C. DES EFFORTS PLUS IMPORTANTS DEVRONT ÊTRE CONSENTIS POUR RÉDUIRE LA DETTE FERROVIAIRE

1. La reprise de dette par l'État : une question légitime

À l'occasion de l'examen du présent projet de loi, la question de la reprise d'une partie, si ce n'est de l'intégralité, de la dette de RFF par l'État a été posée. Il est vrai que plusieurs arguments plaident en faveur de cette solution.

Tout d'abord, l'Allemagne a procédé à une reprise de dette de l'opérateur Deutsche Bahn (DB) , principal concurrent de la SNCF en Europe et à l'international. La reprise de dette permettrait ainsi de créer une égalité de concurrence.

Ensuite, comme l'indique RFF, « depuis sa création en 1997, RFF gère et porte dans ses comptes une dette dont une partie ne pourra sans doute jamais être amortie par le système ferroviaire . De ce fait, la performance du gestionnaire d'infrastructure est davantage révélée par sa marge opérationnelle que par son résultat net ou l'évolution de sa dette. Le cantonnement d'une partie de la dette actuellement supportée par RFF affinerait l'interprétation de la structure bilantielle de SNCF Réseau et favoriserait la comparaison avec celle des autres opérateurs industriels et gestionnaires d'infrastructure » 38 ( * ) .

Enfin, environ un tiers de la dette de RFF est désormais considéré comme de la dette publique . En effet, avec l'entrée en vigueur du nouveau plan comptable européen 39 ( * ) , l'INSEE a constaté que « RFF ne dégage pas un résultat d'exploitation suffisant pour faire face à ses obligations sans l'appui permanent de l'État . Depuis sa création, l'équilibre financier de RFF repose donc sur des contributions publiques qui représentent une part importante, quoique minoritaire, de ses recettes. En base 2010, la dette de l'État est relevée d'un montant égal à une fraction de la dette de RFF. [...] Le surcroît de dette ainsi imputé à l'État, classé dans la catégorie des emprunts à long terme, s'élève à 10,8 milliards d'euros en 2010, 10,7 milliards d'euros en 2011 et 10,4 milliards d'euros en 2012 » 40 ( * ) .

Votre rapporteur estime cependant que la reprise de dette par l'État, si elle peut être envisagée à moyen terme, ne présente pas un caractère urgent .

Tout d'abord, RFF puis SNCF Réseau conserve un statut d'émetteur crédible. Le montant de la dette et les perspectives de son accroissement n'ont pas conduit les investisseurs à modifier leur opinion favorable à l'égard de l'établissement. En novembre 2013, l'agence de notation Standard & Poor's notait ainsi qu'il « est à peu près certain que RFF recevrait un soutien exceptionnel suffisant de la part de l'État français en cas de difficultés financières. [...]

« Nous considérons que la réforme ferroviaire en cours n'est pas de nature à remettre en cause cette évaluation. [...] De notre point de vue, le projet de loi confirme le rôle crucial de RFF pour l'État. [...] RFF va conserver son statut légal d'établissement public industriel et commercial [...] et rester intégralement contrôlé par l'État. Nous comprenons également que si un soutien financier exceptionnel est nécessaire, il sera plus que probablement assuré en direction » 41 ( * ) de SNCF Réseau et non de l'EPIC de tête.

RFF a confirmé à votre rapporteur qu'à partir du moment où le projet dispose que « SNCF réseau serait un EPIC dans un secteur monopolistique, qu'il garderait avec l'État des liens directs forts (de type contrat de performance en plus du statut) et qu'il reprendrait les actifs/passifs de RFF, la capacité de financement de RFF (et donc celle de SNCF Réseau) n'a pas été remise en cause par la communauté financière ».

Le graphique ci-dessous indique que l'écart de taux entre RFF et l'État - pour des maturités similaires - reste minime, ce qui confirme que les investisseurs considèrent RFF comme un émetteur fiable. Il montre aussi que, du point de vue des administrations publiques dans leur ensemble, la reprise de la dette de RFF par l'État ne permettrait pas de réaliser d'importantes économies en termes de charges financières.

Écart de taux entre RFF et l'État

Source : RFF

Devant la commission du développement durable, Jacques Rapoport, président de RFF, a confirmé « l'appétit » des investisseurs pour la dette de l'établissement : « nous empruntons aujourd'hui dans d'excellentes conditions, y compris pour refinancer la dette ancienne, surtout grâce au fait que nous sommes adossés à l'État. Le marché apprécie la dette d'infrastructures, les dettes d'État étant par trop gigantesques . En réalité, nous empruntons 5 milliards d'euros, 3 milliards d'euros de dette nouvelle et 2 milliards d'euros de refinancement, soit un million par heure ».

Il faut ensuite souligner que le reclassement en dette publique d'un tiers environ de la dette de RFF n'emporte pas de conséquence sur les ratios « maastrichiens » que la France doit respecter. En effet, l'INSEE considère que « l'État voit sa dette brute augmenter mais pas sa dette nette . Il est en effet considéré que l'État s'endette pour prêter à RFF les fonds nécessaires à ses investissements. Cette créance, équivalent à l'endettement supplémentaire, est enregistrée à l'actif de l'État. Le nouveau traitement de RFF ne modifie pas non plus le déficit public , le surcroît d'actifs équilibrant le surcroît d'endettement ».

En revanche, si l'État venait à reprendre une partie de la dette, aucun actif ne serait plus inscrit en face de ce passif, puisque le réseau - générateur de recettes commerciales - resterait la propriété de SNCF Réseau. Dès lors, l'endettement net de l'État augmenterait et viendrait peser sur ses choix budgétaires. Au regard de la trajectoire de redressement des comptes publics inscrite dans le programme de stabilité 2014-2017, une telle solution n'est pas envisageable.

Enfin, comme le soulignait Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État chargé des transports, devant la commission du développement durable, « certains veulent que l'État prenne la dette à son compte. Outre que l'effacer du tableau d'un coup d'éponge magique ne serait guère vertueux , le ministère des transports n'est pas de ceux qui sont assez près de la Seine pour y puiser...

« Sans réforme de structure, nous ne stabiliserons pas la dette et c'est alors que l'État devra intervenir. Faisons plutôt la démonstration de l'efficacité du système ferroviaire en recherchant productivité et compétitivité - deux termes qui ne sont pas pour moi des gros mots » 42 ( * ) .

De fait, le montant de la dette constitue désormais un aiguillon pour la modernisation et la transformation de SNCF Réseau. Il met le système « sous tension », y compris en poussant les pouvoirs publics et l'établissement à s'engager avec parcimonie dans de coûteux projets de développement.

L'Assemblée nationale a adopté un article 2 ter qui demande au Gouvernement un rapport sur les « solutions qui pourraient être mises en oeuvre afin de traiter l'évolution de la dette historique du système ferroviaire ». Si la trajectoire financière de SNCF Réseau se révèle intenable, l'État devra en effet envisager de contribuer plus largement au redressement du système ferroviaire, que ce soit par une augmentation de ses concours financiers ou bien par une reprise de dette.

2. Un réseau plus petit mais plus performant

En septembre 2012, devant la commission des finances, Alain Quinet, directeur général délégué de RFF, avait estimé que l'on « a besoin d'une tutelle forte et d'une participation des régions pour clarifier la consistance du réseau et les trafics que l'on souhaite y voir circuler » 43 ( * ) .

En l'état actuel, la réforme est construite autour du principe que la trajectoire financière de SNCF Réseau sera établie « à réseau constant ». Comme le soulignait Jacques Rapoport, lors de son audition par la commission du développement durable, « pour ce qui est du fait qu'on ne nous sollicitera plus pour financer les LGV, c'est pour moi une ardente obligation ! ». C'est l'objet de la règle prudentielle évoquée plus haut.

Néanmoins, sous cette hypothèse, la dette pourrait être stabilisée mais pas réduite .

Votre rapporteur s'est donc interrogé sur les moyens de faire diminuer, à terme, la dette du système ferroviaire. Le ministère des finances et des comptes publics souligne que « la rationalisation du périmètre du réseau fait partie des recommandations de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) qui a réalisé deux audits sur l'état du réseau et qui indiquait en conclusion de son dernier rapport sur le sujet qu'il ? est [...] probable qu'il va falloir opérer certains choix stratégiques qui avaient été repoussés jusqu'ici, notamment concernant le périmètre du réseau ? ».

De fait, d'après le document de présentation du Grand plan de modernisation du réseau, « 30 % du linéaire de lignes supporte près de 80 % des tonnages, tandis que la moitié du réseau ne transporte que 6 % des trafics ».

La Cour des comptes, s'appuyant sur le rapport d'audit de l'EPFL, estime que « la compression des coûts annuels d'entretien, grâce à une réduction du périmètre du réseau, pourrait être de l'ordre de 5 % à 10 % si l'on se fonde sur l'expérience des chemins de fer fédéraux suisses » 44 ( * ) .

Dans ce contexte, votre rapporteur considère que la question de la fermeture de lignes ne doit pas être taboue dès lors qu'elle permettrait à SNCF Réseau de dégager des marges de manoeuvre pour améliorer le fonctionnement du réseau structurant . Une telle réflexion s'inscrirait dans la droite ligne des travaux conduits par la commission Mobilité 21 sur les projets d'infrastructure.


* 38 Réponse au questionnaire du rapporteur.

* 39 Règlement (UE) n° 549/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 relatif au système européen des comptes nationaux et régionaux dans l'Union européenne.

* 40 INSEE, Révision de la dette des administrations publiques au sens de Maastricht, de la dette nette, des actions cotées et titres de participation entre les publications de mai 2013 et mai 2014 , mai 2014.

* 41 Standard & Poor's, Rail network Réseau ferré de France downgraded to AA after similar action on France ; outlook now stable , 12 novembre 2013. Traduction de la commission des finances.

* 42 Audition du 11 juin 2014.

* 43 Audition du 26 septembre 2012.

* 44 Cour des comptes, Réseau ferré de France, exercices 2008-2012 , rapport particulier, octobre 2013.

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