EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

En décidant de saisir pour avis de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à reconquérir l'économie réelle, pour laquelle le Gouvernement a engagé la procédure accélérée, votre commission des lois s'est saisie d'un texte apparemment paradoxal. En effet, alors que le Gouvernement met en oeuvre le « choc de simplification » destiné à renforcer la compétitivité des entreprises et que le Président de la République vient d'annoncer un pacte de responsabilité avec les entreprises, cette proposition de loi tend à instituer de nouvelles obligations et de nouvelles règles pour les entreprises, qui seront sources de complexité, alors même que, selon votre rapporteur, leur effet sur l'économie réelle semble incertain. À cet égard, plusieurs personnes entendues par votre rapporteur ont déploré l'absence d'étude d'impact, laquelle n'est pas prévue dans le cas d'un texte d'initiative parlementaire.

Votre commission partage cependant les objectifs généraux affichés par la proposition de loi, c'est-à-dire la préservation sur le territoire national des activités industrielles et de l'emploi.

Cette proposition de loi a été déposée le 15 mai 2013 par nos collègues députés Bruno Le Roux, François Brottes et les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste. La procédure accélérée a été engagée le 30 août 2013 et la proposition de loi a été adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale le 1 er octobre 2013. Au Sénat, la proposition de loi a été envoyée au fond à la commission des affaires sociales 1 ( * ) , la commission des affaires économiques et la commission des finances s'étant également saisies pour avis, révélant le caractère composite de ce texte relativement bref, qui ne comporte à l'issue de son examen par l'Assemblée nationale que douze articles.

Ce texte se situe dans le prolongement de la proposition de loi tendant à garantir la poursuite de l'activité des établissements viables notamment lorsqu'ils sont laissés à l'abandon par leur exploitant, proposition de loi dite « Florange » 2 ( * ) , déposée en février 2012 par MM. François Hollande et Jean-Marc Ayrault, alors députés, parallèlement à la proposition de loi, soutenue par le Gouvernement de l'époque, relative aux mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, proposition de loi dite « Petroplus » 3 ( * ) , texte envoyé au fond à votre commission et dont notre collègue Jean-Pierre Sueur fut le rapporteur.

L'objectif économique et social de cette proposition de loi initiale était d'encadrer les conditions dans lesquelles une entreprise pouvait fermer un site lorsqu'elle ne connaissait pas de difficultés économiques. Elle ouvrait à cette fin une possibilité de « cession forcée » des sites industriels rentables que leurs exploitants envisagent de fermer, en créant une procédure spéciale devant le tribunal de commerce. Une telle possibilité soulevait des interrogations d'ordre constitutionnel au regard du droit de propriété et de la liberté d'entreprendre.

Cet objectif se retrouve à l'article 1 er de la présente proposition de loi, qui institue une obligation de recherche d'un repreneur en cas de projet de fermeture d'un établissement, sous le contrôle du tribunal de commerce. Une telle obligation figurait déjà, de façon moins coercitive, dans la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, dont notre collègue Gaëtan Gorce fut le rapporteur pour avis au nom de votre commission des lois.

S'ajoutent à l'obligation de recherche d'un repreneur des dispositions à caractère défensif en cas d'offre publique d'acquisition (OPA), dont le rapport avec l'objet premier du texte s'avère quelque peu ténu. Ces dispositions sont pour certaines d'entre elles l'objet de fortes critiques, la moindre n'étant pas celle de leur inefficacité. Elles ont été introduites dans cette proposition de loi du fait de l'abandon par le Gouvernement du projet de texte envisagé sur les rémunérations des dirigeants et le gouvernement des entreprises.

Ce caractère composite du texte s'est trouvé renforcé par l'adoption d'une disposition additionnelle à l'Assemblée nationale visant à maintenir la vocation des sites industriels actuels dans les documents d'urbanisme, quitte à les geler au détriment des projets locaux de reconversion et de développement.

De la sorte, le texte soumis au Sénat comporte en réalité trois parties distinctes, dont la cohésion est discutable.

Au terme de ses auditions, largement critiques non pas sur les objectifs affichés de la proposition de loi mais sur les moyens qu'elle emploie pour y parvenir comme sur leur efficacité pour « reconquérir l'économie réelle », votre rapporteur ne peut que rendre compte de son embarras à l'égard d'un tel texte.

Pour autant, considérant le travail réalisé par nos collègues députés et les enjeux économiques en cause, votre commission a souhaité, pour les articles relevant de sa compétence, chercher à améliorer autant que possible le texte.

I. LES DISPOSITIONS DE LA PROPOSITION DE LOI EXAMINÉES PAR VOTRE COMMISSION

Au titre de ses compétences en matière d'organisation juridictionnelle, de procédures collectives, de droit des sociétés et de droit de l'urbanisme, votre commission des lois a examiné pour avis les articles 1 er , 3, 5, 7, 8 et 9.

A. L'INTERVENTION DU TRIBUNAL DE COMMERCE POUR CONTRÔLER L'OBLIGATION DE RECHERCHE D'UN REPRENEUR EN CAS DE PROJET DE FERMETURE D'UN ÉTABLISSEMENT

L' article 1 er de la proposition de loi institue dans le code du travail une obligation de rechercher un repreneur lorsqu'une entreprise d'au moins mille salariés envisage la fermeture d'un établissement qui pourrait avoir pour conséquence un licenciement collectif, c'est-à-dire au moins deux licenciements. Il encadre de façon précise les délais et les modalités de cette obligation et de l'association du comité d'entreprise à la démarche de recherche.

Ce même article institue, au sein du livre VI du code de commerce relatif aux procédures collectives, une procédure de contrôle par le tribunal de commerce de l'obligation de rechercher un repreneur, qui a particulièrement retenu l'attention de votre commission. Cette procédure prévoit, en premier lieu, la vérification proprement dite du respect des obligations qui s'imposent à l'employeur et, en cas de manquement constaté par le tribunal, une sanction financière facultative. Cette sanction est double, sous forme, d'une part, d'une « pénalité », dans la limite de vingt fois la valeur mensuelle du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) et de 2 % du chiffre d'affaires annuel, affectée à la Banque publique d'investissement (BPI), et, d'autre part, d'une injonction de remboursement de tout ou partie des aides financières publiques perçues au titre de l'établissement dont la fermeture est envisagée.

En conséquence, l' article 1 er bis de la proposition de loi abroge le dispositif mis en place dans le code du travail il y a quelques mois seulement par la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi 4 ( * ) et prévoyant une obligation, sans mécanisme de sanction judiciaire, de rechercher un repreneur lorsqu'une entreprise envisage un projet de licenciement collectif ayant pour conséquence la fermeture d'un établissement. À cet égard, votre rapporteur relève l'inversion de logique opérée par la présente proposition de loi : alors que le droit actuel issu de la loi du 14 juin 2013 évoque un projet de licenciement collectif ayant pour conséquence la fermeture d'un établissement, sous l'angle premier des emplois supprimés, elle se fonde sur un projet de fermeture de l'établissement dont la conséquence, éventuelle mais non certaine, serait un projet de licenciement collectif.

L' article 2 de la proposition de loi prévoit la remise d'un rapport au Parlement sur la mise en oeuvre de l'obligation de rechercher un repreneur, dans le délai d'un an suivant la promulgation de la loi.

Par ailleurs, sur un sujet connexe, l' article 3 de la proposition de loi prévoit, quant à lui, dans le cadre d'une procédure de redressement judiciaire, l'obligation pour l'administrateur judiciaire d'informer les représentants des salariés de la possibilité qu'ont les salariés de présenter des offres tendant au maintien de l'activité de l'entreprise, par une cession totale ou partielle de celle-ci. En l'état du droit, cette possibilité est déjà ouverte à tous les tiers, dès l'ouverture de la procédure.


* 1 À l'Assemblée nationale, le texte a été envoyé au fond à la commission des affaires économiques.

* 2 Caduque en raison de la fin de la précédente législature, cette proposition de loi faisait référence à la fermeture de l'usine ArcelorMittal de Florange. Elle est consultable à l'adresse suivante :

http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion4412.asp .

* 3 Loi n° 2012-346 du 12 mars 2012 relative aux mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et aux biens qui en font l'objet. Cette proposition de loi visait à traiter la situation de la société de raffinerie Petroplus de Petit-Couronne.

* 4 L'adoption de cette loi faisait suite à l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l'emploi et des parcours professionnels des salaries. Ce texte a fait l'objet d'un rapport pour avis de la commission des lois, consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/a12-494/a12-494.html .

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