II. LE RESSERREMENT DES COOPÉRATIONS INSTITUTIONNELLES DANS L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR AGRICOLE

A. LE PARI RISQUÉ ET INCERTAIN DE LA CRÉATION DE L'INSTITUT AGRONOMIQUE, VÉTÉRINAIRE ET FORESTIER DE FRANCE

La création de l'Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France (IAVF) constitue l'innovation essentielle du titre IV du projet de loi consacré à l'enseignement agricole. Cette structure nouvelle rassemble l'ensemble des écoles de l'enseignement supérieur agricole, qui ne perdent pas pour autant leur personnalité juridique ni leur autonomie financière. L'article 27 du projet de loi ouvre l'adhésion à l'institut à d'autres établissements d'enseignement et de recherche à raison de leur champ d'activités.

Ce n'est pas la première tentative de renforcement des coopérations dans le domaine de l'enseignement et de la recherche agronomique te vétérinaire. En l'espace d'une décennie, le nombre d'établissements a été divisé par trois grâce à des fusions. Sont apparues également des écoles mixtes couvrant les deux champs comme ONIRIS et VetagroSup.

Le décret n° 2009-522 du 7 mai 2009 a ensuite créé le Consortium national pour l'agriculture, l'alimentation, la santé animale et l'environnement, mieux connu sous le nom d'Agreenium. Constitué sous forme d'un établissement public de coopération scientifique (EPCS), Agreenium regroupe sur la base du volontariat des organismes comme le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), l'école nationale vétérinaire de Toulouse, historiquement très liée à l'INRA, et des écoles agronomiques comme MontpellierSupAgro, AgroCampusOuest, AgroParistech, rejoints en juin 2012 par AgroSupDijon et Bordeaux SciencesAgro.

Dans un souci de rationalisation, la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche a supprimé le statut d'EPCS au moment où sont créées les communautés d'universités et d'établissements. Un délai de cinq ans est laissé à Agreenium par la loi pour changer de statut. Plutôt que de procéder à sa transformation, par exemple en établissement public administratif (EPA), le Gouvernement a choisi de constituer une nouvelle structure, l'IAVF, auquel seront transférés dès sa création les droits, les biens et les titres d'Agreenium.

Votre rapporteure pour avis s'interroge sur ce choix alors qu'aucune évaluation indépendante rigoureuse d'Agreenium n'existe. Le délai de cinq ans aurait pu être mis à profit pour la réaliser et réfléchir à la transformation d'Agreenium sur une base solide et partagée.

Nous sommes confrontés à un dilemme. Soit Agreenium est un échec, et dans ce cas il faut rompre avec ce modèle. Soit Agreenium a apporté par une méthode de concertation non contraignante des bénéfices suffisants comme une visibilité supplémentaire à l'international et un rapprochement entre les écoles agronomiques et la recherche. Dans ce cas, pourquoi ne pas continuer sur ce modèle et convaincre progressivement, sur la base de résultats concrets, les organismes réticents comme les écoles vétérinaires (Alfort, Lyon et Nantes) ou l'Institut de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA) ?

La vraie rupture de l'IAVFF avec Agreenium est de rejeter le principe d'intégration volontaire des écoles agronomiques et vétérinaires au profit d'un rassemblement obligatoire de tout l'enseignement supérieur agricole. Cette contrainte nouvelle risque de se traduire concrètement par une crispation des acteurs et un blocage de la coopération espérée, d'autant que l'IAVFF n'assurera pas de tutelle sur les écoles et les organismes de recherche et ne disposera pas des moyens juridiques de leur imposer ses décisions. Le risque que porte en lui l'IAVFF est celui de la paralysie et de l'enlisement.

En tout état de cause, tel que l'IAVFF est décrit dans l'article 27 du projet de loi, il est difficile d'estimer le surcroît d'efficacité que l'on peut espérer de sa constitution par rapport au bilan d'Agreenium. Autrement dit les bénéfices de la création de l'IAVFF sont incertains, tandis que les risques et les coûts de sa création sont réels.

Les bénéfices sont d'autant plus incertains que le plus grand flou règne sur la définition du statut de l'IAVFF, sur la délimitation de son périmètre et sur son mode de gouvernance. Le projet de loi ne mentionne même pas qu'il s'agit d'un établissement public. Il maintient sans raison une distinction entre les écoles agronomiques et vétérinaires incorporées sans délai et sans liberté de choix, d'une part, et les organismes de recherche qui pourront adhérer ultérieurement et de leur propre chef, d'autre part. Il demeure peu précis sur la structuration interne de l'institut et sur les équilibres à respecter dans la composition du conseil d'administration.

Au fond, qu'est-ce que l'IAVFF ? Les réponses de la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) et des actuels responsables d'Agreenium, qui y voient leur action seulement perpétuée sur un autre mode, n'ont pas convaincu votre rapporteure pour avis. Au cours des auditions qu'elle a menées, elle a pu entendre des interprétations divergentes : l'IAVFF serait à la fois un Parlement de l'enseignement supérieur agricole, un canal de transmission de la politique ministérielle, une agence de projets -soit comme maître d'ouvrage soit comme financeur- un opérateur de formation, une marque internationale...

La profusion des exégèses de l'article 27 du projet de loi ne serait-elle pas l'indice même que la forme, la place, le rôle et le fonctionnement de l'IAVFF ne sont pas encore arrêtés ? Il est particulièrement difficile au législateur de se prononcer sur la création d'un objet aux contours aussi indéfinis.

Il est tout à fait intéressant de se rapporter aux versions antérieures du projet de loi, particulièrement à celle présentée pour avis au Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche agronomique, agro-alimentaire et vétérinaire (CNESERAAV). La rédaction de l'article 27 était extrêmement différente et reprenait plus étroitement les rapports rendus en 2013 par Bernard Chevassus-au-Louis et par Stéphane Martinot sur la coopération en matière agronomique et vétérinaire respectivement. La version actuelle de l'article 27 est manifestement le résultat du collage de fragments de la version initiale dans laquelle coexistaient et étaient très précisément décrits :

- un établissement public de coopération agricole pour le domaine agronomique inspiré du premier rapport ;

- un établissement public administratif regroupant les écoles vétérinaires inspiré du second rapport ;

- un grand établissement de formation des enseignants en lien avec les ESPE, inspiré des conclusions de la concertation sur l'enseignement agricole.

Alors que l'on aurait pu penser que la démarche de construction du projet de loi irait dans le sens d'une clarification, au contraire tous les éléments précis et tous les contours ont été gommés.

Il manque également une vision claire de l'articulation avec la nouvelle structuration du paysage universitaire issue à la loi du 22 juillet 2013 précitée. Quelle sera l'articulation de la politique de l'IAVFF avec les politiques de site menées dans les communautés d'universités et d'établissements auxquelles appartiennent les écoles agronomiques et vétérinaires ? Il ne suffit pas de constater que, d'un point de vue logique et strictement juridique, il n'existe pas de contradiction entre les textes de loi. Il faut s'assurer de la cohérence de leurs orientations et des effets de leur application concrète. Le poids des politiques de sites contraindra nécessairement l'action de l'IAVFF et doit donc être anticipé.

Le projet Saclay ne déterminera-t-il pas les conditions de participation d'AgroParisTech à l'IAVFF ? Comment l'IAVFF prendra-t-il en compte l'inscription de l'école nationale vétérinaire d'Alfort (ENVA) dans une communauté d'universités avec l'Université Paris-Est Créteil, l'Université Paris Est Marne La Vallée, l'école des Ponts et d'autres écoles d'ingénieurs et d'architectes, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), l'établissement français du sang, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) entre autres ? Ces questions se poseront pour tous les membres de l'IAVFF.

Il existe bel et bien un risque d'orthogonalité avec la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, un risque d'enfermement ou de repli sur le champ agricole. Ce serait dommageable pour tous les acteurs mais en particulier pour les écoles vétérinaires qui ont vocation à tisser des partenariats avec les facultés de médecine et des organismes de recherche extérieurs au ministère de l'agriculture comme l'Inserm et l'Institut Pasteur.

Votre rapporteure pour avis ne peut également manquer de pointer la question du financement de l'IAVFF. Ces inquiétudes portent sur deux points :

- le recours possible à des fonds privés dans des domaines sensibles qui touchent à l'alimentation et à la santé publique ;

- la fragilisation de la situation financière des écoles par ponction de leurs ressources. Ce second point suscite beaucoup de craintes dans les établissements concernés dont la situation budgétaire est parfois extrêmement difficile.

La création de l'IAVFF permettra certainement de constituer une marque visible pour tenir notre rang dans la compétition internationale. C'est très loin d'être un avantage négligeable. Mais ce résultat pourrait être obtenu par d'autres biais. Cela ne nécessiterait en réalité qu'une convention entre les établissements pour désigner un chef de file ou une structure extrêmement légère de type conférence soutenue efficacement par la tutelle. Malgré la création de l'IAVFF, même en matière d'action internationale, on renverra pour la partie opérationnelle vers les établissements et les instituts de recherche qui gardent leur politique et leur personnalité juridique.

Il ne semble pas que, sans un projet clair et dans un contexte financier tendu, il existe une solution intermédiaire possible entre un institut intégré absorbant tous les établissements, solution que personne n'envisage pour l'instant, et une formule de concertation volontaire et de rapprochement graduel.

Votre rapporteure pour avis considère qu'il est paradoxal de confier un rôle de conseil et d'orientation stratégique pour la définition des politiques nationales d'enseignement et de recherche agricoles à un établissement comme l'IAVFF alors que ces missions devraient être assumées en propre par la tutelle, c'est-à-dire par le ministère de l'agriculture lui-même. Si la situation n'est pas aujourd'hui satisfaisante, c'est bien parce que le ministère n'assume pas correctement sa tutelle et ses prérogatives sur les écoles et les instituts de recherche. La volonté de créer l'IAVFF pour lui déléguer une des missions fondamentales de la tutelle révèle en filigrane la faiblesse de la DGER.

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