C. UN « MALUS » STIGMATISANT POUR RÉPONDRE À DES SITUATIONS PEU NOMBREUSES OPPORTUNÉMENT SUPPRIMÉ (ARTICLE 5)

1. La mise en place d'une sanction pour les EPCI qui refuseraient de s'engager dans la politique de la ville

À l'initiative de son rapporteur, François Pupponi, la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a complété l'article 5 par un V mettant en place un « malus », destiné à sanctionner les EPCI qui refuseraient de s'engager dans la politique de la ville.

Ce « malus » s'appliquerait à compter de 2016 aux EPCI comprenant sur leur territoire un ou plusieurs quartiers prioritaires de la politique de la ville et qui n'auraient pas signé de contrat de ville. Il prendrait la forme d'un prélèvement sur les douzièmes versés par l'État au titre des impositions locales. Son montant serait fixé à 5 euros par habitant de l'EPCI, mais serait plafonné à 1 % de ses dépenses réelles de fonctionnement.

Enfin, ce prélèvement viendrait abonder les crédits de l'ANRU.

2. Un « malus » qui apparaît comme stigmatisant, peu utile et fragile constitutionnellement

Votre rapporteur s'est interrogé sur les raisons de la mise en place de ce « malus ». En effet, la signature de contrats de ville ouvrira le bénéfice des crédits de la politique de la ville ; il semble donc assez peu probable qu'un EPCI souhaite se priver de ces financements.

D'après les informations qu'il a pu recueillir, ce dispositif permettrait de répondre à des situations particulières, dans lesquelles le contexte local a pu conduire des EPCI à ne pas souhaiter s'engager dans la politique de la ville.

Néanmoins, votre rapporteur considère qu'en souhaitant résoudre quelques situations spécifiques et isolées, ce dispositif jette une certaine suspicion - injustifiée - sur la volonté des intercommunalités de s'engager dans la politique de la ville .

De plus, il contredit la logique même de cette politique , qui est une politique contractuelle, basée sur la coopération entre des collectivités et structures diverses, qui poursuivent un même objectif et organisent ensemble leur action.

Votre rapporteur s'interroge également sur la conformité de ce dispositif au principe de liberté contractuelle. En effet, le Conseil constitutionnel reconnaît la valeur constitutionnelle de ce principe 48 ( * ) , y compris pour les conventions conclues par les collectivités territoriales 49 ( * ) .

En application de ce principe, le législateur ne peut apporter à la liberté contractuelle des limitations que si elles sont liées « à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi » 50 ( * ) . À cet égard, le caractère automatique du « malus » interroge particulièrement votre rapporteur.

Il rappelle également que le dispositif proposé se distingue fortement de celui mis en place par la loi dite SRU 51 ( * ) . En effet, l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation précise que lorsqu'une commune ne respecte pas ses engagements au titre de la loi SRU, « le préfet informe le maire de la commune concernée de son intention d'engager la procédure de constat de carence ». « Le maire est invité à présenter ses observations dans un délai de deux mois ». Il appartient ensuite au préfet, au vu de ces informations, et après avis motivé du comité régional de l'habitat, de prononcer la carence de la commune, « en tenant compte de l'importance de l'écart entre les objectifs et les réalisations constatées ».

Votre rapporteur souligne donc qu'il existe, dans ce cas, une procédure contradictoire avant d'aboutir à la sanction , et que son automaticité est atténuée par la possibilité de prendre en compte certains éléments.

Par conséquent, votre rapporteur se félicite que la commission des affaires économiques du Sénat ait adopté deux amendements identiques du groupe communiste, républicain et citoyen et de notre collègue Valérie Létard, supprimant cette disposition.


* 48 Décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000.

* 49 Décision n° 2006-543 DC du 30 novembre 2006.

* 50 Décision n° 2012-242 QPC du 14 mai 2012.

* 51 Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains.

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