II. CES CRITIQUES RÉCURRENTES APPELLENT AUJOURD'HUI DES MESURES FORTES QUI DOIVENT FIGURER AU PROGRAMME DU PROCHAIN CICID

Si ces critiques ne sont pas nouvelles, leur persistance à travers le temps suggère qu'il est temps de les prendre au sérieux et de prendre les mesures nécessaires pour atténuer des dysfonctionnements connus et reconnus.

Ces critiques font apparaître notamment que les réformes de 1998 et 2004 n'ont pas encore atteint leurs objectifs, que le point d'équilibre de ces dernières années n'est pas encore satisfaisant.

Les deux évaluations présentent dans cette perspective une série de propositions que vos rapporteurs ont souhaité annexer au présent rapport.

Ces propositions sont assez proches de celles que préconise votre commission depuis plusieurs années.

A. LA RÉPONSE LA PLUS COHÉRENTE AUX PROBLÈMES DE PILOTAGE DEMEURE LA CRÉATION D'UN MINISTÈRE DE PLEIN EXERCICE.

1. La solution la plus ambitieuse et la plus cohérente aux difficultés de pilotage est de réduire la fragmentation des centres de décision

Tous les acteurs de la coopération constatent que l'éclatement du dispositif favorise une concurrence entre services et ministères qui entraîne d'inévitables différences d'appréciation entre administrations (MAE et DG Trésor) et, par conséquent, des demandes récurrentes d'arbitrage à Matignon, voire à l'Élysée. Cette situation conduit à des délais et des incohérences incompatibles avec le rythme et la nature des enjeux à traiter.

Au-delà de la personnalité du titulaire du portefeuille, l'absence de pilotage politique s'explique par le fait que le ministre du développement ne dispose pas des moyens de porter une politique d'ensemble qui reste marquée par la concurrence entre le ministère des affaires étrangères et le ministère des finances.

L'organisation actuelle ne lui permet pas non plus d'arbitrer les priorités budgétaires de la mission aide publique au développement, notamment entre instruments bi- et multilatéraux. De fait, la mission APD constitue une variable d'ajustement des budgets respectifs des ministères concernés.

Si l'origine des difficultés rencontrées provient du partage des responsabilités entre les deux ministères, alors des réunions plus fréquentes du CICID ne constituent pas en elles-mêmes une réponse suffisante.

Le CICID présidé par le Premier ministre, comme l'a souligné le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, « n'a pas vocation à être réuni tous les quatre matins ». De fait la coordination quotidienne des administrations continuera à alourdir le processus de décision.

Dans ce cadre, la création d'un ministère de plein exercice permettrait éventuellement de réduire la redondance de certaines responsabilités entre administrations centrales, et entre administrations et opérateurs, et de limiter un micro-management de l'Élysée sur des dossiers relevant de l'action gouvernementale.

La réforme initiée par Lionel Jospin pourrait ainsi être menée à terme, dans une logique de rationalisation, de cohérence et d'efficacité. Un ministre du développement de plein exercice, doté d'une administration propre, comme c'est le cas en Grande-Bretagne ou en Allemagne, permettrait une unité de décision.

C'est notamment une des préconisations du bilan évaluatif.

Politiquement, un tel ministère aurait l'avantage de se présenter comme un outil au service d'une autre mondialisation : un outil de solidarité, d'une part, permettant de lutter contre la « fracture sociale » planétaire, un outil de régulation, d'autre part, permettant d'asseoir des politiques publiques globales associant Nord et Sud face aux défis globaux (alimentaires, climatiques, sociaux, financiers...). Il ne s'agirait donc pas de restaurer un ministère de la coopération consacré au « champ », mais de porter une politique des enjeux globaux du développement.

D'un point de vue administratif, ce scénario a cependant des implications nombreuses : le plein exercice sur la mission budgétaire « aide au développement » et une administration dédiée.

Cela suppose de renforcer les pouvoirs budgétaires du ministre du développement en lui confiant la responsabilité des programmes 110 et 209 et son rôle dans l'animation interministérielle de la politique d'aide au développement à budget constant :

- en lui rattachant, outre une partie des services de la DGM en charge du développement et des biens publics mondiaux hors le culturel (dont le personnel titulaire resterait rattaché au corps du Quai d'Orsay), et des services du Trésor actuellement en charge du programme 110 (dont le personnel resterait rattaché pour leur carrière au Trésor), éventuellement du personnel issu de la direction de la stratégie de l'AFD (dont idem le personnel resterait rattaché à l'AFD), ainsi que certains agents chargés de la coopération internationale des ministères techniques concernés (environnement, agriculture, éducation nationale, etc.).

Ce scénario présente des avantages :

- l'autorité du ministre du développement sur les programmes 110 et 209 permettrait de les restructurer en deux programmes budgétaires (un bilatéral et un multilatéral avec des lignes thématiques et/ou par instruments), et autoriserait ainsi des arbitrages cohérents sur l'ensemble des instruments de la politique de coopération bi et multi, des agences de Bretton Woods, du système onusien, et européen,

- ce ministère donnerait une visibilité politique aux tentatives de régulations de la mondialisation et de mises en place de politiques publiques globales à l'échelle planétaire. Il s'agirait d'un ministère du développement, de la coopération et de la gouvernance mondiale,

- l'intégration de certains services de la DGM et du Trésor mettrait fin aux redondances administratives et aux conflits liés à leur appartenance à des ministères concurrents, tout en conservant leurs cultures professionnelles complémentaires dans un ministère qui ne serait ni celui des finances, ni celui des affaires étrangères.

Il présente également des inconvénients :

- c'est un choix éminemment politique et un chamboulement important de la structure ministérielle. Une absence d'administration d'origine pour ce nouveau ministère constitue un handicap. Son succès dépendra de sa capacité à coordonner et valoriser différents savoir-faire et cultures professionnels,

- cela suppose que le ministère des finances accepte de s'amputer d'une partie des services du trésor, des crédits du programme 110, et partage la responsabilité des contributions et de la représentation française au sein des institutions financières internationales et que le ministère des affaires étrangères accepte de s'amputer d'une grande partie des services de la DGM, des crédits du programme 209 et partage la responsabilité des contributions et de la représentation française au sein des institutions dépendant de l'ONU,

- la rationalisation administrative consécutive à cette réforme, autrement dit, la diminution des redondances, serait sans doute limitée par la nécessité de créer un service en charge de l'administration générale de ce ministère dont une partie viendra des deux ministères concernés et de leur volonté naturelle de conserver certaines prérogatives. Le ministère des finances souhaitera conserver au sein de la supervision des établissements de crédits celle de l'AFD, qui relève du code monétaire, et garder la main sur le FMI, qui est un outil de la gouvernance économique et financière mondiale. Le ministère des affaires étrangères souhaitera conserver la cotutelle des organismes de développement de l'ONU, le SGAE, les aspects communautaires, etc. Les chevauchements continueront donc d'exister de façon plus limitée.

Cette solution, qui suppose un portage politique fort, ne pourra vraisemblablement s'imposer que lors de la constitution d'une nouvelle organisation gouvernementale. En attendant, une rationalisation des instances de coordinations reste nécessaire.

2. La rationalisation et la réactivation des instances de coordination bien qu'insuffisantes peuvent entraîner des améliorations

Les deux évaluations insistent sur la nécessité de mettre en place un dispositif de décision et d'arbitrage pérenne. Les travaux du bilan évaluatif plaident pour « activer un cadre interministériel stable et durable ». Le besoin d'approfondissement de la coordination interministérielle devra passer par la « remise en scène du CICID « de plein exercice » .

La Cour des comptes plaide pour « revenir à une fréquence annuelle de réunion du comité interministériel de la coopération internationale et du développement » et «  rationaliser les instances de pilotage de l'aide en redessinant un schéma d'ensemble ».

S'il convient en effet de remettre en route les organes de concertation, il faut sans doute s'interroger sur les raisons qui ont conduit le CICID à ne pas se réunir pendant trois ans. Outre la difficulté à trouver des accords entre les deux principaux ministères concernés, sans doute la présence du Premier ministre, pour lequel cette politique n'est pas une priorité, constitue un handicap.

Créé par le décret n° 98-66 du 4 février 1998, le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) prévoit, en effet, que le CICID soit présidé par le Premier ministre, et comprenne « le ministre des affaires étrangères, le ministre chargé de l'économie et des finances, le ministre chargé de la population et des migrations, le ministre chargé de l'éducation, le ministre chargé de la recherche, le ministre de l'intérieur, le ministre de la défense, le ministre chargé de l'environnement, le ministre chargé de la coopération, le ministre chargé du budget, le ministre chargé du commerce extérieur et le ministre chargé de l'outre-mer. Les autres ministres intéressés par les questions inscrites à l'ordre du jour sont invités à siéger au comité interministériel. Un représentant du Président de la République prend part à ses travaux ».

Il conviendrait sans doute de revoir la composition du CICID en vue d'améliorer la fréquence de ces réunions avec une formation restreinte sur le modèle du Co-CICID ou du COS.

Le co-secrétariat du CICID, formalisé lors du CICID de juillet 2004, réunit les représentants des ministères dont relève la mission aide publique au développement : ministère des affaires étrangères et européennes (direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats), ministère de l'économie, des finances et de l'industrie (direction générale du trésor) et, depuis 2007, le ministère de l'intérieur, de l'outre mer, des collectivités territoriales et de l'immigration (secrétariat général à l'immigration et à l'intégration), ainsi qu'un représentant de l'Agence française de développement (AFD).

On peut imaginer que ce Co-CICID puisse se réunir aussi au niveau ministériel avec le remplacement du ministère de l'intérieur par le ministère en charge du développement durable.

De même, l'absence de représentant de ce ministère au sein du Conseil d'orientation stratégique de l'AFD, qui est l'opérateur pivot du développement durable à l'international, apparaît aujourd'hui surprenante tant les problématiques de développement et de protection de l'environnement sont liées.

La fréquence des réunions et leur efficacité dépendront de la composition de ces organes, de leur présidence, et des modalités de fixation de l'ordre du jour.

Votre commission demande également à ce que les décisions du CICID et du Co-CICID soient rendues publiques et transmises aux commissions compétentes.

Vos rapporteurs s'étonnent par exemple de découvrir de façon indirecte, six mois après que la décision a été prise, que la liste des pays prioritaires a été modifiée par un co-CICID.

B. L'ADOPTION D'UNE LOI DE PROGRAMMATION PERMETTRAIT DE DÉFINIR UN CADRE STRATÉGIQUE ET BUDGÉTAIRE COMPLET ET COHÉRENT

1. Une loi de programmation permettrait d'associer le Parlement à la définition de la stratégie de coopération au développement française et de lui conférer une légitimité politique

Les deux rapports préconisent de mieux définir, décliner et hiérarchiser les objectifs et les priorités de la France en matière de coopération au développement.

Si le document-cadre a constitué une première étape positive, il n'est cependant qu'une réponse partielle au manque de lisibilité et de clarté des objectifs réellement poursuivis par la France.

C'est pourquoi les deux évaluations préconisent l'adoption d'une loi de programmation rejoignant un engagement du Président de la République lors de la campagne électorale.

Une loi de programmation préparée éventuellement par un livre blanc ou par les assises du développement permettrait d'impliquer le Parlement dans la définition des orientations de la politique de coopération au développement.

La loi définirait l'ensemble des objectifs généraux et opérationnels de l'aide française, en les hiérarchisant et en y associant des priorités claires.

Elle permettrait de clarifier les objectifs de la coopération au développement en matière d'effet de retour pour la France, la stratégie suivie en termes d'équilibre entre les interventions bilatérales et multilatérales et définir une stratégie spécifique vis-à-vis du canal multilatéral.

Aujourd'hui, le Parlement n'est saisi que pour avis de certains documents stratégiques.

En application de la loi sur l'action extérieure de l'Etat 64 ( * ) , il a été saisi pour avis du projet de contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD 65 ( * ) . Il en va de même pour FEI.

Votre commission avait par ailleurs insisté, il y a deux ans, pour contribuer aux travaux d'élaboration du document-cadre de coopération au développement. Elle avait organisé à cette occasion d'une table ronde sur la stratégie française de coopération ainsi qu'un débat en séance publique sur ce thème.

Ces consultations s'inscrivent dans une évolution de long terme vers une association plus étroite du Parlement à la définition d'une politique de coopération.

Il faut y voir les conséquences de l'évolution constitutionnelle du rôle du Parlement en matière de politique étrangère, mais aussi l'effet de l'interaction croissante entre les enjeux internationaux liés au sous-développement et les préoccupations quotidiennes de nos concitoyens au fur et à mesure que les effets de la mondialisation se font sentir.

Cet effort d'explication, de transparence et d'accessibilité de l'information sur les stratégies et les moyens de la coopération doit être poursuivi.

La société civile s'avère très favorable à cet effort de solidarité, comme en témoigne le soutien important qu'elle apporte aux organisations non gouvernementales. En revanche, elle se montre sceptique à l'égard de la mise en oeuvre de politiques publiques d'aide au développement.

Pour conserver à cette politique sa crédibilité, un travail d'explication est donc à fournir en direction du citoyen et du contribuable.

Ce travail ne passe pas seulement par le Parlement. Mais le Parlement peut et doit contribuer à un effort d'explication des enjeux à long terme du sous-développement et donner à la problématique du développement la place qui lui revient dans l'agenda politique.

Les Français doivent pouvoir comprendre qu'en favorisant le développement d'une Afrique qui atteindra 1,8 milliard d'habitants en 2050 ou en incitant les pays émergents à adopter un régime de croissance moins polluant, les pouvoirs publics contribuent aujourd'hui à dessiner le monde de demain.

Dans ce paysage institutionnel éclaté qui est celui de la coopération française, le Parlement peut être le lieu où s'établissent une cohérence et une synthèse entre l'action les différents ministères en charge de cette politique.

2. L'adoption de cette loi de programmation peut être l'occasion de définir un cadre stratégique plus complet et plus cohérent qui doit être ensuite décliné par l'exécutif en fonction du type de partenariat et des secteurs concernés

La loi de programmation pourrait servir de socle commun à des stratégies gouvernementales déclinées par zones de partenariat différenciées (Afrique, Méditerrané et Émergents, par exemple) et par secteur (Santé, éducation, croissance, développement durable etc.).

Ces cadres stratégiques seraient adoptés en CICID après concertation d'une instance de consultation rénovée sur le modèle du Haut Conseil à la Coopération Internationale et, éventuellement, avis des commissions compétentes du Parlement et en liaison avec les stratégies européennes.

Il importe notamment que le Gouvernement se dote d'un cadre stratégique à l'égard de :

- l'Afrique où la France concentre 60 % de son aide et possède des intérêts stratégiques nombreux,

- des pays émergents afin de clarifier le type d'objectifs que nous poursuivons et les moyens mis en oeuvre,

- de la Méditerranée où se joue la sécurité du flanc sud de l'Europe qui est en jeu et, sans doute aussi, notre prospérité future. Un document stratégique permettrait de définir les contours d'une politique méditerranéenne renouvelée, ambitieuse et proche des réalités.

Ces cadres stratégiques nationaux seraient ensuite déclinés au niveau des opérateurs tel que l'AFD, FEI ou le CIRAD etc.

Au niveau des pays partenaires, ces documents stratégiques seraient appliqués dans le cadre des programmations européennes conjointes.

3. L'adoption d'une loi de programmation permettrait de définir un cadrage budgétaire cohérent avec les orientations politiques.

Les deux évaluations, comme la revue RGPP en son temps, soulignent que le pilotage des masses budgétaires s'est avéré incapable de produire une allocation des moyens en phases avec les objectifs, notamment parce qu'il est resté prisonnier de la logique de chaque opérateur et de chaque instrument.

De ce point de vue, une loi de programmation peut définir un cap, une référence sur ce à quoi la représentation nationale veut aboutir.

Les projets de loi de finances priment sur les lois de programmation, mais sont évalués au regard de la programmation adoptée qui constitue ainsi une référence et une force de rappel.

La revue par les pairs ayant souligné à plusieurs reprises que la France devrait adopter une feuille de route rendant crédible ses engagements internationaux, une loi de programmation pourrait ainsi asseoir la crédibilité de la démarche française.

C. IL FAUT INSTITUTIONNALISER LE DIALOGUE AVEC LES ACTEURS DE L'AIDE AU DÉVELOPPEMENT.

La politique de coopération au développement est longtemps restée l'apanage de l'exécutif. En dépit de l'expérience du document-cadre qui s'est appuyé sur un processus de consultation des ONG et de la société civile, la mise en débat reste encore ponctuelle et limitée, et manque de structures de concertation organisées et pérennes entre l'Etat et les autres acteurs intéressés par la coopération au développement.

C'est pourquoi les évaluations proposent de rétablir des cadres de concertation structurés dans la durée, avec la remise sur pied d'une instance similaire au HCCI , en en corrigeant les lacunes et les dysfonctionnements relevés dans son format précédent.

Là encore, il convient de s'interroger sur les causes des échecs successifs du HCCI et du Conseil stratégique.

Plusieurs points de vigilance doivent être regardés :

- le mandat du conseil doit être précisé : par exemple, un espace de dialogue où la société civile exprime des positions et recommandations aux ministres concernés sur les grands sujets de la coopération, de la solidarité internationale et du développement,

- la composition doit être équilibrée, en représentant, par exemple, les ONG, les collectivités engagées dans de la coopération décentralisée, des personnalités qualifiées, les parlementaires rapporteurs du budget. Chaque « famille » d'acteurs conviée au Conseil présente la candidature de ses représentants. Le Conseil peut être un espace ouvert, où des personnes-ressources non-membres sont invitées à intervenir, en fonction de l'ordre du jour,

- la présidence doit être confiée au ministre du développement,

- l'ordre du jour doit être partagé entre la présidence et les membres, anticipant l'agenda international, permettant de traiter des questions d'actualité et les grands sujets qui impactent les stratégies de coopération au développement,

- la périodicité des réunions du Conseil doit être définie et respectée, la possibilité de convoquer le Conseil,,

- la programmation et la répartition de travaux préparatoires doivent être élaborées en liaison avec chaque « famille »,

- le rôle du secrétariat doit être défini.

Sous réserve de ces observations, votre commission est favorable à la création d'une instance permanente de dialogue et de concertation.

D. LE RENFORCEMENT DES MOYENS CONSACRÉS À L'ÉVALUATION EST INCONTOURNABLE SI L'ON VEUT AVOIR UNE VISION PLUS CLAIRE DE L'IMPACT DE NOTRE AIDE

Les deux évaluations soulignent la nécessité d'améliorer l'effort d'évaluation.

La Cour des comptes propose notamment :

1) de renforcer les capacités publiques nationales d'évaluation par leur rapprochement et l'allocation de moyens appropriés ;

2) d'étendre le champ de l'évaluation aux aides représentant des volumes significatifs (annulations de dette, contributions multilatérales) ;

3) redéfinir les indicateurs de performance budgétaire en favorisant la convergence entre programmes et la mesure de leur efficacité ;

Les travaux du bilan évaluatif auxquels un des rapporteurs a participé proposent de :

1) mettre en place un programme concerté et pluriannuel d'évaluation de la politique de coopération au développement entre la DGM, la DG Trésor et l'AFD ;

2) renforcer notablement la capitalisation en s'assurant de la diffusion des évaluations et de l'utilisation de leurs conclusions ;

3) améliorer la communication sur l'action française en matière de coopération au développement afin d'en valoriser les résultats et les impacts.

La politique de coopération au développement est handicapée par un déficit de reconnaissance et par une suspicion fréquente quant à sa pertinence et à son utilité. Faute d'objectifs clairs et faute de données cohérentes sur l'effort consenti et sur les résultats et les impacts obtenus par la politique, elle est mal comprise et fait l'objet de nombreuses remises en question.

Ces mesures passent par un renforcement des effectifs et des moyens des instances d'évaluation.

Votre commission ne peut qu'approuver ces recommandations. Elle n'a eu de cesse de dire combien elle souhaitait que l'évaluation soit mise au coeur de la politique d'aide au développement .

Elle souhaite que le recours à l'évaluation soit plus systématique et en particulier que la reconstitution des fonds multilatéraux soit systématiquement précédée d'une évaluation.

Vos rapporteurs demandent en outre que les commissions compétentes du Parlement en matière d'aide au développement puissent, dans le cadre de leur activité de contrôle, recourir au concours des organismes chargés des évaluations de la politique d'aide au développement dans les ministères et les organismes compétents pour procéder à des évaluations. Ce concours pourrait prendre la forme d'une inscription dans le programme de travail de ces organismes de sujets d'étude à la demande du Parlement.

Le Parlement ne dispose pas, en effet, des moyens propres pour assurer le contrôle des contributions internationales de la France aux grandes organisations internationales. Or, dans la mesure où celles-ci représentent plus 50 % de notre aide, il importe de lui donner les moyens d'exercer ce contrôle. Le recours aux organismes chargés des évaluations permettrait de s'appuyer sur un travail de qualité.

L'inscription dans le programme de travail de ces organismes de sujets d'étude à la demande du Parlement ne conduirait aucunement à mettre ces organismes « sous la tutelle » des commissions parlementaires puisqu'ils continueraient à exercer leurs activités de la même façon qu'aujourd'hui.

E. LE DÉVELOPPEMENT D'INDICATEURS DE RÉSULTATS CONSTITUE UN ÉLÉMENT INCONTOURNABLE D'UNE POLITIQUE DE COMMUNICATION ACTIVE SUR LES SUCCÉS DE NOTRE COOPÉRATION

En ce qui concerne les indicateurs de résultats demandés par les deux évaluations, votre commission constate qu'en 2009, le Comité interministériel sur la coopération internationale et le développement (CICID) a demandé (point 2.8 « Pilotage de l'aide » du relevé de décisions) que soit élaborée une matrice d'indicateurs des résultats et de l'impact de l'aide française, assortie d'un tableau interministériel de suivi, en complément des indicateurs de moyens existants.

En 2010, le document-cadre de coopération au développement adopté, quant à lui, soulignait : « Mesurer la qualité des interventions menées et apprécier leurs résultats est indispensable. Il s'agit d'une exigence démocratique à l'égard du Parlement et des citoyens français comme des populations et des autorités des pays bénéficiaires. Cette analyse des résultats est également nécessaire pour améliorer la pertinence et l'efficacité des opérations conduites, responsabiliser les acteurs chargés de leur mise en oeuvre et permettre de capitaliser sur les expériences passées ».

Il prévoyait également que des indicateurs synthétiques sur les résultats prévus et obtenus seront mis au point : « Un tableau d'indicateurs rendant compte des effets attendus des programmes financés au niveau bilatéral, communautaire et multilatéral et fournissant une appréciation sur les résultats obtenus à l'issue de leur mise en oeuvre, sera mis en place et permettra de communiquer de façon simple et explicite sur l'action du gouvernement ».

En 2012, le Parlement attend toujours ces indicateurs de résultats qui ne figurent dans aucun document budgétaire officiel.

L'administration française a néanmoins commencé à avancer sur ce dossier.

En effet, l'AFD a mis en place des indicateurs de suivi « agrégeables » utilisés dans ses rapports. Le rapport biannuel communiqué à votre commission lors de l'audition du ministre contient une matrice de 19 indicateurs.

En 2011, le co-secrétariat du CICID aurait adopté cette matrice de 19 indicateurs de suivi de l'aide bilatérale française.

On retrouve, parmi les indicateurs de moyens et de conformité, les indicateurs de concentration des subventions et de l'effort financier. Les indicateurs de résultats portent sur les activités de l'AFD avec les limites précitées.

Intitulé de l'indicateur

Référence

Valeur
cible

Valeur
2010

Valeur
2011

Indicateurs de moyens et de conformité

1

Part du PNB affecté à l'APD

Versements

0,7% (2015)

0,50%

0,46%*

2

Part de l'effort financier de l'Etat en :
- ASS
- Méditerranée
- pays émergents

Engagements


> 60%
20 %
< 10%

N.D

N.D

3

Répartition en volume des engagements par OMD (année considérée)

Engagements

Indicateur

de suivi

Total AFD : 2836M€
- OMD 1 = 106M€
- OMD 2 = 66M€
- OMD 3 = 0 M€
- OMD 4 = 49M€
- OMD 5 = 56M€
- OMD 6 = 7 M€
- OMD 7 = 2383M€
- OMD 8 = 169 M€

Total AFD: 3280M€

- OMD 1 = 69 M€

- OMD 2 = 32 M€

- OMD 3 = 0 M€

- OMD 4 = 18 M€

- OMD 5 = 38 M€

- OMD 6 = 10 M€

- OMD 7 = 2971M€

- OMD 8 = 142 M€

4

Part des subventions dans les :
- 14 PPP
- Pays en crise

Versements


> 50%
10%


31%
17%

47%
10%

5

Engagements contribuant à un développement durable (cible 9 de l'OMD 7)

Engagements

AFD : 1353M€

AFD : 1385 M€

6

Part de l'APD bilatérale versée dans les pays ayant signé un accord de gestion concertée des flux migratoires

Versements

N.D

N.D

7

Part de l'APD transitant par des ONG

Versements

2% APD

1,74%

N.D

8

Part de l'aide budgétaire française qui s'inscrit dans un processus harmonisé entre bailleurs de fonds et/ou dans un cadre régional

Versements

80 % (2013)

83,7%

85%

9

Effet de levier sur prêts concessionnels AFD en APD
- global
- par région
- par secteur CICID

Engagements

AFD global = 9,1
- ASS = 5,2
- Méd. = 10,8
- Asie = 11,5
- Amé. Lat. = NS
- Agriculture = 5,5
- Eau et ass. = 6,2
- Education = 7,7
- Env. = 17
- Infrastructure = 7,7
- Santé = 8,2
- Secteur prod. = 11,8

AFD global = 10,1

- ASS = 7,5

- Méd. = 11,7

- Asie = 14,8

- Amé. Lat. = NS

- Agriculture = 7,2

- Eau et ass. = 6,4

- Education = 4,7

- Env. = 20,9

- Infrastructure = 8,9

- Santé = NC

- Secteur prod. = 7,1

Indicateurs de résultats par secteurs

10

Part des projets AFD jugés au moins satisfaisants dans la réalisation de leurs objectifs (rapports d'achèvement de projets)

Engagements

-

76%

77%

11

Nombre de nouvelles personnes desservies par les structures et services de santé concernés

Engagements

-

873 270

Personnes

743 000

personnes

12

Nombre d'enfants achevant chaque année le cycle primaire d'éducation

Engagements

-

N.D

61 700

13

Part des filles dans le total des enfants scolarisés au niveau du collège

Engagements

-

42%

44%

14

Nombre de personnes bénéficiant d'une formation professionnelle

Engagements

-

28 000

Personnes

430 000

personnes

15

Population bénéficiant directement d'un projet agricole ou d'irrigation

Engagements

-

1 450 735 personnes

2 274 000 personnes

16

Tonnes d'équivalent carbone évitées par an grâce aux projets financés

Engagements

-

2,9 millions

Teq CO2/an

2,1 millions

Teq CO2/an

17

Nombre de personnes gagnant un accès pérenne à une source d'eau potable améliorée

Engagements

800 000 pers. / an

905 000

Personnes

1 317 200 personnes

18

Nombre d'habitants des quartiers défavorisés dont l'habitat est amélioré ou sécurisé

Engagements

-

319 750

Personnes

1 894 633 personnes

19

Investissements accompagnés

Engagements

-

1 304 670 533 €

1 136 000 000 €

Les limites de ces indicateurs sont nombreuses.

Les indicateurs agrégeables de résultats de ce tableau permettent de rendre compte, de façon consolidée, des effets attendus des actions auxquelles concourent les financements autorisés par le Groupe AFD au cours d'une année donnée. Il s'agit cependant d'indicateurs évalués ex ante renseignés au cours de l'instruction de chaque projet sur la base des résultats qu'il devrait générer une fois celui-ci terminé.

Contrairement à leur finalité initiale, ces indicateurs ne sont donc pas des indicateurs pertinents pour le pilotage opérationnel :

- les indicateurs sont seulement renseignés et collectés ex ante,

- ils n'ont généralement pas de valeur initiale mesurée et ne peuvent donc pas servir de point de référence à un système de suivi. Ils ne sont pas utilisés, sauf rares exceptions, pour le pilotage des projets ;

- ils servent exclusivement à des fins de communication, sur la base d'une douzaine d'indicateurs, globalement toujours les mêmes d'une année sur l'autre ;

- ils ne couvrent pas tous les types d'opérations (aide budgétaire globale, renforcement de capacité et fonds d'études, etc.).

La collecte des données se fait sur la base du reporting des chefs de projets dans le système d'information, et est donc, de ce fait, peu fiable.

Les résultats attendus peuvent varier fortement d'une année sur l'autre, ce qui ne permet pas une approche comparative et peut présenter un risque en matière de communication.

Conscients de ces limites, l'AFD, le trésor et la DGM ont mis en place des groupes de travail pour les surmonter.

Votre commission plaide pour la mise en place, tout au long de la gestion des projets de coopération, d'un dispositif de récolte des données. Seule une comparaison entre la situation avant l'intervention de la France et après permettra d'évaluer l'impact des projets financés.

Il faut sans doute bien être conscient que cette collecte des données sera étalée dans le temps avec un décalage entre le moment des décaissements et celui de l'évaluation des résultats. Cette méthode suppose, en outre, un fort investissement dans l'analyse de chaque projet financé puis une agrégation des résultats. C'est là sans doute la méthode la plus fiable.

Le recours à des analyses macro-économiques -procédés très utilisées- qui consiste à mettre en regard les résultats ex-post d'un secteur et les financements auquel un pays a contribué présente, en effet, beaucoup de faiblesse. Il s'agit en effet de s'appuyer sur les résultats des pays partenaires et de calculer les résultats qui sont attribuables à un donateur en fonction de contributions au financement du secteur. Or cette méthode dépend de la fiabilité des données statistiques des pays partenaires que l'on sait toute relative et conduit à s'approprier des résultats d'un secteur donné sans qu'on puisse véritablement imputer ces derniers à l'action de la coopération française.

Chaque méthode a ses avantages et ses inconvénients qui sont, par ailleurs, variables selon les secteurs et le type d'instrument utilisé. L'aide projet permet un suivi fin des résultats, l'aide budgétaire globale impose une analyse macro-économique. Le DIFID connu pour son avance dans ce domaine panache les deux types de méthode avec des résultats probants en termes de communication et parfois contestables en termes de méthode.

Source : rapport annuel DFID 2011 - 2012

La volonté de produire rapidement des résultats ne doit pas conduire à sacrifier la réflexion sur les meilleurs moyens de produire des indicateurs fiables, robustes et susceptibles d'être suivis sur le long terme.

Enfin, vos rapporteurs souhaitent ici souligner que si les indicateurs sont nécessaires à la légitimation de cette politique, ils ne pourraient pas constituer des indicateurs de nature à orienter l'aide. En effet, les résultats produits dépendent de la nature des pays dans lesquels la coopération intervient. Orienter l'aide là où nous obtenons des résultats, ce qui peut paraître de bon sens, conduirait à la recherche de la facilité et à intervenir là où c'est le plus facile et pas forcément là où c'est le plus utile.


* 64 Loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'Etat, article 1 er

* 65 Aux termes de l'article 1 er de la loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'Etat, ce contrat d'objectifs et de moyens prend la forme d'une convention dont le projet est soumis aux commissions permanentes compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat : « Une convention pluriannuelle conclue entre l'Etat, représenté par les ministres concernés, et chaque établissement public contribuant à l'action extérieure de la France, représenté par le président de son conseil d'administration, définit, au regard des stratégies fixées, les objectifs et les moyens nécessaires à la mise en oeuvre de ses missions. Le projet de convention est transmis par le Gouvernement, avant sa signature, aux commissions permanentes compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Ces commissions peuvent formuler un avis sur ce projet de convention dans un délai de six semaines. »

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