II. L'ACTUALITÉ DU SECTEUR DES POSTES ET COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES

A. LE DIFFICILE FINANCEMENT DES MISSIONS DE SERVICE PUBLIC DANS LE SECTEUR POSTAL

1. Quatre missions de service public précisées par la loi

Définies par le législateur, faisant l'objet d'un contrat de service entre l'État et La Poste et devant donner lieu à un rapport du Gouvernement au Parlement en 2013, les missions de service public assurées par l'opérateur historique national sont au nombre de quatre :

- le service public des envois postaux et le service universel postal .

Le service public des envois postaux, aux termes de l'article 2 de la loi du 2 juillet 1990 précitée, comprend le service universel postal et notamment le service public du transport et de la distribution de la presse bénéficiant du régime prévu par le code des postes et des communications électroniques (CPCE).

La notion de service universel postal a été définie par l'article 3 de la directive 97/67/CE du 15 décembre 1997 précitée comme « une offre de services postaux de qualité déterminée fournis de manière permanente en tout point du territoire à des prix abordables pour tous les utilisateurs ».

On notera qu'en application de l'article 26 de la loi du 9 février 2010 précitée, un arrêté déterminant les objectifs de qualité du service universel pour 2011 et 2012 doit être pris très prochainement ;

- le service public du transport et de la distribution de la presse ;

Le service public du transport et de la distribution de la presse, dont le principe est posé à l'article 2 de la loi du 2 juillet 1990 précitée, est régi par l'article R. 1-1-17 du CPCE.

Cette mission de service public fait l'objet, depuis les années 80, d'accords pluriannuels entre l'État, La Poste et les syndicats d'éditeurs de presse ;

- la mission d'accessibilité bancaire ;

Une mission d'accessibilité aux services de banque courants est confiée à La Poste par l'article L. 518-25 du code monétaire et financier, qui dispose que « dans les domaines bancaire, financier et des assurances, La Poste propose des produits et services au plus grand nombre, notamment le livret A ».

- la mission d'aménagement du territoire .

La Poste assume une mission d'aménagement du territoire par l'intermédiaire de ses points de contact, c'est-à-dire les bureaux de poste, les agences postales communales (APC), les agences postales intercommunales (API) et les relais poste (RP), qui sont au nombre de 17 000 sur l'ensemble du territoire français. A ce titre, elle doit répondre à certains critères d'adaptabilité de son réseau, d'accessibilité et de qualité de service.

2. Un financement de plus en plus problématique

Trois de ces quatre missions de service public font l'objet de mécanismes de financement spécifiques, qui ne sont pas sans poser de problèmes ou soulever des interrogations :

- pour financer les obligations du service universel , La Poste a longtemps bénéficié d'un secteur d'activité dont elle avait le monopole légal, appelé « secteur réservé ». En effet, les obligations particulières et les charges que La Poste supporte au titre du service universel postal représentent un « surcoût net » par rapport à ce qui résulterait d'une pure logique de rationalisation commerciale. La Poste l'estime grosso modo à 1 milliard d'euros par an.

Or, depuis le 1er janvier de cette année et l'ouverture totale du secteur à la concurrence, sous la contrainte du droit européen, ce « secteur protégé » - qui s'était réduit à la levée, au tri et à la distribution des plis de moins de cinquante grammes - a disparu . Si les opérateurs postaux alternatifs ne se sont pas pressés, depuis, pour venir concurrencer La Poste, il n'en reste pas moins que se pose la question du financement du service universel.

La loi du 9 février 2010 précitée avait anticipé ce besoin, en mettant en place un fonds de compensation alimenté par l'ensemble des opérateurs et géré par la Caisse des dépôts et consignations (CDC), que l'article L. 2-2 du code des postes et communications électroniques (CPCE) encadre.

Il y est prévu que la contribution de chaque prestataire de service postal est calculée proportionnellement au nombre d'envois postaux qu'il achemine dans le champ du service universel. Tout prestataire acheminant un nombre d'envois de correspondance inférieur à un seuil fixé par décret en est exempté.

Le montant des contributions au fonds dont ces prestataires sont redevables et le montant des sommes dues sont déterminés par l'ARCEP. Pour ce faire, celle-ci dispose d'un droit à se faire communiquer des prestataires les informations comptables lui semblant utiles, et peut sanctionner les opérateurs récalcitrants ou défaillants.

Enfin, cet article L. 2-2 renvoie à des mesures règlementaires deux précisions d'importance :

- un décret en Conseil d'État, pris après avis de l'ARCEP et de la Commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques (CSSPPCE), doit préciser les méthodes d'évaluation, de compensation et de partage des coûts nets liés aux obligations de service universel. Ce texte règlementaire a été examiné en Conseil d'État le 9 novembre dernier ;

- un décret simple, pris après avis public de l'ARCEP sur demande du prestataire du service universel établissant, doit fixer la première année au titre de laquelle les contributions nettes au fonds de compensation du service universel postal sont recouvrées.

La mise en oeuvre de ce fonds semble problématique . En l'absence de concurrence effective et réelle, La Poste elle-même n'en demande pas la création. Du reste, dans son rapport public thématique de juillet 2010 sur l'entreprise postale, la Cour des Comptes relevait que « la mise en place éventuelle du fonds de compensation apparaît soit comme une hypothèse d'école, soit comme une solution délicate quant à la détermination de la « charge inéquitable » de l'opérateur ».

Votre rapporteur pour avis, conteste le principe même de confier à un tel fonds, dont la mise en place et le bon fonctionnement paraissent très largement aléatoires, le financement de cette mission de service public. Un fonds de ce type existe en effet pour le service universel de la téléphonie fixe, et fait l'objet de contestations de la part des opérateurs censés l'alimenter.

Votre rapporteur pour avis estime qu'il devrait revenir à l'État de prendre en charge à travers une subvention imputée sur le budget général. La réglementation européenne n'interdit pas, d'ailleurs, d'assurer le financement du service universel par une aide d'État, comme c'est le cas en Suède par exemple ;

- la mission de transport et distribution de la presse occasionne, quant à elle, un surcoût net qui a pu être évalué à 670 millions d'euros en 2006. Les tarifs spécifiques associés à cette mission ne couvrant que 37 % des coûts, La Poste bénéficie chaque année d'une subvention de l'État.

Cette subvention est imputée sur deux programmes distincts 11 ( * ) . La majeure partie provient de l'action 4 Développement des télécommunications, des postes et de la société de l'information du programme 134 de la mission « Économie ». S'élevant à 152 millions d'euros en AE et CP pour 2012, cette enveloppe est en baisse de 4,4 % par rapport à l'année précédente. Il y a là une évolution inquiétante selon votre rapporteur pour avis.

En effet, le solde de ce surcoût net , qui était jusqu'à présent couvert par les bénéfices tirés par La Poste de son activité sur le secteur réservé, sera à présent pris en charge par l'opérateur , aux termes de l'accord Schwartz de 2008. Il s'agit donc d'une augmentation de charges pour le groupe La Poste, auquel est confié ce service public de distribution de la presse, à un moment où ses fondamentaux structurels se trouvent fragilisés (ouverture totale du marché postal à la concurrence, baisse rapide des volumes de courriers traités ...) ;

- la mission d' accessibilité bancaire occasionne également un surcoût net pour La Banque Postale, filiale de La Poste, chargée de l'assurer. Il avait été évalué par le Gouvernement à 393 millions d'euros au titre de l'année 2007.

Ce surcoût est compensé par une rémunération dite « complémentaire » dont le montant, fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie, doit être proportionné aux missions de service d'intérêt économique général (SIEG) confiées à La Poste. Le livret A proposé par cette dernière en relève, dans la mesure où il favorise l'inclusion bancaire des personnes ayant des difficultés d'accès aux services bancaires de base.

Le montant de cette rémunération complémentaire est le suivant pour les années 2009 à 2014 :

Année

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Montant
(en millions d'euros)

280

270

260

250

235

210

- la décroissance de la rémunération complémentaire doit être compensée par la poursuite par La Banque Postale de ses efforts de productivité, en vue de réduire le coût de la collecte pour le Livret A. Votre rapporteur pour avis, M. Michel Teston, s'interroge sur cette évolution, à l'heure où de plus en plus de nos concitoyens éprouvent des difficultés financières ;

- le maillage territorial de La Poste est financé au moyen d'un fonds ad hoc constitué dans un compte spécifique de La Poste, qui est chargée d'en assurer la gestion comptable et financière.

Les ressources de ce fonds de péréquation proviennent notamment de l'allègement de fiscalité locale dont bénéficie La Poste en contrepartie de sa mission d'aménagement du territoire. Cet abattement, non compensé par l'État aux collectivités territoriales, est appliqué tant sur ses bases de contribution économique territoriale (CET) que sur ses bases de taxes foncières.

La loi du 9 février 2010 précitée prévoit qu'à partir de l'exercice 2011, le taux des abattements dont bénéficie La Poste est fixé chaque année dans une limite portée de 85 à 95 %. Ce produit contribue au financement du coût du maillage territorial complémentaire de La Poste, évalué chaque année par l'ARCEP.

Le fonds postal national de péréquation territoriale, l'État, l'association des maires de France (AMF) et La Poste ont signé en janvier 2011 le contrat de présence postale territoriale , qui fixe pour la période 2011-2013 les modalités de fonctionnement du fonds. Évalué par l'ARCEP, le montant prévisionnel des ressources de ce fonds est de 170 millions d'euros par an, soit 510 millions d'euros sur la période 2011-2013. Partant de là, le contrat de présence postale territoriale a prévu une augmentation du financement de la présence postale territoriale de 35 millions d'euros par rapport à la période 2008-2010. Le fonds est ainsi doté d'un montant prévisionnel de 170 millions d'euros chaque année d'ici 2013 , au lieu de 135 millions d'euros précédemment.

RESSOURCES PRÉVISIONNELLES DU FONDS POSTAL NATIONAL DE PÉRÉQUATION

Année

2011

2012

2013

Total

Montant (en millions d'euros)

170

170

170

510

Source : contrat de présence postale territoriale 2011-2013.

Votre rapporteur pour avis estime ce système de financement critiquable à plusieurs égards. Tout d'abord, l'État en est absent , le dispositif est assis sur la seule fiscalité locale. Et ce alors même que c'est lui qui assigne cette mission de présence territoriale à La Poste.

Par ailleurs, le « bouclage financier » du dispositif n'est pas assuré . Ainsi, selon la Cour des comptes, « le coût de la mission d'aménagement du territoire ne sera qu'en partie couvert par l'abattement maximal de 95 % sur la nouvelle contribution économique territoriale », même si le produit de ce dernier sera supérieur à celui du système précédent.

On notera enfin que le cadre règlementaire dans lequel s'inscrit le financement de cette mission de présence postale territoriale n'est pas entièrement abouti :

- cette année a vu la publication du décret en Conseil d'État n° 2011-849 du 18 juillet 2011 précisant la méthode de calcul du coût net du maillage complémentaire permettant à La Poste d'assurer sa mission d'aménagement du territoire, en application de l'article 4 de la loi du 9 février 2010 ;

- en revanche, n'a pas été pris le décret devant préciser l'article 21 et fixant le seuil d'envois de correspondance au-dessous duquel les prestataires de services postaux sont exemptés de contribution au fonds de compensation du service universel postal. Ce décret fait actuellement l'objet de travaux menés conjointement avec l'ARCEP ;

- enfin, un rapport au Gouvernement et au Parlement sur le coût net du maillage complémentaire permettant d'assurer la mission d'aménagement du territoire confiée à La Poste, réalisé par l'ARCEP, est attendu. Il devrait être transmis d'ici la fin de l'année 2011.

3. Les risques liés au démantèlement du groupe Dexia

Votre rapporteur pour avis souhaite enfin évoquer les conséquences du démantèlement du groupe Dexia . En raison d'une crise de liquidité, ce dernier va être divisé en trois ensembles, l'un d'entre eux étant spécifiquement chargé des activités de financement des collectivités locales françaises.

La Banque Postale est au coeur de cette opération de démantèlement/restructuration. Elle prendra en effet une participation de 5 % dans Dexia Municipal Agency (DMA), aux côtés de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). DMA sera chargé de gérer l'encours des financements (sous forme titrisée) déjà accordés aux collectivités. Cela représente selon certaines sources un stock de prêts d'environ 80 milliards d'euros.

Elle prendra également une participation dans la nouvelle banque des collectivités locales à hauteur de 65 % du capital, les 35 % restants étant détenus par la CDC. Cette structure sera chargée d'accorder les nouveaux financements.

S'agissant de DMA, votre rapporteur pour avis s'interroge à un double titre :

- n'y a-t-il pas un risque que le démantèlement de Dexia vienne contaminer la Banque postale ou la CDC qui, en tant que nouveaux actionnaires de DMA, devront supporter le coût des défauts de remboursement éventuels ou des manques à gagner liés au désengagement anticipé des contrats adossés aux prêts aux collectivités ?

- in fine , sachant que la CDC et la Banque postale sont des structures à financement public, n'y a-t-il pas un risque que ce soit de nouveau le contribuable qui finance les pertes générées par des pratiques financières imprudentes ?

S'agissant de la nouvelle banque des collectivités locales, plusieurs questions se posent également :

- n'y a-t-il pas un risque d'assèchement du crédit pour les collectivités locales ? La nouvelle banque sera en effet majoritairement contrôlée par la Banque postale, qui pourrait être réticente à mettre les liquidités dont elle dispose pour ses principales activités (prix immobiliers et crédit à la consommation) au service de sa nouvelle activité de financement des collectivités ;

- à supposer que la Banque postale s'engage véritablement dans le prêt aux collectivités, dans quelles conditions le fera-t-elle ? Les critères de rentabilité de la Banque postale sont en effet ceux d'une entreprise commerciale et les taux proposés aux collectivités risquent d'être relativement élevés.


* 11 Voir supra .

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