II. EXAMEN DU RAPPORT

Réunie le mercredi 22 mai 2013, la commission procède à l'examen du rapport pour avis sur le projet de loi n° 495 (2012-2013) de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, présenté par Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme d'Etat, de la décentralisation et de la fonction publique.

M. Raymond Vall , président . - La commission des lois ayant adopté la semaine dernière une version largement remaniée du texte, c'est sur cette version que nous sommes appelés à rendre un avis.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis . - Je ne reviendrai pas sur mes propos introductifs de mercredi dernier, et notamment sur la division en trois du texte initial qui rend malheureusement plus difficile une vision globale de la réforme. Il est essentiel à mes yeux que celle-ci soit utile. Si, à défaut d'organiser un fonctionnement territorial idéal, nous parvenons à améliorer l'efficacité et la lisibilité de nos collectivités et de leurs interventions, ce sera déjà une avancée. Aussi le texte, qui refonde et modernise l'action publique territoriale mérite-t-il tout notre intérêt.

C'est dans cet esprit que j'ai examiné les huit articles dont nous nous sommes saisis : les articles 3, 4 et 5 qui fixent le cadre général de la réforme ; les articles 15, 16 et 17 sur le STIF et la Société du Grand Paris ; l'article 31 sur les compétences des métropoles ; l'article 35, enfin, sur les pouvoirs de police en matière d'assainissement et de collecte des déchets.

Comme nous y a invités la ministre lors de son audition devant notre commission, je me suis senti très libre de vous proposer plusieurs modifications. La commission des lois a d'ailleurs adopté la même attitude la semaine dernière - j'en profite pour saluer le travail considérable de son rapporteur, qui a clarifié des points importants.

Je commencerai par les trois articles relatifs au STIF et au Grand Paris, que la commission des lois nous a délégués au fond. L'article 15 faisant référence à trois articles du code des transports, dont la création n'est prévue que dans le troisième projet de loi relatif à la décentralisation, il n'a pas lieu d'être dans celui-ci et je vous proposerai de le supprimer.

Les articles 16 et 17 concernent la coordination entre le syndicat des transports d'Ile-de-France, le STIF, groupement de collectivités qui constitue l'autorité organisatrice unique des transports en Ile-de-France, et la société du Grand Paris, établissement public de l'Etat à caractère industriel et commercial.

Très rapidement, les limites de la création d'un réseau de transport parallèle au réseau existant sont apparues, en particulier au cours des débats publics qui se sont tenus sur les deux projets. Un protocole d'accord a été signé entre l'Etat et la région en janvier 2011, reprenant des éléments communs au projet du Grand Paris et à Arc Express.

Le projet du Nouveau Grand Paris, présenté par le Premier ministre le 6 mars dernier, confirme cette approche, puisqu'il englobe, d'une part, des mesures d'amélioration du réseau existant, notamment le plan de mobilisation conclu entre l'Etat et les collectivités en 2011, d'autre part, le Grand Paris Express.

Cette approche intégrée se traduit par un impératif de coordination fort entre l'autorité organisatrice des transports en Ile-de-France, le STIF, et le maître d'ouvrage du réseau de transport public du Grand Paris, la Société du Grand Paris. Le STIF doit pouvoir s'exprimer sur le coût de possession de l'infrastructure une fois qu'elle est réalisée, ou sur les exigences de sécurité relatives à son exploitation, y compris sur les matériels roulants. Or, la loi relative au Grand Paris est peu diserte à ce sujet. Il convenait, dès lors, d'aller plus loin.

L'article 16 précise que les missions du STIF, maître d'ouvrage de droit commun, en matière de transports, s'exercent non seulement dans la limite des compétences de RFF ou de la RATP, comme cela est déjà prévu dans les textes, mais également de celles de la société du Grand Paris.

L'article 17 modifie quant à lui la loi relative au Grand Paris, afin d'associer davantage le STIF aux démarches réalisées par la Société du Grand Paris. Il dispose que le STIF est associé à l'élaboration du ou des dossiers d'enquête publique précédant la déclaration d'utilité publique pour les projets d'infrastructure du Grand Paris , ainsi qu'à celle de l'ensemble des documents établis par le maître d'ouvrage pour la réalisation des opérations d'investissement relatives au réseau de transport public du Grand Paris, qu'il aura au préalable approuvés. Il prévoit, enfin, que le STIF, en sa qualité de financeur, est associé à chaque étape du processus d'acquisition des matériels roulants.

Les responsables du STIF et de la Société du Grand Paris, que j'ai entendus, semblent satisfaits de ces précisions. Comme l'a rappelé le STIF, une coopération similaire avec RFF fonctionne bien. L'action devra être coordonnée au mieux, pour ne pas allonger les délais de mise en oeuvre des différentes étapes du projet. Je crois que les deux parties partagent le même objectif et la même volonté d'avancer. Une association du STIF le plus en amont possible évitera des blocages.

Je vous proposerai d'adopter conformes ces deux articles, afin que le projet du Grand Paris, dont l'enjeu est considérable, puisse avancer rapidement dans de bonnes conditions.

Notre commission se prononce par un simple avis sur cinq autres articles du projet de loi. L'article 3 vise à désigner des collectivités chefs de file. Cette disposition est la conséquence logique du rétablissement, à l'article 2, de la clause générale de compétence, qui est parfois mal comprise. Le chef de file n'exercera pas la compétence concernée à la place des autres collectivités, il aura pour mission de coordonner leurs interventions. C'est introduire une plus grande rationalité dans l'exercice des compétences partagées tout en respectant le principe de non-tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre, dans l'esprit de clarification de l'action publique locale qui préside à ce texte. Les chefs de file coordonnent, ce qui ne signifie pas qu'ils règlent tout sur le terrain.

Le texte du gouvernement faisait des régions les chefs de file pour le développement économique et l'organisation des transports. La commission des lois a complété et précisé cette formulation en leur octroyant la responsabilité de chef de file dans les domaines de l'aménagement et du développement durable du territoire, du développement économique et touristique, de l'innovation et de la complémentarité entre les modes de transports.

Cette nouvelle rédaction, bienvenue, conforte le rôle reconnu de la région en matière de développement économique et d'innovation. Je vous renvoie au rapport de Jean-Luc Fichet et de Stéphane Mazars pour la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, qui l'a mis en évidence.

L'expression « complémentarité entre les modes de transports » me paraît plus pertinente que celle d' « organisation des transports » retenue par le gouvernement. Il revient à la région de promouvoir l'intermodalité, tout en laissant les autorités organisatrices en première ligne pour l'organisation des transports, dans leur périmètre.

Le transfert du rôle de chef de file pour le tourisme aux régions ne fait pas consensus. J'estime pour ma part que le niveau est le bon pour promouvoir les richesses culturelles et naturelles de nos territoires, d'autant que cette compétence n'est pas sans lien avec le développement économique. Lorsque l'on visite les châteaux de la Loire, on se réfère au Val de Loire ou à la région Centre, et non à tel ou tel département. Encore une fois, il ne s'agit pas de déposséder ces derniers de leurs compétences dans ce domaine, mais de donner de la cohérence aux interventions de chacun des échelons territoriaux.

Le texte initial faisait des départements les chefs de file pour l'exercice des compétences relatives à l'action sociale et au développement social, à l'autonomie des personnes, au tourisme, à l'aménagement numérique et à la solidarité des territoires. La commission des lois, si elle a maintenu cette prérogative légitime et attendue dans le domaine social, en retenant les termes d' « action sociale et de cohésion sociale » plutôt que d' « action sociale et de développement social », ainsi que leur responsabilité en matière d'autonomie des personnes, d'aménagement numérique et de solidarité des territoires, a, en revanche, préféré faire des régions les chefs de file en matière de tourisme. Le choix des départements en matière de solidarité territoriale me paraît judicieux, car le département est certainement le mieux à même de prendre en compte les problématiques spécifiques des espaces interstitiels et ruraux, au-delà du champ des intercommunalités les plus importantes.

Le projet de loi initial attribuait au bloc communal la fonction de chef de file pour les compétences relatives à la qualité de l'air et à la mobilité durable, ce qui faisait rire tout le monde, y compris votre rapporteur pour avis. La commission des lois, répondant à un souhait largement partagé, a entièrement revu cette formulation. Elle a fait des communes et de leurs groupements les chefs de file pour les compétences relatives aux services publics de proximité, au développement local et à l'aménagement de l'espace.

Il semblait en effet difficile d'octroyer à l'ensemble des communes le rôle de chef de file dans le domaine de la qualité de l'air. Si les grandes intercommunalités jouent un rôle fondamental dans ce domaine, il en est autrement des petites communes rurales. Il existe en outre un schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie. Quant à la mobilité durable, son contenu et son articulation avec les missions confiées à la région ainsi qu'avec les compétences des autorités organisatrices de transport semblaient peu claires. Aussi suis-je satisfait que la commission des lois ait confié au bloc communal le rôle de chef de file dans le domaine de l'accès aux services publics de proximité, du développement local, entendu comme la promotion de l'artisanat et du commerce de proximité, et de l'aménagement de l'espace. Il s'agit bien là des compétences-clefs des communes et de leurs groupements.

Concrètement, pour l'ensemble des compétences que je viens de citer, la coordination et la répartition des rôles seront organisées, par convention, au sein de la conférence territoriale de l'action publique (CTAP), dont l'article 4 prévoit la mise en place. L'idée prend sa source dans les expériences locales, en particulier en Bretagne. La loi de 2004 relative aux libertés et responsabilités locales avait cherché à les étendre sur l'ensemble du territoire en créant les conférences des exécutifs régionaux. Les bilans réalisés au Sénat, par la mission Krattinger-Gourault ou le rapport Gourault-Guillaume, ont montré que leur succès était inégal ; ils en ont conclu à la nécessité d'une formalisation et d'une institutionnalisation de ces instances.

Le projet de loi initial du Gouvernement, néanmoins, traite peut-être trop précisément des conférences territoriales, au risque de rigidifier l'action publique locale. La commission des lois a tenu compte de ces objections ; elle a considérablement allégé le dispositif, tout en préservant l'esprit du texte initial. Elle a notamment défini un fonctionnement plus souple, susceptible de s'adapter aux spécificités territoriales. Elle a diminué l'effectif de la conférence, qu'elle jugeait excessif et peu opérationnel. Enfin, elle a prévu que ces conférences rendront des avis sur tous sujets relatifs à l'exercice des compétences et toutes questions sur la coordination ou la répartition des rôles entre collectivités territoriales, suivant des modalités qu'elles auront elles-mêmes déterminées.

Sur cet article, un seul point me semble encore mériter débat : la question de la représentation des territoires ruraux. Je suis conscient de la nécessité de limiter le nombre de personnes autour de la table, pour des motifs d'efficacité évidents. La présence systématique des présidents de région, de départements, des présidents de conseils de métropole et de communauté urbaine se justifie, compte tenu de leur caractère stratégique et des interactions que ces collectivités ont ou doivent avoir entre elles et avec les communes ou EPCI de plus petite taille. En revanche, la présence d'un représentant des communes de moins de 50 000 habitants par département ne suffit pas à représenter le monde rural. A 10 000 habitants, une commune n'est plus vraiment rurale... On nous objecte que les présidents de conseils généraux pourront porter les problématiques des territoires ruraux. Sans doute. Je pense néanmoins qu'il ne serait pas inutile que la conférence territoriale compte systématiquement un représentant de commune rurale par département, afin que le monde rural puisse exprimer ses problématiques propres. C'est le sens de l'amendement que je vous proposerai tout à l'heure.

Les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux m'ont saisi de leur souhait de faire partie, à titre consultatif, de la conférence territoriale. Je préfère sur ce point laisser une certaine souplesse aux territoires, compte tenu du nombre déjà important de membres destinés à y siéger. Le texte précise bien qu'elle peut associer à ses travaux ou solliciter l'avis de tout élu ou organisme non représenté. Cela me paraît suffisant : aux élus locaux d'en décider.

Dans l'esprit du gouvernement, le pacte de gouvernance territoriale, objet de l'article 5, devait rassembler divers schémas d'organisation, destinés à régir les délégations de compétences entre collectivités, la création de services communs, et les modalités de coordination entre leurs actions. Ce pacte venant s'ajouter aux schémas actuels, l'on peut s'interroger sur l'utilité et la complexité de ce montage. En outre, les conséquences prévues en cas de non-adoption des schémas font douter de la constitutionnalité du dispositif au regard du principe de libre administration des collectivités. C'est la raison pour laquelle j'approuve la suppression de l'article 5 par la commission des lois.

L'article 31, dans le texte du Gouvernement, transforme de plein droit en métropoles tous les établissements publics de coopération intercommunale de plus de 400 000 habitants, au sein d'une aire urbaine de plus de 500 000 habitants, ce qui devait conduire à la création de onze nouvelles métropoles.

Ces métropoles se voient obligatoirement transférer certaines compétences additionnelles des communes, au-delà du bloc de compétences déjà fixé pour les métropoles par la loi de 2010, ainsi que certaines compétences départementales. Certaines autres compétences pourraient leur être transférées de façon facultative, par voie conventionnelle, par les départements et les régions. De même, l'Etat pourrait, à leur demande, leur transférer un ensemble indissociable de cinq compétences en matière de logement, de grands équipements et d'infrastructures.

La commission des lois a sensiblement modifié l'article 31. Tout d'abord, elle a relevé à 450 000 habitants, dans une aire urbaine de 750 000 habitants, le seuil démographique de création des métropoles, ce qui limite à six le nombre de métropoles : Toulouse, Lille, Bordeaux, Nice, Nantes et Strasbourg.

Elle a également rendu la création des métropoles facultative, supprimé le caractère automatique du transfert des compétences départementales, ôté du bloc indissociable des compétences d'Etat en matière de logement le droit au logement opposable, et l'hébergement d'urgence, qui relèvent de la solidarité nationale. Enfin, elle a substitué une conférence métropolitaine des maires  à la conférence des territoires.

A l'article 40, la commission des lois a abaissé de 450 000 à 400 000 habitants le seuil de création des communautés urbaines, accordant toutefois une dérogation aux villes n'atteignant pas ce seuil, mais présentant au moins deux des fonctions de commandement suivantes : être chef lieu de région, disposer d'un CHU ou d'un centre universitaire, d'au moins deux pôles de compétitivité ou d'excellence. La reconnaissance de métropoles d'intérêt régional au côté de métropoles à dimension européenne semble pertinente.

Le chapitre V concerne l'intégration métropolitaine et urbaine : il s'agit essentiellement d'approfondir l'intégration intercommunale. L'article 35 revient sur les modalités de transfert des pouvoirs de police de l'assainissement et des déchets à l'intercommunalité. En effet, depuis la loi de 2010, lorsque les compétences d'assainissement et de collecte des déchets sont transférées par la commune à l'EPCI, les pouvoirs de police correspondants sont également transférés au président de l'intercommunalité, sauf opposition expresse du maire.

L'objectif est de compléter ce pouvoir de police, par la délivrance des dérogations au raccordement aux réseaux publics de collecte des eaux usées domestiques, et de préciser le pouvoir de police des déchets pour la réglementation de la collecte. Cet article de cohérence a été adopté sans modification par la commission des lois, que je vous propose de suivre.

Enfin, je vous présenterai un article additionnel afin de dépénaliser le stationnement et de le transformer en service public décentralisé, comme nous sommes nombreux à le réclamer depuis longtemps. Indispensable à la mise en oeuvre de politiques ambitieuses de mobilité durable au niveau communal, cette mesure mettrait fin à nombre de dysfonctionnements soulignés par plusieurs rapports, notamment celui de notre collègue Louis Nègre.

Le texte du Gouvernement modifié par la commission des lois comporte quelques vraies avancées pour notre démocratie territoriale : il clarifie le rôle des différents acteurs territoriaux et accroît la cohérence de leurs interventions. Il se fonde sur la confiance en l'intelligence des territoires et de leurs élus.

Je vous propose donc de lui donner un avis favorable, sous réserve des amendements que je vous présente.

M. Raymond Vall, président . - Nous vous remercions pour la rapidité et la qualité de votre travail.

M. Gérard Cornu . - En effet, le rapporteur a travaillé rapidement, et ce n'est pas sur ce point que portera ma critique, d'autant que je crois avoir senti que certains détails du texte l'agaçaient. Le saucissonnage en trois textes pose un vrai problème de lisibilité pour nos concitoyens, surtout quand on ménage la chèvre et le chou sur les chefs de file. En outre, avec le PLU intercommunal et la demande de suffrage universel direct pour l'intercommunalité, on va transformer les communes en hameaux... Comment, d'ailleurs, la commune peut-elle être chef de file pour l'aménagement rural et de l'espace en perdant son PLU ? Personne n'est contre l'acte III de la décentralisation, mais les choses démarrent mal. L'article additionnel après l'article 45 ter , qui part d'un bon sentiment, apporte-il quelque chose de neuf ? Je n'en suis pas sûr, et pour gagner en lisibilité, mieux vaut en enlever qu'en rajouter.

Saucissonnage, confusion, volonté de ménager tantôt l'un tantôt l'autre : malgré la bonne volonté du rapporteur, l'acte III de la décentralisation est un rendez-vous manqué. Mon vote sera négatif.

M. Michel Teston . - Je salue le travail de notre rapporteur ainsi que de celui de la commission des lois, qui a sensiblement fait progresser le projet. Si je suis favorable à la proposition du rapporteur de supprimer l'article 15, les articles 16 et 17 sont les bienvenus : l'avancement du Grand Paris est vital, non seulement pour améliorer les liaisons, mais aussi pour choisir à l'avenir l'implantation des logements.

La notion de chef de file qui figure à l'article 3  est-elle définie quelque part ? Que dit la loi du 13 août 2004 ? Voilà peut-être le moment de préciser le concept, et de dire que la collectivité chef de file n'est pas celle qui fait tout.

M. Rémy Pointereau . - L'acte III de la décentralisation n'est pas une vraie réforme : il se contente d'ajustements. On n'avance guère sur le plan financier, sur la libre administration, sur l'autonomie financière. Le Grand Paris progresse... dans la continuité. L'on fait la part belle aux métropoles et aux régions ; les départements qui se consacrent déjà à 60 % à des compétences sociales s'y voient définitivement confinés, alors qu'ils auraient un vrai rôle à jouer en matière économique, on l'a vu en Vendée. Quant aux communes, si on veut les supprimer, qu'on le dise clairement ! Après le PLU intercommunal, que va-t-il leur rester ? L'état-civil ? Les délégués communautaires seront des super maires des communes rurales...Vous l'avez sans doute remarqué, puisque vous proposez d'accroître le nombre de représentants des communes rurales dans les conférences territoriales, ce nouveau machin. La ruralité est abandonnée. Je ne m'associerai pas à votre navigation à vue. Je serai défavorable sur le fond et sur la forme à ce rendez-vous manqué.

M. Louis Nègre . - Voilà un texte petit bras, sans vision ni ambition. Nous attendions l'acte III de la décentralisation, un texte fondateur portant une vision globale ; nous écopons d'un texte éclaté en trois parties. Néanmoins, celui-ci marque quelques avancées significatives. Je suis en désaccord avec la commission des lois sur l'article 3 : ce n'est pas à la région de s'occuper du tourisme, mais au département, qui est, en tout cas chez moi, dans les Alpes Maritimes, l'institution touristique par excellence.

L'article 4, en revanche, témoigne des bienfaits du passage du texte par la commission des lois, qui arrive à donner de la souplesse et de la lisibilité au système, en se fondant sur la responsabilité des élus. Je suis favorable au conventionnement et à tout ce qui fait progresser le débat, même si l'article n'est pas parfait. La métropole Nice Côte d'Azur comporte majoritairement des communes rurales ; leur partenariat avec les communes littorales hyper-denses fonctionne, quelles que soient les sensibilités politiques, et la récente demande d'intégration de deux communes communistes dans un ensemble dominé par la droite prouve que la métropole est perçue comme protectrice. C'est pourquoi je vous suis également sur l'article 4 introduisant des représentants des communes rurales au sein de la conférence territoriale.

Je suis entièrement d'accord pour supprimer le pacte de gouvernance prévu à l'article 5. Pensons au citoyen lambda et cessons d'ajouter des étages.

L'article 31 réduit les métropoles à six, dont Nice. Une telle vision correspond au souhait de la Datar de métropoles pesant au niveau européen. La conférence métropolitaine que vous évoquez fonctionne déjà à Nice de façon très satisfaisante : toutes les décisions exécutives importantes s'y prennent par consensus.

L'article 35 ne me pose pas de problème. L'article 33 témoigne de la reconnaissance, tant par le Gouvernement que par la commission des lois, du rôle pionnier de la métropole Nice Côte d'Azur. Nous invitons tous les sceptiques à venir constater sur place comment peuvent s'entendre des communes.

Un grand merci pour l'amendement dépénalisant le stationnement, que vous aviez vous-même déjà proposé à l'Assemblée nationale et qui a été soutenu par le Gart (Groupement des autorités responsables de transport). La commission que j'ai présidée sous le précédent gouvernement a rendu un rapport dont vous suivez les grandes lignes. Avec Roland Ries, président du Gart, nous souhaitions donner aux autorités locales la possibilité d'adapter la redevance du stationnement au coût horaire, comme cela se fait en Belgique, ou à Madrid. Voilà une vraie mesure de décentralisation ! Une amende de 17 euros n'a en effet pas le même sens dans une ville où le stationnement coûte 20 centimes de l'heure que dans Paris où il atteint 3 euros - et où seulement 10 % des gens payent leur stationnement.

M. Roland Ries . - Il est évident que le texte n'est pas parfait, mais il a été bien amendé par la commission des lois, et il le sera encore. Essayons de déjouer cette malédiction qui fait de la France un pays institutionnellement irréformable.

Il y a débat sur la répartition des compétences entre les communes et l'intercommunalité. Je suis pour ma part en communauté urbaine obligatoire depuis 1966. De larges transferts ont été réalisés des villes vers la communauté urbaine. Certaines intercommunalités sont très intégrées, d'autres moins. Chez nous, le logement et le PLU sont d'ores et déjà de compétence communautaire, sans parler du transport, des ordures ménagères, des routes... Nous aurions tort de nous focaliser sur cette question ancienne de répartition des compétences entre communes et intercommunalités, car dans le texte, les deux sont conjoints.

Qu'est-ce qu'un chef de file, demandait Michel Teston ? Deux orientations sont possibles : l'une donne au chef de file la capacité d'imposer, l'autre consacre l'impératif constitutionnel de libre-administration des collectivités territoriales et donne au chef de file un rôle d'organisation de la concertation ou des projets : c'est cette dernière que retient le texte, donnant ainsi des garanties. Une coordination est possible, comme elle a déjà lieu en Alsace où se réunissent très régulièrement les exécutifs régional, départementaux et de métropoles.

La bataille sur le stationnement a mobilisé la droite et la gauche durant quinze ans. Nous approchons du but : ne le manquons pas. Le stationnement est un élément déterminant du choix modal, comme l'ont démontré en 1998 Jean-Marie Guidez et Vincent Kaufmann : avec une offre de stationnement élevée et bon marché, nous organisons la concurrence par la voiture des transports publics. L'arbitrage du Premier ministre sur cet amendement devrait être positif, même si insister sur les amendes était un peu maladroit. Le stationnement est un service qui se paye ou se post-paye : cela ne relève pas du pénal.

Mme Évelyne Didier . - A partir de quel seuil est-on en zone rurale ? En dessous de 10 000 habitants comme je l'entends ici ou là ? Ma commune de 2 500 habitants passe dans son secteur pour une petite ville et le stationnement y constitue un vrai problème. Comment puis-je mettre des amendes sans agent ni garde champêtre ?

M. Louis Nègre . - La police ou la gendarmerie interviennent. Je suppose que le stationnement n'est pas payant ?

Mme Évelyne Didier . - En effet, mais il est parfois gênant. La question se pose différemment à la ville et à la campagne.

Les commissions ont fait évoluer le texte et je m'en réjouis, parce que cela signifie qu'on laisse le Parlement jouer son rôle : je ne suis pas d'accord pour parler de navigation à vue ; au contraire, il y a une volonté d'entendre les uns et les autres. Dire que le chef de file coordonne est plus respectueux pour les autres. Ne soyons cependant pas hypocrites, nous le savons bien, quand le pourvoyeur de fonds les distribue en fonction de politiques qu'il a lui-même définies, les autres sont contraints de s'y plier pour avoir leur part.

Prenons en considération le fait que dans certaines régions, ce sont les départements qui sont les plus investis dans le tourisme. Il est pertinent de ranger l'aménagement de l'espace et le développement local au niveau du bloc communal. Faire gérer la qualité de l'air par les communes relevait presque de la moquerie... Quant au PLU, je suis résolument contre le fait d'imposer son transfert : libres aux collectivités de l'accepter. Enfin, notre collègue assure que le pacte territorial a été écarté ; d'autres affirment que le Gouvernement y tient. Globalement, je m'abstiendrai à ce stade.

M. Henri Tandonnet . - Le principal écueil de ce texte, aux yeux de l'UDI-UC, est sa division en trois blocs. A voir le travail réalisé par la commission des lois, on regretterait presque que le Sénat n'ait pas été saisi de sa rédaction. La principale question est la suivante : comment donner aux collectivités la liberté de s'organiser, sinon en faisant confiance à l'intelligence territoriale ? La conférence territoriale et les conventions sont de bons éléments de réponse, et j'approuve la suppression du pacte. La conférence métropolitaine marque la confiance envers les maires. Dans notre communauté d'agglomération, nous avons mis en place un bureau réunissant les maires de toutes les communes, qu'elles aient 200 ou 33 0000 habitants.

En revanche, l'attribution au bloc communal de la compétence accès aux services publics de proximité est inquiétant : ne faut-il pas y voir le moyen pour l'Etat de transférer des charges de service public aux communes ? Je regrette que cette question ne soit pas examinée dès maintenant.

Notre Etat reste très centralisé. On aurait pu songer à donner un pouvoir réglementaire aux régions... Nous sommes à cet égard en retard sur nos voisins, et l'acte III de la décentralisation ne compromet pas cette démarche centralisatrice.

M. Jean Bizet . - Je déplore ce rendez-vous manqué et j'aurais préféré que le texte ne soit pas divisé en trois volets. On fragilise la ruralité. Comme il faut évoluer, je demeure ouvert.

L'article additionnel après l'article 45 corrige d'une certaine façon les lacunes du texte sur la ruralité, et je le voterai, parce que je suis favorable à la mutualisation. La loi de 2010 réformant les collectivités territoriales avait à juste titre élargi les EPCI : quelle que soit la taille des communautés de communes, imaginer qu'elles pourront vivre seules serait une erreur profonde. Les passerelles sont indispensables, et si je dois être en désaccord avec ma famille politique sur ce point, je l'assume. Il faut à tout prix éviter les antagonismes entre les zones rurales et urbaines. Dans un contexte d'argent public rare, il convient de privilégier la contractualisation. N'oublions pas le prisme européen : les fonds de cohésion vont être d'importance. Si nous voulons en profiter, nous avons besoin d'être organisés.

M. Pierre Camani . - Je salue une avancée de la démocratie territoriale : le texte clarifie les responsabilités, donne un cadre à la compétence générale et valorise les complémentarités entre collectivités.

En tant que président de département, je connais l'importance de leur rôle en matière de tourisme, et suis plus sceptique sur l'organisation proposée pour le numérique. En Aquitaine, le département a la compétence déploiement et confie à la région la compétence commercialisation. Ce modèle pourrait être repris par les départements ruraux, qui n'ont pas les moyens d'agir seuls.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis . - Je remercie ceux qui ont apprécié l'évolution du texte. Nous avons accompli un énorme travail ensemble, et la commission des lois a siégé la semaine dernière au-delà de trois heures du matin... Faire confiance aux élus locaux, tel a été le gros apport des sénateurs. Il est vrai que la ministre souhaite réintroduire le pacte ; puisqu'il n'apporte rien que des contraintes, j'espère que nous tiendrons bon.

Dénoncer le saucissonnage ne veut plus rien dire : le texte améliorera l'action publique sur les territoires, même si je me suis bien gardé de parler de troisième acte de la décentralisation. Le PLU ne sera abordé que lors de l'examen du troisième volet. Il sera sans doute intercommunal, mais le bloc communal est aussi une décision locale... Les élus locaux décideront. Dans ma communauté de communes, nous négocions et sommes tous d'accord.

Sans verser dans l'autosatisfaction, car nous avons une vision pragmatique, je rappellerai que deux textes nous éclairent sur la notion de chef de file : d'une part, la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003, d'autre part, la loi du 13 août 2004. Lorsqu'une opération nécessite le concours de plusieurs collectivités, le constituant de 2003 prévoit que la loi peut autoriser l'une d'entre elles ou l'un de leurs groupements à organiser les modalités de l'action commune : le chef de file coordonne, il ne détermine pas.

Je reçois tous les ans une publicité de la région Aquitaine pour y passer mes vacances, dans le département de mon choix : sur le territoire, ce sont bien les départements qui exercent la compétence tourisme que la région organise.

Loin d'être inutile, la conférence territoriale est stratégique : les grandes collectivités se retrouveront pour organiser leurs compétences, actions et initiatives sur le territoire.

En ce qui concerne la conférence territoriale qui réunira les grandes collectivités et qui aura un rôle stratégique, il fallait aussi représenter le monde rural : deux de mes amendements vont dans ce sens.

C'est un vrai bonheur de présenter la dépénalisation du stationnement, une revanche sur le moment pénible que nous avions passé lorsque le Premier ministre de l'époque l'avait refusé. Mme Didier l'a bien dit : à nous d'imposer nos vues face au ministère.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Division additionnelle après l'article 3

M. Jean-Jacques Filleul , rapporteur. - L'amendement n° DEVDUR1 et les deux suivants ont pour objet de dépénaliser le stationnement.

L'amendement n° DEVDUR 1 est adopté.

Articles additionnels après l'article 3

L'amendement n° DEVDUR 2 est adopté.

L'amendement n° DEVDUR 3 est adopté.

Article 4

M. Jean-Jacques Filleul , rapporteur . - L'amendement n° DEVDUR 4 tend à assurer une représentation des communes rurales dans la conférence territoriale.

L'amendement n° DEVDUR 4 est adopté.

Article 15

M. Jean-Jacques Filleul , rapporteu r. - Je me suis déjà exprimé au sujet de l'amendement de suppression n° DEVDUR 5.

L'amendement n° DEVDUR 5 est adopté.

L'article 15 est supprimé.

Article 16

L'article16 est adopté sans modification.

Article 17

L'article 17 est adopté sans modification.

Article additionnel après l'article 45 ter

M. Jean-Jacques Filleul , rapporteur. - L'amendement n° DEVDUR 6 propose aux territoires ruraux de s'organiser en pôles rural d'aménagement et de coopération. Il fera sûrement débat, mais il peut en effet apporter une solution à l'organisation des territoires ruraux.

M. Louis Nègre . - Comment éviter la confusion avec les pays ?

M. Henri Tandonnet . - La similitude est grande en effet !

M. Raymond Vall, président . - Il est difficile de réintroduire le mot dans le débat. La loi de 2010, qui a interdit la création de nouveaux pays, a laissé subsister ceux qui existaient alors. Ces 470 territoires sont caractérisés par une grande disparité. Ils ont porté un projet pendant dix ou quinze ans, certains sont devenus une intercommunalité, d'autres en réunissent plusieurs. Ils ont été reconnus, labellisés, une convention a été signée avec l'Etat, les régions, les départements et l'Europe. Afin de conserver leur dynamique, pourquoi ne fonctionneraient-ils pas sous forme de syndicat mixte ? Il n'est pas question de créer une nouvelle strate, mais d'assurer à ceux qui existent pouvoir de participer à la conférence territoriale et de continuer à défendre des zones qui se sentent un peu ignorées.

M. Pierre Camani . - Gardons à l'esprit notre objectif de clarification : il faut donner aux pays la possibilité d'évaluer et de se transformer.

M. Raymond Vall, président . - Il importe en effet de dire clairement que les pays devront se transformer en syndicat mixte pour pouvoir assurer une continuité autour d'un projet de territoire.

M. Jean-Jacques Filleul , rapporteu r. - En effet, ma première réaction à la vue de cet amendement a été : et les pays ? Nous pouvons voter cet amendement, quitte à le retravailler pour la séance afin de l'articuler avec les pays.

Mme Évelyne Didier . - A force de partir des projets, on ajoute une couche au mille-feuille. Cette philosophie conduit à multiplier les entités. Je comprends néanmoins la préoccupation. Au lieu de nous laisser conduire par les projets, suivons une règle générale qui s'applique à tout le territoire.  Je m'abstiendrai.

M. Pierre Camani . - Nous sommes dans une logique d'organisation territoriale. Nous donnons un signal positif par rapport à la loi de 2010.

M. Raymond Vall, président . - Il n'est pas question d'ajouter, mais de laisser une liberté à ceux qui ont trouvé une forme de mutualisation mobilisant 3 500 emplois. Ne laissons pas les territoires ruraux à la dérive : il leur faut des structures, un syndicat par exemple, pour bénéficier des fonds européens. Va-t-on perdre des fonds LEADER faute de structure ? Adoptons cet amendement sous la réserve que vous avez tous exprimée.

L'amendement n° DEVDUR 6 est adopté.

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