D. LA REVENTE DES BPC À L'ÉGYPTE : L'ILLUSION D'UNE « OPÉRATION BLANCHE »

Le 23 septembre dernier, le Président de la République a annoncé s'être entretenu avec le chef de l'État égyptien et s'être accordé avec lui sur « le principe et les modalités de l'acquisition par l'Égypte des deux bâtiments de projection et de commandement de classe Mistral ».

Au moment où votre rapporteur pour avis conclu ses travaux, le contrat de vente des BPC n'a pas encore été signé, les matériels russes devant encore être restitués.

Toutefois, selon les informations recueillies par votre rapporteur pour avis, le prix devrait se situer entre 950 millions d'euros et 960 millions d'euros.

La livraison du premier BPC devrait intervenir cinq mois après la date d'entrée en vigueur du contrat et serait suivie de la livraison du second BPC trois mois plus tard, soit, selon des estimations raisonnables, respectivement fin mars et fin juin 2016.

L'essentiel du prix serait payé par moitié à ces deux échéances, une avance devant être versée à DCNS pour les dépenses que l'industriel doit engager, notamment les coûts d'adaptation. Selon les informations transmises à votre rapporteur pour avis, l'Égypte n'aurait pas fait appel à un financement français pour cette opération. Il convient de rappeler que l'acquisition par l'Égypte, décidée en février 2015, de 24 Rafales, d'une frégate multi-missions FREMM et de divers autres armements a, pour une large part, été financée par un emprunt contracté auprès d'un pool de banques françaises et assuré auprès de Coface, avec la garantie de l'État.

La part du prix correspondant strictement à la vente des BPC et à celle de leur batellerie serait perçue par Coface, en compensation des indemnités versées aux industriels français. Cette somme, de l'ordre de 850 millions d'euros, viendrait abonder le compte Coface de l'État, qui devrait, selon les prévisions, dégager un assez large excédent, donnant lieu à un reversement au budget général au titre de l'exercice 2016.

DCNS percevrait le prix correspondant aux prestations complémentaires prévues au contrat, notamment la formation des équipages égyptiens ainsi que l'adaptation et le soutien des bateaux.

En revanche, il serait pour l'instant exclu de reconstituer, grâce à ce nouveau contrat, la marge perdue par DCNS du fait de la rupture du contrat conclu avec la Russie, contrairement à ce qu'espérait l'industriel.

Votre rapporteur pour avis ne peut que se réjouir de cette vente rapide, qui s'effectue à un prix raisonnable. Il y aurait eu de grands inconvénients à conserver durablement ces bateaux à quai, en raison de frais d'entretien estimé à deux millions d'euros par mois et de la perte de valeur marchande liée à l'obsolescence progressive des matériels.

En revanche, il ne peut souscrire à l'idée que cette revente permettrait de réaliser une « opération blanche », contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement.

En effet, à l'issue du conseil des ministres du 23 septembre dernier, Stéphane Le Foll, porte-parole du Gouvernement a indiqué : « je vais réfuter totalement ce qui a été annoncé par certains, qui consisterait à dire qu'il y aurait là une perte qui serait liée à cet accord ».

Le Président de la République a ensuite lui-même déclaré que la revente des deux BPC n'entraînerait « aucune perte financière ».

Le rapprochement entre les 949,7 millions d'euros réglés à la Russie à titre de dédommagement et le montant quasi-identique de la revente des BPC à l'Égypte, pour être frappant, n'en est pas moins trompeur.

L'État a certes versé 949,7 millions d'euros à la Russie, mais a reçu 893 millions d'euros de DCNS et supportera sur son patrimoine propre une perte d'un peu plus d'un milliard d'euros au titre de l'indemnisation des industriels français, soit un coût total provisoirement estimé à 1,1 milliard d'euros. Or, si l'accord avec l'Égypte se concrétise, l'État récupérera via Coface une fraction du produit de la vente des BPC dont on peut provisoirement estimer qu'elle se situera entre 850 millions d'euro et 900 millions d'euros, le prix de la formation des marins et des quatre années de soutien prévues au contrat revenant à DCNS. La perte totale pour l'État pourrait donc être comprise entre 200 millions d'euros et 250 millions d'euros.

Bilan financier et budgétaire pour l'État (provisoire)

(en millions d'euros)

* Indemnisation des industriels français

** Part de la Coface dans la vente des BPC à l'Égypte après déduction des indemnités restant à verser

Source : commission des finances du Sénat

S'agissant des industriels, demeure la perte de la marge sur le contrat avec la Russie, soit, selon les modalités d'indemnisation pour l'instant défendues par Coface, environ 150 millions d'euros.

*

Votre commission des finances estime que si la décision du Gouvernement sera moins préjudiciable aux finances publiques que ce que l'on aurait pu craindre lors du dépôt du projet de loi en raison de l'accord qui se profile avec l'Égypte, il n'y a pas lieu d'occulter la réalité des conséquences financières pour l'État et les industriels.

Le Sénat étant conduit à se prononcer sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord conclu avec la Russie en vue de l'indemnisation de cette dernière, la commission des finances ne peut que déplorer la procédure retenue au regard des droits du parlement et des règles comptables et émettre les plus grandes réserves sur le bilan financier final de l'opération.

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