II. EXAMEN DU RAPPORT (15 MAI 2018)

Réunie le mardi 15 mai 2018, sous la présidence de M. Philippe Dominati, vice-président, la commission a examiné le rapport pour avis de M. Dominique de Legge, sur le projet de loi n° 383 (2017-2018) relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

M. Philippe Dominati , président. - Nous examinons le rapport pour avis de Dominique de Legge sur le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale en première lecture après engagement de la procédure accélérée, relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense. Nous avions entendu la ministre des armées, Florence Parly, le 3 avril dernier. Nous entendons maintenant les conclusions du rapporteur.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - En présentant le projet de loi de programmation militaire (LPM) devant notre commission, la ministre le qualifiait de « loi de réparation et de préparation de l'avenir ». En employant le terme de réparation, la ministre établissait un bilan négatif des dernières années. Sans nous attarder sur le bilan de la dernière LPM, nous pouvons pointer que nos forces furent engagées au-delà de ce qui était initialement prévu avec des moyens revus encore à la baisse par rapport à la période précédente. Dès le départ, la LPM était déconnectée de la réalité opérationnelle et budgétaire. Deux chiffres suffisent à illustrer ce décalage, la provision de 450 millions d'euros pour les opérations extérieures (OPEX) alors que les dépenses s'élèvent à un montant compris entre 1,2 milliard d'euros et 1,4 milliard d'euros, et les fameuses recettes exceptionnelles, qu'il a fallu remplacer en grande partie par des recettes budgétaires. En a résulté une dégradation de notre capacité potentielle : difficulté à tenir le programme de renouvellement de nos matériels, usure prématurée et rapide des matériels existants avec une difficulté d'assumer le maintien en condition opérationnelle (MCO). Les infrastructures du quotidien, dégradées, ont été sacrifiées pour assurer l'accueil des nouveaux matériels avec les conséquences que l'on sait sur l'état du patrimoine immobilier du ministère. Enfin, il est difficile d'assumer la préparation de nos soldats qui, sur-mobilisés sur les différents théâtres extérieurs, n'ont pas toujours pu assumer la formation des plus jeunes.

En quoi cette nouvelle LPM répare-t-elle le passé et prépare-t-elle l'avenir ? La trajectoire financière est incertaine au-delà de 2023. Les crédits de la mission « Défense » progressent de 9,8 milliards d'euros, passant de 34,2 milliards d'euros à 44 milliards d'euros entre 2018 et 2023. Cependant, l'effort important est renvoyé en 2023, lors d'un nouveau quinquennat et d'une nouvelle législature : la hausse des crédits devrait doubler après 2023, passant de + 1,7 milliard d'euros par an à + 3 milliards d'euros par an, mais les annuités 2024 et 2025 ne sont pas couvertes par le projet de loi. Au total, seuls 67 % des besoins identifiés, estimés à 295 milliards d'euros, sont couverts de manière ferme.

Par ailleurs, cette trajectoire demeure soumise à d'importants aléas. Les contrats opérationnels ne font pas l'objet de modifications substantielles par rapport à la précédente LPM. Nous avons engagé nos forces armées au-delà de ce qui était prévu sans en tirer les conséquences. Comme l'a rappelé le chef d'état-major des armées, le général Lecointre, nos forces n'ont pas vocation à être engagées dans la durée, au niveau maximum, 24 heures sur 24. C'est comme pour un véhicule : si vous utilisez votre voiture au maximum de ses capacités, son usure s'accélère et les délais entre les révisions doivent être réduits. Les contrats opérationnels sont inchangés, alors qu'il n'y a pas une moindre menace d'agressions extérieures.

Deuxième aléa, la trajectoire est construite en euros courants, renvoyant à une actualisation en 2021. Enfin, l'équilibre de la trajectoire repose sur des hypothèses d'exportations concernant notamment le Rafale et l'avion de transport A400M.

Il convient cependant de noter que la sincérité budgétaire de cette trajectoire s'est significativement améliorée par rapport à la précédente LPM. La provision pour les OPEX passera ainsi de 650 millions d'euros en 2018 à 850 millions en 2019 puis 1,1 milliard d'euros en 2020.

À la différence de la précédente LPM, il n'y a plus de recettes exceptionnelles : la prévision est construite sur des crédits budgétaires uniquement - du moins nous le vérifierons au fil des budgets suivants. Enfin, les activités de soutien à l'exportation (Soutex) sont prises en compte.

Le présent projet de loi de programmation militaire répond en outre globalement aux besoins des armées. Les effectifs augmenteront de 6 000 postes, mais l'essentiel des créations sont renvoyées au quinquennat suivant. Par ailleurs, lancé par la ministre, le plan Famille, qui améliore les conditions du personnel, constitue un réel effort.

Les crédits d'équipement s'élèveront à 112,5 milliards d'euros sur la période 2019-2023, soit une moyenne annuelle de 22,5 milliards d'euros, contre 18,3 milliards d'euros en 2018 - soulignons également cet effort. Ils permettront la livraison anticipée de certains équipements, à l'instar du programme Scorpion pour l'armée de terre, ainsi que l'augmentation des cibles prévues dans la précédente programmation, de l'avion de ravitaillement MRTT et de patrouilleurs notamment.

Par ailleurs, une part importante de ces crédits, 22 %, sera consacrée au renouvellement et à la modernisation de la dissuasion nucléaire, et 33 % aux programmes à effet majeur. Quelque 22 milliards d'euros seront consacrés à l'entretien programmé des matériels, soit un montant annuel moyen s'élevant à 4,4 milliards d'euros - un milliard d'euros de plus que dans la précédente LPM. Ces crédits financeront la régénération des matériels, durement éprouvés ces dernières années.

Les crédits consacrés aux infrastructures s'élèveront quant à eux à 7,3 milliards d'euros. Compte tenu de l'importance des besoins, cet effort ne permettra que de stopper globalement la dégradation du parc et non d'en améliorer l'état.

S'agissant de l'innovation, les crédits en faveur des études amont seront portés à un milliard d'euros par an à compter de 2022, contre 730 millions d'euros dans le cadre de la précédente LPM. Ils seront complétés par une enveloppe de 1,8 milliard d'euros par an consacrés à la conception des programmes d'armement majeurs, successeurs du porte-avions Charles de Gaulle , du char Leclerc et le système de combat aérien futur.

Au total, je retiens de ce projet de loi une plus grande sincérité, l'augmentation relativement significative des crédits, même si je regrette que la marche la plus importante ne soit franchie qu'en 2023. Nous devrons veiller à la bonne application de cette LPM et lors de la clause de revoyure de 2021, il conviendra de préciser la trajectoire budgétaire jusqu'en 2025.

Cette loi répare le passé dans la mesure où nous ne mobiliserons pas le maximum de nos moyens et prépare l'avenir, sous réserve de la concrétisation des engagements au-delà de 2022... Je vous propose donc d'émettre un avis favorable à son adoption, sous réserve de l'adoption des amendements que je vous présenterai.

M. Jean-François Rapin . - S'agissant des OPEX, la situation internationale change terriblement. Quelle capacité avons-nous à mener d'autres OPEX ? Faudra-t-il abandonner certains théâtres d'opérations actuels ? Est-on en mesure de défendre notre pays ?

M. Michel Canévet . - Merci pour votre exposé qui montre l'effort financier important pour la défense. La trajectoire financière intègre-t-elle des crédits pour faire face à des besoins supplémentaires, comme le service national ? Une partie pourrait relever du ministère des armées.

La modernisation des casernes de gendarmerie relève-t-elle du budget du ministère des armées ou de celui de l'intérieur, et des crédits spécifiques sont-ils prévus ? Plus globalement, les moyens sont-ils suffisants pour répondre aux besoins réels de modernisation des immeubles militaires ? J'ai cru percevoir quelques doutes dans le discours du rapporteur...

M. Marc Laménie . - Merci pour ces informations sur un dossier sensible et un des plus importants financièrement. Le patrimoine immobilier des armées rassemble des surfaces importantes de bâtiments relativement récents. La disparition de régiments aboutit à la fermeture de casernes, dont certaines sont reprises par les collectivités territoriales. Tout n'a pas été vendu - ou parfois à l'euro symbolique. Certes, ces bâtiments généraient un coût d'entretien. Je peux vous donner quelques exemples dans les Ardennes de tels sites militaires. Quelles sont les prévisions inscrites dans la LPM à ce titre ?

Par ailleurs, pourriez-vous nous indiquer quelles sont les perspectives de la réserve militaire et de la Journée défense et citoyenneté (JDC) ? La LPM en dit-elle davantage sur leur devenir ? Enfin, quelles sont les perspectives d'évolution des effectifs des militaires de l'opération Sentinelle ?

M. Bernard Delcros . - Pouvez-vous expliquer le lien établi entre le graphique de la page 2 de votre présentation et le fait qu'une grande partie des besoins ne seraient pas couverts de manière ferme ?

M. Pascal Savoldelli . - L'article 2 du projet de loi prévoit de porter l'effort national de défense à hauteur de 2 % du PIB d'ici 2025, mais il n'y a là aucune nouveauté : cet engagement a été pris en 2014 lors d'un sommet de l'OTAN au Pays-de-Galles. Cela montre la limite de notre indépendance s'agissant du cadrage financier.

Je suis d'accord avec le rapporteur sur les OPEX : c'est le rôle de la France, il en va de notre place politique. Le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste proposera des amendements.

Le Parlement a un pouvoir de contrôle : nous devons être collégialement informés des conséquences de la privatisation d'activités de défense sur le renseignement et le numérique. Celle-ci est-elle le gage d'une meilleure sécurité publique et d'une plus grande souveraineté ? Nous en débattrons en séance publique car cela dépasse le cadre de la commission des finances. Si cela aboutit à plus de fiabilité, je pourrais faire évoluer mon point de vue...

M. Claude Raynal . - Cette LPM est dans la droite ligne de la précédente et des propositions et du travail réalisés par le ministre Jean-Yves Le Drian, dont l'action et le combat au sein du gouvernement précédent pour obtenir des crédits supplémentaires pour la défense étaient la traduction claire de sa volonté d'avancer. Dans une période où la croissance économique autorise une augmentation significative des dépenses de défense, cela va dans le bon sens. Il est absolument nécessaire que nos armées disposent d'un matériel performant et d'une qualité de vie correcte.

Le groupe socialiste et républicain votera ce projet de loi, avec une réserve - qui ne tient pas au rapport : la plus grande partie de l'effort budgétaire portera sur le mandat présidentiel et législatif suivant. Nous nous inquiétons toujours lorsqu'un effort est prévu tardivement dans une loi de programmation... Nous ne savons pas quelle sera alors la croissance économique. Le rapporteur l'a relevé : ce sont des lois programmatiques... sans nécessairement de traductions budgétaires.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Pour répondre à Jean-François Rapin et Pascal Savoldelli, l'objectif de cette LPM, comme de la précédente, n'est pas d'engager l'intégralité de nos forces 24 heures sur 24. Mais le problème est l'écart entre une sur-activité et un niveau de crédits insuffisant. L'une des faiblesses de cette LPM est que le Gouvernement n'a pas revu les hypothèses d'engagement de nos armées à la hausse pour ne pas en tirer de conséquences financières... Si nous maintenons le niveau d'activité actuel, nous aurons toutes les peines du monde à régénérer nos armées.

Je confirme à Michel Canévet, qu'aucune provision n'est prévue dans la LPM pour le service national. La ministre nous a clairement affirmé que les armées pourraient participer à son financement, mais uniquement sur des moyens nouveaux. Nous y serons vigilants. Nos collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées déposeront un amendement sur ce sujet, qui n'aura cependant pas de réelle portée normative.

Même si les gendarmes restent sous statut militaire, les crédits relatifs à l'immobilier de la gendarmerie dépendent du ministère de l'intérieur ; rien n'est donc prévu dans la LPM pour les casernes de gendarmerie. Le plan « Famille » prévoit par conséquent une amélioration de l'hébergement des militaires des armées de terre, de l'air et de la marine, mais pas de la gendarmerie.

Pour répondre à Marc Laménie, 500 millions d'euros de recettes issues de cessions immobilières sont prévus dans la LPM - si les ventes se réalisent - et resteront au budget des armées, sous réserve de l'adoption de l'amendement COM-124 .

Je partage l'analyse de Pascal Savoldelli, les 2 % du PIB sont un indicateur. Ils peuvent être un objectif, mais si la croissance est en berne, faudra-t-il alors réduire notre effort en faveur des armées ? Cet indicateur mesure l'effort des pays de l'OTAN mais n'a pas d'autre valeur.

Pour répondre à Claude Raynal, les moyens augmentent dans cette LPM, mais si l'effort facial est de 1,7 milliard d'euros par an jusqu'en 2022, l'effort réel est d'1,2 milliard d'euros à 1,4 milliard d'euros : il faut en effet déduire l'augmentation de la provision OPEX. Cet effort a en effet été amorcé dans la dernière période de la LPM précédente, mais parce que nous n'avions pas le choix, il fallait abonder les crédits pour entretenir le matériel...

EXAMEN DES ARTICLES

Article 2

Rapport annexé

M. Dominique de Legge , rapporteur . - L'amendement COM-121 porte sur les « liasses », à savoir la documentation technique et certains droits de propriété intellectuelle. Le Service industriel de l'aéronautique (SIAé) ne possède pas un certain nombre de ces documents. Cela revient à acheter une voiture sans que le garagiste dispose du mode d'emploi : elle ne peut pas être réparée. C'est le cas pour certains hélicoptères et l'A400M. Nous pouvons tolérer un délai d'acquisition de ces liasses, mais il faut pouvoir assurer la maintenance de ces aéronefs de manière autonome. Mon amendement rajoute à l'alinéa 173 du rapport annexé : « Afin de conforter les moyens du SIAé et d'assurer son autonomie vis-à-vis des industriels, l'acquisition des "liasses" sera systématisée. » Il en va de la capacité d'intervention de notre propre service.

L'amendement COM-121 est adopté.

Article 5

M. Dominique de Legge , rapporteur . - L'amendement COM-122 exclut du calcul des effectifs globaux de la défense les effectifs du SIAé. Pour des objectifs opérationnels ou politiques, on peut envisager de confier une part plus importante de la maintenance aux industriels privés ; mais il est tout aussi légitime de vouloir que les armées soient plus autonomes... Mon amendement permet d'assurer cette souplesse de fonctionnement.

L'amendement COM-122 est adopté.

Article 10 bis (nouveau)

M. Dominique de Legge , rapporteur . - L'article 10 bis prévoit que les entreprises de moins de 200 salariés peuvent refuser le doublement des jours d'absence des réservistes de cinq à dix jours. L'amendement COM-123 améliore les relations entre les employeurs de réservistes et le ministère des armées et propose de porter ce seuil à 250 salariés, qui correspond aux entreprises de taille intermédiaire (ETI). C'est une mesure de simplification.

Mme Sylvie Vermeillet . - Pourquoi ce seuil n'avait-il pas été retenu précédemment ?

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Cet article a été introduit par un amendement à l'Assemblée nationale, mais le chiffre de 200 est peut-être une erreur...

L'amendement COM-123 est adopté.

Article additionnel après l'article 28

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Mon amendement COM-124 vise à supprimer la décote prévue par la loi Duflot pour les cessions d'immeubles du ministère des armées. Lorsque l'État vend son patrimoine à des collectivités territoriales pour construire des logements sociaux, une décote pouvant atteindre 100 % de la valeur du bien peut s'appliquer. Je ne suis pas favorable au fait de financer deux politiques différentes, celle du logement et celle de la défense, avec une même enveloppe. Allons jusqu'au bout de la sincérité budgétaire. Sortons du dispositif Duflot les cessions réalisées par le ministère des armées.

M. Rémi Féraud . - Cette analyse vaut pour tous les ministères. Votre amendement détricote la loi Duflot sur cette décote qui a eu des effets très positifs à Paris. Je n'y suis pas favorable.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Le projet de LPM prévoit que les recettes des ventes immobilières reviennent au ministère des armées et dans le même temps, un autre texte dispose qu'en cas de vente pour créer des logements sociaux, le ministère ne touche pas la recette... Soyons cohérents ! Il serait contradictoire de ne pas adopter cet amendement.

L'amendement COM-124 est adopté.

Article 37

M. Dominique de Legge , rapporteur . - L'amendement COM-125 prévoit l'abrogation de l'article 48 de la précédente LPM qui permettait des ventes de gré à gré. Selon le Conseil d'État, cela relève du domaine réglementaire et doit être retiré de l'actuelle LPM. Mon amendement est une disposition transitoire en attendant le décret, pour que les armées puissent continuer de céder des biens de gré à gré.

L'amendement COM-125 est adopté.

La commission émet un avis favorable sur le projet de loi dans la rédaction issue de ses travaux.

M. Philippe Dominati , président . - La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées examinera nos amendements demain matin et établira son texte. Le projet de loi sera discuté en séance publique à compter du mardi 22 mai prochain.

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