CHAPITRE II - AMÉLIORER L'INFORMATION ET RENFORCER LES DROITS CONTRACTUELS DES CONSOMMATEURS
Section 1 - Définition du consommateur et informations précontractuelles

Article 3 (art. préliminaire [nouveau] du code de la consommation) - Définition du consommateur

Le présent article vise à donner une définition juridique à la notion de consommateur, dans le code de la consommation, afin de transposer dans le droit français la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs, qui comporte une telle définition.

Contrairement au droit français, le droit communautaire procède très souvent à base de définition des termes qu'il emploie, afin de fixer clairement son champ d'application. En l'espèce, concernant le droit de la consommation, caractérisé par une forte emprise du droit communautaire, il peut paraître utile d'intégrer dans le code de la consommation une définition du consommateur, afin de clarifier le champ des personnes protégées par ce code, sous réserve de l'appréciation de la jurisprudence, étant entendu en outre que cette définition générale du consommateur ne s'appliquera pas à l'ensemble des dispositions du code, car certaines comportent une définition particulière, par exemple en matière de clauses abusives ou de crédit à la consommation 34 ( * ) .

Serait ainsi considérée comme un consommateur, au sens du code de la consommation, « toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ». Cette définition reprend littéralement celle qui figure à l'article 2 de la directive précitée.

Or, la méthode de l'énumération retenue par cette définition recèle des risques potentiels de raisonnement a contrario , par exemple pour l'activité agricole, comme cela a été évoqué à plusieurs reprises lors des auditions de votre rapporteur, en particulier par le professeur Jean Calais-Auloy, et peut laisser à la jurisprudence une marge importante d'interprétation.

Par ailleurs, la définition retenue soulève deux questions : d'une part, celle des professionnels personnes physiques, qui n'exercent pas leur activité sous forme de société et peuvent se trouver, à l'égard d'autres professionnels, de fait dans la même position de faiblesse qu'un consommateur - c'est le cas par exemple pour un artisan ou un exploitant agricole à l'égard d'un opérateur de téléphonie mobile -, et, d'autre part, celle des personnes morales qui n'ont pas d'activité commerciale, à l'instar de certaines associations ou syndicats de copropriétaires, qui peuvent également se trouver dans la même position qu'un consommateur personne physique à l'égard de professionnels.

La jurisprudence tant de la Cour de cassation que de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a déjà eu l'occasion de répondre à ces questions ces dernières années.

Ainsi, dans un arrêt Volksbank Romania du 12 juillet 2012 35 ( * ) , dans le cadre d'une question préjudicielle, alors qu'était posée la question du caractère approprié ou non de la transposition d'une directive d'harmonisation complète en matière de contrats de crédit aux consommateurs, la CJUE a considéré que les États membres pouvait « appliquer des dispositions de cette directive à des domaines qui ne relèvent pas de son champ d'application » 36 ( * ) . En d'autres termes, le législateur national pourrait donner un effet aux dispositions de transposition au-delà du seul champ de la directive. S'agissant des droits des consommateurs, il serait donc loisible au législateur d'étendre certaines dispositions à des personnes physiques agissant dans un cadre professionnel voire à des personnes morales. Il a semblé préférable à votre rapporteur, dans un souci de clarté, de laisser le soin au juge, s'il y a lieu, d'attribuer le bénéfice des droits des consommateurs dans certains cas particuliers à des professionnels personnes physiques.

A cet égard, la jurisprudence de la Cour de cassation retient depuis de nombreuses années une approche plutôt extensive de la notion de consommateur, en fonction des dispositions du code dont elle a à apprécier la portée.

Dès un arrêt du 24 janvier 1995 37 ( * ) , la Cour de cassation a admis qu'une société pouvait bénéficier des dispositions protectrices des consommateurs, dès lors qu'elle ne contractait pas sur une matière ressortissant de son activité. Par un arrêt du 22 mai 2002 38 ( * ) , à propos d'une affaire d'exécution d'un contrat de crédit, elle a jugé qu'il convenait d'apprécier la « destination contractuelle du crédit » pour savoir s'il relevait du champ d'activité du professionnel concerné ou non, de façon à savoir s'il était possible de lui appliquer la législation relative au crédit à la consommation. Par un arrêt comparable du 18 mars 2004 39 ( * ) , elle a clairement affirmé que les dispositions du code de la consommation relative aux clauses abusives 40 ( * ) « ne s'appliquent pas aux contrats de fournitures de biens ou de services qui ont un rapport direct avec l'activité professionnelle exercée par le cocontractant ». Ainsi, l'exclusion du bénéfice des dispositions protectrices du code de la consommation suppose, concernant des professionnels, que les contrats concernés aient un rapport direct avec l'activité professionnelle. Enfin, par un arrêt du 15 mars 2005 41 ( * ) , la Cour de cassation a précisé que, même si la CJUE considère que les contrats conclus avec des consommateurs au sens du droit communautaire ne visent que des contrats conclus avec des personnes physiques exclusivement, « la notion distincte de non-professionnel, utilisée par le législateur français, n'exclut pas les personnes morales », en particulier dans le domaine de la protection contre les clauses abusives. A contrario , cela signifie que la Cour de cassation reçoit bien la jurisprudence de la CJUE selon laquelle le consommateur est exclusivement une personne physique 42 ( * ) .

A l'inverse, dans d'autres cas, les dispositions protectrices du code de la consommation ne concernent que des personnes physiques. Dans ces conditions, la Cour de cassation en écarte l'application pour une personne morale. Ainsi, dans un arrêt du 2 avril 2009 43 ( * ) , elle a considéré qu'un comité d'entreprise ne pouvait bénéficier de l'article L. 136-1 du code 44 ( * ) , qui fixe les règles d'information des consommateurs en matière de résiliation des contrats à tacite reconduction : en effet, dès lors que cette disposition s'applique aux consommateurs, elle est de fait réservée aux seules personnes physiques. La Cour de cassation estime que la notion de consommateur ne vise que des personnes physiques.

En tout état de cause, au-delà de la définition retenue par la directive précitée du 25 octobre 2011 et transposée dans le code de la consommation par le présent projet de loi, il appartiendra au juge d'en apprécier l'application aux différents cas qui lui seront soumis, quitte à en donner une interprétation extensive, sans préjudice des cas dans lesquels le code de la consommation ajoute la notion de non-professionnel à celle de consommateur, permettant une approche bien plus extensive. Dans ces conditions, il convient de ne pas exagérer la portée comme les effets de la mention de cette définition du consommateur, personne physique, dans un article préliminaire du code de la consommation.

Toutefois, au regard des éléments de jurisprudence ainsi rappelés, il a semblé pertinent à votre commission d'adopter un amendement , à l'initiative de son rapporteur, afin de clarifier la définition du consommateur, en précisant qu'il s'agit d'une personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle, quelle qu'elle soit, afin de consolider clairement la jurisprudence de la Cour de cassation, qui exclut les contrats ayant un rapport direct avec l'activité professionnelle. Au surplus, dans le cadre de la transposition d'une directive, le législateur n'est pas lié par les termes exacts de la directive, mais par les objectifs qu'elle détermine. Votre commission a par ailleurs écarté l'idée d'étendre la notion de consommateur à des personnes morales sans but lucratif, la notion de non-professionnel permettant d'y pourvoir dans certains cas.

Votre rapporteur s'est, en outre, interrogé sur l'opportunité de fixer également dans le code de la consommation une définition de la notion de professionnel, mais il a considéré que cette notion était suffisamment claire pour ne pas exiger une définition, d'autant que la jurisprudence admet largement la notion de non-professionnel figurant dans le code.

Sous réserve de l'adoption de son amendement, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 3.


* 34 En matière de protection contre les clauses abusives, l'article L. 132-1 du code évoque les « contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs ». En matière de crédit à la consommation, l'article L. 311-1 du code définit la notion d'emprunteur ou de consommateur en matière de crédit à la consommation : « toute personne physique qui est en relation avec un prêteur, dans le cadre d'une opération de crédit réalisée ou envisagée dans un but étranger à son activité commerciale ou professionnelle ».

* 35 Affaire C-602/10.

* 36 Paragraphe 40.

* 37 N° 93-10514, 1 ère civile.

* 38 N° 99-19916, 1 ère civile.

* 39 N° 03-10327, 2 ème civile.

* 40 Le bénéfice de ces dispositions, selon l'article L. 132-1 du code, est offert aux consommateurs ainsi qu'aux non-professionnels. L'arrêt précise qu'un contrat d'assurance accessoire de prêts souscrits pour les besoins de l'exploitation professionnelle ne relevait pas de la législation sur les clauses abusives. Un professionnel est en effet supposé être avisé dans ses rapports avec d'autres professionnels, dans l'exercice de son activité.

* 41 N° 02-13285, 1 ère civile.

* 42 Arrêt du 22 novembre 2001.

* 43 N° 08-11231, 1 ère civile.

* 44 Dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, qui l'a étendu aux non-professionnels.

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