les entrepreneurs et les chercheurs à s'expatrier, alors qu'aucun autre pays européen n'a choisi de se doter d'une telle contrainte.

Assurant avoir compris les craintes du MEDEF à l'encontre du principe de précaution, M. Jean Bizet, rapporteur pour avis , s'est voulu rassurant en rappelant que son application serait encadrée par de futures lois. Il a estimé que l'éventualité du déplacement de l'article 6 du projet de loi constitutionnelle après son article 2 permettrait de mettre en valeur le triptyque économie-environnement-social. Soulignant que le principe de précaution figurait dans l'une des dispositions du Traité de Maastricht, il a fait observer qu'il n'était inscrit qu'en pointillé dans les textes relatifs à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et a regretté que les Etats-Unis ne soient pas prêts à ratifier le protocole de Kyoto. Il a ainsi exhorté les responsables politiques et économiques à faire pression pour que le principe de précaution s'applique au niveau mondial, jugeant impensable qu'il ne puisse être appliqué qu'au niveau européen.

ANNEXE II -

EXAMEN DU RAPPORT POUR AVIS EN COMMISSION

La commission a examiné le rapport pour avis de M. Jean Bizet sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement.

Après avoir justifié le caractère inédit de la saisine pour avis sur un projet de loi constitutionnelle par l'objet de ce texte qui dépasse le cadre de l'organisation même des pouvoirs publics, M. Jean Bizet , rapporteur pour avis, a observé que la réforme du Préambule de la Constitution aux fins de donner valeur constitutionnelle à « des principes fondamentaux relatifs au droit à un environnement protégé et au développement durable » relevait de la compétence de la commission des Affaires économiques en raison de la prise en compte de l'environnement et de son articulation avec le développement économique.

Ayant constaté le contexte passionné des affrontements, notamment sur la reconnaissance constitutionnelle du principe de précaution d'une part, et le mésusage qui avait été fait d'un tel principe dans le cadre du dossier des organismes génétiquement modifiés (OGM) d'autre part, M. Jean Bizet , rapporteur pour avis, a tout d'abord fait part de sa réserve initiale sur l'intérêt d'une telle réforme qui pouvait conduire à entraver la recherche scientifique, l'innovation technologique et le développement économique, voire à l'inaction au nom de l'impossible quête du risque zéro.

Il a ensuite expliqué la raison de la levée de ces réserves, après un examen en profondeur du texte à la lumière de nombreuses auditions conduites avec le rapporteur au fond de la commission des Lois, M. Patrice Gélard, dont il a salué le travail, de deux études réalisées par M. Michel Prieur et M. Bertrand Mathieu, respectivement spécialistes de droit de l'environnement et de droit constitutionnel. Citant M. Yves Jegouzo, Conseiller d'Etat, membre de la commission Coppens, à propos de l'ampleur de cette réforme constitutionnelle : « En définitive, il ne faut en attendre ni l'enfer vert ni d'ailleurs le paradis », M. Jean Bizet , rapporteur pour avis, a alors entrepris d'exposer le contenu de la charte, en insistant sur l'article 5 qui traite du principe de précaution et en présentant les améliorations adoptées par l'Assemblée nationale en première lecture, qui l'ont conduit à proposer d'adopter conforme ce projet de loi.

A titre liminaire, rappelant qu'à l'initiative du Président de la République lors de son discours d'Avranches le 18 mars 2002 ce projet était destiné à consacrer dans la Constitution, aux côtés des droits civils et politiques ainsi que des droits économiques et sociaux, un droit fondamental de l'homme à l'environnement, véritable reconnaissance d'une écologie humaniste mais également des devoirs de l'homme quant à sa préservation, M. Jean Bizet , rapporteur pour avis, a indiqué que le choix s'était porté sur une Charte de l'environnement de 2004, à laquelle allait se référer le Préambule de la Constitution, de la même manière qu'à la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946.

M. Jean Bizet , rapporteur pour avis, insistant sur la démarche participative présidant à l'élaboration de ce texte, a rappelé en premier lieu le consensus sur les propositions de la commission Coppens remises au Premier ministre, qui ont pris en compte toutes les sensibilités exprimées dans les secteurs concernés par le projet de Charte et qui ont servi de base au projet de loi constitutionnelle. Il a, en second lieu, afin d'illustrer le caractère participatif de la procédure d'élaboration du texte, attiré l'attention des commissaires sur la consultation nationale, relayée par des assises territoriales de la Charte de l'environnement, qui ont permis de dégager les attentes fortes de la société sur ce sujet.

Rappelant que le projet de loi constitutionnelle était initialement composé de deux articles -l'article 1er complétant le préambule de la Constitution et l'article 2 définissant le contenu de la Charte- M. Jean Bizet , rapporteur pour avis a indiqué que l'Assemblée nationale avait adopté un article additionnel, pour compléter l'article 34 de la Constitution définissant le domaine de la loi, afin que celle-ci puisse déterminer les principes fondamentaux relatifs à la préservation de l'environnement, confirmant ainsi le rôle du Parlement, notamment dans la définition du contenu des principes inscrits dans la Charte.

Poursuivant l'examen de l'article 2 du projet de loi, constitué de sept considérants et de dix articles, M. Jean Bizet , rapporteur pour avis, a insisté, d'une part, sur la valeur constitutionnelle des considérants et, d'autre part, sur la vision constructive de la prise en compte de l'environnement que l'on pouvait en déduire, car ces considérants conciliaient développement économique, progrès social et préservation de l'environnement en établissant non seulement un lien entre environnement et humanité, mais aussi en affirmant la nécessité de la préservation de l'environnement dans une perspective de développement durable.

S'agissant de la proclamation des dix articles de la Charte de l'environnement, tous à valeur constitutionnelle, M. Jean Bizet , rapporteur pour avis a établi une distinction, quant à leur portée juridique, entre l'article 5 de la Charte d'une part, et les autres articles, d'autre part, , soulignant que seul l'article 5, qui consacre le principe de précaution était d'application directe, à la différence des autres articles, y compris l'article 1er, aux termes duquel « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », selon la modification adoptée par l'Assemblée nationale.

M. Jean Bizet , rapporteur pour avis, a illustré la nature d'objectif à valeur constitutionnelle des articles par le commentaire de l'article 6 de la Charte qui fixe comme objectif aux politiques publiques la promotion du développement durable, en conciliant la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social. Il s'est félicité que la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale mette ces trois éléments constitutifs sur un pied d'égalité, et indiqué qu'il aurait, pour sa part, préféré que cet article vienne immédiatement après les deux premiers articles de la Charte afin de conforter l'éclairage dynamique du texte.

Quant aux articles 3, 4 et 7 de la Charte qui donnent valeur constitutionnelle au principe de prévention, de réparation, celui-ci englobant le principe « pollueur-payeur » et d'information et de participation en matière d'environnement et prévoient que la loi en fixe les conditions d'application, M. Jean Bizet , rapporteur pour avis, a fait valoir que leur reconnaissance au niveau constitutionnel faisait obligation au législateur d'en tenir compte dans toutes les politiques sectorielles.

M. Jean Bizet , rapporteur pour avis, a ensuite abordé l'examen du très controversé article 5 de la Charte de l'environnement relatif au principe de précaution, insistant sur le fait déclencheur et de son champ d'application. Il a considéré que la distinction était aussi clairement établie avec le principe de prévention dont il a fait valoir que l'application en matière d'environnement était de pratique courante alors que celle du principe de précaution restait exceptionnelle afin de prendre en compte précocement des risques potentiels.

Rappelant tout d'abord les éléments cumulatifs exigés pour la mise en oeuvre du principe de précaution, à savoir une incertitude scientifique sur la réalisation d'un dommage, c'est-à-dire sur l'hypothèse même du risque, en l'état actuel des connaissances scientifiques, d'une part, et le caractère grave et irréversible d'un dommage porté à l'environnement, M. Jean Bizet , rapporteur pour avis, a ainsi mis en en évidence le rôle stratégique de l'expertise et la nécessité de veiller à ce qu'elle soit collégiale, légitime et indépendante.

Il a ensuite précisé le champ d'application du principe d'action imposé par l'article 5 de la Charte, fondé sur l'anticipation pour prévenir ou limiter les dommages résultant d'un risque potentiel. Relevant qu'à la différence de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, cette obligation d'agir ne s'imposait qu'aux seules autorités publiques -Etat et collectivités territoriales-, M. Jean Bizet, rapporteur pour avis, ayant évoqué les craintes, tout à fait légitimes, des petites communes confrontées à l'absence de moyens d'expertise nécessaires à l'application du principe de précaution, a indiqué que le champ d'intervention des autorités publiques devait être entendu dans le cadre de leurs domaines d'attribution ainsi que cela avait été précisé, très judicieusement, par l'Assemblée nationale.

Indiquant que le deuxième élément du principe de précaution impliquait l'adoption de mesures provisoires et proportionnées, M. Jean Bizet , rapporteur pour avis, a observé que ces mesures pourraient être réversibles ou modifiées en fonction de la progression des connaissances. Il a ensuite considéré que le critère de proportionnalité exigé pour ces mesures devait s'entendre au regard du risque lui-même, mais aussi au travers d'un bilan coût/avantage, tant par rapport aux avantages attendus, que par la prise en compte de l'impact économique des mesures évalué à court et long terme. En définitive, a-t-il ajouté, l'obligation qui pèse sur les autorités publiques leur impose de définir un niveau de risque acceptable afin d'arrêter des mesures limitées à ce qui est effectivement nécessaire.

Puis M. Jean Bizet , rapporteur pour avis, a ajouté qu'il était également fait obligation, de façon concomitante à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées, de poursuivre les recherches afin d'évaluer les risques encourus, ce qui constitue un aiguillon pour la science et l'innovation technologique.

Enfin, a-t-il précisé, le choix par l'Assemblée nationale, des termes « parer à la réalisation du dommage » plutôt qu'« éviter la réalisation du dommage » indique qu'il n'y a pas une obligation de résultats imposée aux autorités publiques, mais une obligation de recours aux meilleurs moyens disponibles.

S'interrogeant sur le risque d'une judiciarisation de la vie économique et la multiplication des contentieux à la suite de l'introduction dans la Constitution du principe de précaution, M. Jean Bizet , rapporteur pour avis, sans l'exclure, a néanmoins atténué cette crainte, en observant que la constitutionnalisation de la Charte devrait, au contraire, permettre de clarifier la jurisprudence grâce à la description très précise qu'elle donne du principe de précaution. En ce qui concerne l'éventuelle invocation du principe de précaution dans le contentieux de la responsabilité pénale, M. Jean Bizet , rapporteur pour avis, a très clairement écarté cette éventualité en rappelant qu'un texte constitutionnel n'est pas un texte d'incrimination pénale, en application du principe selon lequel la loi pénale est d'interprétation stricte.

Il a ensuite fait valoir, pour s'en féliciter, qu'en dépit du caractère d'application directe de l'article 5 de la Charte, au contraire de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, rien n'interdisait au législateur d'intervenir pour en préciser les conditions de mise en oeuvre, puis il a conclu en demandant à la commission de donner un avis favorable à l'adoption de ce projet de loi constitutionnelle qui permet de donner plus de cohérence au droit existant et d'inscrire résolument la préservation de l'environnement dans une démarche de développement durable.

Au cours du très large débat qui s'est alors ouvert, M. Marcel Deneux , après avoir félicité le rapporteur pour avis, ayant fait part de son trouble résultant de l'application du principe de précaution dans des affaires récentes, s'est prononcé en faveur d'une « abstention dubitative » tout en ne demandant qu'à être convaincu.

M. François Fortassin s'est interrogé sur la nécessité d'inscrire le principe de précaution dans la Constitution, eu égard aux nombreux dispositifs juridiques nationaux et communautaires existants. En outre, insistant sur les difficultés de mise en pratique d'un tel principe, il a émis des craintes quant aux définitions, plus ou moins subjectives des différentes notions qui pourraient être en jeu, telles que la dangerosité du tabagisme passif ou des OGM et sur le rôle essentiel dévolu à l'expertise des scientifiques, alors même que les risques encourus sont potentiels. Rappelant l'adhésion des élus locaux à la sauvegarde des milieux naturels, M. François Fortassin a cependant exprimé son inquiétude s'agissant des entraves aux initiatives économiques des collectivités locales pouvant résulter de l'application de la Charte. Afin d'illustrer son propos, il a évoqué les risques d'interruption de la construction d'une route en raison de la protection de la migration des crapauds accoucheurs, qui, dans son département, n'arrivent, semble-t-il, à l'âge de la maturité qu'à vingt-cinq ans au lieu de trois ans dans les autres départements.

M. Jean Pépin , acceptant l'idée de l'intégration dans la Constitution de la Charte sur l'environnement, s'est néanmoins interrogé sur la distinction entre le principe de précaution et celui de prévention. Il s'est déclaré gêné par l'interprétation à venir du texte plus que par sa rédaction et il a insisté sur l'inadéquation entre les extrapolations mathématiques à un moment donné et l'oeuvre du temps qui voit se réaliser des progrès inenvisageables à l'époque des prévisions. A titre d'illustration, évoquant un projet de stockage de déchets nucléaires dans son canton dans les années 1986-1992, il a souligné la lente progression des connaissances en ce domaine puisque la recherche sur les déchets nucléaires n'a débuté qu'en 1983 alors que le Commissariat à l'énergie atomique avait été créé en 1945.

Leur répondant, M. Jean Bizet , rapporteur pour avis, a insisté sur le bien fondé de l'objectif de ce projet de loi constitutionnelle qui est de prévenir toutes les dérives déjà constatées, observant par ailleurs que le principe de précaution n'était pas une nouveauté mais faisait partie du droit positif, notamment dans le code de l'environnement et dans les traités communautaires. Il a rappelé d'une part que la Charte concernait directement l'environnement et non la santé et que beaucoup d'exemples évoqués par les commissaires relèvent en réalité du principe de prévention et non de précaution. Relevant que, comme la prévention, la précaution est fille de la prudence, il a fait valoir que l'amélioration des connaissances scientifiques sur un risque potentiel pouvait permettre de sortir du champ d'application du principe de précaution pour appliquer le principe de prévention.

Ayant fait part de ses réserves sur le texte du projet de loi constitutionnelle, et rappelant que l'ampleur du domaine de l'environnement conduirait à prendre en compte les problèmes de santé à l'avenir, M. Philippe Arnaud a craint le risque de paralysie des initiatives économiques dans de nombreux domaines à la suite de l'application de l'article 5 de la Charte. Considérant que la mise en oeuvre du principe de précaution par l'administration conduirait à interdire tout ce qui n'est pas expressément autorisé, M. Philippe Arnaud a pris pour exemple l'arrêt de la construction d'une desserte pour poids lourds dans une zone susceptible d'être intégrée dans le « Réseau Natura 2000 » par la direction régionale de l'environnement au nom de la protection du vison d'Europe, alors même que cette zone ne constitue qu'un habitat potentiel de cet animal.

M. Yves Détraigne a attiré l'attention des commissaires sur la difficulté qui consistait, dans la pratique, à distinguer les cas où le principe de prévention est en jeu parce que le risque est connu et avéré, ainsi que cela fut invoqué dans le cas de l'interdiction de consommation des farines animales, de ceux où il n'est question que de précaution en raison d'un risque qui n'est que potentiel, comme cela fut jugé dans le cas de l'interdiction de la viande bovine. Il s'est également prononcé en faveur de l'intégration, à l'article 5 de la Charte, de la phrase « dans les conditions définies dans la loi » afin de faire taire toutes les inquiétudes légitimes qui s'expriment face à la multiplication probable du contentieux.

Intervenant tout d'abord au nom de M. Jean-François Legrand, M. Gérard Bailly a souhaité connaître la juridiction compétente en cas de litige sur l'application du principe de précaution, puis s'est félicité de la référence au développement économique dans l'article 6 de la Charte. Il a ensuite exprimé son désaccord sur l'égale importance qui semblait être établie entre protection de l'homme et protection de l'environnement, soulignant que la seconde ne devait être qu'accessoire. Insistant sur les dérives réalisées au nom de la protection de l'environnement, il a fait valoir que la protection de l'homme ainsi que sa santé constituaient des objectifs primordiaux qui ne sauraient souffrir d'atteintes, à inscrire en priorité dans le projet de loi constitutionnelle, devant la préservation de l'environnement.

Après avoir félicité le rapporteur pour avis, pour le travail de synthèse établi tant sur le plan du droit constitutionnel que sur celui des connaissances scientifiques, M. Joseph Kergueris s'est interrogé en premier lieu sur les effets du projet de révision constitutionnelle en matière de contentieux. Faisant valoir qu'un certain nombre d'associations tenteraient d'utiliser les dispositions du texte afin de retarder ou empêcher la réalisation de certains projets, il a exprimé ses craintes quant à la création d'une jurisprudence défavorable aux initiatives économiques. En outre, il a jugé que les dispositions ainsi prises risquaient de porter atteinte à l'attractivité économique de la France, du fait d'un durcissement, en matière d'environnement, bien que selon le ministère de l'Ecologie et du développement durable, celle-ci n'est pas productrice de délocalisations.

M. René Monory a tenu à rassurer les commissaires sur l'absence de laxisme dans le domaine du nucléaire ainsi qu'il l'avait personnellement constaté à deux reprises, notamment lors de la création des centres de production nucléaire de Civeaux réalisée avec l'aide de M. le ministre Pierre Mauroy, ainsi qu'à l'occasion de la vente de quatre centrales à la Chine.

Leur répondant, reprenant la distinction à établir entre principe de précaution et principe de prévention, M. Jean Bizet , rapporteur pour avis, a opposé la nature du risque en cause, potentiel dans le premier cas, avéré dans le second. Il a indiqué que les juridictions compétentes en matière de responsabilité seraient celles de l'ordre administratif, s'agissant de l'application de l'article 5 de la Charte et il a considéré que l'articulation et le contenu des considérants permettait de confirmer la primauté de l'homme en matière environnementale, répondant ainsi aux inquiétudes de M. Bailly.

Il a souligné qu'il appartenait à chaque pays de fixer son niveau d'exigence en matière de protection de l'environnement et qu'en conséquence la recherche scientifique française devait être renforcée afin de favoriser l'innovation technologique et éviter de trop grandes distorsions de concurrence, notamment face aux Etats-Unis, qui non seulement combleront prochainement leur retard en matière de sécurité environnementale, mais imposeront également des normes supérieures, que la France ne pourra éventuellement pas satisfaire. Il a considéré que le législateur pouvait d'ores et déjà préciser l'application de l'article 5 sans qu'il soit besoin d'inscrire « dans des conditions définies dans la loi », et jugé cette intervention hautement souhaitable

Mme Evelyne Didier regrettant le faible nombre d'auditions organisées en commission sur un sujet aussi important, s'est interrogée sur la mise en oeuvre du principe de précaution, dans des cas où l'environnement causerait des dommages à la santé. Ayant rappelé que les contentieux et les dérives existaient déjà indépendamment de la Charte, elle a souligné le recadrage du dispositif de mise en oeuvre du principe de précaution par le projet de loi et la qualité du travail des scientifiques. Ayant conclu à la nécessité de légiférer à la suite de la constitutionnalisation de la Charte, elle a interrogé M. Jean Bizet, rapporteur, sur les intentions du gouvernement.

M. Bruno Sido , a fait part de son inquiétude sur le manque de précision du projet de révision constitutionnelle quant à la distinction à établir entre le champ d'application du principe de précaution et celui de la prévention, puis son souhait de voir le gouvernement se saisir de cette question. Il a ensuite souligné qu'en tout état de cause, et plutôt en dépit qu'à cause de la constitutionnalisation du principe de précaution, les contentieux résultant de la mise en oeuvre de ce principe se poursuivront et constitueront autant d'obstacles aux initiatives locales en matière de développement économique. Il a enfin souligné les risques de voir ce principe servir de fondement à des incriminations pénales par les juges à l'encontre des élus locaux, en dépit des arguments invoqués par les juristes.

Puis, M. Jean-Paul Emin , se déclarant proche du parcours intellectuel réalisé par le rapporteur pour avis, s'est interrogé néanmoins sur la cohérence générale de l'application des différentes règles environnementales par différentes entités telles que la direction régionale de l'environnement (DIREN) ou la direction régionale de l'industrie de la recherche et de l'environnement (DRIRE). Il a alors proposé qu'une réflexion s'ouvre à l'occasion de l'examen du projet de loi, sur une nouvelle organisation, verticale et non transversale des services techniques de l'Etat sous l'autorité déconcentrée des préfets, afin de garantir cette cohérence et faciliter l'action économique des collectivités territoriales.

M. François Gerbaud , relevant « l'étrange PACS entre la sémantique et l'environnement » mêlant « prévention précautionneuse et précaution préventive », a d'abord insisté sur les difficultés d'application du projet de loi et les risques d'entrave à l'action des collectivités locales qu'il induisait. S'agissant de la mise en oeuvre du principe de précaution, il a conclu en citant M. de Talleyrand, que l'« on ne va jamais aussi loin que lorsque l'on ne sait pas où l'on va.»

M. André Trillard , observant que les questions environnementales ont été dans le passé soit abordées dans une démarche de qualité, soit au contraire à travers le prisme des peurs qui placent les individus dans un refus du progrès, s'est déclaré préoccupé de la manière dont le principe de précaution était défini par l'article 5 de la Charte, jugeant que sa formulation se fondait sur le refus de prise de risque, ce qui risquait d'entraîner un arrêt de la recherche et donc du progrès.

Soulignant les légitimes inquiétudes des élus locaux quant à l'application de l'article 5 de la Charte, d'autre part, M. Gérard César , a proposé qu'une définition claire des principes de précaution et prévention soit introduite dans le projet de révision constitutionnelle, afin d'éviter qu'ils ne soient pas attraits devant les juridictions de manière abusive.

M. Jean Boyer s'est déclaré choqué par l'introduction, à l'article 2 de la Charte, de l'obligation incombant à tout citoyen s'agissant de la préservation et de l'amélioration de l'environnement.

M. Max Marest , étant convenu de la nécessaire concision d'une loi constitutionnelle a néanmoins souhaité que le législateur intervienne afin d'encadrer ce dispositif.

Lui répondant, M. Jean Bizet , rapporteur pour avis, a relevé que l'article 5 de la Charte exigeait, pour la mise en oeuvre du principe de précaution, l'hypothèse d'un dommage grave et irréversible à l'environnement, et que l'exigence des précautions à prendre s'agissant du domaine de la santé résultait tant de la jurisprudence communautaire que nationale. Il a considéré que l'encadrement normatif opéré par l'article 5 complété par des textes législatifs ultérieurs était de nature à rassurer les chefs d'entreprise, même si toutes les difficultés d'interprétation n'étaient pas résolues pour autant. L'article 5 de la Charte traduit désormais une opération d'action anticipatrice pour passer à la réalisation d'un dommage.

Il a également fait valoir que les associations de protection de l'environnement étaient globalement satisfaites de l'avancée constituée par la constitutionnalisation des principes de préservation de l'environnement.

Il a précisé que l'article 7 de la Charte de l'environnement transposait la convention d'Aarhus sur l'information et la participation dans le domaine de l'environnement, mais que la prise en compte de la démocratie participative ne devait pas aboutir à la remise en cause du pouvoir décisionnel reconnu aux élus locaux.

S'agissant de la plus grande cohérence souhaitée pour l'application de la réglementation relative à l'environnement par l'administration déconcentrée, il a considéré inopportune l'éventuelle fusion envisagée entre les DRIRE et les DIREN.

M. Jean-Paul Emorine , après s'être félicité de la qualité des interventions des commissaires, a déclaré, s'agissant de l'article 5 de la Charte, partager le souhait exprimé par la majorité d'entre eux sur la nécessité d'une loi pour préciser un texte de valeur constitutionnelle nécessairement concis par nature.

Après les explications de vote exposées par MM. Gérard Bailly , Daniel Raoul et Philippe Arnaud , la commission des Affaires économiques a donné un avis favorable à l'adoption du projet de loi constitutionnelle sans modification, les groupes communiste et centriste s'abstenant, le groupe socialiste votant contre.

ANNEXE III -

LISTES DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS DES COMMISSIONS DES LOIS ET DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES

- Mme Geneviève VINEY , professeur à l'Université de Paris I

- M. François EWALD , professeur au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), membre de la commission Coppens

- M. Jacques-Henri ROBERT , professeur de droit pénal et de droit de l'environnement à l'Université Panthéon-Assas (Paris II)

- M. Philippe KOURILSKI , directeur général de l'Institut Pasteur

- M. Jacques PÉLISSARD , Député du Jura, Premier Vice-Président de l'Association des maires de France (AMF), membre de la commission Coppens

- M. Bernard ROUSSEAU , président de France nature environnement (FNE), membre de la commission Coppens

- M. Yves JEGOUZO , professeur à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I), conseiller d'Etat, président du comité juridique de la commission Coppens

- M. Maurice TUBIANA , professeur de médecine, président de la commission environnement de l'Académie des sciences

- M. Yves COPPENS , paléontologue, professeur au Collège de France, président de la commission de préparation de la Charte de l'environnement

- M. Guillaume DRAGO , professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II)

- Maître Michel JACQUOT , avocat au cabinet Gide Loyrette

- M. Olivier GODARD , directeur de recherches au CNRS, professeur à l'école polytechnique

- M. Michel PRIEUR , directeur du Centre de recherches interdisciplinaires en droit de l'environnement, de l'aménagement et de l'urbanisme (CRIDEAU) de l'Université de Limoges, doyen honoraire de la faculté de droit et des sciences économiques de Limoges

- M. Bertrand MATHIEU , professeur à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I), directeur du Centre de recherche de droit constitutionnel

- M. Bertrand COLLOMB , président de l'Association française des entreprises privées (AFEP)

- M. Franck GAMBELLI , directeur de la sécurité, des conditions de travail et de l'environnement à l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM)

- M. Thierry CHAMBOLLE , conseiller du président pour le développement durable de Suez

- M. Pierre STENGEL , directeur scientifique « écosystèmes cultivés et naturels » de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA)

M. Bernard HUBERT , directeur scientifique adjoint chargé du développement durable à l'INRA

- M. Guy VASSEUR , Président de la commission environnement de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA)

- M. Michel JOLY , Vice-président des Jeunes Agriculteurs, chargé de l'environnement

- M. Henri REVOL , sénateur de la Côte-d'Or, Premier Vice-Président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

- M. Alain CHOSSON , Secrétaire général adjoint chargé de l'environnement et du développement durable à la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie (CLCV)

- M. Pascal FEREY , Président de la commission environnement de la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)

M. Louis CAYEUX , responsable du service Environnement à la FNSEA

- M. Claude DELPOUX , directeur des assurances des biens et des responsabilités à la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA)

- M. Jean-François BERNARDIN , président de l'Assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie (ACFCI)

- M. Bernard de GOUTTES , directeur juridique d'AREVA

Mme Isabelle CRETENET , direction juridique d'AREVA

- M. Philippe HUBERT , directeur des risques chroniques à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS)

- M. Jean-Pierre TARDIEU , administrateur délégué de l'Institut VÉOLIA environnement ;

M. Gérard JEAN PIERRE , directeur du droit de l'environnement et directeur juridique de VÉOLIA environnement

- M. Pascal LABET , directeur du service économique à la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME)

M. Dominique BROGGIO , juriste en droit des affaires à la CGPME

- M. Martin HIRSCH , directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA)

- M. Jean PELIN , directeur général de l'Union des industries chimiques (UIC)

M. Jacques BOUDON , directeur du développement technique (UIC)

- Mme Michèle FROMENT-VÉDRINE , directrice générale de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale (AFSSE)

M. Benoît VERGRIETTE , unité analyse des risques à l'AFSSE

* 1 M. Bertrand Mathieu - Les conséquences juridiques de l'intégration de la Charte de l'environnement au niveau constitutionnel. Etude pour la commission des Affaires économiques du Sénat (mai 2004), p. 68.

* 2 M. Bertrand Mathieu - Les conséquences juridiques de l'intégration de la Charte de l'environnement au niveau constitutionnel. Etude pour la commission des Affaires économiques du Sénat (mai 2004), p. 67.

* 3 M. Michel Prieur - Les conséquences juridiques de l'intégration de la Charte de l'environnement. Etude pour la commission des Affaires économiques du Sénat (mai 2004).

* 4 Conseil Constitutionnel, Décision 70-39 DC, Traité des Communautés européennes ; Décision 71-44 DC, Liberté d'association.

* 5 Yves Jegouzo. La genèse de la Charte constitutionnelle de l'environnement - RJE n° spécial 2003.

* 6 M. Bertrand Mathieu - Les conséquences juridiques de l'intégration de la Charte de l'environnement au niveau constitutionnel. Etude pour la commission des Affaires économiques du Sénat (mai 2004).

* 7 Rapport de la commission Coppens de préparation de la Charte de l'environnement, p. 9.

* 8 Idem.

* 9 M. Michel Prieur - Les conséquences juridiques de l'intégration de la Charte de l'environnement. Etude pour la commission des Affaires économiques du Sénat (mai 2004).

* 10 Idem.

* 11 Conseil Constitutionnel - Décision 99-419 du 9 novembre 1999.

* 12 M. Michel Prieur - Les conséquences juridiques de l'intégration de la Charte de l'environnement. Etude pour la commission des Affaires économiques du Sénat (mai 2004), p. 42.

* 13 M. Michel Prieur - Les conséquences juridiques de l'intégration de la Charte de l'environnement. Etude pour la commission des Affaires économiques du Sénat (mai 2004), p. 42.

* 14 Rapport n° 317 (2002-2003) de M. Jean Bizet - La responsabilité environnementale : pour une application européenne raisonnée.

* 15 Préambule de l'Accord SPS.

* 16 Arrêts 5 mai 1998 National Farmers' Union C.A. et Royaume Uni/Commission.

* 17 M. Michel Prieur « Les conséquences juridiques de l'intégration de la Charte de l'environnement. Etude pour la commission des Affaires économiques du Sénat (mai 2004).

* 18 CE. 24 février 1999, Pro-Nat.

* 19 Kourilsky-Viney. Le principe de précaution. Rapport au Premier ministre. Ed. Odile Jacob - 2000. P.133.

* 20 Kourilsky-Viney. Le principe de précaution. Rapport au Premier ministre. Ed. Odile Jacob - 2000. P. 133.

* 21 M. Michel Prieur - Les conséquences juridiques de l'intégration de la Charte de l'environnement. Etude pour la commission des Affaires économiques du Sénat (mai 2004).

* 22 Décision CC-77-79 du 5 juillet 1977.

* 23 Arrêt Barbier du 21 avril 1997 ; arrêt Association Greenpeace France du 25 septembre 1998.

* 24 M. Bertrand Mathieu - Les conséquences juridiques de l'intégration de la Charte de l'environnement au niveau constitutionnel. Etude pour la commission des Affaires économiques du Sénat (mai 2004).

* 25 Cécile Castaing - La mise en oeuvre du principe de précaution dans le cadre du référé-suspension - AJDA (décembre 2003), p. 2293.

* 26 M. Michel Prieur « Les conséquences juridiques de l'intégration de la Charte de l'environnement. Etude pour la commission des Affaires économiques du Sénat (mai 2004).

* 27 MM. Dominique Bourg et Kerry H. Whiteside - Précaution : un principe problématique mais nécessaire - Le Débat (mai 2004).

* 28 Rapport de la commission Coppens de préparation de la Charte de l'environnement, p. 22.

* 29 Rapport de la commission Coppens de préparation de la Charte de l'environnement, p. 23.

* 30 Rapport de la commission Coppens de préparation de la Charte de l'environnement, p. 10.

* 31 Rapport d'information sur la Charte de l'environnement et le droit européen - Bernard Deflesselles n° 1372 (Assemblée nationale) (janvier 2004) p. 149 et suivantes.

* 32 Proposition de loi constitutionnelle tendant à inclure le droit à l'environnement dans la liste des matières dont la loi fixe les règles, déposée par M. André Santini (juin 1990).

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