EXAMEN DE L'ARTICLE DÉLÉGUÉ AU FOND

Article 5

Dérogation aux règles de continuité écologique pour les moulins à eau

Objet : Cet article vise à préciser le régime de dérogation aux règles de continuité écologique pour les moulins à eau installés sur les cours d'eau de catégorie 2.

1. L'intention du législateur en matière de dérogation aux règles de continuité écologique mal interprétée par le Gouvernement

L'article 6 de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques (dite « LEMA ») a introduit une nouvelle section dans le code de l'environnement intitulée « Obligations relatives aux ouvrages » , qui a réformé les critères de classement des cours d'eau ou sections de cours d'eau pour préserver leur bon état écologique et celui des milieux aquatiques. En outre, cette loi modifie le régime juridique du débit réservé des ouvrages hydrauliques, c'est-à-dire le débit minimal que l'ouvrage doit laisser s'écouler dans le cours d'eau à son aval afin de garantir la vie, la circulation et la reproduction des espèces ainsi que le transport des sédiments , c'est-à-dire assurer la continuité écologique des espèces .

L'article L. 214-7 du code de l'environnement identifie deux catégories de cours d'eau, en sus de ceux qui ne font l'objet d'aucun classement :

• La catégorie 1 qui repose sur une logique de préservation des cours d'eau à fort enjeu contre toute nouvelle atteinte aux conditions de la continuité écologique. Elle consiste en une liste de cours d'eau en très bon état écologique ou identifiés comme réservoir biologique nécessaire au maintien ou à l'atteinte du bon état écologique des cours d'eau ou dans lesquels une protection complète des poissons migrateurs est nécessaire, sur lesquels aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s'ils constituent un obstacle à la continuité écologique .

En outre, le renouvellement de la concession ou de l'autorisation des ouvrages existants, régulièrement installés sur ces cours d'eau, est subordonné à des prescriptions permettant de maintenir le très bon état écologique des eaux, de maintenir ou d'atteindre le bon état écologique des cours d'eau ou d'assurer la protection des poissons migrateurs.

• La catégorie 2 qui repose sur une logique de restauration de la continuité écologique des cours d'eau sur les ouvrages existants, sans remettre en cause les usages existants avérés. Elle consiste en une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs . Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant. Ces obligations s'appliquent à l'issue d'un délai de cinq ans après publication des listes.

Les cours d'eau sur lesquels les ouvrages hydrauliques doivent assurer un transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs sont définis par arrêté du préfet coordonnateur de bassin .

Dans la pratique, cela signifie que les ouvrages hydrauliques situés sur ces cours d'eau doivent comporter des dispositifs d'ouverture (des vannes de fond par exemple), afin de laisser passer les sédiments à intervalles réguliers ou être équipés de dispositifs de franchissement pour les espèces piscicoles (à l'instar des « passes à poissons »). Ce même article précise en outre que ces obligations « n'ouvrent droit à indemnité que si elles font peser sur le propriétaire ou l'exploitant de l'ouvrage une charge spéciale et exorbitante ».

Une dérogation a été prévue par le législateur pour les moulins à eau sur les cours d'eau de catégorie 2 équipés pour produire de l'électricité. L'article 15 de la loi n° 2017-227 du 24 février 2017 ratifiant les ordonnances n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l'autoconsommation d'électricité et n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d'électricité à partir d'énergies renouvelables et visant à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d'électricité et de gaz et aux énergies renouvelables (dite loi « Autoconsommation ») exonère les moulins hydroélectriques installés sur les cours d'eau de catégorie 2 des obligations de restauration de la continuité écologique. Cette dérogation, codifiée à l'article L. 214-18-1 du code de l'environnement, s'applique aux moulins :

• équipés par leurs propriétaires, par des tiers délégués ou par des collectivités territoriales pour produire de l'électricité ;

• régulièrement installés sur les cours d'eau de catégorie 2 ;

• existant à la date de publication de la loi « Autoconsommation », soit le 24 février 2017 .

L'interprétation de la première de ces conditions s'est posée, afin de savoir si le moulin bénéficiant de la dérogation aux règles de continuité écologique devait être équipé à la date de publication de la loi « Autoconsommation », pouvait être en cours d'équipement ou ne l'être que postérieurement à cette date. Le ministère de la transition écologique et solidaire, dans une réponse du 9 août 2018 à une question écrite 7 ( * ) de notre collègue Bruno Retailleau, reconnaît que « les modalités de lecture et d'application de cet article législatif sont sensibles ».

À la lecture des débats parlementaires, il ressort pourtant clairement que l'intention du législateur reposait sur une acception extensive de la dérogation , ainsi que l'énonçait d'ailleurs sans ambiguïté le rapporteur du Sénat, M. Ladislas Poniatowski, dans le rapport retraçant les débats entre sénateurs et députés au stade de la commission mixte paritaire 8 ( * ) : « Nous avons amélioré le texte, en substituant aux mots « anciens moulins », peu précis, les mots « moulins à eau existant à la date de publication de la loi », c'est-à-dire ceux que l'on connaît qui existent. Sont concernés les moulins existant à la date de publication de la loi déjà équipés aujourd'hui ou qui pourraient l'être demain. Il ne s'agit pas de nouveaux ouvrages. »

Le Gouvernement a cependant retenu une approche restrictive des dérogations applicables aux moulins à eau, ce qu'il a confirmé dans cette même réponse écrite : « Il a été considéré qu'un moulin équipé est un moulin d'ores et déjà équipé pour la production hydroélectrique ou en train d'être équipé à la date de publication de la loi ».

2. La nécessité d'une dérogation mieux comprise et mieux appliquée

L'article 5 de la présente proposition de loi vise à neutraliser cette lecture restrictive et à revenir à l'intention initiale du législateur. Il complète ainsi l'article L. 214-18-1 par un nouvel alinéa qui dispose que la dérogation prévue pour les moulins à eau régulièrement installés sur les cours d'eau de catégorie 2 s'applique à la fois aux moulins équipés à la date de la loi « Autoconsommation » et aux moulins pour lesquels un projet d'équipement est engagé, y compris postérieurement à la date de publication de cette même loi.

L'autorité administrative sera ainsi tenue de faire droit aux demandes de dérogation en matière d'équipements de restauration de la continuité écologique pour les moulins hydroélectriques existant au 24 février 2017, soit la date de publication de la loi « Autoconsommation », mais non encore équipés à cette date pour la production d'électricité.

3. La position de la commission : clarifier la dérogation aux règles de continuité écologique pour que cessent les incompréhensions sur le terrain et que la loi votée par le législateur s'applique

La commission partage l'objectif poursuivi par cet article, à savoir la bonne conciliation entre la préservation des règles en matière de continuité écologique et le développement de projets hydroélectriques pour les ouvrages hydrauliques déjà existant sur les cours d'eau.

Afin d'en assurer la pleine effectivité, elle a souhaité préciser plusieurs points :

• en plus de s'appliquer aux moulins à eau, elle a prévu que la dérogation aux règles de continuité écologique s'étende également aux moulins fondés en titre, aux forges hydrauliques et à leurs dépendances , afin d'y inclure les ouvrages à potentiel hydroélectrique ne satisfaisant pas à la qualification de moulin, dont la commission constate qu'elle n'est pas définie dans notre droit interne ; il s'agit de clarifier le périmètre auquel s'applique le dispositif et de mettre le droit en cohérence avec la réalité ;

• la dérogation s'applique aux moulins à eau et ouvrages assimilés existant à la date de publication de la présente loi , dès lors qu'ils bénéficient d'une autorisation pour produire de l'électricité, indépendamment du moment où le projet d'équipement pour la production hydroélectrique a été mis en oeuvre . Ce nouveau régime étend le bénéfice de l'exonération à tout moulin à eau existant à la date de publication de la loi, dès lors qu'il est équipé pour la production d'électricité. En revanche, les ouvrages non encore construits à la date de publication de la présente loi ne seront pas concernés par cette dérogation.

La commission a également jugé utile de préciser que les modalités de mise en conformité des moulins hydrauliques situés sur les cours d'eau de catégorie 2 avec les règles de continuité écologique excluent expressément la destruction . Si les obligations en matière de continuité écologique nécessitent que les ouvrages soient gérés, entretenus et équipés pour ne pas entraver la circulation des poissons migrateurs et le transport des sédiments, il apparaît incompréhensible que la destruction des ouvrages puisse être une solution retenue par l'administration et fasse l'objet d'un taux de subvention meilleur que pour les aménagements.

À cette fin, la commission a ajouté au 2° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement une disposition pour interdire ces pratiques qui conduisent à la destruction d'ouvrages à fort intérêt patrimonial, installés pour certains depuis plus d'un siècle sur les cours d'eau français.

La commission proposera à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 5 ainsi modifié.


* 7 https://www.senat.fr/questions/base/2017/qSEQ171101874.html

* 8 Rapport n° 360 (2016-2017) de M. Ladislas Poniatowski et Mme Béatrice Santais, députée, fait au nom de la commission mixte paritaire, déposé le 1 er février 2017

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