AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017 conduite par notre collègue Arnaud Danjean, député européen, a clairement rappelé les dangers auxquels le monde actuel doit faire face : multiplication des zones de tensions, retour des jeux de puissance, émergence d'acteurs non-étatiques criminels ou terroristes, développement des cybermenaces, etc.

Dans le même temps, nos armées ont été durement éprouvées du fait de l'augmentation du rythme et de la durée des engagements de la France, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur de ses frontières, alors que, dans le même temps, leurs moyens ont insuffisamment été réévalués. Au cours des dernières années, un « passif » a donc été accumulé, qu'il convient désormais de solder .

Dans ce contexte, le présent projet de loi de programmation militaire (LPM), présenté comme une LPM de « renouveau », se donne pour double objectif de réparer le passé et de préparer l'avenir , avec pour ambition de maintenir, dans la durée, un « modèle d'armée complet et équilibré » .

Il se fixe en outre un cap, rappelé aux articles 2 et 3, celui de porter les crédits en faveur de la défense à 2 % du produit intérieur brut (PIB) à l'horizon 2025 , conformément aux engagements pris par la France dans le cadre de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN).

Si, en matière budgétaire et financière, le caractère normatif des lois de programmation militaire est juridiquement faible , la détermination des crédits alloués à la mission « Défense » devant figurer in fine dans les lois de finances votées chaque année, elles constituent cependant un cadre structurant pour la période qu'elles couvrent .

Votre rapporteur pour avis s'est donc attaché à mesurer la crédibilité de la trajectoire financière proposée et à s'assurer que les priorités identifiées correspondent bien aux enjeux auxquels nos armées sont confrontées .

S'agissant des ressources, force est de constater que les contrats opérationnels, qui leur sont assignés et qui en structurent les formats, n'ayant fait l'objet que d'ajustements ponctuels ne laissent par conséquent que peu de marge de manoeuvre pour l'avenir .

Par ailleurs, la trajectoire proposée ne s'étend pas au-delà de 2023 , le Gouvernement renvoyant à des actualisations ultérieures le soin de déterminer les montants de crédits pour les années 2024 et 2025. Or c'est précisément sur ces deux années, soit après la fin du quinquennat actuel, qu'une partie importante de l'effort sera concentrée .

En effet, si 1,7 milliard d'euros supplémentaires seront consacrés chaque année à la défense jusqu'en 2023, ce montant devra atteindre 3 milliards d'euros en 2024 et en 2025 pour porter l'effort en faveur de la défense à 50 milliards d'euros, en lien avec l'objectif de porter les ressources des armées à un montant correspondant à 2 % du PIB .

Enfin, comme pour la LPM précédente, l'équilibre du présent projet de loi repose sur des hypothèses d'exportation concernant le Rafale, l'A400M et le NH90, par nature incertaines .

Sous ces réserves, la trajectoire inscrite dans le présent projet de loi présente plusieurs motifs de satisfaction .

En premier lieu, sa sincérité a été améliorée par rapport à la précédente LPM .

L'équilibre budgétaire du ministère des armées ne repose ainsi pas sur des ressources exceptionnelles mais sur des crédits budgétaires, le ministère continuant cependant de percevoir les recettes issues des cessions de ses biens immobiliers .

Par ailleurs, l'augmentation progressive de la provision destinée au financement du surcoût des opérations extérieures (Opex) et des missions intérieures (Missint), à hauteur de 1,1 milliard d'euros à compter de 2020 (article 4), répond à une demande constante de votre commission des finances, même si l'on peut regretter que, contrairement à ce qu'avait promis Emmanuel Macron, alors candidat à l'élection présidentielle, cette progression soit imputée sur la hausse des crédits dont bénéficiera le ministère des armées .

Enfin, il est prévu que les missions réalisées par les armées et les services du ministère en matière de soutien aux exportations (Soutex) fassent l'objet d'une meilleure prise en charge financière de la part des industriels .

En second lieu, les priorités identifiées vont incontestablement dans le bon sens .

Un effort sera ainsi consenti en matière de ressources humaines , qu'il s'agisse des effectifs ou des mesures en faveur de l'amélioration de la condition du personnel .

Sur les 6 000 postes qui devraient être créés au cours de la période couverte par le présent projet de loi - dont 3 000 entre 2019 et 2023 et 3 000 sur les seules années 2024 et 2025 - la moitié sera consacrée au renforcement des fonctions « renseignement » et « cyberdéfense » .

Par ailleurs, 112,5 milliards d'euros seront consacrés à l'agrégat « équipement » sur la période 2019-2023, soit une moyenne annuelle de 22,5 milliards d'euros, contre 18,3 milliards d'euros en 2018 . Ces crédits permettront la livraison anticipée de certains équipements , à l'instar du programme Scorpion pour l'armée de terre, ainsi que l'augmentation des cibles prévues dans la précédente programmation , de MRTT et de patrouilleurs notamment. Ils seront en outre consacrés, à hauteur de 22 milliards d'euros sur la période 2019-2023, à l'entretien programmé des matériels .

Enfin, les crédits consacrés à l'agrégat « infrastructures » devraient progresser de 22 % entre 2019 et 2023 par rapport à la programmation précédente .

Ces efforts, nécessaires, ne couvrent cependant qu'une partie des besoins identifiés. Leur évolution devra par conséquent être prise en compte dans le cadre de la future actualisation afin que ne soient pas répétées les erreurs du passé .

Sous le bénéfice de ces observations, prenant acte des efforts prévus dans le présent projet de loi de programmation militaire, votre rapporteur pour avis vous propose d'adopter le présent projet de loi de programmation militaire , tout en restant vigilant sur l'exécution de celle-ci et les actualisations qui interviendront d'ici 2025.

I. UN PROJET DE LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE INTERVENANT DANS UN CONTEXTE GÉOSTRATÉGIQUE INSTABLE ET APRÈS DES ANNÉES D'ENGAGEMENT DE NOS FORCES AU-DELÀ DE LEURS CONTRATS OPÉRATIONNELS

A. LA REVUE STRATÉGIQUE DE 2017 A RAPPELÉ LE CARACTÈRE INSTABLE, VIOLENT ET IMPRÉVISIBLE DU MONDE ACTUEL

Le présent projet de loi de programmation militaire (LPM) s'inscrit dans le cadre fixé par la revue stratégique de défense et de sécurité nationale , conduite par un comité de rédaction 1 ( * ) présidé par notre collègue Arnaud Danjean, député européen, dont les conclusions ont été présentées en décembre 2017.

Cette revue stratégique a procédé à une actualisation du livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN) de 2013, sur le fondement duquel la précédente loi de programmation militaire avait été construite 2 ( * ) .

1. Un environnement géostratégique marqué par une instabilité croissante
a) Un monde de plus en plus instable, caractérisé par l'émergence de menaces nouvelles

L'environnement géopolitique de la France est marqué par la montée des tensions, tant au niveau européen, qu'en dehors de l'Union européenne .

Cette dernière a été confrontée, au cours des dernières années, à d'importantes crises : économique et financière en 2008-2009, de la dette entre 2011 et 2013 et du Brexit , après le vote du Royaume-Uni en 2016. Elle fait également face, depuis 2015, à la montée du terrorisme jihadiste, qui a frappé son territoire à de multiples reprises.

Au-delà des frontières européennes, le système international apparaît de plus en plus multipolaire du fait de l'affirmation d'acteurs toujours plus autonomes et de l'émergence d' « organisations terroristes proto-étatiques » .

Le monde actuel se caractérise en outre par une montée de la compétition internationale, tant dans le champ économique que militaire , conduisant « certaines grandes puissances [à faire] le choix d'une posture privilégiant ouvertement les rapports de force » et à contester l'ordre international et sa gouvernance assurée par l'Organisation des Nations unies (ONU).

Dans ce contexte, les zones de tensions ne cessent de se multiplier : sur la rive sud de la Méditerranée, sur les flancs est et nord de l'Europe, en Afrique subsaharienne et en Asie.

Par ailleurs, depuis 2014, certains conflits ont gagné en intensité - la crise syrienne n'a toujours pas trouvé de solution durable - et des tensions nouvelles ont émergé, soulignant l'instabilité croissante de notre environnement géopolitique immédiat : montée en puissance des ambitions russes, illustrée par l'annexion de la Crimée en 2014, tensions persistantes dans les Balkans, etc.

Ces tensions sont en outre exacerbées par différents phénomènes : prolifération des armes de destruction massive, notamment nucléaires, et dissémination des armes conventionnelles , y compris de dernière génération, qui remettent en cause les équilibres établis.

Les évolutions technologiques amplifient par ailleurs les risques et l'instabilité . Ces progrès techniques sont particulièrement marqués dans le champ des armes de très haute technologie et des cybermenaces . Ils ne sont en outre pas limités aux acteurs étatiques , renforçant ainsi leur dangerosité.

Enfin, ces tensions sont amplifiées par deux facteurs, qui s'entretiennent mutuellement : les mouvements migratoires, causés pour partie par les dérèglements climatiques, et la pression démographique , que connaissent certains pays d'Afrique notamment.

b) Dans ce contexte, l'engagement à l'international de la France s'est amplifié au cours des dernières années

Les engagements de la France sont nombreux et se sont multipliés depuis le vote de la dernière loi de programmation militaire .

En premier lieu, la menace terroriste sur le territoire national s'est intensifiée, conduisant à la mise en place de mesure inédites, telles que le déclenchement de l'opération Sentinelle, à la suite des attentats de 2015 .

L'engagement français dans la bande sahélo-saharienne demeure nécessaire, pour prévenir l'enracinement et la montée en puissance de groupes terroristes dans cette zone très fragilisée. Actuellement, 4 000 militaires sont ainsi engagés sur ce terrain dans le cadre de l'opération Barkhane.

Au total, plus de 30 000 militaires français sont déployés, en France et à l'étranger .

2. Face à ces menaces, une stratégie renouvelée et ambitieuse apparaît nécessaire afin de consolider l'armée française et sa force d'action

La revue stratégique rappelle la nécessité de préserver l'autonomie stratégique française , ce qui suppose de maintenir une diplomatie forte et de disposer de moyens suffisants pour assurer l'effectivité des actions menées .

Alors que, « par leur simultanéité et leur intensité, les crises dans lesquelles les armées françaises sont engagées ont mis les capacités de celles-ci sous tension », la consolidation des forces stratégiques, notamment dans l'optique de protection du territoire, représente un véritable défi pour les années à venir .

Les principaux chantiers identifiés par la revue stratégique concernent l'entretien de la force de dissuasion et des capacités d'intervention des armées, l'entretien et la modernisation des équipements et la formation des militaires .

Enfin, elle souligne l'importance de soutenir la base industrielle et technologique de défense (BITD), via la mise en oeuvre de politiques ambitieuses de recherche, d'investissements, en particulier dans les nouvelles technologies, ou encore de soutien à l'export .

3. Des ambitions européennes fortes et des partenariats à consolider et à développer

La France est partie à de nombreux engagements, bilatéraux, européens et multilatéraux, qu'il convient d'entretenir et de valoriser.

Sur le plan européen tout d'abord, certains progrès peuvent être cités. Ainsi, la proposition de créer un fonds européen de défense visant au financement des capacités de défense est une innovation qui nécessitera un engagement financier important dans le domaine militaire. En outre, la coopération structurée permanente décidée en novembre 2017 et réunissant 25 États membres devrait donner un nouvel élan à la défense européenne .

Face à la multipolarité du monde actuel, l'engagement de la France en faveur du multilatéralisme , qu'il soit onusien, par les opérations de maintien de la paix auxquelles elle participe, ou lié à l'OTAN, apparaît plus que jamais nécessaire .

De même, les coopérations de défense sont appelées à monter en puissance dans les années à venir , avec l'Allemagne et l'Italie notamment.

Enfin, les partenariats stratégiques, conclus avec des pays non-européens, sont cruciaux pour la stabilité de certains pays partenaires, et justifient la défense d'intérêts communs et l'entretien de forces prépositionnées .


* 1 Ce comité réunissait 18 membres représentants des institutions civiles et militaires et de personnalités qualifiées notamment issues de la société civile.

* 2 Loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale.

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