IV. INCITER LES ACTEURS DES INFRASTRUCTURES NUMÉRIQUES À S'INSCRIRE DANS UNE TRAJECTOIRE DE VERDISSEMENT.

Les acteurs des data centers et des réseaux de communications électroniques ont une particularité par rapport aux services en ligne et aux fabricants de terminaux : ils ont une incitation économique naturelle à limiter leur consommation énergétique , car c'est un des principaux postes de leurs coûts d'exploitation 45 ( * ) . De fait, sur les dernières années, selon la note de l'Arcep précitée, l'amélioration énergétique des réseaux télécoms français a compensé l'explosion du trafic, et les émissions de GES ont même légèrement diminué. S'agissant des data centers européens, malgré d'importants efforts d'efficacité énergétique, une étude de la Commission européenne estime que ces efforts n'ont permis que de limiter la croissance de la consommation énergétique à 6 % entre 2010 et 2018 alors que leur puissance de calcul a plus que quintuplé 46 ( * ) .

Leurs infrastructures ont également un poids moins important que les terminaux dans les émissions de GES du numérique en France : selon le rapport annexé au rapport de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, celui-ci serait de 14 % pour les data centers 47 ( * ) et de 5 % pour les réseaux 48 ( * ) . Mais les émissions de ces deux types d'infrastructures pourraient, selon le même rapport, augmenter d'ici à 2040 respectivement de 86 % pour les data centers et de 34 % pour les réseaux 49 ( * ) . Ici encore, il serait intéressant de poursuivre les travaux de quantification en menant un bilan global des impacts environnementaux des infrastructures numériques : une étude du GSMA - représentant des opérateurs télécoms au niveau européen - estime en effet que le niveau d'émissions de GES évitée grâce à la téléphonie mobile dans d'autres secteurs est dix fois plus important que celui des émissions générées par la téléphonie mobile, du fait de la dématérialisation des transactions. Enfin, il convient de noter que, comme la note de l'Arcep précitée le soulignait, la frontière entre les centres de données et les réseaux de communications électroniques est amenée, à l'avenir, à s'estomper.

A. RECOURIR AU LEVIER DE LA FISCALITÉ POUR INCITER AU VERDISSEMENT DES DATA CENTERS TOUT EN PRÉSERVANT L'ATTRACTIVITÉ DE NOTRE TERRITOIRE POUR CES INFRASTRUCTURES CRITIQUES.

Assortir l'avantage fiscal consenti aux data centers énergivores en 2019 50 ( * ) d'une écoconditionnalité figure parmi les recommandations de plusieurs rapports sénatoriaux récents. Conformément à un engagement du Gouvernement, les députés ont introduit une première proposition dans le cadre du projet de loi de finances. Mais, après consultation de nombreux acteurs, il s'est avéré que ce dispositif ne constituait pas une incitation fiscale réelle au verdissement des data centers dans la mesure où il n'était pas de nature à exclure du bénéfice de l'avantage fiscal des pratiques pourtant contestables, comme une efficacité énergétique limitée (caractérisée par un PUE - pour Power Usage Effectiveness - élevé) ou le recours à des systèmes de refroidissement utilisant des millions de litres d'eau potable et susceptible de polluer cette dernière. En lien avec la commission des finances, la rapporteure est donc intervenue afin de renforcer l'écoconditionnalité de l'avantage fiscal consenti aux data centers .

Le dispositif adopté par le Sénat propose de renvoyer à un décret le soin de déterminer des objectifs chiffrés sur un horizon pluriannuel concernant l'efficacité énergétique ( via le PUE) et l'utilisation de l'eau à des fins de refroidissement. Il contient également un critère de valorisation de chaleur fatale mais de façon alternative avec celui du PUE car exiger le respect des deux critères semble trop exigeant en l'état des technologies.

Cette logique d'incitation fiscale, contrôlée par l'administration fiscale, est donc de nature à concilier les impératifs environnementaux et la nécessité d'attirer sur notre territoire l'implantation de data centers . C'est pourquoi la commission des affaires économiques a adopté un amendement remplaçant le dispositif prévu à l' article 21 par cette incitation fiscale ( AFFECO-17 ). Cela rejoint l'esprit de la rédaction initiale de l'article 21, qui visait à permettre aux exploitants de centres de données de s'engager sur un horizon pluriannuel sur des objectifs de réduction de leur impact environnemental. Si ce dispositif fiscal ne devait pas apparaître comme satisfaisant dans les années qui viennent, il conviendrait alors de réfléchir à la réintroduction d'un dispositif de régulation tel que proposé par l'article 21.

La commission propose également de compléter ce dispositif par un amendement abaissant le seuil d'éligibilité de l'avantage fiscal 51 ( * ) à 500 mégawhatteures afin d'inciter aussi les exploitants de data centers de taille intermédiaire à la migration vers des infrastructures plus vertes ( AFFECO-18 ) . Le maillage de notre territoire par des data centers de taille intermédiaire vertueux en matière environnementale permettrait également de contribuer à une bonne gestion du réseau électrique en ne créant pas de point de tension critique pour ce réseau.


* 45 Entre 20 et 40 % des OPEX des opérateurs de réseaux selon le GSMA et jusqu'à 75 % des coûts d'exploitation des data centers selon le livre blanc des indicateurs de performance énergétique et environnementale.

* 46 Il convient cependant de noter que le coût carbone unitaire d'un centre de donnés mutualisé est inférieur à celui d'un équipement individuel.

* 47 Cette empreinte se décompose de la façon suivante : 40 % des émissions est issue de l'utilisation et de la construction de data centers situés en France, 30 % de la construction des équipements qu'ils utilisent et 30 % des data centers situés à l'étranger qui desservent les utilisateurs français.

* 48 Ces 5 % seraient constitués essentiellement (à 44 %) par la phase amont (c'est-à-dire la fabrication et l'importation des équipements et la construction des infrastructures, ainsi que leur fin de vie) et les émissions (à 26 %) des opérateurs hors réseaux (flotte de véhicules, groupes électrogènes...), seuls 30 % de ces 5 % proviendraient de l'utilisation domestique des réseaux.

* 49 Il convient de noter que la consommation énergétique de ces infrastructures dépend en partie des usages auxquelles elles entendent répondre, qui ne sont pas forcément maîtrisés par les acteurs. Les opérateurs de réseaux ne maîtrisent pas les usages du réseau, et les exploitants de data centers indépendants se contentent également de mettre des capacités à la disposition des clients. S'agissant des réseaux télécoms, la consommation énergétique des réseaux fixes dépend à ce jour très peu des usages, contrairement aux réseaux mobiles.

L'empreinte environnementale de ces infrastructures est également liée aux modalités d'installation et de déploiement et aux équipements choisis par leurs exploitants.

* 50 L'article 266 quinquies C du code des douanes applique un tarif intermédiaire de contribution au service public de l'électricité à hauteur de 12 euros par mégawattheure, applicable à la fraction des quantités annuelles excédant un gigawattheure, et lorsque la consommation totale d'électricité du centre est égale ou supérieure à un kilowattheure par euro de valeur ajoutée.

* 51 Un amendement supprimant ce seuil avait été proposé par la rapporteure lors de l'examen du projet de loi de finances, comme contrepartie à l'instauration d'une écoconditionnalité, mais celui-ci avait dû être retiré, faute de compatibilité avec le droit européen.

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