EXAMEN DES ARTICLES
CHAPITRE IER
ACTION DE GROUPE

Article 1er
(chapitre III [nouveau] du titre II du livre IV du code de la consommation)
Création et régime juridique de l'action de groupe

Cet article crée, pour la première fois en droit français, une procédure d'action de groupe dans le domaine de la consommation.

1. Sur le principe de la création d'une action de groupe

Il s'agit là d'une avancée importante, que votre commission a soutenu avec constance, sous le précédent Gouvernement comme sous l'actuel.

En effet, dès 2006, sans toutefois se prononcer à ce premier stade sur l'opportunité d'une telle innovation, elle a engagé une première réflexion sur le sujet à l'initiative de notre collègue Jean-Jacques Hyest, alors président 7 ( * ) .

Elle a poursuivi ses travaux en confiant à notre ancien collègue Laurent Béteille ainsi qu'à notre collègue Richard Yung, la charge de réfléchir à la possibilité de concevoir une action de groupe à la française, gardée des dérives américaines. Cette réflexion, publiée dans le rapport du groupe de travail en 2010 8 ( * ) , a abouti au dépôt de deux propositions de lois identiques 9 ( * ) .

Pour nos deux collègues la création d'une action de groupe était justifiée parce qu'elle remédiait à l'une des principales lacunes de la protection du consommateur en droit français, pourtant si pionnier en cette matière : « aussi exigeantes que soient les obligations auxquelles les professionnels sont tenus et aussi étendus que soient les droits reconnus aux consommateurs, lorsque les préjudices qui leur sont causés sont minimes, ces derniers ne disposent d'aucun recours utile contre les premiers pour obtenir la réparation du dommage qu'ils ont subi, alors même que parfois, ce dommage concerne de très nombreux consommateurs ».

Les préjudices de faible montant, pourtant les plus nombreux dans notre société de consommation de masse, sont ainsi laissés sans réparation. L'entreprise qui ne respecte pas le droit en tire un bénéfice au détriment des consommateurs lésés, parce qu'il est trop coûteux pour eux de faire valoir leur droit.

Convaincue par cette analyse, votre commission a proposé au Sénat en décembre 2011 de reprendre exactement le dispositif proposé par nos collègues lors l'examen du projet de loi renforçant les droits, la protection et l'information des consommateurs 10 ( * ) , présenté par le précédent Gouvernement.

En effet, comme votre rapporteur l'avait alors souligné, « l'action de groupe parachève l'édifice protecteur du droit de la consommation français, parce qu'elle remédie à l'atomisation des consommateurs, découragés de saisir le juge pour de faibles montants, alors que le préjudice global causé par le professionnel est important et appelle une juste réparation.

Elle autorise les consommateurs lésés à s'unir pour conduire contre le professionnel une action indemnitaire. Elle ne crée pas d'autre droit que celui de faire valoir le sien » 11 ( * ) .

Le texte adopté par notre assemblée le 22 décembre 2011 intégrait donc une procédure d'action de groupe.

La procédure d'action de groupe adoptée par le Sénat en 2011

Cette procédure déclinait les garanties procédurales nécessaires pour éviter les dérives des « class actions » et était présentée en ces termes :

« La première [garantie] est celle du rôle conféré à certaines associations de défense des consommateurs spécialement habilitées à cet effet, pour conduire l'action de groupe, qui leur permet de jouer le rôle de filtre contre les actions dilatoires ou abusives.

La deuxième garantie est celle du champ circonscrit de l'action de groupe : celui des seuls dommages matériels trouvant leur origine dans un manquement contractuel ou pré-contractuel d'un professionnel à l'égard d'un consommateur ou d'un manquement aux règles de la concurrence. L'action serait introduite par une ou plusieurs des associations spécialement agréées, l'une d'entre elles pouvant se voir reconnaître la qualité de chef de file.

La troisième garantie est celle de l'organisation de l'action en deux phases distinctes.

Au cours de la première phase, l'association requérante présenterait un certain nombre de cas-types à partir desquels le juge serait en mesure de statuer sur la responsabilité du professionnel pour tous les cas similaires.

Le juge définirait, dans la décision établissant le principe de cette responsabilité, le groupe des consommateurs concernés et les mesures de publicité, à la charge du professionnel, permettant de porter à la connaissance des consommateurs concernés la possibilité de se joindre à l'action de groupe pour être indemnisés de leur préjudice.

L'adhésion à l'action devrait donc être volontaire (principe dit de « l'opt-in »), ce qui permettrait d'éviter les dérives liées à l'» opt-out » qui autorise quelques-uns à parler au nom de ceux qui ignorent même qu'une action est en cours.

La seconde phase de l'action devrait permettre au juge de statuer sur la liste des personnes dont la demande d'indemnisation serait recevable ainsi que sur le montant de cette indemnisation ou le mode de calcul à retenir. Le préjudice pourrait faire l'objet d'une réparation en nature (par exemple par un crédit d'heures de communication en plus). Au-dessous d'un certain montant individuel d'indemnisation défini par décret, la décision du juge serait rendue en dernier ressort.

La question de la responsabilité du professionnel ayant été tranchée au cours de la première phase de la procédure, le recours intenté contre la décision du juge au cours de cette seconde phase ne pourrait porter que sur la détermination des victimes, du montant de leur créance, des éléments de son évaluation ou des modalités de la réparation.

Afin de permettre une indemnisation plus rapide des consommateurs lésés, à l'expiration des voies de recours, la décision relative à l'indemnisation deviendrait exécutoire de plein droit, pour toutes les indemnisations individuelles qui n'ont pas fait l'objet d'une contestation.

L'association à l'origine de l'action de groupe serait compétente pour déposer les demandes d'indemnisation, faire procéder aux mesures d'exécution de la décision ou représenter les consommateurs lésés en cas de contestation de leur demande.

Afin de préserver les droits de ceux qui ne bénéficieront pas de l'action de groupe, pendant le cours de l'instance, la prescription des actions civiles en responsabilité contre le professionnel pour des faits similaires serait suspendue. De la même manière, les décisions rendues n'auraient l'autorité de la chose jugée qu'à l'égard du professionnel et des consommateurs qui se sont joints à l'action.

L'action de groupe est parfois combattue au nom du nécessaire développement de la médiation. Opposer l'une à l'autre est artificiel : elles se complètent très utilement. L'action de groupe est un aiguillon pour la médiation et un recours en cas d'échec. La médiation, elle, s'intègre parfaitement à l'action de groupe, notamment pour aboutir à une solution indemnitaire acceptée par tous.

C'est pourquoi le dispositif proposé prévoit que des médiations puissent être organisées entre le professionnel et les consommateurs lésés en vue d'un accord indemnitaire. À compter de l'engagement de l'action de groupe, seule l'association requérante ou l'association ayant été désignée chef de file pourrait participer à une médiation au nom du groupe. Le juge aurait la possibilité d'inviter les parties à se soumettre à une médiation conduite par un médiateur qu'il désigne. L'accord éventuellement conclu à l'issue de la médiation serait soumis à homologation par le juge afin qu'il s'assure qu'il ne porte pas atteinte aux droits des consommateurs intéressés et qu'il lui confère force exécutoire.

Les manquements aux obligations du droit de la consommation ainsi qu'à celles du droit de la concurrence étant susceptible de se recouvrir, le dispositif proposé organise la façon dont les décisions du juge saisi d'une action de groupe intervenant dans le champ de compétence de l'Autorité de la concurrence et celles de cette dernière autorité pourraient s'articuler.

Enfin, les actions de groupe seraient portées devant un nombre limité de tribunaux de grande instance spécialisés pour traiter ce contentieux de masse » 12 ( * ) .

Récemment, une proposition de loi de M. Jean-Pierre Plancade et plusieurs de ses collègues du groupe RDSE 13 ( * ) , a repris exactement le même mécanisme, en l'ouvrant toutefois à la réparation de certains préjudices corporels en matière de santé.

Forte de son engagement et de sa réflexion antérieurs, votre commission salue le projet porté par le Gouvernement.

Elle se félicite qu'il reprenne, sur plusieurs points essentiels, les principales garanties dont elle a cherché à entourer la procédure, qu'il s'agisse du filtre des associations, de l' « opt in », de l'articulation de la procédure en deux phases ou du principe d'un jugement sur le principe de la responsabilité de l'entreprise.

Elle entend par ailleurs le souhait exprimé par le ministre, comme par les rapporteurs de l'Assemblée nationale, que la procédure soit accélérée autant que possible pour faciliter l'indemnisation rapide des consommateurs. Toutefois, elle appelle à ne pas sacrifier les garanties procédurales à l'obsession de la vitesse .

Tel est l'esprit qui a guidé ses travaux sur ce premier article.

2. Le champ de l'action de groupe retenu et la qualité pour agir

Dans leur rapport sur l'action de groupe, nos collègues Laurent Béteille et Richard Yung, appelaient à limiter strictement, dans un premier temps, le champ de l'action de groupe, afin d'en tester les ressorts et de s'assurer de son bon fonctionnement, avant, le cas échéant, de l'étendre dans un second temps.

Le Gouvernement inscrit son projet dans la même ligne pragmatique. La limitation du champ couvert par l'action de groupe et des personnes susceptibles de l'engagement marque son souci légitime de ne pas déstabiliser le tissu économique et commercial, par une innovation procédurale trop radicale.

Votre rapporteur souligne, à titre personnel, que des motifs légitimes justifieraient d'étendre le champ de l'action de groupe à d'autres domaines que ceux retenus. Cependant, prenant acte des engagements en ce sens du ministre délégué, chargé de l'économie sociale, et solidaire et de la consommation, M. Benoît Hamon, qui a annoncé que d'autres textes pourrait intervenir dans le domaine de la santé ou de l'environnement 14 ( * ) , elle comprend la nécessité d'expérimenter d'abord l'action sur un champ plus restreint, afin d'en évaluer les ressorts et les conséquences.


• La qualité pour agir : le rôle de filtre joué par les associations

Le régime juridique de l'action de groupe serait fixé dans un nouveau chapitre du titre II du livre IV du code de la consommation , consacré aux actions en justice des associations 15 ( * ) .

Cette insertion est cohérente avec le fait que le premier article de ce nouveau chapitre réserve aux seules associations de défense des consommateurs agréées et représentatives au niveau national, la faculté d'engager une action de groupe.

Il s'agit ainsi de leur faire jouer un rôle de filtre, pour sélectionner les actions légitimes qui répondent à un préjudice important subi par les consommateurs, et écarter celles motivées par d'autres raisons, qui risqueraient de conduire à une instrumentalisation de la procédure.

Les représentants des avocats ont fermement contesté ce choix, estimant qu'il était contraire au droit de chacun de saisir le juge.

Votre rapporteur observe toutefois que si le justiciable peut tirer parti de la mutualisation qu'autorise l'action de groupe, rien ne lui interdit, en l'absence ou en dépit d'une telle procédure, d'engager malgré tout sa propre action.

Le projet de loi du Gouvernement ne retient pas l'idée d'un « super-agrément ». Cette exigence, dans le texte adopté par le Sénat en 2011, était censée garantir d'une part que les associations qui engageraient l'action disposeraient d'une taille suffisante pour faire face aux difficultés de gestion d'une action de groupe, d'autre part, qu'elles ne seraient pas créées uniquement pour permettre l'ouverture de l'action.

Toutefois, cette exigence est largement satisfaite par le fait que l'association, pour être agréée en tant qu'association nationale, doit compter au moins 10 000 adhérents et exister depuis plus d'un an 16 ( * ) , ce qui exclut les associations ad hoc ou celles qui ne posséderaient pas de moyens suffisants.

Seules 16 associations possèdent aujourd'hui cet agrément national. Ce nombre paraît suffisant pour leur permettre de jouer efficacement le rôle de filtre qui leur est dévolu, sans priver les consommateurs de la possibilité d'obtenir d'une autre association l'aide qu'une première leur aura refusée.

À l'initiative de son rapporteur, votre commission s'est interrogé sur la possible concurrence de plusieurs associations pour une même action.

Les propositions de loi de nos collègues Laurent Béteille et Richard Yung prévoyaient, dans ce cas, qu'elles s'entendent pour désigner un chef de file, qui conduirait la procédure. À défaut, le juge en aurait décidé.

Le texte du Gouvernement ne prévoit aucun mécanisme particulier, renvoyant implicitement aux règles de jonction d'instances 17 ( * ) .

Cette solution n'est toutefois pas satisfaisante : que se passera-t-il si toutes les associations ne présentent pas les mêmes prétentions ? Les associations requérantes pourront-elles chacune demander à être habilitées à recevoir les demandes d'indemnisation, aux frais du professionnel ? Faute d'unifier la conduite de l'action de groupe dans les mains d'un même requérant, le risque est grand que soient annihilés les bénéfices tirés de la mutualisation permise par l'action de groupe.

Pour cette raison, votre commission a adopté un amendement reprenant le dispositif précité des propositions de lois de Laurent Béteille et Richard Yung, sur la désignation d'une association chef de file. Rien n'interdira aux associations qui le souhaiteraient de collaborer sous la conduite de ce chef de file.


• Le champ de l'action de groupe

La délimitation du champ de l'action de groupe opérée par le nouvel article L. 423-1 du code de la consommation repose sur quatre critères.

Le premier correspond à la nature de l'action : il s'agirait exclusivement d'une action en responsabilité, destinée à obtenir la réparation d'un préjudice.

Le deuxième tient aux personnes en cause et aux circonstances du dommage : les victimes devraient être des consommateurs placés dans une situation identique ou similaire vis-à-vis de l'auteur du dommage, qui devrait être, lui, un professionnel. Tel serait le cas de consommateurs ayant acquis le même produit défectueux, ou ayant conclu avec l'entreprise un contrat contenant les mêmes clauses illicites.

Les députés ont supprimé la notion d'identité de situation pour ne conserver que celle de similarité de situation, au motif que la seconde inclurait la première.

Votre rapporteur ne partage pas ce point de vue : la similarité n'est qu'une identité de nature, alors que deux situations identiques le sont en tous points. Conserver les deux termes marque l'écart entre les deux et évitera que le juge impose, au nom de la similarité, une quasi identité, ce qui serait contraire à l'intention du législateur. Votre commission a adopté un amendement en ce sens.

Le troisième critère limitatif du champ de l'action de groupe porte sur la cause du dommage : il devrait s'agir soit d'un manquement du professionnel à ses obligations légales ou contractuelles, commis à l'occasion de la vente de biens ou de la fourniture du service, soit d'une pratique anticoncurrentielle 18 ( * ) .

Le champ couvert par ce critère est très vaste : il recouvre toutes les situations dans lesquelles le professionnel ne s'est pas conformé aux règles établies pour assurer la protection du consommateur, n'a pas respecté les stipulations contractuelles ou bien a perturbé, au détriment du consommateur, le fonctionnement du marché.

Entrent notamment dans le champ de l'action de groupe les obligations précontractuelles auxquelles le professionnel est tenu en raison du code de la consommation ou du code civil.

Le dernier critère limitatif du champ de l'action de groupe est celui de la nature du préjudice en cause. Seuls pourront être réparés les préjudices matériels individuels subis par les consommateurs.

La notion de préjudice individuel renvoie à l'atomisation des consommateurs victimes, qui seule justifie la création d'une action de groupe, puisqu'à défaut, ces préjudices seraient laissés sans réparation.

Les préjudices portés à l'intérêt collectif des consommateurs continueront, quant à eux, de relever de l'article L. 421-1 du code de la consommation.

Viser les seuls préjudices matériels permet d'exclure à la fois les préjudices corporels et les préjudices moraux .

La raison de cette exclusion est que l'évaluation de tels préjudices impose de prendre très finement en considération la situation individuelle de chaque victime. Ne se prêtant pas à la mutualisation ou la forfaitisation que favorise l'action de groupe, ils risqueraient d'éclater cette action en autant d'indemnisation particulière que de consommateurs lésés.

Votre commission a adopté un amendement de son rapporteur procédant à une clarification rédactionnelle, qui rappelle que l'action de groupe ne peut porter que sur la réparation des préjudices patrimoniaux résultant des dommages matériels subis par les consommateurs.

En effet, la doctrine et les différents projets de réforme du droit de la responsabilité civile distinguent le dommage, qui correspond à l'atteinte porté à une personne (dommage corporel) ou à ses biens (dommage matériel), du préjudice qui est l'intérêt lésé par cette atteinte (préjudice patrimonial ou extrapatrimonial). Parler de préjudice matériel est donc confondre les deux notions, ce qu'il est préférable d'éviter.

Le nouvel article L. 423-2 du code de la consommation renverrait à un décret en Conseil d'État le soin de préciser les modalités d'introduction de l'action groupe. Il s'agit là de l'application logique de la règle selon laquelle la procédure civile relève du pouvoir réglementaire.

3. L'architecture globale de la procédure

La procédure proposée s'inspire de celle adoptée par le Sénat en 2011, qui elle-même reprenait le modèle de l'action déclaratoire de responsabilité présenté, en 1990, par la commission présidée par le M. le professeur Jean Calais-Auloy 19 ( * ) .

Cette procédure s'articule en deux temps distincts, auxquels correspondent deux jugements différents.

Le premier jugement porte sur la responsabilité du professionnel vis-à-vis des consommateurs victimes.

La particularité de ce jugement est d'être partiel.

En effet, à ce stade, le groupe n'est pas encore constitué et l'association requérante n'a soumis au tribunal que quelques cas individuels, censés être représentatifs de la situation générale des consommateurs. C'est à partir de ceux-ci que le juge examine si les conditions d'engagement de la responsabilité du professionnel -une faute, un préjudice et un lien de causalité entre les deux- sont réunies.

En principe, la déclaration de la responsabilité du professionnel ne devrait concerner que les cas soumis au juge. Pourtant -il s'agit là de la principale innovation de l'action de groupe- le jugement présumera que cette responsabilité est susceptible d'être engagée aussi pour tous les consommateurs placés dans une situation identique ou similaire.

Ce faisant, le juge est conduit, dans la même décision, à définir les contours du groupe des consommateurs à l'égard desquelles la responsabilité du professionnel est susceptible d'être engagée dans les mêmes conditions. À cette fin, il précise les critères d'appartenance au groupe ou, si les victimes sont déjà connues, les désigne nommément.

À ce stade, se pose une question : le professionnel a-t-il pu faire valoir tous ses moyens de défense lors de ce premier jugement ?

Certains sont généraux et ne dépendent pas de la situation propre de chaque plaignant. Ils portent sur la recevabilité de l'action (par exemple les arguments selon lesquels l'action est hors du champ de la consommation, ou porte sur la réparation de préjudices corporels), la réalité du manquement allégué (par exemple le moyen fondé sur l'absence de faute ou la force majeure exonératoire), voire la situation concrète des quelques cas soumis au juge (les consommateurs se sont-ils bien conformés aux règles de bonne utilisation du produit ?). De tels moyens ont pu être présentés à ce stade de la procédure.

En revanche, d'autres moyens portent sur la situation individuelle de chaque victime : celle-ci appartient-elle bien au groupe, son préjudice est-il comparable à celui évoqué dans le jugement ? N'a-t-elle pas contribué à son dommage ? Or, par définition, de telles contestations n'ont pu être présentées lors du premier jugement, puisqu'elles sont propres à un individu qui, à ce moment, n'était pas partie à la procédure.

C'est ce qui justifie qu'un second jugement intervienne, qui tranche ces questions, après avoir donné au professionnel l'occasion de faire valoir ses arguments.

Dans la procédure d'action de groupe adoptée par le Sénat en 2011, ce second jugement était obligatoire et il offrait la possibilité au juge de préciser définitivement qui appartenait au groupe, quel était son préjudice et quels devaient être le montant ou la nature de la réparation due par le professionnel.

La procédure retenue par le texte du Gouvernement, et confirmée par l'Assemblée nationale, est, sur ce point, différente.

D'une part, elle intègre au premier jugement une décision d'évaluation du montant des préjudices subis, ou, à défaut, de détermination des critères d'évaluation de ces préjudices 20 ( * ) .

D'autre part elle supprime l'obligation d'un second jugement, qu'elle remplace par un recours éventuel devant le juge pour toutes les demandes d'indemnisation auxquelles le professionnel n'aurait pas fait droit.

Dans l'intervalle, le juge confie au professionnel ou à l'association la charge de recevoir les demandes d'adhésion au groupe, qui valent demandes d'indemnisation. Le professionnel décide d'y donner suite ou pas. Toutes celles qu'il refuse ou minore peuvent faire l'objet du recours précédemment décrit.

L'Assemblée nationale a par ailleurs introduit, à l'initiative de sa commission des affaires économiques, une procédure dite « simplifiée », subsidiaire à la procédure générale, qui s'appliquerait lorsque tous les consommateurs sont identifiés.

Comparée à la procédure adoptée par le Sénat en 2011, cette organisation de la procédure appelle, pour votre rapporteur, trois observations générales.

Tout d'abord, elle apparaît guidée par le souci de rendre possible une indemnisation plus rapide ou plus précoce , en évitant, en l'absence de contestation sérieuse, la contrainte d'un second jugement. Il s'agit là d'une préoccupation légitime, car une réparation tardive est une compensation imparfaite du préjudice subi.

Ensuite, la phase intermédiaire revient à déléguer aux parties la charge qui incombait au juge dans la procédure adoptée par le Sénat en 2011 : établir la liste des membres du groupe, évaluer leur préjudice et définir les conditions du versement de l'indemnisation.

D'un côté, ce dialogue instauré entre les parties autour de l'indemnisation des consommateurs lésés teinte la procédure d'une nuance transactionnelle voire d'une coloration de médiation, puisqu'à ce stade, l'association peut s'entendre avec le professionnel sur ce qui apparaît, pour chaque demande, comme une juste compensation, conforme aux principes retenus dans le premier jugement.

Mais d'un autre côté, cette procédure réalise une sous-traitance, par les parties, d'une tâche qui, dans une action individuelle, appartiendrait au juge . Il allège la charge des juridictions, que le nombre potentiellement très importants de victimes revendiquant de se joindre à l'action risquerait sinon d'alourdir très sensiblement.

Les difficultés que connaissent d'ores et déjà les juridictions judiciaires justifient de privilégier les solutions qui n'aggravent pas leur situation.

Pour autant, ce transfert de charge pose inévitablement la question du coût, pour les parties, de ces opérations , en particulier lorsque l'action porte sur des cohortes nombreuses, ainsi que des modalités de leur gestion et de leur financement 21 ( * ) .

Enfin, l'architecture globale de la procédure retenue appelle une dernière observation.

Si le premier jugement offre un fondement juridique à la réparation éventuelle versée par l'entreprise, il ne la contraint pas à verser cette indemnisation, puisque ce n'est que si les consommateurs non indemnisés saisissent le juge dans un second temps, qu'elle pourrait y être contrainte, une fois le préjudice individuel définitivement liquidé par le tribunal.

Ainsi, le professionnel dont la responsabilité aura été déclarée, d'un point de vue général, dans le premier jugement, ne sera pas condamné à verser précisément telle indemnisation à telle victime sans avoir été mis en mesure de se défendre au cours du second jugement éventuel.

Ce faisant, la procédure générale respecte les droits de la défense , ce qui n'est pas le cas, comme on le verra, de la procédure d'action de groupe dite « simplifiée ».

Le souci de préserver les droits de chacun s'étend nécessairement à ceux des victimes : si l'association peut jouer le rôle de filtre sur l'opportunité de l'action de groupe, a-t-elle pas compétence pour décider quelles sont les demandes d'indemnisation justifiées parmi celles qui lui sont adressées. Cette tâche ne doit-elle pas revenir au juge, qu'elle saisirait sans distinction de toutes les demandes non satisfaites par le professionnel 22 ( * ) . À défaut, le droit des consommateurs lésés, qui ne sont pas parties à l'action et ne peuvent intervenir directement, serait anéanti.

4. Le premier jugement sur la responsabilité

Le nouvel article L. 423-3 du code de la consommation organise la première phase de l'action de groupe, centrée autour du jugement sur la responsabilité du professionnel.


• L'examen de la recevabilité de l'action

Il prévoit en premier lieu que le juge examine si les conditions de recevabilité de l'action sont réunies.

La précision est inutile : par principe toute juridiction saisie d'une procédure, s'assure d'une part qu'elle est bien compétente pour en connaître, et, d'autre part, que l'action est bien recevable.

Votre commission rappelle à cet égard que plus la loi est bavarde, moins elle est entendue . Elle a par conséquent adopté un amendement de son rapporteur supprimant cette mention surabondante.


• La décision sur la responsabilité du professionnel à l'égard de tous les consommateurs placés dans une situation semblable

Le juge se prononce ensuite sur la responsabilité du professionnel. Contrairement au dispositif adopté par le Sénat en 2011, le présent article ne précise pas que le tribunal appuiera son appréciation sur les cas individuels que l'association demanderesse lui aura soumis.

Or, une telle mention paraît nécessaire. En effet, il faut éviter que des actions de groupe puissent prospérer sur des généralités, sans reposer à l'origine sur des plaintes concrètes de consommateurs . La procédure d'action de groupe vise à remédier à un déni de justice, quand des consommateurs lésés ne reçoivent pas l'indemnisation qu'ils demandent. Sauf à devenir une source autonome et incontrôlable de conflictualité, elle ne doit pas susciter des plaintes jamais exprimées.

À l'initiative de votre rapporteur pour avis, la commission des lois a adopté un amendement précisant que le juge statue au vu des cas individuels présentés par l'association.

Cette précision, qui attache l'action à des situations concrètes, est une garantie pour le professionnel, puisqu'il pourra faire valoir à ce stade, tous les moyens de défense qu'il aurait pu opposer à chacun des consommateurs concernés, s'ils l'avaient assigné dans le cadre d'une action individuelle en responsabilité.

En outre, elle permet de mieux comprendre comment le juge constatera la responsabilité ou non du professionnel dans la perspective d'une action de groupe. En effet, il lui appartiendra à la fois d'apprécier si les éléments constitutifs de la responsabilité (la faute, le dommage et le lien de causalité entre les deux) sont réunis dans les différents cas qui lui sont soumis, mais aussi -et surtout- d'examiner si ces éléments sont bien communs à l'ensemble de ces cas-types et s'ils sont généralisables à d'autres situations semblables .

Cette généralisation de la déclaration de responsabilité constitue l'innovation principale de la procédure d'action de groupe.

Elle conduit nécessairement le juge à définir le groupe de consommateurs lésés à l'égard desquels la responsabilité du professionnel est engagée. La délimitation du groupe peut être exhaustive, si tous les consommateurs lésés sont connus : il suffit alors de les désigner nommément. Le plus souvent, elle reposera sur des critères de rattachement fixés par le juge : par exemple le fait d'avoir acheté un produit provenant de tel lot défectueux ou dans telle période de temps. Elle pourra aussi distinguer des catégories différentes de consommateurs, selon leur situation particulière ou le type de préjudice subi.

Enfin, dernier temps de l'opération intellectuelle qu'engage le jugement déclaratoire de responsabilité, le juge détermine soit le montant des préjudices pour chaque consommateur ou catégorie de consommateurs, soit tous les éléments susceptibles de permettre l'évaluation de ces préjudices.

Ainsi, lorsque le seul préjudice existant est la défectuosité du produit, le montant de la réparation se calcule aisément, puisqu'il correspond à son prix ou à son remplacement.

En revanche, lorsque le préjudice dépend des conditions de survenue du dommage, il est nécessaire de renvoyer à des critères généraux d'indemnisation.

Tel est par exemple le cas lorsque le dommage provient de l'éclatement d'un pneu défectueux. Pour la plupart des consommateurs, le préjudice se limite au remplacement du pneu. Mais s'y ajoutent, pour ceux qui étaient loin de leur domicile au moment de l'incident, les frais de dépannage, et pour ceux qui ont été victime d'un accident du fait du pneu défectueux, les réparations éventuelles du véhicule accidenté.

Cet exemple montre la très grande variété des contentieux possibles : pour certains tout sera connu, des membres du groupe au montant du préjudice qu'ils ont subi. Ce sera le cas, par exemple, des abonnés d'un opérateur téléphonique victimes d'une surfacturation.

À l'opposé, les contours d'autres contentieux seront beaucoup plus flous : le groupe ne sera pas connu, parce que l'achat aura été effectué de la main à la main, en espèces, avec seulement la production d'une facture, et le préjudice dépendra des conditions d'utilisation du produit, comme dans le cas du pneu défectueux.

Entre ces deux extrêmes, l'appréciation du juge s'effectuera plus ou moins en aveugle, rendant d'autant plus indispensable la possibilité d'un second jugement qui liquidera définitivement les préjudices non indemnisés et fixera a posteriori les contours du groupe des victimes.

À cet égard, votre rapporteur pour avis souligne le risque qu'à mesure que les consommateurs lésés se fassent connaître, apparaissent d'autres préjudices que ceux initialement identifiés par le juge.

On pourrait par exemple penser à un grille-pain défectueux qui surchaufferait. Une action de groupe aurait été lancée pour obtenir le remboursement ou le remplacement de l'appareil. Mais, certains consommateurs allégueraient, en se joignant au groupe, que l'appareil a brûlé et causé un incendie : ce nouveau préjudice, qui trouve son origine dans la même cause, entrerait-il alors dans le champ de l'action ?

Il semble préférable de l'exclure. En effet, un tel préjudice ayant échappé aux prévisions du juge comme à celle de l'association requérante, le professionnel n'aura pu s'en défendre, ce qui reporterait toute la discussion sur le second jugement consacré à la liquidation des préjudices non réparés.

Afin de lever toute incertitude sur ce point, votre commission a adopté un amendement de son rapporteur précisant que le juge détermine limitativement les préjudices susceptibles d'être réparés dans le cadre de l'action de groupe dont il est saisi.

Les victimes qui le souhaiteraient conserveraient en revanche la possibilité d'agir soit selon les voies du droit commun, soit par le biais d'une seconde action de groupe, différente de la première par le préjudice réparé.

Votre commission a, à cet égard, adopté un second amendement de coordination avec l'amendement précédent, modifiant la rédaction du nouvel article L. 423-15 du code de la consommation qui interdit l'introduction d'une nouvelle action de groupe qui se fonderait sur les mêmes faits et mêmes manquements qu'une action précédente, afin d'ajouter la référence à la réparation des mêmes préjudices. Ainsi, dans l'exemple précédent, une nouvelle action de groupe pourrait être introduite pour obtenir la réparation des dommages causés par l'incendie dû à la surchauffe du grille-pain.

À l'initiative de la commission des lois de l'Assemblée nationale, saisie pour avis, les députés ont prévu que lorsqu'une réparation en nature du préjudice est plus adaptée, le juge en précise les conditions.

Cette mention reprend l'une des dispositions du texte adopté par le Sénat en 2011. Conformément au droit commun de la responsabilité civile, rien n'impose au tribunal de privilégier une réparation pécuniaire ou une réparation en nature. Mais, s'il juge la seconde plus adaptée, il est logique d'exiger qu'il en précise les modalités de mise en oeuvre par le professionnel : ce pourrait par exemple être le remplacement du produit défectueux par un nouvel exemplaire.


• Les mesures d'instruction

À l'initiative du rapporteur pour avis de la commission des lois de l'Assemblée nationale, M. Sébastien Denaja, les députés ont adopté un amendement précisant que le juge peut ordonner à tout moment de la procédure, les mesures d'instruction nécessaires pour garantir la conservation ou la production de preuves.

Ce faisant, nos collègues députés n'ont fait que rappeler la règle générale, valable pour tous les procès civils, énoncés aux articles 143 à 145 du code de procédure civile :

« Art. 143. - Les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d'office, être l'objet de toute mesure d'instruction légalement admissible.

« Art. 144. - Les mesures d'instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d'éléments suffisants pour statuer.

« Art. 145. - S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».

Une nouvelle fois, votre commission juge préférable d'éviter de répéter dans le projet de loi des dispositions générales du droit commun, qui, par principe, s'appliqueraient de toute façon à la procédure proposée.

En effet, comme le soulignaient nos collègues Laurent Béteille et Richard Yung, « c'est en respectant, autant que possible, les principes procéduraux du droit français, que l'on offrira à l'action de groupe les garanties qui s'imposent » 23 ( * ) . Or, sélectionner seulement certaines règles du code de procédure civile fait douter que les autres s'appliquent à l'action de groupe : un renvoi général, dans le silence des textes, est plus pertinent.

Dans le cas présent, faute que le présent article rappelle, comme le prévoit l'article 147 du code de procédure civile, que « le juge doit limiter le choix de la mesure à ce qui est suffisant pour la solution du litige, en s'attachant à retenir ce qui est le plus simple et le moins onéreux », on peut se demander si la règle s'appliquerait à l'action de groupe et si le juge pourrait refuser une demande trop coûteuse pour l'autre partie, alors qu'une autre serait suffisante pour établir le fait litigieux.

À l'initiative de son rapporteur, votre commission pour avis a adopté un amendement de suppression de la disposition en cause.


• Les mesures de publicité de la décision

Une fois le principe de la responsabilité de l'entreprise établi, il est nécessaire d'en informer les consommateurs, afin qu'ils décident ou non de se joindre au groupe et de demander, sur cette base, la réparation de leur préjudice.

L'alinéa 16 impose au juge d'ordonner les mesures de publicité adaptées pour informer les consommateurs susceptibles d'appartenir au groupe, du contenu de la décision rendue. Ces mesures seraient obligatoirement à la charge du professionnel. Sa faute est établie, ainsi que son obligation de réparer le préjudice qu'il a causé. Par conséquent il est justifié qu'il assume les frais accessoires nécessaires à cette réparation.

L'alinéa 17 prévoit expressément que les mesures de publicité n'interviennent qu'une fois la décision du juge devenue irrévocable, c'est-à-dire plus susceptible d'appel ni de cassation.

Cette restriction est justifiée par le souci d'éviter au professionnel le dommage de réputation qu'une publicité précoce pourrait lui causer, s'il s'avérait, finalement que le juge d'appel ou de cassation, annulait la décision rendue en première instance.

Votre commission pour avis a adopté deux amendements sur ces dispositions.

Le premier est rédactionnel.

Il rassemble, pour plus de lisibilité, les deux alinéas sous un nouvel article L. 423-3-1. Si la décision sur la publicité est rendue en même temps que celle sur la responsabilité, elle procède d'une opération intellectuelle différente, sur les suites à donner à la déclaration générale de responsabilité. Il semble préférable de réserver un article à chaque type de décision rendue dans le cadre du jugement de responsabilité auquel l'ensemble de la section est consacrée.

Le second amendement adopté par votre commission vise à permettre d'accélérer, lorsque cela est possible, la procédure, dans le respect des droits de la défense. Il concerne la réparation de préjudices de faible montant .

Toute décision de justice n'est pas forcément susceptible d'appel : cela dépend de l'importance du litige, qui détermine ce que l'on nomme le « taux du ressort » (celui en deçà duquel l'affaire est jugée en dernier ressort).

Ainsi, le tribunal d'instance connaît, en dernier ressort, des litiges les plus minimes, d'une valeur inférieure à 4 000 euros (art. R. 221-41 du code de l'organisation judiciaire). Sa décision ne peut alors faire l'objet que d'un pourvoi en cassation.

Quel sera la situation pour l'action de groupe ?

Deux possibilités sont envisageables.

Soit le taux du ressort est déterminé par le montant total des demandes d'indemnisation adressées au professionnel. La masse des demandes aidant, il est vraisemblable qu'aussi modique que soient les montants individuels d'indemnisation, la valeur reconnue au litige sera supérieure à 4 000 euros, ce qui autorisera un appel dans presque tous les cas.

Soit le taux du ressort est uniquement déterminé par le montant le plus élevé parmi les demandes d'indemnisation envisagées. Telle est la règle actuellement applicable, lorsque plusieurs victimes demandent chacune la réparation de leur préjudice et que leurs actions sont jointes au sein d'une même procédure, parce qu'elles reposent toutes sur la même faute de l'auteur du dommage 24 ( * ) . Contrairement au cas précédent, les actions de groupe portant sur des préjudices modiques mais nombreux seraient ainsi traitées principalement en dernier ressort, avec seulement la possibilité d'un recours en cassation.

À l'initiative de son rapporteur, votre commission pour avis s'est prononcée en faveur de cette seconde option , pour plusieurs raisons.

Il serait peu compréhensible qu'un même litige, porté devant le juge par une action de groupe soit susceptible d'appel, alors que, traité par la voie d'actions individuelles jointes en une même instance, il ne l'aurait pas été.

Par ailleurs, l'article 2 du présent texte prévoit que l'action de groupe relèvera de tribunaux de grande instance spécialisés : la décision rendue en dernier ressort l'aura été par une juridiction avertie, devant laquelle le ministère d'avocat est obligatoire et la procédure écrite, ce qui est une garantie supplémentaire pour les parties.

En outre, la règle ne jouera que pour des demandes déterminées , c'est-à-dire celle dont le montant est connu ou que le juge peut calculer facilement 25 ( * ) , ce qui impose notamment que le groupe soit bien identifié. Tel sera le cas, par exemple, du litige tendant au remplacement d'un bien de consommation acheté par correspondance. En revanche, les actions de groupe fondées sur demandes indéterminées seraient susceptibles d'appel. Tel sera le cas, lorsque l'association requérante, qui a identifié le préjudice causé au consommateur, n'est pas en mesure d'en fixer le montant, faute de connaître avec assez de précision la situation précise de l'ensemble des consommateurs lésés, ou lorsque les limites du groupe ne seront pas connues.

Enfin, deux garanties pourraient être apportées à ce dispositif, afin de tenir compte de la spécificité de l'action de groupe .

D'une part, il serait possible de fixer par décret un taux de ressort plus bas pour les actions de groupe, s'il apparaissait opportun de limiter le bénéfice de la décision rendue en dernier ressort à celles qui portent sur les préjudices de plus faible montant, par exemple inférieurs à quelques centaines d'euros.

D'autre part, il serait envisageable de soumettre l'action à un double plafond plutôt qu'à un plafond unique comme en matière de droit commun.

Ainsi non seulement les demandes individuelles devraient être inférieures à un montant fixé par décret, mais la somme de toutes ces prétentions devrait elle-même ne pas dépasser un seuil réglementaire.

Un équilibre serait ainsi trouvé entre le droit des consommateurs à ne pas être engagés dans une procédure avec appel, alors, que, par les voies de droit commun, la décision serait rendue en dernier ressort, et le droit des professionnels à disposer de ce recours pour les montants les plus élevés.

L'amendement adopté par votre commission prévoit par conséquent que la décision est rendue en dernier ressort lorsque le montant le plus élevé des prétentions présentées est inférieur à une somme fixé par décret, que leur montant total est connu et qu'il ne dépasse pas un seuil fixé lui aussi par décret.

Cette disposition s'appliquerait à la fois au premier jugement prononçant la responsabilité du professionnel et au second, statuant sur la liquidation des demandes d'indemnisation non satisfaites. Elle ne devrait concerner que les cas les plus simples dans lesquels le groupe n'est pas trop important, le préjudice peu élevé, et les frais de gestion ou de publicité de l'action eux-mêmes faibles.

5. Les modalités de constitution du groupe et celles de recueil et de traitement des demandes d'indemnisation par l'association ou le professionnel

Une fois mises en oeuvre les mesures de publicité, une nouvelle phase s'ouvre : les consommateurs dûment avertis peuvent décider de se joindre au groupe et déposer une demande d'indemnisation.

Cette phase est essentielle, puisqu'elle garantit que ne seront parties à l'action que les consommateurs qui l'auront souhaité. La procédure repose donc bien sur le principe de l'« opt in » (décision positive d'adhérer au groupe) et exclut celui de l'« opt out » (qui inclut toutes les victimes potentielles, sauf refus exprès de leur part).

Ce choix de l' « opt in » est celui qui semble le plus conforme aux principes constitutionnels relatifs à l'action en justice dégagés par le Conseil constitutionnel dans sa décisions du 25 juillet 1989 26 ( * ) . Saisi du mécanisme par lequel un syndicat pouvait agir en justice pour le compte d'un salarié, la Haute instance ne l'a jugé conforme à la Constitution qu'« à la condition que l'intéressé ait été mis à même de donner son assentiment en pleine connaissance de cause et qu'il puisse conserver la liberté de conduire personnellement la défense de ses intérêts et de mettre un terme à son action ».

Or, la procédure proposée répond à cette exigence, puisque la demande d'adhésion au groupe manifeste l'accord du consommateur victime pour que l'association conduise en son nom les démarches nécessaires à son indemnisation.

Le présent article prévoit que le juge en organise le déroulement dès la décision prononçant la responsabilité du professionnel.


• La détermination du délai et des modalités d'adhésion au groupe

Il lui appartiendrait de fixer le délai dans lequel les intéressés peuvent adhérer au groupe. À l'initiative de son rapporteur, notre collègue député M. Razzy Hammadi, l'Assemblée nationale a prévu que ce délai ne puisse être inférieur à deux mois ni supérieur à six, à compter des mesures de publicité. Cette double restriction est présentée comme « un moyen terme entre un délai qui ne doit évidemment pas être trop long (l'adhésion au groupe ne pouvant être éternelle) mais qui ne peut être trop bref, au risque de ne pas permettre au groupe de se constituer efficacement » 27 ( * ) .

Votre rapporteur s'est interrogé sur l'opportunité d'une telle restriction.

En effet, elle prive le magistrat de son pouvoir d'appréciation. Si deux mois sont un minimum qu'on ne peut encore abaisser, l'expérience dira si six mois seront toujours suffisants. Que se passera-t-il lorsque, faute d'une information individualisée, certaines victimes ne prendront connaissance que tardivement de l'action, ou lorsque le recueil des preuves nécessaires pour adhérer au groupe sera difficile ?

En la matière, il aura pu sembler préférable de s'en remettre à l'appréciation du juge, tenu de fixer un délai, qui prendra en compte les intérêts des victimes comme ceux, légitimes, du professionnel.

Votre commission cependant comprend le souci exprimé par les députés d'éviter que des actions de groupe durent trop longtemps.

En tout état de cause, il convient toutefois de préciser que le délai est décompté à partir de l'achèvement des mesures de publicités. En effet, certaines, comme des notifications, sont susceptibles de durer, et il est nécessaire de ne pas opposer de forclusion à une victime prévenue tardivement.

Votre commission a adopté un amendement en ce sens.

Le juge déterminerait aussi les modalités d'adhésion au groupe 28 ( * ) .

En particulier, il déciderait si les consommateurs lésés doivent s'adresser directement au professionnel ou par l'intermédiaire de l'association ou -précision apportée par les députés à l'initiative de leur rapporteur- du tiers désigné par assister elle.

La mention relative au tiers est inutile : par définition ce dernier agira comme le mandataire de l'association et sous son contrôle. S'adresser à lui revient à s'adresser à l'association. En outre, il ne sera pas forcément connu au moment du jugement, l'association requérante le recrutant une fois le périmètre du groupe établi par ce premier jugement.

La précision selon laquelle le juge pourrait imposer au consommateur de s'adresser directement au professionnel est, quant à elle, source d'inutile complication administrative.

En effet, les consommateurs lésés devront de toute façon s'adresser aussi à l'association pour adhérer au groupe, puisqu'elle seule est compétente pour tenir le registre des adhésions. Par ailleurs, seule l'association étant en mesure de saisir le juge à raison des préjudices non réparés par le professionnel après le premier jugement, il est nécessaire qu'elle dispose d'une information complète sur la situation des intéressés. Or, cette information ne peut lui être fournie par le seul professionnel, sauf à créer un problème de conflit d'intérêts. Les consommateurs devront par conséquent aussi l'informer du montant de la demande d'indemnisation adressée au professionnel, ainsi que de la réponse de ce dernier.

Ce faisant, la précision apportée soumet les consommateurs à une obligation administrative de double information, dont l'association elle-même ne profite pas, puisqu'il lui appartiendra de traiter tous les courriers que les consommateurs lui auront adressés pour la tenir informée. Le dispositif semble, au mieux, inutile.

Votre commission a par conséquent adopté un amendement de suppression ces deux mentions.

6. Le traitement des demandes d'indemnisation : une procédure qui doit être précisée

Comme on l'a vu précédemment, le texte confie au professionnel ou à l'association la charge de traiter les demandes d'indemnisation qui écherraient sinon au juge.

Il s'agit d'une innovation importante, susceptible de faciliter le règlement rapide du litige.

Toutefois, les dispositions du texte qui y sont consacrées sont peu nombreuses et peu explicites.

L'article L. 423-3 précise que l'adhésion au groupe vaut mandat donné à l'association aux fins d'indemnisation à son profit.

L'article L. 423-4 prévoit que l'association puisse s'adjoindre, avec l'autorisation du juge, la collaboration de professionnels du droit dont la liste serait fixée par décret en Conseil d'État.

L'article L. 423-5 , inclus dans la section consacrée à la liquidation des préjudices, dispose que « le professionnel procède à l'indemnisation individuelle [...] des consommateurs » dans les conditions fixées par le jugement prononçant sa responsabilité.

Le schéma retenu est donc le suivant : les consommateurs se joignent à l'action en adhérant au groupe. Cette adhésion emporte mandat, pour l'association, de réclamer la réparation à laquelle ils ont droit.

Le professionnel, de son côté, procède à l'indemnisation individuelle des consommateurs, en fonction des demandes qui lui sont adressées. Celles qu'il refuse de satisfaire sont susceptibles d'être portées devant le juge.

Les consommateurs, même lorsqu'ils se joignent au groupe ne sont pas pour autant partie à l'action. Seule l'association assure le rôle de demandeur en leur nom, le professionnel celui de défendeur à l'action.

Ce schéma présente toutefois plusieurs lacunes, auxquelles votre commission vous propose de remédier par ses amendements .


• Les délais d'indemnisation

Si le texte de l'alinéa 18 adopté par les députés à l'initiative de leur rapporteur prévoit bien que le juge fixe le délai dans lequel les contestations sur les demandes d'indemnisation individuelle lui sont adressées, rien n'est dit sur le délai dans lequel le professionnel doit indemniser les intéressés.

Or le second délai détermine le premier. En effet, un professionnel pourrait sciemment différer le moment de signifier au consommateur son refus de l'indemniser, jusqu'au jour où ce dernier serait forclos pour contester son refus.

Afin d'éviter cette situation, votre commission a adopté un amendement de son rapporteur imposant au juge de fixer ces deux délais. Pour plus de clarté, cet amendement isole cette disposition au sein d'un nouvel article.


• L'étendue du mandat confié à l'association et les recours directs des consommateurs contre les décisions rendues

L'adhésion au groupe vaut mandat aux fins d'indemnisation au profit de l'association. Ce mandat autorise cette dernière à intervenir auprès du professionnel au nom des consommateurs concernés.

Dans la mesure où ce mandat l'engage vis-à-vis des intéressés, l'association a-t-elle le droit de refuser l'adhésion de consommateurs dont elle estimerait qu'ils n'appartiennent manifestement pas au groupe ? Peut-elle, de la même manière, présenter une demande d'indemnisation différente de celle qui lui est soumise, ou s'abstenir de saisir le juge de prétentions infondées ?

Le texte est muet sur ce point 29 ( * ) .

Reconnaître ce pouvoir à l'association serait lui faire jouer une seconde fois un rôle de filtre des demandes infondées. La pertinence de l'action de groupe s'en trouverait accrue, mais les droits des consommateurs en sortiraient amoindris, puisque certains pourraient être exclus du bénéfice de l'action de groupe, en raison d'une appréciation de l'association peut-être erronée ou injustifiée.

À l'inverse, refuser cette faculté à l'association serait la contraindre à présenter et à défendre des prétentions qu'elle sait infondées et à porter le contentieux jusqu'au bout.

Il semble à votre rapporteur qu'une solution médiane consisterait à permettre au consommateur de saisir le juge du désaccord qu'il aurait avec l'association . Ce désaccord pourrait notamment porter sur le refus de son adhésion au groupe ou la minoration excessive de l'indemnisation qu'il réclame. Il conviendrait aussi de préciser que les consommateurs pourraient directement saisir le juge du refus d'indemnisation que le professionnel leur aurait opposé.

Votre commission a adopté un amendement en ce sens.


• L'encadrement des conditions de gestion de fonds reçus par l'association

Le mandat conféré à l'association pour traiter de l'indemnisation des victimes avec le professionnel lui permet de percevoir les fonds versés.

Or, aucune disposition de la loi n'encadre cette perception ni n'indique sous quels délais ou selon quelles modalités l'association est tenue de les reverser aux intéressés.

Le fait que les consommateurs disposent d'un recours contre l'association, ce que propose l'un des amendements de votre commission, constituera à cet égard une garantie contre les abus flagrants.

Afin d'éviter par anticipation tout litige, votre commission a adopté un amendement de son rapporteur, confiant au juge le soin de définir les délais et les modalités selon lesquelles, le cas échéant, l'association percevra les indemnisations versées par le professionnel et les restituera aux consommateurs lésés.


• Les autres frais mis à la charge du professionnel condamné

Même si l'action de groupe permet des économies d'échelle, plus elle est étendue, plus elle est coûteuse pour l'association, qui doit en assurer la gestion, et pour le professionnel, qui doit verser une indemnisation proportionnelle à cette taille.

Deux dispositifs prévus dans le cadre du nouvel article L. 423-3 sont destinés à garantir les consommateurs contre les risques liés à ces coûts.

Le premier autorise le juge à condamner le professionnel au paiement d'une provision destinée à financer les frais exposés par l'association, pour la gestion de la procédure, et non compris dans les dépens. Ces frais pourraient notamment inclure la rémunération des personnes dont l'association se serait attachée les services, avec l'autorisation du juge, conformément au nouvel article L. 423-4.

Revenant, à l'initiative de sa commission des lois, sur le texte du projet de loi initial, l'Assemblée nationale a imposé que les intéressés appartiennent à une profession judiciaire réglementée dont la liste serait fixée par décret en Conseil d'État.

L'auteur de l'amendement et rapporteur pour avis de la commission des lois, M. Sébastien Denaja, a en effet estimé qu'il était « indispensable que les personnes concernées, qui seront amenées à manier des fonds importants, soient soumises au respect de règles déontologiques (absence de conflits d'intérêts, etc.) et qu'elles disposent d'une assurance de responsabilité civile » 30 ( * ) .

Les associations de consommateurs entendus par votre rapporteur ont cependant regretté cette modification, soulignant qu'une telle mention leur interdirait de recourir au service de sociétés de secrétariat, susceptibles de les aider à gérer la masse des courriers, sans avoir cependant à manier des fonds.

Votre rapporteur note que ces positions pourraient sans doute être conciliées si l'on restreignait l'obligation d'appartenir à une profession judiciaire réglementée aux seules personnes destinées à manier les fonds remis à l'association. En dehors de ces tâches, l'association pourrait alors faire appel, avec l'autorisation du juge, à tout type de professionnels.

Le second dispositif, introduit par les députés à l'initiative de leur rapporteur, M. Razzy Hammadi, permet au juge d'ordonner, s'il l'estime opportun, la consignation à la Caisse des dépôts et consignation d'une partie des sommes dues par le professionnel. Il s'agit de prémunir les victimes contre un risque de défaillance du professionnel.

Votre rapporteur souligne que ce dispositif devra être utilisé avec prudence, car il est susceptible de porter gravement atteinte à l'équilibre financier du professionnel, qui se verrait privé de trésorerie.

En effet, conçu pour offrir aux consommateurs une garantie contre la faillite éventuelle de l'entreprise ou son insolvabilité sciemment organisé, il risque de hâter la défaillance du professionnel, ou d'offrir aux créanciers consommateurs un privilège qui pourrait entrer en conflit, par exemple, avec celui des salariés, puisqu'en cas de faillite, les créances des uns, comme celles des autres, entreraient en concurrence.

Dans un souci de plus grande lisibilité du texte, votre commission a adopté plusieurs amendements rédactionnels, isolant les différentes dispositions dans des articles à part.

7. La phase éventuelle de liquidation définitive des préjudices lors du second jugement et son exécution

En droit, la notion de liquidation des préjudices renvoie à l'opération globale de détermination du montant des créances correspondantes et de leur règlement.

En l'absence de contestation, il revient au professionnel de procéder à cette liquidation, qui passe par l'indemnisation individuelle des consommateurs lésés ( art. L. 423-5 ).

L'article L. 423-6 ouvre cependant un recours devant le juge qui a statué sur la responsabilité pour trancher les difficultés qui s'élèvent à cette occasion. Compte tenu de l'amendement précité adopté par votre commission, compteraient, au nombre de ces difficultés, les désaccords sur l'adhésion au groupe ou le montant de la demande d'indemnisation adressée par l'association au professionnel.

Le même article prévoit en outre que l'intéressé statue dans un seul jugement pour toutes les demandes d'indemnisation auxquelles le professionnel n'a pas fait droit.

La contrainte d'un jugement unique retardera la réparation qu'attendent les consommateurs jusqu'à l'échéance des délais de recours. Toutefois, elle se justifie pour deux raisons : elle garantit que, dûment averti des délais, les intéressés auront pu faire valoir leur demande ; elle facilite le traitement juridictionnel du contentieux, puisqu'elle rassemble en une seule instance des affaires connexes.

En principe l'association, titulaire d'un mandat des consommateurs victimes sera seule partie à l'instance avec le professionnel. Toutefois, l'amendement précédemment cité adopté par votre commission, autorisera les intéressés à saisir directement le juge lorsqu'ils auront adressé leur demande au professionnel sans passer par l'association.

Une fois ce second jugement prononcé, l'association requérante serait investi du pouvoir de réclamer, au nom des consommateurs, son exécution forcée, si le professionnel ne les indemnise pas dans les temps ( article L. 423-7 ).

8. Une procédure « simplifiée » à la constitutionnalité incertaine

À l'initiative de son rapporteur, M. Razzy Hammadi, la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a ajouté une procédure d'action de groupe dite « simplifiée » à celle prévue par le présent article, qui ferait l'objet d'une section 2 bis composée d'un unique article L. 423-4-1 .

Elle ne serait susceptible d'intervenir que lorsque les consommateurs seraient « identifiés ». Cette situation renvoie à l'existence d'un fichier client exhaustif.

Initialement, le rapporteur avait retenu comme critère qu'ils soient « identifiables ». Le terme a été critiqué parce qu'il teintait cette procédure d'une forte nuance d'« opt out » et a été corrigé par son auteur par amendement en séance publique.

Le juge aurait alors la possibilité, après avoir prononcé la responsabilité du professionnel, de condamner immédiatement celui-ci à indemniser directement et individuellement les consommateurs lésés. Il fixerait le délai et les modalités de cette indemnisation.

La condamnation pourrait être assortie d'une astreinte, perçue par l'association requérante.

Afin de préserver le principe selon lequel les intéressés doivent consentir à l'action engagée, serait organisée, une fois la condamnation devenue irrévocable, une phase d'information individuelle des consommateurs concernés, identique, pour le surplus, à celle prévue dans le cadre général.

Les consommateurs ou l'association pourraient saisir le juge, dans les mêmes conditions que pour une action de groupe standard, si le professionnel refusait d'exécuter la décision à laquelle il a été condamné.

Le but avoué de cette procédure est d'accélérer l'indemnisation des consommateurs victimes.

Cette accélération repose sur deux éléments qui la distingue de la procédure de droit commun :

- le professionnel est directement condamné à verser l'indemnisation fixée par le juge aux consommateurs désignés ;

- les consommateurs sont informés individuellement par le professionnel du sens de la décision.

Votre commission est très réservée sur cette procédure « simplifiée ». Elle s'interroge , avec son rapporteur, sur la constitutionnalité du dispositif ainsi que sur sa pertinence .

Elle constate en premier lieu, que, contrairement à la procédure de droit commun, le professionnel est condamné à indemniser certains consommateurs, qui ne sont pas parties, à ce stade, à la procédure, et dont la situation individuelle n'a pas été examinée contradictoirement.

Votre rapporteur rappelle, comme elle l'a souligné précédemment, que le jugement statuant sur la responsabilité du professionnel, dans le cadre général, est partiel. Le professionnel n'est pas, à ce moment, condamné à verser précisément telle indemnisation à telle personne nommément désignée. Il a la possibilité de contester chaque demande d'indemnisation qui lui est réclamée, sans tomber sous le coup de la loi ni se rendre coupable d'une inexécution de la première décision, puisque celle-ci ne fixe qu'un cadre général. Ce n'est qu'à partir du second jugement qu'il sera lié, pour chaque indemnisation, par la décision du juge et que des mesures d'exécution forcée pourront être prises à son encontre. Or, lors de ce second jugement, il aura pu présenter tous les moyens de défense relatifs à chaque consommateur dont il conteste le droit à être indemnisé.

La procédure « simplifiée » inverse ce déroulement : le professionnel est d'abord condamné, avant de pouvoir se défendre .

En effet, l'article L. 423-4-1 prévoit bien que « l'intéressé soit condamné [...] à indemniser directement et individuellement [...] les consommateurs lésés ». Il offre même au juge la possibilité d'assortir cette condamnation d'une astreinte, afin de forcer le professionnel à exécuter la décision.

Or, à ce stade de la procédure, même si le nom des consommateurs lésés est connu, leur situation particulière n'a pas été débattue. Le professionnel n'a pu opposer, comme il peut le faire dans un procès en responsabilité civile ordinaire, le fait de la victime (qui aurait par exemple contribué à son dommage en utilisant le produit conformément aux instructions) ou une contestation du préjudice réellement subi par elle (si, par exemple, elle a acheté le bien défectueux à moitié prix, ou si elle avait déjà abîmé de son propre fait le produit, réduisant ainsi sa valeur).

Il faudra que le professionnel se place sciemment en infraction par rapport au premier jugement, en refusant de l'exécuter, pour que s'ouvre, à l'initiative des consommateurs lésés ou de l'association, une seconde instance au cours de laquelle il pourra enfin faire valoir sa défense.

Cette procédure inverse l'ordre nécessaire du procès : elle débute par une condamnation et finit par la défense .

Interrogés sur ce point par votre rapporteur, MM. les professeurs Jean Calais-Auloy et Emmanuel Jeuland, ont considéré que cette inversion portait une telle atteinte au principe constitutionnel des droits de la défense 31 ( * ) , qu'elle faisait douter de la conformité du dispositif à la Constitution .

M. Emmanuel Jeuland a ajouté que les seules inversions de contentieux que le législateur a autorisé concernent des cas dans lesquels l'obligation est certaine et n'est pas contestable. Telle est la situation des injonctions de payer 32 ( * ) , qui portent sur des créances certaines. En outre, la procédure d'injonction de payer réserve la possibilité pour le mis en cause de s'y opposer et de soumettre ses arguments au juge.

Par comparaison, dans la procédure proposée, les créances d'indemnisation ne sont pas forcément certaines, puisque leur montant peut ne pas être définitivement établi, et le professionnel est condamné à payer avant même d'avoir pu faire valoir sa défense vis-à-vis de chaque consommateur pris séparément.

La procédure heurte aussi d'autres principes du procès civil : elle impose que l'astreinte soit prononcée au profit de l'association. Or, si celle-ci est bien partie à l'action et si le code de procédure civile autorise le juge à prononcer l'astreinte au profit de celui en faveur duquel la décision a été rendue, il est surprenant que l'association en bénéficie, alors que la décision concerne seulement les consommateurs lésés.

Paradoxalement, l'association s'enrichira à mesure que le professionnel s'obstinera à ne pas exécuter le jugement, alors même que cette inexécution préjudiciera aux intérêts de ceux qu'elle défend.

Enfin, si votre commission partage le souci exprimé par les députés de favoriser un traitement rapide des contentieux, elle constate, qu'en l'état, l'utilité réelle du dispositif n'est pas acquise : il ne s'appliquera que dans une situation qui pourrait être presque aussi rapidement traitée par la voie de la procédure d'action de groupe ordinaire .

En effet, la procédure « simplifiée » suppose un litige sans difficulté particulière, pour lequel tous les consommateurs sont connus sans exception, ainsi que tous ceux qui sont lésés : on peut penser à des contrats d'abonnement qui auraient donné lieu à la surfacturation de certains services.

Or, il est aisé de prévoir dans ce cas une information individuelle à la charge du professionnel, assorti d'une indication sur l'indemnisation possible. Il est peu probable que le professionnel refuse alors d'indemniser les intéressés. Ou, s'il le fait, c'est vraisemblablement pour opposer à certains consommateurs un argument qu'il doit pouvoir faire valoir au cours de la procédure.

Pour l'ensemble de ces raisons, votre commission a jugé nécessaire d'adopter un amendement de refonte complète le dispositif afin, d'une part, de garantir le respect des droits de la défense, et, d'autre part, d'en accélérer le déroulement.

Le défaut du dispositif proposé par les députés est de ne permettre au professionnel de se défendre au moyen d'arguments tirés de la situation particulière des consommateurs qui réclament l'indemnisation, qu'après avoir été condamné.

S'inspirant de la procédure applicable en matière d'injonction de payer 33 ( * ) , l'amendement de votre commission vise à conférer au professionnel la faculté de s'opposer, pour un motif tiré de la situation individuelle de l'intéressé, à l'indemnisation d'un consommateur donné.

Le schéma retenu serait le suivant.

Comme dans le dispositif prévu actuellement, le premier jugement ordonnerait au professionnel de verser directement et individuellement à chaque consommateur nommément désigné son indemnisation. Au stade de ce premier jugement, les moyens de défense présentés par le professionnel n'auront, par principe, pu porter que sur des éléments généraux, communs à l'ensemble des membres du groupe.

Toutefois, dans un délai fixé par le juge, le professionnel aurait la possibilité de s'opposer au paiement, en faisant valoir un élément propre à la situation d'un ou plusieurs consommateurs. Par exemple, il pourrait indiquer que l'intéressé a vendu le bien que le professionnel devait remplacer, ou qu'il l'avait détruit ou endommagé avant que le défaut de fabrication qui l'affectait soit apparu.

Dans de telles situations, le consommateur, dont on pouvait a priori penser qu'il appartenait au groupe n'a pas subi de préjudice : il se révèle a posteriori , qu'il n'a aucun titre à l'indemnisation, en dépit du premier jugement.

Cette faculté d'opposition permettrait au professionnel de présenter les arguments de défense qu'il n'était pas en mesure de présenter, tant que tous les consommateurs ne s'étaient pas joints à la procédure.

Ces droits s'en trouveraient préservés.

Le juge rendrait ensuite une décision définitive, qui porterait sur toutes les oppositions formées par le professionnel.

La partie du jugement portant sur les demandes d'indemnisation qui n'auraient en revanche pas fait l'objet d'une opposition serait directement exécutoire, ce qui permettrait à l'association d'en poursuivre l'exécution forcée rapidement.

9. Le recours possible à la médiation

Le succès de l'action de groupe serait son effacement : parvenir à éviter le dommage ou favoriser sa réparation, sans même avoir été engagée ou conduite à son terme.

Elle est en effet conçue pour inciter les professionnels à respecter leurs obligations, sachant qu'une voie de droit existe pour sanctionner civilement efficacement leurs manquements.

S'ils causent malgré tout un dommage aux consommateurs, la perspective d'une telle action doit les encourager à privilégier la voie de la médiation pour régler le litige. Ainsi, le professionnel décidera des modalités de l'indemnisation et les consommateurs profiteront d'une réparation plus rapide de leur préjudice.

L'intégration de la médiation au déroulement de la procédure d'action de groupe est par conséquent une condition de sa réussite.

La médiation

Le régime juridique de la médiation est déterminé au chapitre I er du titre II de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile.

Elle s'entend, selon la définition qu'en donne la loi, « de tout processus structuré, quelle qu'en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l'aide d'un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par le juge saisi du litige ».

Ne pouvant porter que sur des droits dont les parties ont la libre disposition, elle peut être conduite dans un cadre judiciaire ou conventionnel.

Le médiateur est tenu au respect du principe d'impartialité ainsi que d'un certain nombre d'exigences déontologiques.

L'accord auquel parviennent les parties peut, le cas échéant, faire l'objet d'une homologation par le juge, qui lui donne force exécutoire.

Cette intégration, à laquelle une section 4 du nouveau chapitre sur l'action de groupe serait consacrée, ne signifierait pas une obligation, pour les parties, de conduire une médiation.

Il s'agirait seulement d'une habilitation conférée à l'association requérante pour participer à une médiation, au nom du groupe, dans les conditions légales ( art. L. 423-8 ).

En effet, le renvoi au droit commun serait insuffisant, puisqu'en principe, seul l'ensemble des consommateurs, qui ne sont pas tous parties à l'action, seraient en droit de participer à cette médiation. Une habilitation légale expresse est par conséquent nécessaire pour concéder ce droit à l'association.

À l'initiative de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement précisant à cet égard que seule cette association est habilitée à participer à la médiation au nom du groupe. Il faut en effet éviter, qu'une fois l'action engagée, d'autres associations tentent de passer par la voie de la médiation conventionnelle au nom du groupe et parasitent ainsi les démarches effectuées par la seule association qui conduit l'action. Cet amendement s'articule d'ailleurs avec celui adopté par votre commission précédemment qui impose, lorsque plusieurs associations engagent une même action, que l'une d'entre elle soit désignée chef de file.

Le nouvel article L. 423-9 tend à imposer que tout accord négocié au nom du groupe soit soumis à l'homologation du juge et précise les délais et les modalités selon lesquels les consommateurs y adhèreront.

Reprenant une disposition votée par le Sénat en 2011, votre commission a adopté un amendement précisant qu'au moment de l'homologation de l'accord, le juge vérifie s'il est conforme aux intérêts des consommateurs auxquels il a vocation à s'appliquer.

Le même article autorise le juge à mettre à la charge du professionnel les mesures de publicité nécessaires pour informer les consommateurs concernés de l'existence de l'accord homologué.

Cette disposition est-elle cependant nécessaire ? En effet, l'information des consommateurs lésés sera l'un des points en débat dans le cadre de la médiation, sur lequel les parties se seront entendues.

En outre, à défaut d'un accord sur ce point, ou si le dispositif d'information paraît insuffisant, le juge chargé de veiller aux intérêts des consommateurs susceptibles d'appartenir au groupe, refusera d'homologuer l'accord négocié.

Enfin, les frais supplémentaires décidés par le juge, de son propre chef, seraient susceptibles d'altérer l'équilibre économique de la transaction pour le professionnel, qui risque de les prendre en compte, par anticipation, et réduire d'autant les propositions qu'il formulera dans le cadre de la négociation.

Pour l'ensemble de ces raisons, votre commission a adopté un amendement de suppression de cette disposition, qui en revanche, impose que l'accord négocié fixe lui-même les mesures de publicité requises.

10. Les dispositions particulières relatives aux actions de groupe intervenant en matière de concurrence

Le champ de l'action de groupe s'étend aux dommages qui trouvent leur origine dans des manquements du professionnel à certaines règles de la concurrence.

L'appréciation de ces manquements relève généralement de l'Autorité de la concurrence.

Le projet de loi fait le choix de lier l'engagement de l'action de groupe en ces matières à une décision de l'autorité compétente nationale ou européenne, devenue irrévocable.

Ce faisant, il retarde considérablement la réparation due aux consommateurs lésés par ces infractions aux règles de la concurrence, puisque ceux-ci devront attendre l'épuisement des voies de recours. Le risque est grand que les preuves se perdent, que le temps affaiblisse la détermination des victimes à obtenir réparation ou qu'il fasse perdre tout sens à l'indemnisation.

M. Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence a dénoncé ce choix, estimant que l'action de groupe devrait pouvoir être engagée dès la première décision rendue par l'autorité ou la juridiction compétente.

Le lien établi entre l'action de groupe et la décision de l'autorité compétente n'est pas sans justification : il convient d'éviter les divergences d'appréciation sur les mêmes faits. D'ailleurs, le second alinéa du nouvel article L. 423-10 dispose qu'une fois la décision de l'autorité compétente devenue définitive, les manquements qu'elle a constatés sont réputés établis de manière irréfragable pour le juge saisi de l'action de groupe.

Votre rapporteur relève toutefois que le risque de divergence ne concerne que la décision sur la responsabilité du professionnel. Avant qu'elle intervienne, l'action ne fait l'objet d'aucune publicité et ne tranche aucune question au fond.

Dans la mesure où l'un des principaux inconvénients à lier l'engagement de l'action de groupe au sort de la décision de l'Autorité de la concurrence est le retard pris pour procéder aux actes d'instruction préalable, il est possible d'y remédier, en autorisant l'association à intenter cette action, afin de lui permettre d'obtenir du juge les mesures d'instruction nécessaires, mais en repoussant le prononcé de la décision sur la responsabilité du professionnel au moment où la décision de l'autorité compétente en matière de concurrence sera devenue définitive.

L'engagement de l'action suspendra le cours des prescriptions et préservera les intérêts des consommateurs lésés.

Il permettra en outre à l'association de recevoir mandat pour négocier au nom du groupe dans le cadre d'une médiation avec le professionnel. Ce dernier sera incité à le faire par la perspective que l'action de groupe prospère une fois ses recours contre la décision de l'autorité compétente en matière de concurrence rejetés.

Votre commission a par conséquent adopté l'amendement en ce sens de son rapporteur.

Une fois la décision de l'Autorité de la concurrence devenue définitive, la faute du professionnel sera connue et ceux qui souhaiteront réparation pourront agir. Le Gouvernement a souhaité éviter des actions trop tardives, qui interviendraient longtemps après que les faits auront été définitivement établis.

L'article L. 423-11 interdit par conséquent que l'action de groupe puisse être engagée plus de cinq ans après la décision définitive de l'autorité compétente constatant le manquement. Votre commission a adopté un amendement précisant que le délai ne court qu'à compter de la date où la décision est devenue définitive, plutôt qu'à compter de la date de cette décision. En effet, la durée des recours amputerait sinon d'autant le délai de cinq ans.

À l'initiative du rapporteur pour avis de sa commission des lois, notre collègue député M. Sébastien Denaja, l'Assemblée nationale a prévu que le juge puisse, par exception, s'il a tranché en faveur de la responsabilité du professionnel, ordonner l'exécution provisoire des mesures de publicité qu'il a prévu.

En effet, la décision rendue par l'autorité compétente en matière de concurrence rend incontestable la faute du professionnel et lui a déjà donné un certain écho. L'action de groupe peut être rendue publique sans crainte de dommages supplémentaires pour sa réputation.

Votre commission confirme l'intérêt de ce dispositif auquel elle ne propose que d'apporter un amendement rédactionnel.

11. Les dispositions diverses

La section 6 du chapitre nouvellement créé serait principalement consacrée à plusieurs dispositions relatives à la prescription, à l'effet des décisions rendues et aux conséquences de l'adhésion au groupe.

L'action groupe constitue une voie de droit supplémentaire offerte aux consommateurs victimes. Elle ne se substitue pas à celles qu'ils possèdent déjà, ce qui rend nécessaire d'organiser leur articulation éventuelle.

Ainsi, l'article L. 423-12 prévoit que l'engagement d'une action de groupe suspend la prescription des actions individuelles reposant sur les mêmes fondements.

Le délai de prescription ne recommencerait à courir -pour une durée qui ne pourrait être inférieure à six mois- qu'à compter du moment où la décision prononçant la responsabilité du professionnel serait devenue irrévocable, ou, si une médiation a eu lieu, à compter de l'homologation de l'accord négocié au nom du groupe.

Cette disposition très dérogatoire au droit commun est censée préserver le droit des consommateurs victimes d'agir à titre individuel, en leur permettant d'attendre de connaître le sort réservé à l'action de groupe pour décider de s'y joindre, si elle prospère.

La prorogation d'au moins six mois de l'échéance de la prescription vise, elle, à rendre compte du temps nécessaire, une fois la décision du juge rendue, pour que les formalités de publicité soient mises en oeuvre et que les consommateurs puissent se joindre ou non à l'action.

L'article L. 423-13 précise que la décision prononçant la responsabilité du professionnel et celle homologuant l'accord négocié en médiation ont l'autorité de la chose jugée à l'égard des consommateurs dont le préjudice a été réparé au terme de la procédure.

Cette précision laisse entendre que ceux qui n'auront pas été indemnisés ne seront pas tenus par l'action de groupe, même s'ils s'y sont joints, ce qui les autoriseraient à conduire leur propre action individuelle, qui pourrait être fondée sur les mêmes faits reprochés au professionnel ou la réparation du même préjudice.

Rien n'est en revanche dit de l'autorité de chose jugée du jugement unique, prévu au deuxième alinéa de l'article L. 423-6, censé se prononcer sur toutes les demandes d'indemnisation auxquelles le professionnel n'a pas fait droit. Sans doute faut-il estimer que la même règle s'y appliquerait.

Les articles L. 423-14 et L. 423-15 reproduisent des dispositions identiques à celles adoptés par le Sénat en 2011, qui confirment, d'une part, que l'adhésion à l'action de groupe ne fait pas obstacle au droit d'agir selon les voies du droit commun pour obtenir la réparation des préjudices qui n'entraient pas dans son champ, et, d'autre part, qu'une nouvelle action de groupe ne peut être introduite si elle repose sur les mêmes faits et les mêmes manquements que ceux sur lequel une précédente action est intervenue.

Votre commission a adopté, sur ce dernier point, un amendement de son rapporteur, précisant que, pour être rejetée, l'action ne doit pas porter non plus sur la réparation des mêmes préjudices. En effet, il faut éviter qu'une action engagée trop précipitamment interdise à d'autres associations de poursuivre par cette voie la réparation d'un préjudice qui serait apparu plus tardivement et n'aurait pas fait l'objet, lors de la première action, d'une demande d'indemnisation.

L'article L. 423-16 prévoit une procédure originale de substitution d'une association à l'association requérante, en cas de défaillance de cette dernière. La première association en ferait la demande au juge, qui trancherait. Cette disposition permettra d'éviter qu'une action échoue du fait de la faiblesse de l'association qui la porte.

L'article L. 423-17 répute non écrite toute clause interdisant à un consommateur de participer à une action de groupe. L'article R. 132-2 du code de la consommation rattache une telle clause à la catégorie des clauses « grises », présumées abusives sauf preuve contraire apportée par le professionnel, par opposition aux clauses « noires » toujours considérée comme abusives. La précision apportée par la loi permettra d'écarter, en toute circonstance, l'application de telles clauses relatives à l'action de groupe.

Votre rapporteur s'est interrogé sur la présence éventuelle de telles clauses dans l'accord négocié et homologué par le juge au terme d'une médiation conduite par l'association requérante. Le but de la médiation est en effet d'éteindre l'action de groupe, en échange de l'assurance d'une juste réparation. Toutefois il semble que les règles selon lesquelles une seconde action de groupe ne peut être introduite sur les mêmes fondements suffiront à garantir au professionnel qu'une fois l'accord conclu, le litige sera clos, sans qu'une telle clause doive être inscrite dans le texte résultant de la médiation.

L'article L. 423-18 prévoit expressément l'application du nouveau chapitre créé dans les îles Wallis et Futuna. L'application des dispositions de droit civil dans ces territoires est en effet subordonnée à une mention expresse de la loi en vertu de l'article 4 de la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 conférant aux îles Wallis et Futuna le statut de territoire d'outre-mer.

Sous réserve de l'adoption de ses amendements , votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 1 er .

Article 2
(art. L. 211-15 et L. 532-2 du code de l'organisation judiciaire
et art. L. 462-7 du code de commerce)
Modalités d'application de la nouvelle procédure d'action de groupe

Cet article a deux objets principaux : attribuer le contentieux de l'action de groupe à des tribunaux spécialisés (paragraphes I. et II. ), et interdire d'engager une action du groupe sur des manquements aux règles de la concurrence passés (paragraphes III. à IV .).

À l'initiative de Mme Pascale Got, les députés ont par ailleurs prévu la remise par le Gouvernement d'un rapport au Parlement sur les conditions de mise en oeuvre de la procédure après quatre ans d'application et les adaptations jugées nécessaires.

L'attribution du contentieux de l'action de groupe à certains tribunaux de grande instance spécialisés constitue la reprise d'une des propositions du groupe de travail de nos collègues Laurent Béteille et Richard Yung.

Elle est doublement justifiée par la nature de l'action : touchant un nombre potentiellement important de consommateurs, elle est susceptible de s'étendre sur tout le territoire, ce qui impose de prévenir les conflits de compétence territoriale entre les juridictions. En outre, elle portera vraisemblablement sur un tel nombre de demandes individuelles, qu'il est préférable de retenir un tribunal suffisamment important pour être en mesure de les gérer.

Enfin, même si le contentieux de la consommation est traditionnellement dévolu aux juges d'instance, rien n'interdira au président du tribunal de grande instance de faire siéger les intéressés, qui appartiennent aussi par définition au TGI, au sein de la formation du tribunal spécialisé.

Votre commission est favorable à cette disposition, sous réserve d'un amendement corrigeant une erreur de référence pour l'application outre-mer.

L'article, non modifié sur ce point par les députés, prévoit par ailleurs d'interdire les actions de groupe fondées sur un manquement d'un professionnel aux règles de la concurrence, constaté par une décision des autorités compétentes devenue définitive, si cette décision est intervenue avant la date de publication de la loi.

Les consommateurs victimes de ces manquements seraient ainsi privés du droit d'en obtenir réparation sur le fondement de l'action de groupe, alors, pourtant, que la faute du professionnel aurait été définitivement établie .

Les représentants des entreprises entendus par votre rapporteur ont salué cette disposition, estimant que l'amende infligée par l'Autorité de la concurrence incluait, dans son calcul, le préjudice porté aux consommateurs, ce qui en expliquait le montant élevé.

Le président de l'Autorité de la concurrence, M. Bruno Lasserre, a toutefois démenti cette affirmation : les sanctions infligées ont seulement une vocation punitive et ne sont pas destinés à compenser une réparation impossible du préjudice.

Votre rapporteur s'est interrogé sur cette exclusion.

Elle observe que l'article L. 423-11 prohibe déjà qu'une action de groupe porte sur des faits trop anciens, puisqu'il interdit de l'engager plus de cinq après la décision devenue définitive. Les intérêts des entreprises sont ainsi déjà protégés.

En outre, elle estime que la question de la conformité de cette disposition à l'exigence constitutionnelle d'égalité se pose .

En effet, elle instaure une différence de traitement entre les professionnels condamnés de manière définitive avant la promulgation de la loi, qui ne pourront être poursuivis par la voie d'une action de groupe, et ceux dont la décision de condamnation n'est pas encore définitive. Cette première différence de traitement se double d'une seconde, entre les professionnels poursuivis dans le champ de la concurrence, par exemple pour une entente frauduleuse, qui pourront bénéficier de l'exemption de poursuites et ceux poursuivis dans le champ plus large des infractions au droit de la consommation.

Ces différences de traitement ne semblent pas être fondées sur une différence objective, en rapport avec l'objet de la loi.

La jurisprudence constitutionnelle permet toutefois au législateur d'établir de telles discriminations, si un intérêt général, en rapport avec l'objet de la loi, le justifie.

La séance publique devrait permettre au Gouvernement d'apporter des éclaircissements sur ce point .

À l'initiative du rapporteur de sa commission des lois, M. Sébastien Denaja, l'Assemblée nationale a adopté un amendement apportant un tempérament aux effets bloquant pour les justiciables des procédures engagées devant les autorités compétentes en matière de concurrence : la prescription des actions correspondantes serait interrompue par la seule saisine d'une autorité compétente sur tout le territoire de l'Union européenne.

Ce dispositif a été critiqué à plusieurs reprises au cours des auditions de votre rapporteur par les représentants des professionnels.

L'interruption paraît en effet excessive, puisqu'elle supprime la part du délai de prescription écoulé et fait partir un nouveau délai. La suspension serait préférable. Il s'agit d'ailleurs de la solution retenue à l'article L. 423-12.

En outre appuyer cette suspension du délai de prescription sur la seule saisine pose difficulté : ni le professionnel ni le consommateur n'en sont forcément informés, l'initiative pouvant parfois émaner de particuliers. Il serait préférable de viser l'ouverture d'une enquête ou d'une procédure, qui serait au moins signifiée au professionnel.

Votre commission a adopté un amendement modifiant en ce sens la rédaction proposée pour l'article L. 462-6 du code de commerce.

Sous réserve de l'adoption de ses amendements , votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 2.


* 7 Les class actions , rapport d'information n° 249 (2005-2006) de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois (www.senat.fr/notice-rapport/2005/r05-249-notice.html).

* 8 L'action de groupe à la française : parachever la protection des consommateurs , rapport d'information n° 499 (2009-2010) de MM. Laurent Béteille et Richard Yung, fait au nom de la commission des lois. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2009/r09-499-notice.html.

* 9 Propositions de loi tendant à renforcer la protection des consommateurs par la création d'une action de groupe fondée sur l'adhésion volontaire, n° 201 (2010-2011) de M. Laurent Béteille n° 202 (2010-2011), de M. Richard Yung (http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl10-201.html et

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl10-202.html).

* 10 Projet de loi n° 41 (2011-2012) renforçant les droits, la protection et l'information des consommateurs, modifié par le Sénat le 22 décembre 2011.

* 11 Avis n° 158 (2011-2012) de Mme Nicole Bonnefoy, fait au nom de la commission des lois, sur le projet de loi renforçant les droits, la protection et l'information des consommateurs, p. 117 (www.senat.fr/rap/a11-158/a11-15811.html#toc118).

* 12 Ibid .

* 13 Proposition de loi portant création d'une action de groupe en matière de consommation, de concurrence et de santé n° 484 (2012-2013) de M. Jean-Pierre Plancade et plusieurs de ses collègues, déposé au Sénat le 5 avril 2013 (www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl12-484.html).

* 14 Cf. l'audition du ministre par la commission des affaires économique, le mardi 9 juillet 2013 : « le champ de l'action de groupe, mesure phare, est limité ici au préjudice économique lié aux ententes anticoncurrentielles. Marisol Touraine proposera une action de groupe spécifique au domaine de la santé, qui nécessite une indemnisation individuelle des personnes affectées et fera l'objet d'un chantier législatif en 2014. Avant de quitter le gouvernement, Delphine Batho l'avait annoncé, et Philippe Martin a confirmé la volonté du gouvernement de légiférer dans le domaine de l'environnement, qui appelle d'autres innovations procédurales » (www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20130708/afeco.html).

* 15 Cette insertion maintient en vigueur la procédure d'action en représentation conjointe (chapitre II du même titre), succédanée ancien de l'action de groupe, mais qui n'a jamais prospéré, en raison des contraintes considérables qu'elle faisait peser sur les requérants, obligés d'obtenir un mandat de représentation pour chaque consommateur lésé.

* 16 Art. R.411- 1 du code de la consommation : « L'agrément des associations de consommateurs prévu au titre Ier du livre IV de la partie Législative du présent code peut être accordé à toute association :

1° Qui justifie à la date de la demande d'agrément d'une année d'existence à compter de sa déclaration ;

2° Qui, pendant cette année d'existence, justifie d'une activité effective et publique en vue de la défense des intérêts des consommateurs, appréciée notamment en fonction de la réalisation et de la diffusion de publications de la tenue de réunions d'information et de permanences ;

3° Qui réunit, à la date de la demande d'agrément, un nombre de membres cotisant individuellement :

a) Au moins égal à 10 000 pour les associations nationales, cette condition pouvant ne pas être exigée des associations se livrant à des activités de recherche et d'analyse de caractère scientifique ;

b) Suffisant, eu égard au cadre territorial de leur activité, pour les associations locales, départementales ou régionales.

Lorsque l'association a une structure fédérale ou confédérale, il est tenu compte du nombre total de cotisants des associations la constituant ».

* 17 Art. 367 du code de procédure civile : « le juge peut, à la demande des parties ou d'office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s'il existe entre les litiges un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble ».

* 18 Ces pratiques anticoncurrentielles sont définies au titre II du livre IV du code de commerce. Il s'agit de l'entente, de l'abus de position dominante, de l'abus de dépendance économique ou de l'éviction abusive d'un marché. Elles relèvent toutes de la compétence de l'Autorité de la concurrence. Le projet de loi vise aussi les pratiques anticoncurrentielles mentionnées aux articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui correspondent à l'entente et l'abus de position dominante.

* 19 Proposition pour un code de la consommation , rapport de la commission pour la codification du droit de la consommation au Premier ministre, présidée par M. Jean Calais-Auloy, La documentation française, 1990, p. 111.

* 20 Sur les modalités de cette évaluation, cf. infra .

* 21 Sur ce point , cf. infra .

* 22 Tout au plus peut-elle tenter de convaincre ceux qui n'appartiennent manifestement pas au groupe des victimes, du peu de pertinence de leur demande.

* 23 Laurent Béteille, Richard Yung, rapport précité n° 499 (2010-2011), p. 41.

* 24 Art. 36 du code de procédure civile : « Lorsque des prétentions sont émises, dans une même instance et en vertu d'un titre commun, par plusieurs demandeurs ou contre plusieurs défendeurs, la compétence et le taux du ressort sont déterminés pour l'ensemble des prétentions, par la plus élevée d'entre elles ». Le titre commun s'entend comme la cause ou le fondement des prétentions émises par le demandeur, peu important que ce fondement soit contractuel, délictuel ou quasi délictuel (CA Paris, 13 janvier 1988, D. 1988 IR 41).

* 25 Traditionnellement, les dépens et les frais exposés par les parties pour la conduite de l'action (art. 700 du code de procédure civile) ne sont pas pris en compte dans la détermination du taux du ressort.

* 26 CC, n° 89-257 DC du 25 juillet 1989, loi modifiant le code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion.

* 27 Rapport n° 1156 (Assemblée nationale - XIV e législature) de M. Razzy Hammadi et Mme Annick Le Loch, fait au nom de la commission des affaires économiques, p. 66.

* 28 Les députés ont par ailleurs précisé à l'initiative de leur commission des affaires économiques que cette adhésion ne valait ni n'impliquait adhésion à l'association.

* 29 Le seul renvoi aux règles générales applicables au mandat ne permet pas de trancher la question.

En principe, le mandat confié au mandataire ne saurait être impératif, et ménage toujours à l'intéressé une marge d'appréciation. Celle-ci, cependant, ne saurait aller jusqu'à la négation de l'objet du mandat.

Par ailleurs, le mandataire engage sa responsabilité vis-à-vis de son mandant pour les fautes qu'il aurait commises, mais il est peu probable que cette action prospère, puisque le préjudice ne sera pas supérieur à la réparation que le consommateur était en droit d'attendre. Or, s'il a choisi la voie de l'action de groupe, c'est que l'action individuelle lui a paru peu profitable : pourquoi poursuivrait-il, sur ce fondement, l'association alors qu'il s'est abstenu de poursuivre le professionnel lui-même ?

Enfin, pour que l'action contre le mandataire puisse prospérer, encore faut-il que le mandat ait été conclu. Or, si le contentieux porte sur le refus de valider l'adhésion au groupe, par définition, le mandat n'existe pas encore à ce stade, puisqu'il découle de cette adhésion.

* 30 Rapport pour avis n° 1123 (Assemblée nationale - XIV e législature) de M. Sébastien Denaja, fait au nom de la commission des lois, p. 43.

* 31 Le Conseil constitutionnel rattache ce principe à l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen (CC, n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, Rec. 50, cons. 24).

* 32 Art. 1405 et s. du code de procédure civile.

* 33 L'injonction de payer correspond à un ordre donné par le juge, à la demande du créancier, de s'acquitter d'une dette non contestable. Le débiteur est toutefois en droit, une fois que l'injonction lui a été notifiée, de s'opposer au paiement et de contester la créance devant le juge (art. 1405-1424 du code de procédure civile).

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