Avis n° 165 (2015-2016) de M. Alain CHATILLON , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 19 novembre 2015

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N° 165

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2015

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi de finances pour 2016 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME IX

PARTICIPATIONS FINANCIÈRES DE L'ÉTAT

Par M. Alain CHATILLON,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Claude Lenoir , président ; Mmes Delphine Bataille, MM. Alain Bertrand, Martial Bourquin, Gérard César, Alain Chatillon, Daniel Dubois, Joël Labbé, Mme Élisabeth Lamure, MM. Michel Le Scouarnec, Yannick Vaugrenard , vice-présidents ; M. Marc Daunis, Mme Valérie Létard, M. Bruno Sido , secrétaires ; MM. Gérard Bailly, Jean-Pierre Bosino, Henri Cabanel, François Calvet, Roland Courteau, Alain Duran, Mmes Frédérique Espagnac, Dominique Estrosi Sassone, M. Daniel Gremillet, Mme Annie Guillemot, MM. Michel Houel, Serge Larcher, Jean-Jacques Lasserre, Daniel Laurent, Philippe Leroy, Mmes Marie-Noëlle Lienemann, Anne-Catherine Loisier, MM. Michel Magras, Franck Montaugé, Robert Navarro, Jackie Pierre, Ladislas Poniatowski, Mme Sophie Primas, MM. Yves Rome, Henri Tandonnet .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 3096, 3110 à 3117 et T.A. 602

Sénat : 163 et 164 à 170 (2015-2016)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

L'article 21 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1 er août 2001 prévoit un compte d'affectation spéciale (CAS) intitulé « Participations financières de l'État ».

Ce compte a pour but de retracer :

- en recettes, les produits de cessions de titres, parts ou droits détenus directement ou indirectement par l'État ;

- en dépenses, les augmentations de capital, les achats de titres, parts ou droits de sociétés, ainsi que les dotations à la Caisse de la dette publique, au Fonds de réserve des retraites et celles contribuant au désendettement d'établissements publics de l'État.

Votre rapporteur rappelle que, dans son précédent rapport budgétaire pour avis sur le CAS « Participations financières de l'État », il avait formulé plusieurs recommandations visant à améliorer la gestion du patrimoine financier de l'État, à savoir :

- dynamiser la gestion du portefeuille financier de l'État en ouvrant plus largement la fonction d'administrateur à des personnalités issues du monde de l'entreprise ;

- financer le désendettement de l'État par les dividendes plutôt que par la cession des participations détenues par l'État ;

- privilégier les prises de participations susceptibles d'exercer un fort impact sur la croissance économique et l'emploi en France, notamment en investissant davantage dans les entreprises de taille intermédiaire ;

- mieux prendre en compte les enjeux économiques territoriaux dans les décisions d'investissement ou de cessions d'actifs.

Si, sur ce dernier point, votre rapporteur pour avis peut se féliciter d'avoir été partiellement entendu, force est de constater, que ses autres recommandations n'ont été suivies d'effet ni dans le contenu du CAS « Participations financières de l'État », ni dans les pratiques de gestion patrimoniale de l'État. Votre rapporteur les réitère donc cette année encore en espérant qu'elles seront mieux entendues.

Lors d'une réunion tenue le 18 novembre 2015, la commission des Affaires économiques, sur la proposition de son rapporteur pour avis, s'en est remise à la sagesse du Sénat pour l'adoption des crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » dans le projet de loi de finances pour 2016.

I. UN « BLEU » BUDGÉTAIRE QUI EST UNE SIMPLE BOÎTE NOIRE

Tant du côté des dépenses que des recettes, les sommes inscrites par le projet de loi de finances initiale, en ce qui concerne le CAS « Participations financières de l'État », revêtent un caractère conventionnel et n'apportent donc aucune information véritable sur le volume et la nature des titres que l'État pourrait acquérir ou céder au cours de l'année à venir, ni sur l'utilisation qu'il envisage de faire du produit des cessions.

Cette confidentialité est évidemment nécessaire pour réaliser les opérations de vente ou d'achat dans les meilleures conditions.

À la fin de l'année N, dans la loi de finances initiale, les recettes tirées de la cession des titres sont ainsi fixées à 5 milliards d'euros pour l'année N+1, sans que cela ne présage en rien des recettes de cession qui seront effectivement réalisées, ce que montre bien l'examen du budget exécuté.

Recettes du CAS 1 ( * ) (en milliards d'euros)

2010

2011

2012

2013

2014

Prévisions de la loi de finances initiale

5

5

5

5

5

Exécution

0,5

0,8

0,9

2,7

1,8

Source : réponse au questionnaire budgétaire

Pour équilibrer le compte, les dépenses du CAS sont elles-mêmes fixées conventionnellement à 5 milliards d'euros. Ces dépenses peuvent se répartir en deux programmes :

- le programme 731, « Opérations en capital intéressant les participations financières de l'État ». Il retrace les sommes utilisées pour participer à des augmentations de capital, réaliser des dotations en fonds propres ou des avances d'actionnaire, acheter ou souscrire des titres, parts ou droits de sociétés, ainsi que pour payer les commissions et les frais juridiques liés aux opérations précédentes ;

- le programme 732 « Désendettement de l'État et d'établissements publics de l'État ». Il retrace les sommes affectées à la réduction du stock de dettes de l'État, principalement par des versements à la Caisse de la dette publique.

La répartition ex ante des 5 milliards d'euros annuels de dépenses du CAS entre ces deux programmes donne une indication sur l'intention de l'État de se désendetter en utilisant le produit des cessions de titres de son portefeuille. En réalité, l'examen ex post de l'exécution du CAS « Participations financières de l'État » montre un écart considérable entre les prévisions initiales et la réalité des pratiques, ce qui doit conduire à ne pas accorder une attention excessive aux données prévisionnelles.

Dépenses du CAS consacrées au désendettement (en milliards d'euros)

2010

2011

2012

2013

2014

2015

Prévisions de la loi de finances initiale

4

4

4

4

1,5

4

Exécution

0

0

0

0

1,5

2 2 ( * )

Source : réponse au questionnaire budgétaire

Comme lors des années précédentes, les recettes du CAS « Participations financières de l'État » sont fixées dans le projet de loi de finances initiale pour 2016 à 5 milliards d'euros. En ce qui concerne les dépenses, l'État prévoit d'affecter 3 milliards d'euros aux opérations d'acquisition de titres et 2 milliards d'euros au désendettement. Cela sera-t-il réalisé ?

II. UN PATRIMOINE FINANCIER IMPORTANT ET RÉMUNÉRATEUR, MAIS SECTORIELLEMENT TRÈS CONCENTRÉ

A. UN PATRIMOINE D'UNE VALEUR DE 110 MILLIARDS D'EUROS

Au 30 avril 2015, le portefeuille financier géré par l'Agence des participations de l'État, composé à la fois de titres cotés et non cotés, était évalué à 110 milliards d'euros , stable en valeur par rapport à l'année précédente.

Les participations de l'État sont désormais réparties dans 77 entreprises contre seulement 74 entreprises il y a un an. Au cours de l'année écoulée, l'État a en effet investi près de 300 millions d'euros pour entrer au capital de trois nouvelles sociétés : l'Aéroport de Marseille-Provence, la Société aéroportuaire de Guadeloupe Pôle Caraïbes et STX France.

Le poids économique global des entreprises dans lesquelles l'État détient une participation est considérable, puisque toutes ensemble elles représentent un chiffre d'affaires global de 480 milliards d'euros et emploient près de 1,8 million de personnes. L'État n'a cependant pas le contrôle de plusieurs des plus grosses entités qui entrent dans son portefeuille (Renault, PSA, Orange, Airbus, etc.). Il n'en est qu'un actionnaire important et stable.

On trouve une grande variété de statuts juridiques parmi les entreprises entrant dans le portefeuille de l'APE. Les sociétés anonymes sont nettement majoritaires (près de 70 %). Mais on trouve aussi six établissements publics à caractère industriel et commercial (notamment BPI-Groupe, SNCF Mobilités, RATP, SNCF Réseau et La Monnaie de Paris), trois établissements publics à caractère administratif, quatorze établissements publics autres (principalement des grands ports maritimes et un établissement public international, l'aéroport de Bâle Mulhouse) et trois sociétés anonymes d'économie mixte (Semmaris, ATMB et SFTRF).

STATUTS JURIDIQUES DES ENTREPRISES DU PORTEFEUILLE DE L'APE

Source : APE

Enfin, on peut noter que, sur un total de soixante-dix-sept entreprises, treize (soit 16%) sont des sociétés cotées au CAC 40 : EDF, GDF Suez, Areva, ADP, Airbus, Air France-KLM, Safran, Thalès, Renault, PSA, Orange, CNP assurances et Dexia. Minoritaires en nombre, les sociétés cotées représentent néanmoins 75 % du total en valeur du portefeuille financier de l'État, avec 83,1 milliards d'euros au 30 juin 2015 (contre 84,7 milliards d'euros fin avril 2014, en baisse de 1,9 %).

B. UN PATRIMOINE SECTORIELLEMENT TRÈS CONCENTRÉ

Les entreprises dans lesquelles l'État détient une participation sont présentes dans quatre grands secteurs :

- transports : Air France-KLM, groupe SNCF, Aéroports de Paris, RATP, multiples ports et aéroports ;

- énergie : EDF, GDF, AREVA ;

- services & finance : Orange, La Poste, groupe BPI, Française des jeux, CNP assurances, Dexia, Semmaris, Radio France, France Télévisions... ;

- industrie de défense et industrie automobile : Airbus, Safran, Thalès, Giat, DCNS, Peugeot, Renault.

Toutefois, les participations dans les trois entreprises du secteur de l'énergie (EDF, GDF, AREVA) atteignent un montant total de 51,3 milliards d'euros au 30 avril 2015 et elles représentent, à elles-seules, plus de 60 % en valeur du portefeuille coté de l'État et près de la moitié de son portefeuille total (cf graphique page suivante).

PARTICIPATION DE L'ÉTAT DANS DES ENTREPRISES COTÉES AU 30 AVRIL 2015

Source : APE

Compte tenu du poids prépondérant des entreprises du secteur de l'énergie dans le patrimoine financier de l'État, la valeur boursière de ce dernier est extrêmement sensible à la variation du cours des entreprises énergétiques.

Les évolutions extrêmement marquées du cours de l'action d'EDF, en lien avec les évolutions conjoncturelles et structurelles fortes du marché de l'énergie, expliquent l'essentiel des variations de valeur du portefeuille de l'APE. Entre 2010 et 2012, le portefeuille coté de l'État perdait 26 % de sa valeur alors que l'action d'EDF perdait 36 % de la sienne ; entre 2012 et 2013, le doublement de l'action d'EDF entrainaît mécaniquement une hausse de près de 50 % de la valeur globale des participations de l'État. Depuis deux ans, la tendance s'est de nouveau inversée : l'action d'EDF a perdu 11 % entre la fin de 2013 et la fin de 2014 et a poursuivi sa glissade en 2015. Actuellement, la capitalisation boursière de l'entreprise s'établit à 32 milliards d'euros et la valeur de la participation de l'État à un peu de plus de 27 milliards d'euros.

ÉVOLUTION COMPARÉE DE LA VALEUR DU PORTEFEUILLE COTÉ DE L'ÉTAT ET DE LA VALORISATION DE LA PARTICIPATION DE L'ÉTAT DANS EDF ET GDF

(en milliards d'euros, données au 21 décembre de l'année)

Source : APE

Même si le poids du secteur énergétique reste prépondérant dans le portefeuille de l'État, le rééquilibrage amorcé au cours des dernières années se poursuit, avec un recul de la part du secteur « énergie » et « industries de défense » et une montée du secteur « automobile », « télécom » et « transport aérien ». Ce rééquilibrage procède à la fois d'un effet prix (évolution différente des valeurs boursières selon les secteurs) et d'un effet composition (avec notamment la montée de l'État au capital de Renault et PSA).

C. UN PATRIMOINE RÉMUNÉRATEUR, DONT LES DIVIDENDES DEVRAIENT ÊTRE AFFECTÉS AU DÉSENDETTEMENT

1. Des dividendes importants mais en baisse

Les dividendes perçus par l'État en 2014 ont atteint près de 4,1 milliards d'euros, en légère baisse par rapport à 2013.

Pour la présente année, la loi de finances initiale pour 2015 avait prévu des dividendes d'un montant de 3,7 milliards d'euros. L'État ayant accepté qu'une partie des dividendes versés par EDF lui soient versés sous forme de titres plutôt qu'en numéraire, seuls 3,2 milliards d'euros devraient néanmoins être inscrits en recettes au budget général.

Pour 2016, le document d'évaluation des recettes du projet de budget en cours d'examen prévoit que la rémunération des participations de l'État dans des entreprises non financières et les bénéfices des établissements publics non financiers devraient atteindre 3,3 milliards d'euros.

DIVIDENDES PERÇUS PAR L'ÉTAT ACTIONNAIRE
(en Md€ par exercice budgétaire)

Exercice budgétaire

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

Prév.

2016 Prév.

Dividendes en numéraire **

4,8

5,6

3,3

4,3

4,4

3,2

4,2

4,1

3,2

3,3

Dividendes en actions

-

-

2,2

0,1

-

1,4

0,2

-

0,5

Total

4,8

5,6

5,5

4,4

4,4

4,6

4,4

4,1

3,7

3,3

Source : APE

2. Des dividendes très concentrés

En 2014, seules 28 entreprises ont rémunéré l'État pour sa participation à leur capital. Parmi elles, six entreprises lui ont versé des dividendes supérieurs à 100 millions d'euros et, à elles seules, ces six entreprises ont représenté 89 % du total des dividendes reçus par l'État.

Les deux plus importants contributeurs, EDF (1 965 millions d'euros de dividendes versés à l'État en 2014) et GDF (999 millions d'euros), pèsent pour plus de 70 % dans le total des dividendes de l'État.

Principaux dividendes versés à l'État

(en millions d'euros)

2013

2014

EDF

1 795

1 965

GDF

1 244

999

Orange

495

249

SNCF

199

175

La Poste

111

125

Safran

85

111

Source : APE

3. Un actionnaire responsable

Soucieux d'être un partenaire de moyen ou long terme pour les entreprises dans lesquelles il investit, l'État se conforme à une politique « mesurée » en matière de dividendes, compatible avec la situation financière des entreprises et avec leur développement à moyen terme. L'État veille notamment à l'équilibre entre les besoins de liquidité de l'entreprise et la nécessaire rémunération de son investissement.

ENGIE, par exemple, a réduit d'un tiers son dividende en 2014, au titre de l'exercice 2013, afin de tenir compte du fait que l'entreprise est confrontée depuis plusieurs années à la dégradation des marchés de l'énergie en Europe et qu'elle doit financer un plan d'investissements ambitieux pour réorienter ses capitaux vers des zones de croissance, notamment dans les pays émergents.

Cette « mesure » de l'État actionnaire n'empêche toutefois pas le portefeuille de l'APE d'être rémunérateur. Selon les réponses au questionnaire budgétaire, le rendement des actions cotées de l'État, mesuré comme le rapport entre le montant des dividendes versés à l'État et la valeur boursière des titres que ce dernier détient, s'établit en effet à 5,3 % en 2014, nettement au-dessus du rendement du CAC 40, qui est de seulement 3,5 %.

Ce rendement élevé est la conséquence directe de la composition sectorielle de son portefeuille de titres. Les taux de rémunération du capital dans les entreprises du secteur de l'énergie sont en effet à la fois plus stables et plus élevés que dans les secteurs cycliques et plus fortement concurrentiels.

4. Des dividendes qui alimentent le budget général au lieu de financer le désendettement

En application de l'article 3 de la LOLF, les produits courants des participations de l'État (dividendes) sont versés dans les ressources budgétaires de l'État et non pas affectés au compte d'affection spéciale « Participations financières de l'État ». Le produit des cessions des titres est quant à lui affecté à la partie « recettes » de ce CAS et est utilisé pour financer le désendettement de l'État.

En 2014, 1,5 milliard d'euros en provenance du CAS ont ainsi été affectés à la diminution de la dette nette des administrations publiques (État et hors État).

En 2015, la loi de finances initiale avait prévu de consacrer à cet objectif 4 milliards d'euros - objectif ramené désormais à 2 milliards d'euros.

Quant à l'année prochaine, le projet de loi de finances initiale pour 2016 compte consacrer au désendettement public 2 milliards d'euros issus du produit de cession des titres gérés par l'agence des participations de l'État.

Votre rapporteur pour avis souscrit sans réserve à l'objectif de réduction de la dette publique. Toutefois, il répète cette année ce qu'il avait déjà souligné dans son précédent rapport budgétaire, à savoir qu' il n'est économiquement pas optimum de réaliser ce désendettement en cédant les titres du portefeuille de l'État !

En effet, la dette des administrations publiques, de l'ordre de 2 100 milliards d'euros actuellement, génère une charge annuelle qui atteint environ 45 milliards d'euros. La charge de la dette représente donc 2,1 % de la dette. Dans le même temps, les participations financières de l'État, d'une valeur de 110 milliards d'euros, génèrent un revenu annuel de l'ordre de 3,5 à 4 milliards d'euros (4,1 milliards en 2014 ; 3,7 milliards en 2015 selon les dernières évaluations). Les dividendes offrent donc un rendement qui représente entre 3,2 et 3,6 % du capital détenu.

Compte tenu du différentiel entre le coût annuel de la dette et le niveau de rémunération des participations financières de l'État, il serait plus profitable pour l'État de conserver ses titres (et donc le flux de revenus futurs afférents à ces participations) plutôt que de les aliéner pour diminuer son stock de dettes.

Ce sont les dividendes générés par les participations qui devraient financer le désendettement plutôt que le produit des cessions de titres. Ce dernier devrait plutôt être réinvesti, notamment dans des entreprises de taille intermédiaire à fort potentiel de croissance et créatrices d'emplois territorialisés.

III. DES CHOIX DE CESSION ET D'ACQUISITION QUI PORTENT LA MARQUE DES GRANDES ORIENTATIONS DE LA DOCTRINE DE L'ÉTAT ACTIONNAIRE

Annoncées par le Gouvernement à l'issue du conseil des ministres du 2 août 2013, les lignes directrices pour l'État actionnaire ont fait l'objet d'une communication en conseil des ministres le 15 janvier 2014. Elles définissent quatre objectifs :

i) s'assurer d'un niveau de contrôle suffisant dans des entreprises à capitaux publics stratégiques intervenant dans des secteurs particulièrement sensibles en matière de souveraineté ;

ii) s'assurer de l'existence d'opérateurs résilients pour pourvoir aux besoins fondamentaux du pays ;

iii) accompagner le développement et la consolidation d'entreprises, en particulier dans des secteurs et des filières déterminants pour la croissance économique nationale et européenne ;

iv) intervenir ponctuellement, dans le respect des règles européennes, dans des opérations de sauvetage d'entreprises dont la défaillance présenterait des conséquences systémiques.

Cette doctrine d'investissement transparaît dans les choix d'évolution du portefeuille qui ont eu lieu depuis un an.

A. REVUE DES ACQUISITIONS ET DES CESSIONS INTERVENUES DEPUIS UN AN

1. Principales cessions

L'État a procédé en 2015 à des cessions de titres de 2,8 milliards d'euros :

- le 27 février 2015 , une offre réservée aux salariés de GDF Suez a conduit à céder 1 359 949 titres pour une valeur de 26,6 millions d'euros . Cette opération s'est déroulée en conformité avec les dispositions de l'article 11 de la loi n° 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités de privatisations et fait suite à une précédente opération de cession de 75 millions d'actions de la société en juin 2014 ;

- le 16 juin 2015 , l'État a lancé une cession au fil de l'eau de titres GDF Suez pour un montant de 206 millions d'euros . Au terme de l'opération, 11 632 897 actions ENGIE, soit 0,48 % du capital de la société, ont été cédées sur le marché. L'État détient 32,76 % du capital d'ENGIE ;

- conformément à l'arrêté du 4 mars 2015, 16 500 000 titres Safran ont fait l'objet d'un placement en France et à l'étranger, garanti par un syndicat bancaire au prix unitaire de 62,61 euros. Le 5 mars 2015, l'État a reçu la somme de 1,033 milliard d'euros en contrepartie de la cession de ces titres. Cette cession, en application de la stratégie de gestion dynamique du portefeuille mise en oeuvre par l'APE, permet de tirer parti de la très bonne appréciation par les marchés financiers de Safran. Elle ne modifie en rien la stratégie de l'État vis-à-vis de l'entreprise. Le jeu des droits de vote doubles permet d'ailleurs à l'État de retrouver depuis le 24 juillet un niveau de droits de vote (27,4 %) supérieur à celui dont il disposait avant la cession (25,4 %) ;

- enfin, l'État a annoncé le 4 décembre 2014 qu'il retenait le consortium Symbiose comme acquéreur de sa participation de 49,99 % au capital de la société Aéroport Toulouse-Blagnac. Autorisée par l'arrêté du 20 mars 2015, cette cession a rapporté à l'État 308 millions d'euros.

2. Principales acquisitions

L'État a procédé en 2015 à des acquisitions de titres pour un montant total de 1,69 milliard d'euros :

- la principale opération concerne l'acquisition sur le marché de 14 millions de titres Renault (4,73 % du capital de l'entreprise) pour un montant de 1,258 milliard d'euros. Conséquence directe de l'adoption de la loi Florange, cette opération exprime la volonté de l'État de défendre ses intérêts en tant qu'actionnaire en pesant en faveur de l' instauration de droits de vote doubles dans la gouvernance de Renault. 9,5 millions de titres ont été achetés directement auprès de la Deutsche Bank le 10 avril 2015 pour un montant de 815 millions d'euros. Le solde, soit 4,4 millions de titres, a été acquis sur le marché entre le 10 et le 22 avril 2015. Cette montée de l'État au capital de Renault n'est que temporaire ;

- l'acquisition de titres Air France-KLM pour 42 millions d'euros le 15 mai 2015 constitue une autre opération importante sur le plan de l'affirmation du rôle de l'État actionnaire. L'État a en effet souhaité se donner les moyens de soutenir l'adoption des droits de vote doubles dans un contexte où une résolution s'opposant à leur introduction était soumise au vote des actionnaires d'Air France-KLM lors de l'assemblée générale du 21 mai. Conformément à l'arrêté en date du 7 mai 2015 autorisant cette opération, l'État a acquis sur le marché, entre le 8 et le 13 mai, 5,1 millions de titres portant sa participation au capital de l'entreprise de 15,88 % à 17,58 %.

B. ÉVOLUTIONS DU PORTEFEUILLE DE L'ÉTAT PRÉVISIBLES POUR 2016

1. Vers une recapitalisation d'Areva

À la fin de 2014, Areva a annoncé un résultat net négatif de 4,8 milliards d'euros. Face à cette situation, le président de la République a annoncé en juin un plan de « refondation de la filière nucléaire », qui prévoit la séparation des activités « combustible » d'Areva de ses activités de construction de réacteurs.

Areva Nuclear Power (ou Areva NP), anciennement Framatome, la filiale du groupe Areva spécialisée dans l'ingénierie des réacteurs des centrales nucléaires, passera sous le contrôle d'EDF. EDF devrait racheter en effet 51 % de la société Areva NP, sur la base d'une valorisation totale d'Areva NP estimée à 2,7 milliards d'euros, d'ici à la fin 2016. Dans le plan prévu, Areva conservera une partie du capital d'Areva NP, vraisemblablement de l'ordre de 15 %. Le reste du capital pourrait être cédé à des tiers, comme le groupe japonais Mitsubishi Heavy Industries.

Areva, désormais ramenée au périmètre de l'ancienne Cogema (mines, enrichissement de l'uranium, retraitement, recyclage des déchets), procédera par ailleurs à la cession de certains actifs, comme la filiale Canberra qui conçoit, fabrique et commercialise des équipements et systèmes pour détecter et mesurer la radioactivité.

Au final, l'État devrait être amené à recapitaliser Areva pour un montant de l'ordre de 3 milliards d'euros en puisant dans les ressources du CAS « Participations financières de l'État » et en cédant une partie des titres. On ne peut que déplorer les erreurs de gestion commises par le passé dans ce fleuron de l'industrie nucléaire.

2. La cession des participations majoritaires de l'État au capital dans les sociétés de gestion des aéroports de Nice et de Lyon

Ces cessions ont été autorisées par l'article 191 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.

Il s'agit de céder uniquement les participations de l'État dans les sociétés de gestion des aéroports, l'activité de ces derniers continuant à s'inscrire dans le cadre des concessions accordées par l'État. Les infrastructures aéroportuaires et le foncier demeureront ainsi la propriété de l'État qui conservera les outils prévus par les contrats de concession pour contrôler l'activité des sociétés concessionnaires pour garantir le respect des missions de service public des aéroports.

Concernant la procédure de cession, elle reposera sur un appel d'offres sur cahier des charges, sous le contrôle de la Commission des participations et des transferts, autorité indépendante chargée de superviser les opérations de cession menées par l'État.

L'article 191 de la loi dite Macron précise que : « Le cahier des charges de l'appel d'offres portant sur la cession de capital est approuvé par le ministre chargé de l'aviation civile. Il précise les obligations du cessionnaire relatives à la préservation des intérêts essentiels de la Nation en matière de transport aérien, ainsi que ceux du territoire concerné en matière d'attractivité et de développement économique et touristique . Il précise également les obligations du cessionnaire afin de garantir le développement de l'aérodrome en concertation avec les collectivités territoriales sur le territoire desquelles il est installé ainsi qu'avec les collectivités territoriales actionnaires ».

En outre, la loi du 6 août 2015 prévoit que : « Les candidats au rachat des parts de l'État disposent d'une expérience en tant que gestionnaire d'aéroport ou actionnaire d'une société gestionnaire d'aéroport et donnent, dès le stade de l'examen de la recevabilité des offres, des garanties sur leur capacité à exercer les missions prévues au cahier des charges de la concession des aérodromes concernés. »

À l'occasion de la cession de l'aéroport de Toulouse-Blagnac, votre rapporteur pour avis avait souligné que l'État actionnaire devait davantage prendre en considération les logiques économiques territoriales lorsqu'il cède un actif stratégique du point de vue de l'activité économique locale. Votre rapporteur avait en particulier souligné les points suivants :

- les délais pour répondre aux appels d'offres doivent être suffisamment longs pour permettre aux acteurs locaux de s'organiser et présenter une offre s'ils le souhaitaient ;

- dans l'appel d'offres, l'État doit rédiger avec soin les paragraphes relatifs aux possibilités de désengagement de certains actionnaires minoritaires locaux pour éviter des interprétations qui se révèlent par la suite contraires à la réalité ;

- l'État doit veiller à sécuriser la situation des industriels pour contrecarrer tout risque de délocalisation ;

- il faut exiger des acquéreurs potentiels, au-delà du prix offert, des garanties de compétence technique et le respect de l'engagement moral pris à l'égard du personnel ;

- la question de l'allocation des recettes tirées de la privatisation d'une entité locale au développement économique du territoire concerné mérite d'être posée.

Votre rapporteur pour avis se félicite que certaines de ses préconisations aient été entendues s'agissant de la cession à venir des sociétés gestionnaires des aéroports de Nice et de Lyon . Il appelle à rester vigilant concernant la question des délais de réponse aux appels d'offres et celle du réinvestissement local du produit des cessions.

3. La question pendante de l'investissement dans Alstom

Le montage des opérations de cession à General Electrics des activités d'Alstom dans le domaine de l'énergie comporte une option d'accès de l'État à 20 % du capital d'Alstom, via une promesse de vente octroyée par Bouygues (options d'achat des actions valables 20 mois à compter de l'accord de juin 2014). La possibilité de cette cession dépend de l'évolution du cours de l'action d'Alstom et représenterait, si elle avait lieu, un investissement de l'ordre de 2,2 milliards d'euros.

Votre rapporteur pour avis estime que des sommes aussi importantes devraient être mobilisées de préférence pour des acquisitions plus offensives, dans des ETI porteuses d'un fort potentiel de croissance, d'innovation et d'emploi. Compte tenu de la situation de nos finances publiques et de notre tissu industriel, il est opportun de réfléchir aux investissements alternatifs qui permettraient à des entreprises en pleine croissance de changer d'échelle et de s'internationaliser.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Mercredi 30 septembre 2015 :

- Agence des participations de l'État : Martin Vial, Commissaire.


* 1 Hors versements du budget général destinés à alimenter le mécanisme européen de stabilité.

* 2 Prévision réactualisée pour l'année 2015 dans le PLFI pour 2016.

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